Cogito et raison : l’épreuve de la folie

Autour de la Première Méditation de Descartes

Au vu de ce que la philosophie française doit au moment cartésien, nous ne pouvons pas échapper, pour étudier de la façon dont la philosophie « traite » la folie – façon qui révèle, nous le pensons, toujours quelque chose de la philosophie, quelque chose qui lui échappe de sa propre identité –, à l’interrogation sa particularité – ou de l’absence d’une telle particularité ; nous devons nous demander si réellement dans ce moment cartésien se nouent indissolublement l’identité de la philosophie moderne et le « Grand renfermement ». Pour quelle raison prenons-nous comme point de départ la Première Méditation ? Est-ce que les Méditations définissent encore notre rapport à la folie ?

Nous savons que le passage de la première des Méditations évoquant les «insensés» a provoqué une controverse devenue célèbre entre Foucault et Derrida au tournant des années 70. Denis Kambouchner l’évoque dans son livre, Les méditations métaphysiques de Descartes :

Dans l’archive de la philosophie française contemporaine et dans celle des études cartésiennes, on appelle « querelle de la folie » une discussion qui s’est élevée voici quelque quarante ans à propos d’un passage de la Première Méditation […] dont il s’agissait de savoir s’il pouvait être lu, ou non, comme effectuant ou exprimant une exclusion philosophique de la folie.

Mais ce n’est pas tout. La psychologie ouvre un autre point de vue. Son discours sur la folie pose le problème du rapport entre l’esprit et le corps. Qu’est-ce qui revient précisément à chacun de ces principes dans la production (et donc la compréhension) des comportements de l’excès, de l’impulsion et du dérèglement ? La question se pose de savoir si le problème de la folie vient du trouble somatique ou du dérèglement de l’esprit, et donc de savoir si l’on pourrait traiter le problème de la folie comme une maladie. Et s’il s’agit d’une maladie, quel est son genre ? Est-elle une maladie du cerveau ou une maladie de l’esprit, ou existe-t-il un troisième terme ? Il est remarquable que l’importance de la Première Méditation métaphysique de Descartes ait été soulignée par Jacques Lacan au colloque de Bonneval de 1964. A l’occasion de ce colloque, Lacan demanda pour la première fois un grand retour à Descartes. Lacan a remarqué ce passage cartésien bien avant la grande « querelle» entre Foucault et Derrida. Ceci veut dire que le passage cartésien de la Première Méditation ne provoque pas seulement une grande polémique entre Foucault et Derrida, ainsi que la guerre entre la neurologie et la psychiatrie du XXe siècle.

Le geste de la folie chez Descartes 

Le rapport au doute dans la Première Méditation

Il y a déjà quelques temps que je me suis aperçu que, dès mes premières années, j’avais reçu quantité de fausses opinions pour véritables, et que ce que j’ai depuis fondé sur des principes si mal assurés, ne pouvait être que fort douteux et incertain ; de façon qu’il me fallait entreprendre sérieusement une fois en ma vie de me défaire de toutes les opinions que j’avais reçues jusques alors en ma créance, et commencer tout de nouveau dès les fondements, si je voulais établir quelque chose de ferme et de constant dans les sciences.

En lisant ces quelques premières lignes de la Première Méditation, nous reconnaissons le problème classique de la fondation de la science. Descartes s’est rendu compte que toutes les opinions qu’il a reçus peuvent être fausses. Au sein de cette inquiétude sur l’ignorance au fondement de notre savoir, Descartes n’a pas de moyen d’être sûr que tout ce que nous apprenons est fidèle au réel ou non. Descartes recherche la certitude en science, il définit même la science comme la possession de la certitude. Tout savoir qui sera incertain devra alors être mis en doute, tant que l’on ne s’est pas assuré de sa vérité. Donc tout principe incertain qui servirait de fondement à nos croyances devra lui-même être mis en doute. Et même, puisque toutes nos connaissances ont leur source soit dans l’expérience sensible soit dans la raison, plutôt que de s’interroger sur chacune de nos croyances, ou même sur chacun de nos principes, il suffira de s’interroger sur la valeur de certitude des sources de nos croyances. Ainsi, toute proposition prétendant à la vérité qui dépendra d’une source douteuse doit elle-même être considérée comme douteuse.

En effet, Descartes demande de se méfier généralement de toutes ses anciennes opinions afin de pouvoir établir radicalement les fondements du savoir les plus fermes et plus constants possibles. Autrement dit, pour ne laisser de place au moindre doute dans l’édification à nouveaux frais du savoir, nous rencontrons dans l’oeuvre de Descartes une intention de rechercher la vérité à travers la méthode du doute : il y révoquera toutes les choses dont il peut douter. Il ne suffit pas de rejeter tout ce que nous savons être faux, mais tout ce qui est douteux. Ainsi, ce qui résistera à ce doute pourra être tenu pour absolument certain. L’idée de Descartes est qu’une vérité ou source de connaissance, qui résistera à ce doute radical (nier tout ce qui est incertain) devra être tenue pour vraie.

La folie en tant que doute cartésien

Dans les Méditations Métaphysiques de Descartes, c’est à partir du doute que Descartes se met en quête de la vérité. Cependant, si nous passons aux détails, plusieurs doutes participent à l’opération cartésienne, ou plutôt il existe plusieurs raisons de douter de ce que l’on tient pour vrai ; raisons de douter qui permettent de douter, plus ou moins profondément, de différents types de connaissances. Chaque raison de douter atteint un type différent de choses tenues pour vraies. Par exemple le rêve, le malin génie et la folie, etc. L’exemple de la folie fait partie d’une série de stratégies mises en place par Descartes pour parvenir à l’indubitable. Quel est le rôle stratégique de l’exemple de la folie ? Et qu’est-ce que son traitement nous apprend sur la philosophie de Descartes ?

Mais, encore que les sens nous trompent quelquefois, touchant les choses peu sensibles et fort éloignées, il s’en rencontre peut-être beaucoup d’autres, desquelles on ne peut pas raisonnablement douter, quoique nous les connaissions par leur moyen : par exemple, que je sois ici, assis auprès du feu, vêtu d’une robe de chambre, ayant ce papier entre les mains, et autres choses de cette nature. Et comment est-ce que je pourrais nier que ces mains et ce corps-ci soient à moi ? Si ce n’est peut-être que je me compare à ces insensés, de qui le cerveau est tellement troublé et offusqué par les noires vapeurs de la bile, qu’ils assurent constamment qu’ils sont des rois, lorsqu’ils sont très pauvres ; qu’ils sont vêtus d’or et de pourpre, lorsqu’ils sont tout nus ; ou s’imaginent être des cruches, ou avoir un corps de verre. Mais quoi ? ce sont des fous, et je ne serais pas moins extravagant, si je me réglais sur leurs exemples .

Par ce passage, nous apprenons que les sens sont trompeurs, dans certains cas. Or, beaucoup des choses que nous tenons pour les plus certaines nous viennent des sens, se passer de leur secours dans la recherche de la vérité est coûteux, il faut faire preuve de nuance. Mais si les sens nous trompent souvent en ce qui concerne les choses éloignées ou les choses difficiles à percevoir, comment douter de ce qui nous est fourni avec le plus d’évidence par les sens ?

C’est là qu’intervient le rejet de l’argument de la folie. On pourrait en effet arguer du fait que les fous se trompent bien quand ils jugent de ce que sont les choses sensibles les plus familières et généralement connues. Cela semble bien fournir une raison de douter de l’ensemble des informations sensibles, et donc de chercher ailleurs la vérité, ce que recherchait Descartes. Ne se peut-il que nos croyances les plus évidentes, nos croyances en l’existence du monde extérieur et en la possession de notre corps propre ne soient identiques aux croyances des fous ? Avec cette raison de douter, à travers l’exemple des fous, on pourrait douter « par exemple, que je sois ici, assis près du feu, vêtu d’une robe de chambre, ayant ce papier entre les mains, et autres choses de cette nature ? » Avec ce doute qui pourrait radicalement changer notre vision du monde, les pauvres peuvent croire absolument qu’ils sont des rois ; quand ils sont tout nus, croire qu’ils sont vêtus d’or et de pourpre. Mais, on le sait, Descartes rejette étrangement l’argument : « mais quoi ? ce sont des fous, et je ne serais pas moins extravagant, si je me réglais sur leurs exemples. » Par là, on voit que le risque d’être fou embarrasse Descartes comme s’il embarrassait le sujet méditant. Au paragraphe suivant, Descartes ira chercher une raison de douter de ce qui semble le plus évident parmi les opinions qui nous sont données par l’intermédiaire des sens dans l’exemple du rêve et l’exemple du malin génie. Tous les hommes rêvent, pas seulement les fous, et parfois les rêves sont encore moins vraisemblables que les délires des fous.

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Table des matières

Introduction
PREMIÈRE PARTIE : Autour de la Première Méditation de Descartes
CHAPITRE I : Le geste de la folie chez Descartes
Ⅰ. Le rapport au doute dans la Première Méditation
Ⅱ. La folie en tant que doute cartésien
CHAPITRE II : La « querelle de la folie » entre Foucault et Derrida
Ⅰ. La folie, autrement
Ⅱ. La folie à l’époque de la Renaissance
ⅡI. L’histoire de la folie d’après Foucault
IV. Un retour à l’origine ou un détour de la vérité ?
CHAPITRE III. La relecture des Méditations par Derrida
Ⅰ. La folie, un doute naturel parmi d’autres
Ⅱ. Exclue ou non-exclue ?
ⅡI. La « folie » cartésienne, une opération philosophique et non historique
IV. Redialoguer avec Derrida
APPENDICE – Deux derniers mots sur la « querelle » : après Foucault et Derrida
Ⅰ. Une lecture erronée, mais féconde
(Jean-Marie Beyssade)
Ⅱ. Le philosophe à l’école du fou
(Ferdinand Alquié)
DEUXIÈME PARTIE : Les discours sur la folie dans la philosophie française
CHAPITRE IV : Un défi : le conflit entre psychologie
et philosophie
Ⅰ. Le langage et la folie
Ⅱ. Le « noeud de la signification » de la folie
ⅡI. Le « geste » initial de Michel Foucault
IV. Virage de la pensée, changement d’état initial
chez Foucault
V. Quel fait historique ?
CHAPITRE V : Critique de la critique de la naissance de la psychiatrie
Ⅰ. La critique de Gladys Swain
1. La naissance de la psychiatrie d’après Gladys Swain
2. La psychiatrie en tant que science « positive » ou science « neutre » ?
3. L’aliénation n’est jamais totale
Ⅱ. La critique de Marcel Gauchet
1. « Une malédiction de naissance » : sous l’œil de Marcel Gauchet
2. La « nature » de l’asile
3. La psychiatrie en tant que pratique thérapeutique appropriée
ⅡI. La critique de Claude Quétel
1. Toute l’histoire de la folie à l’envers
2. Le statut de la folie : subjectivité reconnue ou objectivation du fou ?
3. Où se place la frontière entre folie et raison ?
4. Résistance de l’histoire de la folie : entre le vrai et le faux
TROISIÈME PARTIE : Folie et Transformation de soi
CHAPITRE VI. Médecine du corps, médecine de l’âme : entre médecine et philosophie
I. L’union de l’âme et du corps : un problème hérité de la
tradition cartésienne
II. La question du siège de l’âme
III. Les « maladies de la tête »
IV. Une thérapie partagée ? Le médecin et le philosophe
V. Kant et la diététique
CHAPITRE VII. La thérapie de l’âme dans les écoles antiques
I. Platon et la question de la folie
1. Les quatre espèces de la folie
2. La figure d’Éros
3. Le remède de Platon
4. Tempérance et démesure
II. École stoïcienne
1. Les passions : l’origine de la folie
2. Folie et santé de l’âme
3. Le cas de Médée
4. Les remèdes stoïciens
III.École épicurienne
1. La crainte des dieux : le cas d’Iphigénie
2. La crainte de la mort : racine de la folie
3. L’aliénation de soi : la folie de l’amoureux
4. Le remède épicurien
IV. Transformation et gouvernement de soi
1. Exercices spirituels
2. Remède philosophique, l’art de soigner
3. Médecin de soi-même
4. Esthétique de l’existence et authenticité
philologique
Conclusion
Bibliographie

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