CO-DÉPENDANCE, DES COMPORTEMENTS

CO-DÉPENDANCE, DES COMPORTEMENTS

CADRE THÉORIQUE : LES CONCEPTS

Dans le but de comprendre l’action publique en matière de codépendance, il me semble nécessaire d’effectuer un retour historique sur le champ lexical qui englobe ce terme : l’addiction, le comportement addictif, la dépendance, la toxicomanie. La place occupée par « l’addiction sans produit » au sein de notre société au cours du temps est aussi recherchée.

HISTOIRE DE L’ADDICTION

Rozaire, Guillou-Landreat, Grall-Bronnec, Rocher et Vénisse (2009) font remarquer dans leur écrit sur l’histoire de l’addiction l’étymologie latine du concept « ad-dicere », qui exprime une appartenance en termes d’esclavage. C’était une ordonnance du tribunal qui obligeait un débiteur, ne pouvant rembourser sa dette autrement, à payer son créancier par son travail, sa dévotion. (Rozaire C. et al., 2009) On note ici le lien entre les deux parties. Ceci n’incluant pas un produit mais une servitude, un engagement contractuel vis-à-vis de l’autre.
Benjamin Rush publie en 1784 « An Inquiry Into the Effects of Ardent Spirits Upon the Human Body and Mind » – traduit en français : une enquête sur les effets des spiritueux sur le corps et l’esprit humain. Pour la première fois, l’usage de l’alcool est appréhendé du point de vue de ses conséquences sur la santé et de la dépendance. (Rush, 2011)
Dès lors, ce qui était ivrognerie devient progressivement alcoolisme. On observe un changement, une avancée dans ce qui était conçu comme plaisir mais avec des conséquences sur différents points de vue. Fin des années 90, Aviel Goodman livre la définition suivante. [L’addiction est] « un processus par lequel un comportement, qui peut fonctionner à la fois pour produire du plaisir et pour soulager un malaise intérieur, est utilisé sous un mode caractérisé par :
1. l’échec répété dans le contrôle de ce comportement (impuissance)
2. la persistance de ce comportement en dépit de conséquences négatives significatives (défaut de gestion) »
Goodman propose ici une explication tentant d’intégrer un fonctionnement global de l’addiction. Selon lui, il est impossible de résister aux impulsions des comportements addictifs. Il évoque la sensation de perte de contrôle pendant l’acte, le plaisir, le soulagement, tout en définissant des critères. On amène alors une notion de substance, en lien avec le domaine médical. (Dupont, 2014).En se penchant sur le point de vue médical de l’histoire des addictions, les différentes
recherches amènent à l’usage des drogues. La consommation de substances illicites a toujours suscité des questions dans les sociétés et ses statuts ont considérablement évolués selon les époques puisqu’elles « désignaient auparavant des remèdes médicinaux ou bien des épices et des arômes. Le mot « drogue » avait jusqu’aux années cinquante une connotation assez positive. » (Farges, 2002).
L’analyse qu’a fait Farges dans sa recherche sur l’évolution de la toxicomanie à travers le temps m’a beaucoup intéressée et me semble pertinente pour conceptualiser l’addiction.
En effet, les drogues constituent des médicaments, autorisés et livrés par l’État jusqu’au début du 20e siècle. On ne parlait pas d’addictions, mais dans le terme « toxicomane » utilisé à cette époque, on introduisait la notion d’ « intoxication périodique ou chronique engendré par la consommation répétée d’une drogue (naturelle ou de synthèse).
Ses caractéristiques sont notamment :
1. Un invincible désir ou besoin (obligation) de continuer à consommer la drogue et à se la procurer par tous les moyens
2. Une tendance à augmenter les doses
3. Une dépendance d’ordre psychique et généralement physique à l’égard des effets de la drogue
4. Des effets nuisibles à l’individu. » (Définition de l’OMS, 1950, citée par Brust, 2007)
Le point 1 pourrait introduire la notion de dépendance dans la définition d’un invincible désir ou de l’obligation de continuer à consommer. Mais selon Farges toujours, cette définition a encore plusieurs imprécisions dont « le terme invincible désir qui n’est pas explicité de manière détaillée et claire. » (Farges, 2002)
Il faut attendre 1964 pour que l’OMS corrige cette définition et introduise la notion de dépendance. La dépendance est une conduite durant laquelle « une modification physique et psychologique apparaît, créant l’impossibilité de s’abstenir de consommer une substance psychotrope. » Cette correction a permis une évolution certaine dans le domaine de la toxicomanie, car on a pu dès lors distinguer différentes possibilités d’usage des psychotropes et autres substances.
Farges continue, « c’est le mode d’utilisation compulsive de la substance qui caractérise la dépendance » (Farges, 2002) et c’est cette distinction qui change de manière significative la vision de l’addiction dans la société. On met l’accent non plus sur le produit, comme si c’était « sa » faute, mais on met la responsabilité sur l’individu et son comportement.
Loas et Corcos, auteurs de « Psychopathologie de la personnalité dépendante » questionnent la différence entre les termes addiction, toxicomanie et dépendance dans la littérature scientifique. Ils expliquent qu’il y a un intérêt certain à recourir au mot addiction plutôt que toxicomanie pour introduire la place des produits dans les dépendances, en d’autres termes : « faire une place aux toxicomanies sans drogues, aussi appelées addictions comportementales. » (Loas & Corcos, 2006) Grâce à cette précision, je me permets de remettre en question les différentes définitions introduites plus haut, dans mes recherches. Elle consolide cependant le fait qu’un réel débat est toujours présent autour de mon sujet de recherche.

AUJOURD’HUI, COMMENT DÉFINIR L’ADDICTION

Aujourd’hui, la définition de l’addiction par l’association CIAO (Centre d’Information.Assisté par Ordinateur) repose sur la « Relation de dépendance plus ou moins forte à l’égard d’un produit (drogue), d’une pratique (jeu) ou d’une situation (relation amoureuse). (Association CIAO, 2018) L’évolution du terme m’a permis de comprendre les enjeux autour du sujet.
Enormément d’auteur∙e∙s ont tenté de définir au mieux ces concepts et mes recherches m’ont amenée à effectuer ma propre définition du terme, que je souhaite garder pour ce travail.
Dans l’article intitulé « L’addicté et le passionné », Mathilde Saïet rappelle : « elle [la psychanalyse] réaffirme, encore, et toujours, que, comme tout symptôme, l’addiction ne constitue en fin de compte qu’une tentative désespérée de guérison. » (Saïet, 2019)
Cette citation est la dernière en date, dans l’actualité. Elle met en lien le thème et toute la systémie qui entoure le sujet. En cela, je la trouve pertinente à la caractérisation du thème.
Selon moi, l’addiction est un vaste sujet qui englobe plusieurs concepts clefs. C’est avant tout des conduites qui sont néfastes pour l’Homme à court, moyen ou long terme.
On pourrait parler d’addiction dans le cadre d’une dépendance à une substance, de comportements, de situations ou relations affectives si la personne en question ressent régulièrement une souffrance, des sentiments négatifs comme la culpabilité et s’il ou elle essaie de se maîtriser ou d’interrompre ce processus.
Pour schématiser cette introduction et les différentes évolutions de l’addiction, le thème de ce travail de Bachelor, je propose une ligne temporelle. Le schéma est présent sur la page suivante de ce travail.
Enfin, on observe que l’origine des termes étudiés passe de l’émergence de la maladie addictive à l’ivrognerie, puis de l’alcoolisme qui deviendra la toxicomanie et pour finir le terme addiction ainsi que son champ lexical indiqueront une spécificité médicale, universitaire, étudiée et analysée par tous les domaines touchant la psychologie. Didier Nourrisson dit qu’en conclusion de cette évolution des termes et des approches « un plaisir hier innocent devient aujourd’hui un usage coupable. Et la tolérance passe à la répression, jusqu’à l’exclusion. » (Nourrisson, 2017).
N’est-elle pas résumée, ici, toute l’essence du travail social ? Accompagner les bénéficiaires, comprendre historiquement et systémiquement en œuvrant avec les personnes, selon leurs compétences et leurs besoins ?

 ADDICTION SANS PRODUIT

Dans la littérature scientifique, le terme addiction sans produit n’est apparu qu’en 2013.
C’est dans le DSM-5, qui est la dernière édition à ce jour du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux de l’Association Américaine de Psychiatrie (APA), que l’on retrouve cette terminologie.
C’est en cela que je conçois que mon sujet fait partie des nouvelles addictions. Comme indiqué, les écrits font de plus en plus apparaître l’existence de comportements pour lesquels il n’y a pas d’usage de produit, donc pas de consommation mais qui prennent la forme d’une perte de contrôle similaire à la dépendance.
Les addictions sans produit, également nommées sans substance, sont sujet de controverse et de débat par bien des articles scientifiques. Un article dans les Annales médico-psychologiques de la revue psychiatrique mentionne les travaux de Freud des années 1920. Le fondateur de la psychanalyse aurait travaillé indirectement sur la recherche d’explications des addictions sans substance, déjà à cette époque.
Mais la pauvreté de la littérature mettant en lien ces deux sujets me force à ne faire qu’hypothétiser cette information. Les difficultés de définition de ces addictions sans produit peuvent s’expliquer par l’inexistence actuelle de dispositif expérimental permettant d’en mesurer les effets. À contrario des substances illicites – drogues, qui sont évaluées facilement, notamment par des expériences animales.
Messieurs Valleur et Velea s’accordent dans un article pour dire que la définition des nouvelles addictions est complexe. En parlant du sujet, « mais il convient, de toute façon, de prendre acte de l’émergence de quantité de nouvelles addictions qui constituent indéniablement, aux côtés de la dépression, les maladies emblématiques de la modernité. » (Valleur & Velea, 2002) Cette citation me conforte d’être en lien avec l’actualité et les nouvelles pathologies émergeantes dont les travailleurs et travailleuses sociales sont confronté∙e∙s actuellement.
On parle cependant déjà aujourd’hui de pathologie du lien. « Celle-ci se révèle par son aspect totalitaire, la perte de la liberté qu’elle entraîne, la dépendance à un objet unique et une soumission inconsciente à l’instinct de mort (thanatos) par le biais de «la contrainte de la répétition ». (Lavenaire, 2010)

CO-DÉPENDANCE, DES COMPORTEMENTS

Dans son livre intitulé « Dépendances : comprendre, agir, aider » Jaquet introduit le terme co-dépendance comme utilisé pour la première fois dans les écrits thérapeutiques par Sondra Smalley, psychologue américain dans les années 70.
Selon ce dernier, la co-dépendance « est un modèle de comportement acquis, des sentiments et des croyances qui rendent la vie douloureuse. Il s’agit d’une dépendance exagérée à l’égard de personnes ou de choses en dehors de soi et caractérisée par l’abandon de soi, au point de perdre son identité. » (Jaquet, 2013)
Les concepts d’abandon de soi, de perte d’identité m’ont questionnée et c’est autour des comportements que j’ai continué mes recherches.
Selon Jaquet (2013), la norme tend à devenir dépendant·e pour les personnes qui vivent avec des personnes dépendantes. Les attitudes, les actes et les pensées des proches sont influencés par l’addiction. Kündig (2012) ajoute qu’une faible estime de soi, une immaturité émotionnelle, un manque d’objectivité et un besoin d’amour et de contrôle intense caractérisent le syndrome. La personne co-dépendante oublie ses propres besoins et se sent exister à travers l’autre. On pourrait définir une liste de différents comportements qui peuvent être mis en évidence dans notre thème.

FOCALISATION SUR L’AUTRE

« Tout individu peut être considéré comme co-dépendant lorsqu’il donne la priorité aux besoins des autres avant d’écouter ses propres besoins. » (Kündig, 2012)
Il semble inné de vouloir aider son entourage dans des moments difficiles, tout mettre en œuvre pour éviter des conséquences négatives de comportements à risques. Cette démarche devient néfaste pour la personne lorsqu’elle-même s’oublie et n’agit qu’en fonction ou au travers de l’autre. Kündig écrit sur la notion de reconnaissance souhaitée par les proches. En effet, le ou la dépendant·e ne se rend pas toujours compte de ce qui est mis en action par son entourage, il ne va donc pas forcément remercier ou valider ces actes. C’est cet aspect de la problématique qui créé le déséquilibre relationnel dont parle Kündig.
Jaquet (2013) précise que la personne a besoin du ou de la dépendant·e pour se sentir utile. Sa priorité devient l’autre, au détriment d’elle-même. La relation devient alors malsaine car la distance relationnelle n’est plus acceptable, les limites n’existent plus.
On parle alors de « fausse croyance : penser que son attitude aide sincèrement le ou la dépendant∙e à s’en sortir alors qu’en réalité cela ne fait que maintenir l’homéostasie entre les partenaires. » (Jaquet, 2013)
En parallèle, Beattie (1992) rapporte que les personnes co-dépendantes peuvent adopter une attitude de dénégation. Elle explique ce terme par un « déni de leur propre réalité ». (Beattie M. , 1992) Les personnes ne reconnaissent alors pas qu’un problème existe, se rassurent en pensant que la situation pourrait empirer, mais espèrent que tout ira mieux rapidement. Beattie met également en évidence, en introduisant le travail des professionnel·le·s du domaine social, que la personne co-dépendante réagit pour protéger son ou sa partenaire. Ici, étant défini∙e par l’usager ou l’usagère. La prise en charge devient alors complexe, car le sentiment de bien-faire est ancré.

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Table des matières
1. INTRODUCTION 
2. CHOIX DE LA THÉMATIQUE 
2.1. MES MOTIVATIONS
2.2. LIEN AVEC LE TRAVAIL SOCIAL
3. QUESTIONNEMENT
3.1. QUESTION DE RECHERCHE
3.2. OBJECTIFS ET HYPOTHÈSES DE RECHERCHE
3.2.A. OBJECTIF 1
3.2.B. OBJECTIF 2
3.2.C. OBJECTIF 3
4. CADRE THÉORIQUE : LES CONCEPTS
4.1. HISTOIRE DE L’ADDICTION
4.1.A. AUJOURD’HUI, COMMENT DÉFINIR L’ADDICTION
4.1.B. ADDICTION SANS PRODUIT
4.2. CO-DÉPENDANCE, DES COMPORTEMENTS
4.2.A. FOCALISATION SUR L’AUTRE
4.2.B. VOIR S’ÉLOIGNER LA CONFIANCE EN SOI ET LES LIMITES
4.2.C. CINQ SYMPTÔMES
4.3. PRÉVENTION
4.4. IMPLICATION
5. DÉMARCHE MÉTHODOLOGIQUE
5.1. CONSTRUIRE LE TERRAIN DE RECHERCHE
5.2. POPULATION ET ÉCHANTILLON DE RECHERCHE
5.2.A. LES INSTITUTIONS SOCIALES DE L’ÉCHANTILLON EN BREF
5.3. MÉTHODOLOGIE
5.4. RISQUES ET STRATÉGIES
6. RÉSULTATS 
6.1. HYPOTHÈSE 1
6.1.A. LA CODÉPENDANCE DANS VOTRE QUOTIDIEN
6.1.B. PROTOCOLER LA DISCUSSION SUR L’ENTOURAGE
6.1.C. LA PLACE DE L’ENTOURAGE DANS CHAQUE INSTITUTION
6.1.D. RÉPONSE À L’HYPOTHÈSE 1
6.2. HYPOTHÈSE 2
6.2.A. LA SITUATION PARTICULIÈRE – ANALYSE
6.2.B. LES COMPÉTENCES ESSENTIELLES
6.2.C. CONSÉQUENCES DE L’IMPLICATION DES PROCHES
6.2.D. RÉPONSE À L’HYPOTHÈSE 2
6.3. HYPOTHÈSE 3
6.3.A. DES TÂCHES EFFECTUÉES QUI INTERPELLENT
6.3.B. LE RÔLE ET SON IMPACT
6.3.C. RÉPONSE À L’HYPOTHÈSE 3 : LES ACTIONS QUI INTERPELLENT
7. CONCLUSION
7.1. RÉPONSES À LA QUESTION DE RECHERCHE
7.2. NOUVEAUX QUESTIONNEMENTS ET PISTES D’ACTION
7.3. BILAN PERSONNEL ET PROFESSIONNEL
8. BIBLIOGRAPHIE
9. ANNEXES
9.1. ANNEXE 1 : LETTRE PRISE DE CONTACT
9.2. ANNEXE 2 : GUIDE D’ENTRETIEN
9.3. ANNEXE 3 : ACCORD DE CONSENTEMENT ÉCLAIRÉ
9.4. ANNEXE 4 : OUTIL SYSTÉMIQUE, SCHÉMA DES RELATIONS
9.5. ANNEXE 5 : BASE DE DONNÉES INFO-DROGUE

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