Clonage des gènes
Le fer est essentiel
Le fer est le 26e élément du tableau périodique et le quatrième élément le plus abondant sur la Terre [1]. Il est un métal faisant partie des éléments de transition. Les métaux de cette famille sont caractérisés par une sous-couche électronique d incomplète, c’est-à-dire que cette sous-couche n’est pas complètement remplie d’électrons et qu’il y a place au mouvement entre certaines orbitales. À cause de cette particularité, les métaux de cette famille peuvent osciller entre une grande variété d’état d’oxydation [2]. Sous des conditions physiologiques, le fer est principalement retrouvé sous deux formes, soit la forme ferreuse Fe2+ et la forme ferrique Fe3+. Dans ces deux formes, les électrons du fer peuvent adopter un état de spin haut ou un bas dépendamment de l’environnement l’entourant. Ces propriétés font du fer un élément extrêmement versatile [1]. Cette flexibilité a fait de lui, au cours de l’évolution, un élément important pour plusieurs réactions enzymatiques et sa présence est maintenant nécessaire à la survie des organismes vivants. Le fer participe à plusieurs processus cellulaires vitaux comme le transport d’électrons et d’oxygène, la synthèse d’acides aminés, la respiration, la régulation des gènes, la biosynthèse d’ADN et la photosynthèse [3]. Ainsi, à part quelques exceptions chez les lactobacilles, le fer est essentiel pour maintenir la vie sous toutes formes [1].
Chez les bactéries pathogènes, on retrouve différents systèmes d’acquisition et de transport du fer qu’elles ont développés pour subvenir à leurs besoins. Lors de l’infection, ces stratégies leur permettent d’entrer en compétition avec la séquestration du fer effectuée par l’hôte. Ces systèmes d’acquisition peuvent être classées sous trois groupes : les récepteurs transferrines/lactoferrines, les sidérophores et le transport du fer ferreux (Figure 1) [1, 4]. Les récepteurs transferrines/lactoferrines sont retrouvés chez quelques bactéries et les plus étudiés appartiennent aux genres bactériens Neisseriaceae et Pasteurellaceae. Ces récepteurs sont en mesure de lier les transferrines et les lactoferrines présentes chez l’humain. Ces dernières sont de très grandes réserves de fer produites dans le foie et le lait respectivement. Les récepteurs transferrines/lactoferrine ont pour fonction de leur enlever le fer et de le transporter dans le cytoplasme de la cellule bactérienne [4]. Quant à eux, les sidérophores sont synthétisés et sécrétés par les bactéries lorsque le niveau de fer est bas. Ils lient le fer ferrique avec une grande constante d’affinité pouvant aller jusqu’à 1050 M [4]. Une fois que le complexe fer-sidérophore est fait, il est reconnu par un récepteur exprimé à la surface des cellules. Le complexe est internalisé dans la bactérie et le fer peut être utilisé comme nutriment [1]. Pour sa part, le transport du fer ferreux s’effectue à l’aide du transporteur FeoB qui permettrait au fer ferreux de traverser la membrane cytoplasmique des bactéries. Ce système a été découvert pour la première fois chez E. coli et le mécanisme est encore incertain mais celui-ci impliquerait aussi les protéines FeoA et FeoC [1].
Système d’acquisition de l’hème
Lorsque les organismes pathogènes infectent un hôte, ceux-ci doivent être en mesure d’acquérir du fer et certains peuvent utiliser l’hème comme source de fer pour survivre et croître. Les différentes sources d’hème sont libérées des érythrocytes par des hémolysines et des protéases. Une fois les cellules lysées, l’hème est rapidement lié à des protéines de l’hôte (hémopexine, albumine) mais peut aussi être transporté ou capté par les bactéries à l’aide de différents systèmes d’acquisition [1]. Les systèmes d’acquisition de l’hème chez les bactéries à Gram négatif et à Gram positif ont divergé au cours de l’évolution, à cause des différences dans leur composition membranaire. Dans cette étude, seulement les systèmes d’acquisition de l’hème par les bactéries à Gram négatif seront abordés. Chez les bactéries à Gram négatif pathogènes, il y a trois différents types de systèmes qui ont été identifiés : acquisition directe, acquisition via un récepteur bipartite et acquisition via un hémophore (Figure 3). Ceux-ci sont tous dépendants d’un système appelé TonB. La protéine TonB forme un complexe avec les protéines ExbB et ExbD dans la membrane cytoplasmique de la cellule. Ce complexe utilise la force proton motrice pour fournir l’énergie nécessaire aux récepteurs de la membrane externe permettant l’acquisition et le transport de substrats spécifiques, comme l’hème, jusqu’au périplasme [10]. Le fonctionnement général des différents systèmes d’acquisition de l’hème ainsi que le sort de l’hème une fois dans le cytoplasme sont présentés aux sections 1.2.1 à 1.2.3.
Système d’acquisition direct de l’hème
Le système d’acquisition direct de l’hème permet le transport de l’hème de la membrane externe jusqu’au cytoplasme. Ce type de système implique un récepteur membranaire externe, une protéine périplasmique, un transporteur ABC et une protéine cytoplasmique. Les protéines impliquées dans l’acquisition directe de l’hème sont codées par un regroupement de gènes qui est retrouvé chez plusieurs bactéries pathogènes à Gram négatif notamment : Yersinia pestis (Hmu), Yersinia enterocolitica (Hem), Shigella dysenteriae (Shu), Pseudomonas aeruginosa (Phu), Citrobacter freundii (Hut), Vibrio cholerae (Hut) et Escherichia coli O157:H7 (Chu) [8, 11]. Le récepteur membranaire externe capte l’hème libre, ou l’hème des hémoprotéines de l’hôte, à la surface de la cellule et le transporte jusqu’au périplasme via l’énergie fournie par le complexe TonB/ExbB/ExbD [7]. Plusieurs types de récepteurs ont été identifiés chez différentes bactéries à Gram négatif. Ces récepteurs pouvant lier l’hème d’une ou plusieurs sources incluent ShuA de S. dysenteriae, ChuA de E. coli O157:H7, PhuR de P. aeruginosa et HemR de Y. enterocolitica. Certaines espèces possèdent plus d’un récepteur, qui sont probablement utiles pour lier différentes hémoprotéines [11]. Quelques récepteurs d’hémophores peuvent aussi jouer ce rôle, comme HasR de S. marcescens, car en plus de lier le complexe hème-hémophore, ils capturent l’hème libre et celui de l’hémoglobine [12].
Les récepteurs de cette famille ont une taille de 70 à 120 kDa et sont caractérisés par deux domaines : un baril β possédant 22 feuillets antiparallèles avec un diamètre interne variant entre 35-40 Å et une séquence N-terminale qui occupe la cavité et prévient la diffusion passive. De plus, deux histidines hautement conservées, qui sont impliquées dans le transport de l’hème, ont été identifiées chez cette famille de récepteurs [13]. Une fois rendu au périplasme, l’hème est lié à une protéine périplasmique assurant son transport jusqu’au un transporteur ABC de la membrane interne. Quelques transporteurs périplasmiques ont été identifiés tels que HemT de Y. enterocolitica, ShuT de S. dysenteriae, PhuT de P. aeruginosa, HutB de V. cholerae et ChuT de E. coli O157:H7 [14]. Le mécanisme de transport n’est pas encore très bien caractérisé mais les études effectuées proposent que l’hème se lie entre deux sous-domaines du transporteur créant ainsi un changement structural de la protéine. Ce changement de conformation permettrait au complexe hème-transporteur périplasmique d’interagir avec le domaine transmembranaire du transporteur ABC [11].
La protéine périplasmique assure le transport de l’hème dans l’espace périplasmique jusqu’au transporteur ABC. Quand la protéine est associée au transporteur ABC, cela forme une perméase d’acquisition de l’hème complète qui permet le transport de l’hème vers le cytoplasme via un système dépendant de l’ATP [15]. La perméase identifiée chez Y. enterocolitica est composée d’une protéine périplasmique liant l’hème (HemT), une protéine transmembranaire (HemU) et une protéine ATPase (HemV) [14]. Des protéines homologues sont retrouvées dans d’autres bactéries comme PhuTUV de P. aeruginosa, ShuTUV de S. dysenteriae et ChuTUV de E. coli O157:H7.
Système d’acquisition de l’hème via un hémophore Certaines bactéries sécrètent des protéines appelées hémophores. Les hémophores sont exportés dans l’environnement pour capturer l’hème libre ou l’hème lié à une protéine hémique [8]. Le complexe hème-hémophore est reconnu par un récepteur de la membrane externe qui importe la molécule d’hème à l’intérieur de la cellule. Deux types d’hémophores ont été identifiés pour les bactéries à Gram négatif : HasA et HxuA. Le système HasA a été identifié chez quelques bactéries incluant Serratia marcescens, Pseudomonas aeruginosa, Pseudomonas fluorescens, Yersinia enterocolitica et Yersinia pestis. Les hémophores de type HasA forment une famille de protéines hautement conservées [3]. HasA capture l’hème libre et le transmet au récepteur membranaire externe HasR via la formation d’un complexe protéine-protéine pour que celui-ci le transporte [7, 22].
TonB, ou un homologue de TonB, fourni l’énergie nécessaire pour le transport de l’hème de la surface de la cellule jusqu’au périplasme par HasR. Le récepteur HasR est capable de lier l’hème et l’hémoglobine mais le processus est moins efficace que l’acquisition via HasA [8]. Pour sa part, l’hémophore HxuA faisant partie de l’opéron hxuCBA a été décrit seulement chez Haemophilus influenzae. Les études faites jusqu’à présent démontrent que HuxB exporterait HuxA à la surface de la cellule où celle-ci est en mesure de lier le complexe hème-hémopexine. Le récepteur du complexe nécessaire à l’internalisation de l’hème n’a pas encore été décrit mais la protéine HuxC est proposée pour jouer ce rôle [23, 24].
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Table des matières
Résumé
Abstract
Table des matières
Liste des tableaux
Liste des figures
Liste des abréviations
Remerciements
Chapitre 1 : Introduction
1.1 Le fer est essentiel
1.2 Système d’acquisition de l’hème
1.2.1 Système d’acquisition direct de l’hème
1.2.2 Système d’acquisition de l’hème via un récepteur bipartite
1.2.3 Système d’acquisition de l’hème via un hémophore
1.2.4 L’hème dans le cytoplasme
1.3 Le regroupement des gènes chu
1.4 La protéine ChuS
1.5 La protéine ChuX
1.6 La protéine ChuY
1.7 La protéine ChuW
1.8 Objectifs spécifiques
Chapitre 2 : Matériel et Méthodes
2.1 Matériel
2.1.1 Vecteurs pour le clonage et la production des protéines
2.1.2 Principaux composés chimiques utilisés
2.1.3 Solutions
2.2 Amplification par PCR des gènes chuX, chuY et chuW
2.3 Clonage des gènes
2.3.1 Clonage des gènes chuX, chuY et chuW dans les vecteurs pASK-IBA
2.3.2 Clonage des gènes chuX et chuS dans le vecteur pET15b
2.4 Purification et séquençage des clones
2.5 Surexpression des protéines
2.5.1 Transformation par électroporation
2.5.2 Cultures bactériennes et induction de l’expression protéique
2.5.3 Extraction des protéines totales pour l’analyse d’expression
2.5.4 Bris de cellules pour la purification de protéines
2.5.5 Méthode de solubilisation en conditions dénaturantes de ChuW
2.6 Purification des protéines
2.6.1 Chromatographie d’affinité sur résine couplée à la streptavidine
2.6.2 Chromatographie d’affinité sur Ni2+-Sépharose
2.6.3 Dosage des protéines par la méthode de Bradford
2.6.4 Vérification de la pureté des protéines
2.7 Tamisage moléculaire
2.8 Reconstitution des protéines ChuS et ChuX avec de l’hème
2.8.1 Préparation d’une solution d’hémine
2.8.2 Préparation d’holo-ChuS
2.8.3 Préparation d’holo-ChuX
2.8.4 Dosage par la méthode du pyridine-hémochrome
2.9 Spectroscopie d’absorption
2.10 Cinétiques pré-stationnaires avec un mélangeur à flux arrêté
2.11 Extraction à la pyridine et spectre optique du complexe pyridine-verdohème
2.12 Dosage du fer
Chapitre 3 : Présentation des résultats
3.1 Amplification par PCR des gènes chuX, chuY et chuW
3.2 Clonage et séquençage des clones
3.3 Surexpression des protéines
3.3.1 Expression des protéines ChuXN-Strep et ChuXN-His
3.3.2 Expression de la protéine ChuYN-Strep
3.3.3 Expression des protéines ChuWN-Strep et ChuWC-Strep
3.4 Purification des protéines
3.4.1 Purification de la protéine ChuXN-Strep
3.4.2 Purification de la protéine ChuXN-His
3.4.3 Purification de la protéine ChuYN-Strep
3.4.4 Purification de la protéine ChuWN-Strep
3.4.5 Purification de la protéine ChuSN-His
3.5 Reconstitution des protéines avec de l’hème
3.5.1 Reconstitution de la protéine ChuXN-Strep avec de l’hème
3.5.2 Reconstitution de la protéine ChuSN-His avec de l’hème
3.6 Tamisage moléculaire
3.6.1 Tamisage moléculaire de la protéine ChuXN-Strep
3.6.2 Tamisage moléculaire de la protéine ChuYN-Strep
3.7 Activité enzymatique de la protéine ChuYN-StrepN-Strep
3.7.1 Réduction du tripyrrole par ChuYN-Strep
3.7.2 Détermination des constantes liées aux réactions
3.7.3 Dosage du fer libéré en solution
3.8 Caractérisation de la protéine ChuXN-Strep
3.8.1 Transfert de l’hème de la protéine ChuN-StrepX à ChuSN-His
3.8.2 Vitesse de transfert de l’hème
3.9 Réaction de dégradation de l’hème par ChuSN-His dans du tampon Tris-HCl
3.9.1 Réaction de la protéine ChuSN-His avec le peroxyde d’hydrogène dans du tampon Tris-HCl
3.9.2 Action de la protéine ChuYN-Strep
3.9.4 Détermination des constantes liées aux réactions
Chapitre 4 : Discussion
4.1 Clonage et expression des protéines
4.2 Purification des protéines
4.3 Reconstitution des protéines ChuX et ChuS avec de l’hème
4.3.1 Reconstitution de la protéine ChuX
4.3.2 Reconstitution de la protéine ChuS
4.4 Propriétés de la protéine ChuX
4.5 La protéine ChuY
4.6 La protéine ChuW
4.7 La protéine ChuS
4.8 Le regroupement de gènes chu
4.9 Perspectives
Conclusion
Bibliographie
Annexe
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