Clinique psychomotrice et solitude

Chez l’enfant 

Simon : l’hyperactivité n’est elle pas un moyen de fuir la solitude ?

Simon est un petit garçon âgé de 8 ans, scolarisé en CE2 et pris en charge en psychomotricité en cabinet libéral depuis novembre 2018. Il est adressé en psychomotricité pour un trouble de attention avec hyperactivité. Je rencontre Simon dans le cadre d’un groupe hebdomadaire auquel je participe au sein de mon stage long de troisième année. Ce groupe ouvert est constitué de trois enfants de la tranche d’âge de Simon, c’est à dire de 8 à 10 ans, et mené par deux psychomotriciens ainsi que moi-même. Ces derniers sont suivis en psychomotricité pour diverses indications mais se retrouvent dans ce groupe pour un travail de lâcher prise et de détente. Une séance habituelle se déroule en deux temps: le premier est un temps de relaxation puis le deuxième est guidé par divers jeux.

Avant l’intégration d’un enfant dans le groupe, celui-ci, accompagné de ses parents, rencontre les psychomotriciens. Cet entretien permet de réaliser une anamnèse, de connaitre l’environnement familial, d’évoquer les difficultés rencontrées et de proposer le groupe si cela est adapté pour l’enfant. Après avoir été envoyé par la psychologue qui suit Simon, une entretien lui est donc proposé. Lors de ce dernier les parents de Simon relatent des angoisses et une agitation motrice difficile à gérer. Ils décrivent Simon comme un petit garçon nerveux, ayant des difficultés à rester attentif, et supportant difficilement le regard des autres. L’environnement familial est ensuite évoqué: Simon habite avec sa mère, infirmière pédiatrique, son père, graphiste, et ses deux frères. Simon est le cadet de cette fratrie qui peut parfois le malmener. L’ainé serait jaloux de Simon et aurait un comportement qualifié de sadique envers lui. A la maison, Simon papillonne, n’écoute pas et peut rouspéter. Durant ces premières années de vie, ses parents expliquent que Simon avait du mal à respirer. Jusqu’à ses cinq ans il pouvait venir dormir dans le lit de ses parents. Lors de cette rencontre Simon présente encore une énurésie nocturne primaire  qui l’entraine à porter une protection la nuit.

A l’école Simon est présenté comme un enfant maladroit avec ses camarades, il occupe tout l’espace verbal et a peu, voir pas, de copains. Paradoxalement, Simon ne joue pas seul, il interpelle souvent ses camarades qui ne répondent pas à ses sollicitations ou interpelle les adultes. Il a souvent besoin de relations duelles et des contacts physiques avec ses enseignants. La frustration est difficile à supporter et Simon peut faire des crises de colère. Cependant ses résultats scolaires sont excellents et il est accompagné de maitresses conscientes de ses difficultés de concentration et bienveillantes à son égard. Simon est suivi chez un ostéopathe et en psychothérapie depuis ses 3 ans. La psychologue qui l’envoie évoque un petit garçon anxieux, qui parle de l’homosexualité et du toucher du corps des autres. Simon est décrit par ses parents comme un petit garçon qui est très créatif et bricoleur, capable de fabriquer des inventions utiles à la maison, il aime lire et pratique l’escalade et le Karaté.

Durant ce temps d’échange Simon écoute partiellement, il explore la salle rapidement et il s’intéresse à de nombreux jeux ou objets de la salle sans vraiment prendre le temps de les découvrir pleinement. Dans des échanges de ballon, Simon a besoin de se tenir au mur lorsqu’on lui demande de rester statique sur ses deux pieds. Simon présente des difficultés à maintenir un équilibre bipodal statique et dynamique. Il ne sait pas trouver une position assise adéquate et durable. Ces éléments mettent en évidence un manque d’intégration de son axe corporel.

Après cette rencontre, la prise en charge groupale est proposée et acceptée par les parents. Nous évoquons les bénéfices pour Simon de réaliser un travail de relaxation thérapeutique et de détente par le jeu. La relaxation thérapeutique en psychomotricité pourra permettre à Simon d’équilibrer sa charpente tonique, intégrer son axe du corps, des repères spatio-temporels précis, sécurisants à partir du corps propre mais aussi se distancier vis-à-vis des stimulations externes pour favoriser la concentration. Simon rejoint donc le groupe déjà formé depuis septembre qui est composé deux autres enfants. Dès la première séance Simon est très agité et présente une grande excitation. Il semble intimidé par le groupe et la relation déjà formée entre les deux autres enfants. Il nous montre des réactions de tout petit : il peut pousser des cris, faire des bruits avec sa bouche, utiliser un « langage bébé », ou bouder dans un coin. Cette première séance a donc eu pour but de le rassurer quant à sa place dans le groupe. Lors du temps de relaxation Simon est incapable de poser son corps sur le tapis. Il est en constante recherche d’appuis visuels ou tactiles et finit par se lever quelques minutes après lui avoir proposé de s’allonger.

Au fur et à mesure des séances je découvre beaucoup de facettes différentes de Simon. Je relève le trépied symptomatologie du trouble de l’attention avec hyperactivité avec tout d’abord une forte impulsivité. Elle est perceptible par son incapacité à inhiber une réaction immédiate, il lui est en effet difficile de différer l’accomplissement d’une action. Son acte moteur est plus rapidement exécuté que pensé, de même qu’il lui est difficile d’anticiper ses actes. Simon a, par ailleurs, des difficultés pour rester fixé sur une tâche. Il est distractible et a beaucoup de mal à se concentrer et à saisir l’information pertinente à la réalisation d’une tâche. Je remarque aussi son hyperactivité qui se manifeste par une envie constante de combler le vide : Simon bouge beaucoup, tout le temps, il déambule sans but précis et il est empreint d’une logorrhée et il lui est difficile  de respecter le temps de parole des autres et ne cesse d’intervenir. Cependant ce flot de paroles est souvent marqué par des explications confuses, des bégaiements, des recherches de mots et il est souvent obligé de s’expliquer par le corps en mimant.

Je remarque également que Simon est très cultivé et s’intéresse à de nombreux sujets mais il est très exigent envers lui même et a des attentes envers lui même très élevées. Il va par exemple compliquer les propositions faites ou encore va les dénigrer si cela lui parait trop facile et qu’il réussit. Simon est un petit garçon attachant qui va nous montrer à plusieurs reprises de l’intérêt et va investir réellement le groupe. Je découvre au fur et à mesure un petit garçon créatif et attentionné envers les autres. Il nous apportera une caricature pour chacun de nous: un dessin nous représentant avec des détails personnels. Simon est par ailleurs impliqué, il comporte de multiples capacités et ressources et il peut se saisir de notre étayage pour améliorer ses performances.

Lors des séances jusqu’à Janvier, Simon a toujours un regard fuyant, souvent porté au ciel ou dans le vide. Il est encore très agité durant les temps de détente au sol où nous proposons de ressentir comment le corps peut se poser, comment la respiration se fait. Il bouge constamment, fait des bruitages, exagère sa respiration et la bloque, change de postion très rapidement et se donne des coups répétitifs sur sa tête. Il me parait très difficile pour Simon de rester seul avec lui-même, avec ses sensations et ses pensées. Lors d’une séance je lui propose alors de me rapprocher de lui en lui posant simplement ma main sur la sienne, posée au sol. Je ressens comme des décharges électriques qui circulent dans sa main : des légères et brèves contractions de ses doigts. Elles disparaissent peu à peu et j’observe le visage de Simon se détendre, ses bruitages cessent et il ferme spontanément ses yeux.

Ce toucher semble lui apporter un soutien nécessaire pour s’apaiser et il me parait donc intéressant d’intégrer cette notion dans la prise en charge de Simon. Plus tard, lors des touchers thérapeutiques que nous initions je remarque que Simon lâche totalement son poids et n’a aucune difficulté à se laisser mobiliser. Cependant, durant ces temps Simon est totalement dépendant de nous, il s’abandonne totalement, il nous donne entièrement son corps sans aucune résistance ce qui contraste beaucoup avec son agitation constante. Je perçois dans la façon de se mouvoir de Simon deux sortes de périodes qui régissent ses mouvements. Je pourrais différencier d’une part les périodes ON et de l’autre les périodes OFF. La période ON serait caractéristique des moments où Simon est agité et impulsif, où son corps est constamment en mouvement et avec un tonus d’action et de posture qui tend vers le pôle hyper-tonique. La période OFF correspondrait à ces temps où le corps est totalement relâché et avec un tonus de fond très bas. Durant cette dernière période, il me semble que Simon pense beaucoup tout en « se coupant » totalement de ses ressentis corporels, comme si son corps se clivait soudain de sa pensée. Le corps de Simon répondrait à ces deux extrêmes sans avoir de nuances. Les objectifs thérapeutiques qui vont dès lors émerger seront d’amener Simon à être acteur de sa propre détente tout en étant toujours accompagné et ainsi le rendre maître de son propre corps pendant un moment sans agitation.

Dans ce contexte il me parait pertinent de réaliser un toucher du dos issu du shiatsu. Le shiatsu est un pratique issue de la médecine chinoise qui a pour but d’harmoniser les énergies des différents organes du corps. Il est basé sur différents points d’acupunctures et les différents méridiens qui traversent le corps. Il permet de prendre conscience de son corps via les différents points de pressions. Dans le cas de Simon cette médiation pourrait lui permettre de se reconnecter avec son corps, ses sensations et pourrait lui apporter une vision unifiée de son arrière-fond. Ce type de toucher me parait moins passif que des mobilisations « classiques » telles que nous les retrouvons dans la méthode Soubiran ou encore celle de Wintrebert , et plus approprié que les mobilisations  actives type Feldenkrais qui seront exécutées par Simon sans prise de conscience, dans le  « faire pour faire ». Le shiatsu pourra également agir sur la régulation tonico-émotionnelle grâce à l’état de détente qu’il procure.

Alexandre : réflexion sur la place de la solitude en hospitalisation

Alexandre est un jeune adolescent âgé de 14 ans hospitalisé dans le service de neuropédiatrie dans lequel je réalise mon stage long de troisième année. Après plusieurs plaintes somatiques aux urgences il est transféré dans le service. Je fais donc la rencontre d’Alexandre en octobre 2018. Depuis 2016, Alexandre revient de façon récurrente aux urgences à la suite de chutes. En octobre 2018, Alexandre est hospitalisé durant un mois pour des douleurs faciales et une dysphagie, des explorations doivent alors être menées pour écarter une quelconque étiologie neurologique. Lors de notre rencontre, les plaintes somatiques sont cependant nombreuses et diverses : douleurs aux cervicales, à la mâchoire, otalgies et  troubles de la vision.

Ces plaintes ont un retentissement majeur sur son état général : anorexie, ralentissement psychomoteur, asthénie marquée et déscolarisation. Alexandre est un adolescent qui nous dit avoir pratiqué du cyclisme et de l’athlétisme. Il nous confie être angoissé depuis longtemps et tomber souvent, ce qui expliquerait ses douleurs. Durant cette hospitalisation Alexandre a des hallucinations visuelles et auditives, il exprime avoir des angoisses de dissociation et dit ne plus ressentir d’émotions.

Tout au long du bilan mené avec Alexandre, ce dernier se montre coopérant, parlant peu mais attentif à nos consignes. Il présente une très grande cyphose dorsale et  une hypertonie . Cette posture d’enroulement figée a des répercussions sur sa respiration  dont les expirations sont beaucoup plus amples que les inspirations. Ses expressions faciales sont très minimes ce qui lui confère presque une amimie . Alexandre nous confie  être fatigué « comme un petit papi ». Il souffre d’anorexie mentale et a une attitude dépressive. Le bilan réalisé en psychomotricité ne révèle aucune difficulté de dextérité manuelle cependant son geste s’inscrit dans une grande hypertonie. Alexandre présente une bonne coopération bi-manuelle. Néanmoins sa planification est lente et son projet moteur fragile. Il présente une pauvreté d’exploration et de manipulation des objets, ce qui expliquerait ses difficultés. Il a des difficultés à maintenir un équilibre bi-podal statique, qui semblent être d’ordre proprioceptif et/ou dues à un manque d’expériences motrices de ce type. Alexandre ne semble pas mettre en place de stratégies pour maintenir son équilibre. Il ne présente pas de difficulté d’équilibre dynamique.

Alexandre vit actuellement au domicile de ses parents avec son petit frère. Rapidement l’équipe soignante subit les inquiétudes de ses parents. Ils dorment tous les jours auprès de lui, cherchent de multiples explications aux douleurs de leur enfant et sont en constante recherche de nouveaux professionnels qui pourraient observer Alexandre. Après plusieurs semaines d’explorations, aucune étiologie neurologique n’est retrouvée. Le diagnostic fait alors débat auprès de l’équipe : il y a-t-il une entrée dans un processus psychotique ou bien ses délires sont-il dus à un système familial anxiogène? D’autres émettent l’hypothèse d’une profonde dépression.

Alexandre reste toute la journée dans sa chambre et n’est plus scolarisé. Le personnel soignant passe plusieurs fois dans la journée pour le repas, la prise de médicaments ou encore lors des examens. Le service accueille beaucoup d’enfants ou adolescents ayant des problématiques graves qui nécessitent des appareils calculant les constantes et donc qui obligent d’avoir en permanence la chambre ouverte afin que les soignants puissent entendre les machines se déclencher. Pour Alexandre, adolescent de 14 ans, l’intimité est fortement réduite et il ne se retrouve donc jamais seul. L’équipe a préconisé aux parents de rentrer les soirs et de réduire les temps de visite afin d’offrir un espace à Alexandre. Cependant à plusieurs reprises des soignants seraient rentrés dans la chambre d’Alexandre et l’auraient surpris en train de se masturber. Ces situations ont été reprises en synthèse d’équipe et cela a soulevé la problématique suivante : à quel moment laisser seul un patient ? La peur d’une mise en danger se confronte alors au respect de l’intimité et des besoins solitaires d’un adolescent de 14 ans. Comment assurer la sécurité d’un patient tout en respectant sa vie privée ?

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Table des matières

INTRODUCTION
PARTIE I : Clinique psychomotrice et solitude
1. Chez l’enfant
1. 1. Simon : l’hyperactivité n’est elle pas un moyen de fuir la solitude ?
1. 2. Alexandre : réflexion sur la place de la solitude en hospitalisation
2. En psychiatrie adulte
2. 1. Madame C : un questionnement autour de la fin de vie
2. 2. Madame F : la solitude en addictologie
3. En gériatrie
3. 1. Madame B : vieillissement et solitude
PARTIE II : Approches théoriques
1. Le sentiment de solitude présent chez tous et à tout âge, qu’est-ce que c’est ?
1. 1. Différence entre « être seul », le sentiment de solitude, l’isolement relationnel et « vivre seul »
1. 2. Caractéristiques de l’expérience de solitude : solitude subie, solitude volontaire
1. 3. Pourquoi choisir la solitude extrême ?
1. 4. Pourquoi et comment vient-on à souffrir de la solitude chronique ?
2. L’élaboration de la capacité à être seul
2. 1. Pré-requis à la capacité à être seul : la capacité à être seul dépend-elle de nos relations précoces ?
2. 2. Les processus mis en jeu dans la capacité être seul
2. 2. 1. La base narcissique
2. 2. 2. Que se passe-t-il lorsque la base narcissique est mise à mal ?
2. 2. 3. L’objet interne : une notion clé garantissant la capacité d’être seul
2. 2. 4. « Etre seul en présence de »
2. 2. 5. Le Moi-Peau
2. 3. La capacité à être seul se développe aussi tout au long du développement de l’enfant jusqu’à l’âge adulte
3. Le regard de la société sur la solitude : apport sociologique
3. 1. Quelques expériences
3. 2. La représentation de la solitude d’un point de vue historique
3. 3. D’où vient la vision négative du sentiment de solitude ?
PARTIE III : Discussion
1. Une juste solitude
2. Exemples cliniques et bénéfices des médiations en psychomotricité
2. 1. L’accompagnement dans une juste solitude
2. 1. 1. Le toucher
2. 1. 2. L’aménagement de l’espace
2. 2. Rompre une solitude souffrance
2. 2. 1. La groupe thérapeutique
2. 2. 2. La relaxation
3. La posture du psychomotricien, garante de cette juste solitude
3. 1. L’établissement du cadre thérapeutique pour veiller à la continuité de la capacité à être seul même en présence du psychomotricien
3. 2. L’importance de la médiation pour permettre au patient d’être seul
3. 3. L’importance de la capacité à être seul du psychomotricien
4. La sentiment de solitude du côté soignant ?
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXE

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