La fièvre jaune (FJ) est une maladie infectieuse, virale, causée par un arbovirus : le virus amaril. Ce virus, isolé en 1927, appartient à la famille des flaviviridaes, au genre des flavivirus [25, 26, 28, 32, 35]. Il existe plusieurs souches du virus amaril selon leur pouvoir pathogène, mais les deux principales sont : la souche Myelli de l’Institut Pasteur de Dakar (IPD) et la souche Asibi de l’Institut Rockefeller. Ce virus est transmis à l’homme par la piqûre de moustiques hématophages, essentiellement Aedes aegypti. Ces moustiques, en plus de leur rôle de vecteur, constituent avec les singes et l’homme, les véritables réservoirs du virus. La fièvre jaune est une maladie infectieuse à déclaration obligatoire, endémique dans les régions intertropicales d’Afrique et d’Amérique du sud et occasionnellement épidémique [2, 8, 41, 45]. Malgré l’existence d’un vaccin sûr, efficace, bien tolère, intégré dans le programme élargi de vaccination ( PEV ) depuis les années 80 dans la plupart des pays d’endémie amarile, et l’existence d’un système de surveillance épidémiologique, la fièvre jaune constitue toujours un véritable problème de santé publique dans le monde et particulièrement en Afrique et en Amérique du Sud [1, 41, 66, 77, 88]. En effet, après une période de deux décennies (entre 1940 et 1960) sans aucun cas déclaré de fièvre jaune en Afrique Occidentale Française, liée en partie aux campagnes de vaccination de masse systématiques et obligatoires, on assiste depuis les années 70 à une ré-émergence de la fièvre jaune [45, 46, 54, 64, 77]. Ceci s’explique par l’abandon des vaccinations systématiques après 1960, la non inclusion du vaccin antiamaril (VAA) dans le PEV dans les années 70, les orientations de politique de santé vers d’autres priorités (telles que l’éradication de la variole et de la poliomyélite, les soins de santé primaires) et une amplification du cycle selvalique [77, 81]. Dix épidémies majeures ont éclaté en Afrique de l’Ouest entre 1965 et 1995 [45, 46, 54]. Ainsi, l’OMS estime qu’environ 200.000 nouveaux cas de fièvre jaune apparaissent chaque année dans le monde et entraînent 30.000 décès, particulièrement en Afrique où la maladie se manifeste sous forme de cas sporadiques ou épidémiques.
HISTORIQUE
L’origine de la fièvre jaune est incertaine et fait l’objet de plusieurs controverses. Mais pour la plupart des chercheurs, la fièvre jaune fut décrite pour la première fois en Amérique en 1646 en Guadeloupe et dans d’autres îles des Antilles françaises, puis en 1848 au Yucatan au Mexique. L’origine du virus est aussi obscure : il est très vraisemblable qu’il provenait de l’Afrique et qu’il fut introduit dans le nouveau monde à la faveur des échanges réguliers entre l’Afrique occidentale et les Amériques, notamment par le transport d’esclaves. Le terme de fièvre jaune aurait été employé pour la première fois par Griffin Hughes en 1750. En Afrique, la première description de la maladie se situe à l’épisode de Saint Louis du Sénégal en 1778, soit plus d’un siècle après les premiers cas en Amérique. Entre 1881 et 1890, Carlos Finlay permit d’obtenir les premières données expérimentales sur la fièvre jaune, dont le fait essentiel était la découverte du rôle du moustique dans la transmission de la maladie. Cependant ses travaux restèrent complètement incompris. En 1901, une mission américaine à Cuba, conduite par Walter Reed, redécouvrit ces données essentielles et par un programme expérimental systématique et rationnel, démontra sans ambiguïté que le moustique, gorgé de sang d’un malade, s’infectait lui même et, après une phase d’incubation, devenait capable de transmettre le virus à un sujet sensible. Des mesures de lutte anti-vectorielles recommandées par Carlos Finlay furent alors appliquées en Amérique, à Cuba et en Afrique. Ce qui déboucha sur la disparition de la fièvre jaune.
En 1927, une épidémie de fièvre jaune éclata dans toutes les grandes villes du Sénégal : Dakar, Diourbel, Saint Louis, Gorée, Thiès, toutes ces villes ont été infectées par le fameux vecteur Aedes aegypti. En 1927, un nouveau rebondissement devait remettre en question le problème de la fièvre jaune. De nouvelles épidémies apparurent en même temps au Brésil et en Afrique occidentale, et le rôle d’A. aegypti apparut insuffisant pour expliquer les nouvelles observations. Cette grande épidémie suscita alors une coopération scientifique franco angloaméricaine. Ce qui déboucha sur l’isolement par Stoukes, Bauer et Hudson de la première souche du virus amaril dite Asibi à partir d’un patient prélevé le 30 juin 1927 à Acra. La deuxième souche dite de Dakar a été isolée par Mathis, Sellards et Lagret de l’IPD de Dakar à partir d’un patient prélevé le 20 décembre 1927. Des mesures prophylactiques furent prises en 1928 et exposées au cours de la conférence africaine sur la fièvre jaune qui s’était tenue à Dakar en 1928 et qui réunissait les autorités et les scientifiques français, américains et britanniques. En 1937, Pelletier, Dureux, Jonchères et Arque mirent au point un vaccin contre la fièvre jaune dit FNV « french neutropic virus » de l’IPD, applicable par scarification seule ou en l’associant au vaccin antivariolique. A partir de 1940, le vaccin de la fièvre jaune fabriqué à Dakar, associé au vaccin antivariolique produit par l’Institut Pasteur de Kindia en Guinée, permit, grâce à un plan quadriennal de vaccination, la disparition à nouveau de la fièvre jaune ainsi que de la variole dans l’ensemble des territoires francophones. La commission pour la fièvre jaune en Afrique de l’Ouest, mise en place par la fondation Rockefeller, permit, grâce à Theiler et Smith, la mise au point, à partir de la souche Asibi, du vaccin Rockefeller 17D en 1938. En 1960, l’application du vaccin FNV fut interdite pour les enfants de moins de 10 ans, suite à des complications à type de méningo-encéphalite.
Cinq ans plus tard (1965), une épidémie de type urbaine classique survint à Diourbel ( Sénégal), frappant les enfants de moins de 10 ans. En 1969, une épidémie déferla sur toute l’Afrique de l’Ouest : Mali, Ghana, Burkina Faso, Togo, Nigeria. Elle marqua la ré-émergence de la fièvre jaune. Entre 1970 et 1974, fut découvert en Afrique centrale, le cycle sauvage grâce à Germain et Pierre Sureau, qui isolèrent le virus de la Fièvre Jaune à partir d’Aedes africanus et d’Aedes apok. En 1986, le groupe consultatif mondial du PEV, en raison de l’innocuité et de l’efficacité du vaccin antiamaril, déclara que les pays africains d’endémicité amarile, devraient envisager l’inclusion de ce vaccin dans le PEV. Une résolution de l’assemblée mondiale de la santé allant dans ce sens fut adoptée en 1990.
EPIDEMIOLOGIE
Ampleur et Gravité
La fièvre jaune est un problème majeur de santé publique dans le monde, particulièrement en Afrique et en Amérique du Sud, par son ampleur et sa recrudescence au cours de ces deux dernières décennies [46, 54, 64, 66, 74, 75]. L’organisation mondiale de la santé (OMS), l’UNICEF et la Banque Mondiale ont déclare 33 pays d’Afrique comme étant des zones à grand risque endémoépidémie, où la vaccination antiamarile doit être obligatoirement incluse dans les PEV [64]. L’ampleur de la fièvre jaune est très difficile à mesurer, surtout dans les PED qui sont dotés d’infrastructures sanitaires insuffisantes, sous équipées [76]. Ce qui fait que les chiffres sont généralement sous évalués. Dans les différentes étapes de l’histoire de l’humanité, la fièvre jaune a entraîné des épreuves inouïes et une misère indescriptible chez les populations d’Afrique, et d’Amérique du Sud [75, 76]. Les épidémies de fièvre jaune constituent l’un des obstacles pour le développement socio économique de l’Afrique [20, 75]. Aujourd’hui, on a du mal à imaginer les ravages que pouvait provoquer la fièvre jaune dans les agglomérations d’Afrique et d’Amérique tropicale, ou lors de ses irruptions dans les ports d’Europe ou d’Amérique du Nord. Selon Lovy et Rodhain [37], depuis les premières manifestations attribuées avec une fiabilité raisonnable à la fièvre jaune, d’épouvantables et fréquentes épidémies ravagèrent les territoires où s’établissaient ou tentèrent de s’établir les Européens. Ce qui contribuait à limiter l’expansion des territoires d’Outre Mer. Pour symboliser ce drame, un monument aux morts a été érigé sur l’île de Gorée, située en face de Dakar capitale du Sénégal [37, 74]. Ce monument commémore le sacrifice de médecins, de pharmaciens du corps de santé d’Outre Mer qui périrent lors de l’épidémie de 1878. Les noms de vingt deux médecins sur vingt trois envoyés par le gouvernement français sont gravés sur le marbre. Chaque explosion de fièvre jaune entraînait une grande confusion, voire un effet de panique, un désastre économique, une paralysie des services et parfois une véritable désorganisation de la société .
Morbidité et mortalité
En faisant une revue de la morbidité de la fièvre jaune, depuis les premières manifestations attribuées avec une grande fiabilité à la fièvre jaune jusqu’en 2001, on peut facilement distinguer 3 grandes phases [10, 45, 46, 64, 71, 74] :
► Une première phase qui est antérieure à la découverte de la vaccination et de l’isolement du virus. Elle correspond à des épidémies meurtrières de très grande ampleur en Afrique et en Amérique du sud. Des épidémies urbaines ont sévi régulièrement au Sénégal et en Afrique de 1878 à 1927 :
– 1878 : 1774 cas, 749 décès
– 1881-1882 : 92 cas, 38 décès
– 1900 : 416 cas, 225 décès
– 1911 : 53 cas, 41 décès
– 1926 : 53 cas, 41 décès
– 1927 : 220 cas, 155 décès.
► La deuxième phase va de 1940 jusqu’en 1960. Cette période a connu la réalisation de campagnes de vaccination de grande ampleur qui ont fait chuter l’incidence de la fièvre jaune de façon spectaculaire. Au total, 52,6 millions de doses de VAA furent distribuées entre 1940 et 1950, soit en moyenne 5,2 millions par an et 94 millions entre 1951 et 1960, soit 9,4 millions par an. [45] Cette vaccination systématique a entraîné une disparition progressive des cas de fièvre jaune. Ainsi en Afrique de l’Ouest francophone ont été notifiés :
– 247 cas de 1931 à 1940
– 48 cas de 1940 à 1950
– 5 cas de 1954 à 1960
► La troisième phase correspond à la recrudescence de la fièvre jaune depuis 1960. Entre 1948 et 2001, 39024 cas de fièvre jaune ont été rapportés par l’OMS, dont 30390 en Afrique, soit 78%. Ce qui fait environ 562 nouveau cas par an en Afrique comparés aux 161 cas par an en Amérique [45]. Cependant, ces chiffres sont largement sous estimés, surtout dans les pays d’endémie amarile où, l’absence ou l’insuffisance des infrastructures sanitaires et le manque de volonté politique, ne permettent pas le diagnostic de tous les cas de fièvre jaune [76]. C’est ainsi que ces chiffres ont été réajustés par l’OMS.
Déterminants
Agent pathogène
Classification du virus amaril
Le virus de la fièvre jaune, encore appelé virus amaril, a été identifié pour la première fois en 1927 par Mahaffy et Bauer. Il s’agit de l’un des tous premiers virus connus comme responsables d’une maladie humaine. Selon la classification de Casals des arbovirus, ce virus appartient :
• Au groupe des arbovirus
• A la famille des Flaviridaes
• Au genre des flavivirus
• Plusieurs souches existent dont les deux principales sont :
– La souche Asibi
-La souche Myelli.
Morphologie et structure du virus
Le virus de la fièvre jaune ou virus amaril est un virus arrondi, de petite taille de 30 à 60 nanomètres de diamètre en microscopie électronique. C’est un virus à ARN, monocatenaire (un simple brin d’ARN), de polarité positive (c’est à dire pouvant servir d’ARN messager), long de 1036 nucléotides et pesant 310 daltons. Cet ARN nu est infectieux car, introduit artificiellement dans des cellules permissives, il induit la production de particules virales complètes. Il porte une coiffe à l’extrémité 5’ mais ne possède pas d’extension polyadenilique à l’extrémité 3’. Cet ARN est contenu dans une capside isoédrique de symétrie cubique. Cette capside protège l’information génétique (ARN) et son transfert à la cellule. Elle contient 60 capsoméres. L’ensemble ARN et capside constitue une nucléocapside Cet ensemble est entouré d’une enveloppe appelée Peplos de nature lipoprotéique. Au niveau de cette enveloppe se situe l’hémagglutine qui est activée sur des hématies de poussins, de nouveau-né d’oie ou de pigeon.
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Table des matières
INTRODUCTION
I. HISTORIQUE
II. EPIDEMIOLOGIE
II.1. Ampleur et Gravité
II.2. Morbidité et mortalité
II.3. Déterminants
II.3.1. Agent pathogène
II.3.1.1. Classification du virus amaril
II.3.1.2. Morphologie et structure du virus
II.3.1.3. Constitution protéique et propriétés Immunologiques
II.3.1.4. Propriétés physico-chimiques
II.3.1.5. Culture du virus
II.3.1.6. Cycle de multiplication du virus
II.3.2 . Vecteurs du virus amaril
II.3.3. Réservoirs du virus
II.3.4. Transmission de la fièvre jaune
II.3.4.1. Cycle sauvage ou cycle selvatique
II.3.4.2. Cycle intermédiaire
II.3.4.3. Cycle urbain
III. ASPECTS CLINIQUES ET DIAGNOSTIC
III.1. Forme typique : le typhus amaril
III.1.1. Incubation
III.1.2. Invasion
III.1.3. Phase rouge
III.1.4. Phase de rémission
III.1.5. Phase jaune
III.1.6. Signes biologiques
III.1.6.1. Dans le sang
III.1.6.2. Dans les urines
III.1.6.3. Dans le LCR
III.1.7. Evolution et complications
III.2. Formes cliniques
III.2.1. Formes symptomatiques
III.2.1.1. Formes frustres
III.2.1.2. Formes asymptomatiques
III.2.1.3. Formes suraiguës
III.2.2. Formes topographiques
III.2.2.1. Formes à prédominance hépatique
III.2.2.2. Formes à prédominance rénale
III.2.2.3. Formes cardiaques
III.2.2.4. Formes neurologiques
III.2.2.5. Formes surrénaliennes
III.2.3. Formes selon le terrain
III.2.3.1. Formes de l’enfant et du sujet âgé
III.2.3.2. Formes de la femme enceinte
III.2.3.3. Formes du sujet neuf ayant séjourné en zone d’endémie
III.3. Diagnostic différentiel
III.3.1. Au début (phase rouge)
III.3.1.1. Le paludisme
III.3.1.2. Une autre arbovirose
III.3.1.3. Rougeole chez l’enfant
III.3.1.4. Une borréliose à tiques
III.3.1.5. Une grippe
III.3.2. Au cours de la phase jaune
III.3.2.1. L’hépatite virale épidémique
III.3.2.2. Une autre fièvre hémorragique virale
III.3.2.3. Leptospirose
III.3.2.4. Paludisme
III.4. Diagnostic étiologique
III.4.1. Recherche directe
III.4.1.1. Prélèvement
III.4.1.2. Isolement du virus
III.4.1.3. Identification du virus
III.4.2. Recherche indirecte
III.4.2.1. Réaction d’inhibition de l’hémagglutination
III.4.2.2. Réaction de fixation du complément
III.4.2.3. Réaction de séroneutralisation
III.4.3. Anatomie pathologique
IV. TRAITEMENT DE LA FIEVRE JAUNE
IV.1. Traitement symptomatique
IV.2. Traitement prophylactique
IV.3. Vaccination
IV.3.1. Types de vaccin
IV.3.1.1. Vaccin de Dakar
IV.3.1.2. Vaccin 17D (Rockefeller)
IV.3.2. Indications
IV.3.3. Contre indications
IV.3.4. Immunité post vaccinale
IV.3.5. Incidents et Accidents
IV.3.5.1. Réactions précoces
IV.3.5.2. Réactions tardives
IV.3.5.3. Complications
IV.3.6. Rappels de la vaccination
IV.4. Systèmes de surveillance
CONCLUSION