Classification des modèles de systèmes énergétiques
La classification des modèles de systèmes énergétiques permet de déterminer quel type de modèle est le plus adapté à chaque situation. Diverses études se sont intéressées à cette classification. Une des premières classifications a été développée par Grubb et al. [27] en 1993 puis complétée par van Beeck en 1999 [28]. La classification de van Beeck repose sur neuf critères : l’objectif des modèles, la structure (i.e. les hypothèses internes et externes), l’approche analytique, la méthodologie, l’approche mathématique, la couverture géographique, les secteurs pris en compte, l’horizon temporel et les exigences en matière de données nécessaires au modèle. Depuis, cette classification a inspiré d’autres études. On peut citer par exemple Connolly et al. [29] qui ont analysé 37 modèles utiles pour l’analyse de l’intégration des EnR dans le système actuel via un questionnaire destiné aux modélisateurs et reprenant en grande partie la classification de van Beeck. Les auteurs ont inclus trois critères additionnels : la résolution temporelle, la prise en compte de mix avec 100% d’EnR et la disponibilité du modèle (notamment s’il y a une licence commerciale). Ils ont par ailleurs pointé le manque de vocabulaire commun entre modélisateurs afin de classer les outils de modélisation et proposé une clarification. De même, Hall et Buckley [30] ont présenté une vue d’ensemble des modèles de systèmes énergétiques aux RoyaumeUni et appliqué une classification à 22 modèles. Ils ont repris intégralement les critères de van Beeck mais en y ajoutant la résolution temporelle et la prise en compte des technologies EnR, des stockeurs et des caractéristiques de la demande et des coûts. Ringkjøb et al. [31] ont quant à eux analysé 75 modèles compatibles avec une forte intégration des EnR en utilisant des critères proches de Hall et Buckley mais en détaillant davantage la prise en compte de technologies et des diverses performances. Ils différencient par exemple les modèles qui considèrent une demande énergétique élastique (c’est-à-dire dépendante du prix de l’énergie) ou non. Dans leur étude [32], Lopion et al. ont retracé l’historique de la modélisation des systèmes énergétiques et souligné les tendances actuelles. Tout en développant leur propre classification pour les systèmes énergétiques nationaux couvrant tous les secteurs, ils ont comparé les critères de classifications van Beeck, Connolly et al. et Hall et Buckley. Il en ressort que les critères de van Beeck sont souvent repris et compléter par des nouveaux. Pour leur part les auteurs incluent par rapport aux études précédentes la résolution spatiale, l’analyse de la transition vers la solution voulue, le langage de programmation et la région du monde dans laquelle le modèle a été développé. Plus récemment, l’étude de Prina et al. [33] s’est focalisée sur la classification des modèles bottom-up (définis ci-après) et notamment l’importance de la résolution. Les auteurs ont défini des niveaux de résolutions pour plusieurs critères (spatio temporels, détails technico-économiques et couplage de secteurs) ce qui leur a permi d’analyser 21 modèles. Ils concluent qu’actuellement aucun modèle n’a une haute résolution suivant tous les critères. De même, Ridha et al. [34] ont analysé 145 modèles énergétiques suivant leur complexité, c’est-à-dire le niveau de détails avec lequel ils représentent la réalité. Ils définissent ainsi quatre catégories de modèles en fonction de propriétés qui sont les plus détaillées. Finalement, Pfenninger et al. [35] se sont intéressés aux paradigmes et aux enjeux guidant la modélisation énergétique. Leur constats recoupent en partie les classifications précédentes en ajoutant la prise en compte des comportements humains comme axe d’amélioration des modèles.
Il existe ainsi plusieurs moyens de classer les modèles de systèmes énergétiques mais quelques grands axes ressortent régulièrement. Cette classification est essentielle pour comprendre les différentes approches de modélisation et choisir par la suite celle la plus adaptée à son objectif. Nous allons donc ci-dessous détailler certains axes afin de définir le type de modélisation nécessaire pour représenter des microgrids et en optimiser la conception suivant plusieurs objectifs.
Afin d’adapter les classifications existantes à l’approche de ce travail de thèse, les différents critères seront répartis comme suit. On présentera d’abord les différentes approches de modélisation en les comparant suivant leur objectif, l’approche analytique, la méthodologie adoptée, la résolution et la couverture spatio-temporelle et enfin les technologies de production et de stockage prises en compte. Certains enjeux de modélisation seront également mis en avant. Puis, les impacts de la production énergétique considérés dans la littérature seront ensuite détaillés. Enfin on se focalisera, parmi les approches mathématiques possibles, sur les approches d’optimisation existantes.
Objectifs de modélisation des microgrids
Paradigmes
Une première manière de classer les études s’intéressant aux systèmes énergétiques est de les distinguer suivant leur paradigme. C’est-à-dire suivant le point de vue adopté, l’objectif de l’étude. Dans [35], les auteurs définissent quatre grands paradigmes d’étude des systèmes énergétiques auxquels les différents modèles répondent. Il faut comprendre ici le terme modèle comme l’approche d’ensemble utilisée pour étudier un ou plusieurs systèmes énergétiques, c’est-à-dire en incluant les phases de simulation du fonctionnement et d’optimisation des performances par exemple et non pas juste comme le modèle des technologies à proprement parler. Il s’agit ici de comprendre quelles sont ces approches et pourquoi elles ont été développées.
Premièrement, on retrouve les modèles utilisant principalement une méthode d’optimisation afin de fournir des scénarios sur la manière dont le système énergétique pourrait évoluer. Les modèles de ce type les plus connus sont les familles MARKAL (MARKet ALlocation) [36] (et son dérivé TIMES [37]), développée par l’Agence Internationale de l’Energie, et MESSAGE (Model for Energy Supply Strategy Alternatives and their General Environmental impact) [38]. Un modèle plus récent, inspiré de MARKAL mais utilisant une méthode hybride et avec un code open source, est OSeMOSYS [39].
Deuxièmement, on retrouve les modèles utilisant principalement une méthode de simulation afin de fournir des prévisions sur la manière dont le système énergétique pourrait évoluer. Deux modèles de simulation très utilisés sont NEMS (National Energy Modeling System) [40], développé par l’U.S. Energy Information Administration et utilisé pour son Annual Energy Outlook, et PRIMES (utilisé pour simuler l’évolution énergétique européenne) [41].
Troisièmement, on retrouve les modèles se focalisant sur le système électrique, qu’ils utilisent des méthodes de simulation ou d’optimisation. On peut citer le modèle de simulation EMCAS (Electricity Market Complex Adaptative Systems) [42] ou bien le modèle WASP (Wien Automatic System Planning) [43] développé par l’Agence internationale de l’énergie atomique. WASP permet de trouver un planning d’expansion de système énergétique sur une longue période (plusieurs décennies). Dernièrement, on retrouve les scénarios utilisant des méthodes qualitatives ou mixtes. On trouve ainsi des exemples d’approches mixtes avec le rapport 2050 pathways du UK Department for Energy and Climate Change [44] ou les ”stabilization wedges” de Pacala et Socolow [45], regroupant raisonnement quantitatif et jugements qualitatifs. La plupart des modèles de systèmes énergétiques peuvent aussi se restreindre au secteur électrique. On peut citer par exemple le modèle électrique français développé par E. Assoumou [46] à partir du modèle MARKAL. Toutefois leur principal intérêt est d’étudier les interactions entre plusieurs vecteurs énergétiques comme l’électricité, la chaleur et le gaz. La logique de modélisation derrière les modèles de simulation et d’optimisation diffère. Les premiers suivent une logique prédictive alors que les seconds se concentrent sur l’évaluation de scénarios, suivant ainsi une logique normative. On observe à ce sujet une évolution des préoccupations car depuis les années 2010, les nouveaux modèles utilisent quasi exclusivement des modèles centrés sur l’optimisation [32]. Les méthodes qualitatives ou mixtes, mêlant quantitatif et qualitatif, ont pour objectif de simplifier le processus d’aide à la décision en rendant les choix plus transparents.
Dimensionnement vs. Pilotage
Toujours dans un objectif de compréhension et de classification, on peut différencier les modèles s’intéressant au dimensionnement des systèmes énergétiques [47, 48, 15] ou plutôt à leur pilotage [49, 26]. Le dimensionnement s’intéresse au type et à la quantité de chaque technologie installée. Les études de ce type s’adressent principalement aux pouvoirs publics ou autre organe décisionnaire en ce qui concerne la planification de la production énergétique sur un territoire. Leur objectif est de montrer la faisabilité d’une combinaison de technologies pour répondre à la demande ou bien d’évaluer la meilleure combinaison pour optimiser certaines performances par exemple. Deux modèles connus et particulièrement utilisés dans la littérature [29] sont MARKAL [36] et HOMER (Hybrid Optimization of Multiple Energy Resources) [50], développé par le National Renewable Energy Laboratory du U.S. Department of Energy. HOMER est un outil qui permet de dimensionner des systèmes électriques connectés ou non au réseau principal suivant une optimisation économique.
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Table des matières
Introduction générale
1 État de l’art
1.1 Classification des modèles de systèmes énergétiques
1.2 Modélisation
1.2.1 Objectifs de modélisation des microgrids
1.2.2 Approche de modélisation : top-down vs. bottom-up
1.2.3 Horizon temporel
1.2.4 Résolution spatio-temporelle
1.2.5 Stratégies de pilotage
1.2.6 Les technologies modélisées
1.2.7 Les enjeux de la modélisation des systèmes énergétiques
1.3 Évaluation des performances
1.3.1 Les indicateurs économiques
1.3.2 Les indicateurs techniques
1.3.3 Les indicateurs environnementaux
1.3.4 Les indicateurs sociaux
1.4 Optimisation
1.4.1 Approches d’optimisation pour les systèmes énergétiques
1.4.2 Notion de Pareto-optimalité
1.5 Discussion
1.5.1 Choix d’une approche de modélisation
1.5.2 Choix d’un algorithme d’optimisation et lien avec la modélisation
1.5.3 Choix des indicateurs de performances
1.5.4 Résumé de l’approche choisie
2 Proposition de thèse : intégration du pilotage dans une optimisation multi-objectifs
2.1 Exigences à vérifier
2.2 Validation théorique des exigences
2.3 Cas d’étude illustratif
2.4 Modélisation énergétique du microgrid
2.4.1 Modèle d’une éolienne
2.4.2 Modèle d’un panneau photovolatïque
2.4.3 Modèles des barrages-lacs et barrages au fil de l’eau
2.4.4 Modèle des centrales pilotables
2.4.5 Modèle des stockeurs
2.4.6 Modèle de pertes
2.5 Intégration des paramètres de pilotage
2.5.1 Ordre de priorité
2.5.2 Stratégie de pilotage
2.6 Intégration dans une simulation séquentielle
2.6.1 Période opérationnelle simulée
2.6.2 Principe de la simulation séquentielle
2.6.3 Évaluation des puissances disponibles
2.6.4 Situation suivant l’équilibre des puissances
2.6.5 Calcul de la production effective
2.6.6 Répartition des puissances
2.7 Évaluation des performances
2.7.1 Indicateurs économiques
2.7.2 Indicateurs techniques
2.7.3 Indicateurs environnementaux
2.8 Représentativité long-terme des performances
2.8.1 Répétition de la simulation et convergence du niveau des stockeurs
2.8.2 Choix du SoE initial
2.8.3 Critère de convergence restreint
2.9 Algorithme d’optimisation
2.9.1 Fonctionnement de l’algorithme NSGA-II
2.9.2 Définition des paramètres d’optimisation
2.9.3 Réduction du front de Pareto
2.10 Bilan de la proposition
3 Résultats de simulation
3.1 Rappel des exigences
3.2 Données du cas d’étude pour la simulation
3.2.1 Entrées du problème de conception
3.2.2 Paramètres des modèles
3.3 Résultats de simulation d’un microgrid
3.3.1 Analyse d’une simulation
3.3.2 Fiabilité de l’évaluation des performances sur une période long-terme
3.4 Validation de la simulation
3.4.1 Objectif de la validation
3.4.2 Description du logiciel HOMER
3.4.3 Présentation du cas d’étude
3.4.4 Validation des résultats de simulation
3.5 Bilan de l’analyse des résultats de simulation
4 Résultats d’optimisation
4.1 Rappel des exigences à vérifier
4.2 Paramètres de conception du cas d’étude pour l’optimisation
4.3 Validation des paramètres de l’optimisation
4.3.1 Solutions Pareto-optimales vs. population aléatoire
4.3.2 Étude sur une population réduite : convergence des solutions de l’optimisation vers un front Pareto-optimal théorique
4.3.3 Répétabilité de l’optimisation
4.4 Critères d’évaluation d’un front de Pareto
4.4.1 Difficulté de l’évaluation
4.4.2 Distance par rapport à des points de référence
4.4.3 Espacement au sein d’un front
4.4.4 Comparaison de deux fronts
4.4.5 Diversité des paramètres
Conclusion générale
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