Les troubles hypertensifs gravidiques touchent environ une femme enceinte sur dix dans le monde. Parmi ces troubles figurent la prééclampsie, l’éclampsie, l’hypertension artérielle gravidique et l’hypertension artérielle chronique. La prééclampsie sévère (PES) d’apparition précoce associe une hypertension artérielle gravidique (HTAG) définie par une pression artérielle systolique (PAS) supérieure ou égale à 160 mmHg, et/ou une pression artérielle diastolique (PAD) supérieure ou égale à 110 mmHg, associée à une protéinurie supérieure à 0,3 g/jour survenant après 20 semaines d’amenorrhée et avant 34 semaines d’aménorrhée (SA) et disparaissant avant la fin de la 6ème semaine du postpartum [11]. La prééclampsie est responsable de près de 20% de mortalité maternelle liée à la grossesse aux États-Unis et 15% en Europe [36]. En Afrique, elle est responsable de 30% de décès maternels et 20% de mortalité fœtale et néonatale [4]. Au Sénégal, elle constitue la troisième cause de mortalité maternelle gravidique, après l’hémorragie et l’infection [4]. On estime que la prééclampsie est responsable de 50 000 à 76 000 morts maternelles dans le monde et de 35 000 crises d’éclampsie par an [36]. La gravité de cette pathologie est liée à ses complications maternelles (Hemolysis elevated liver enzymes low platelet (HELLP) syndrome, éclampsie, troubles de l’hémostase, insuffisance rénale, œdème aigu pulmonaire, insuffisance cardiaque, œdème papillaire, décollement séreux de la rétine, hématome rétroplacentaire (HRP), rupture capsulaire du foie) et périnatales (hypotrophie, prématurité induite, décès in utero, extractions en urgence avec asphyxie périnatale) [11]. Toutefois, la majorité des décès dus à ces complications sont évitables si les femmes bénéficient d’une prise en charge précoce et multidisciplinaire. Nous nous sommes proposés de faire un travail sur la PES d’apparition précoce avant 28SA pour évaluer les aspects épidémiologiques, diagnostiques, thérapeutiques, et pronostiques de cette pathologie.
Définition
Les critères de prééclampsie sévère retenus par le consensus national français de 2008 sont les suivants [11] :
➤ Hypertension artérielle (HTA) sévère (PAS supérieure ou égale à 160 mmHg et/ou PAD supérieure ou égale à 110 mmHg), Survenant après 20 SA et avant 34 SA ;
➤ Atteinte rénale avec oligurie (<500ml/jour) ou créatininémie >135μmol/l ou protéinurie supérieure à 5g/jour ;
➤ OAP ou barre épigastrique persistante ou HELLP syndrome ;
➤ Eclampsie ou troubles neurologiques rebelles (troubles visuels, Réflexes ostéotendineux polycinétiques, céphalées) ;
➤ Thrombopénie inférieure à 100 000/mm3 ;
➤ Hématome rétroplacentaire ;
➤ Retentissement fœtal (retard de croissance intra-utérin ou altération du rythme cardiaque fœtal).
Classification de l’hypertension artérielle pendant la grossesse
Classification de l’American college of obstetricians and Gynecologists (ACOG)
➤ HTA chronique : HTA connue avant la conception ou détectée avant 20 SA de gestation;
➤ HTA gestationnelle : HTA qui apparait après 20 SA, souvent près du terme, sans protéinurie ou d’atteinte d’organe. En l’absence de normalisation de l’HTA en post partum le diagnostic sera converti en HTA chronique. Dans ce cas, même une HTA transitoire peut prédire une HTA chronique dans l’avenir ;
➤ Prééclampsie (PE) : une maladie multi-systémique caractérisée par l’apparition après 20 SA d’une HTA et d’une protéinurie. En l’absence de protéinurie, la PE peut être diagnostiquée si l’HTA est associée à un ou plusieurs des critères suivants : une thrombocytopénie <100000/mm3, une perturbation des transaminases à deux fois la normale, une insuffisance rénale (IR) nouvelle avec une créatinine plasmatique >1,1mg/dl (97umol/l), ou le doublement de la créatinine en l’absence d’autre cause, un œdème pulmonaire, une apparition de troubles visuels ou cérébraux. On parle de PE précoce si elle survient avant 34 SA ;
➤ HTA chronique avec PE surajoutée : une PE qui complique une HTA chronique. Elle est aussi classifiée en PE sans critères de sévérités (exacerbation de l’HTA mais TAS < ou égale 160 mmHg, ou/et TAD < ou égale 90 mmHg avec protéinurie) et, en PE avec critères de sévérité (HTA sévère, baisse des plaquettes < ou égale à 100000/mm3, perturbation des transaminases, œdème pulmonaire, troubles cérébraux et céphalées sévères, douleur à l’hypochondre droit, IR nouvelle, ou une augmentation importante de la Protéinurie) .
Diagnostic
Critères de gravité cliniques
Chez la mère
Les signes de gravités sont :
HTA : PAS > ou égale 160 mmhg et/ou PAD > ou égale 110 mmhg
Signes neurologiques
➤ Céphalées : Elles sont violentes en casque ou frontales, pulsatiles, persistantes et invalidante, avec adynamie, somnolence et vertige.
➤ Hyper-réflexie ostéotendineuse : Les réflexes sont vifs polycinétiques, diffus aux deux membres avec même une irritation pyramidale.
➤ Troubles visuels : Ils sont faits de phosphènes, de sensation de mouches volantes, de diminution de l’acuité visuelle ou d’amaurose, secondaire essentiellement au vasospasme cérébral.
➤ Signes digestifs Nausées, vomissements, douleurs épigastriques en barre (signe de chaussier) précédant dans la majorité des cas le HELLP syndrome et dans 20% des cas les crises convulsives.
Dans le post-partum
A court terme
Il est recommandé d’effectuer une surveillance stricte clinique et biologique au minimum pendant 48 heures après l’accouchement, comportant une surveillance rapprochée de la pression artérielle avec adaptation thérapeutique aux chiffres tensionnels et une évaluation des apports hydriques en fonction du poids et de la diurèse de la patiente. La surveillance tensionnelle doit se poursuivre de façon bihebdomadaire pendant les trois premières semaines du post-partum. Lors de la consultation postnatale, la vérification de la pression artérielle est nécessaire tout comme celle de la disparition de la protéinurie.
A long terme
La persistance d’une hypertension et/ou d’une protéinurie au-delà de 3 mois après l’accouchement nécessite un avis spécialisé (cardiologue, néphrologue). La recherche d’un syndrome des antiphospholipides après une prééclampsie sévère précoce est recommandée. Un bilan de thrombophilie héréditaire ne sera effectué qu’en cas d’antécédents personnels ou familiaux de maladie thromboembolique, de prééclampsie précoce ou d’association à un retard de croissance, à un hématome rétroplacentaire ou à une mort fœtale in utero.
Prévention
➤ Supplémentation en calcium pendant la grossesse dans les zones où les apports alimentaires en calcium sont faibles (<900 mg/jour) ;
➤ Administration de l’acide acétylsalicylique à faible dose (aspirine 75 mg) en prévention de la prééclampsie chez les femmes à haut risque pour cette affection avant 16 SA et ceux jusqu’à 35 SA ;
➤ Identification précoce des femmes à risque pendant le premier trimestre de la grossesse ;
➤ Calcul du ratio sFLT-1 (Soluble fms-like tyrosine kinase-1) / PlGF (Placental growth factor) pour la prédiction de la PE au deuxième et troisième trimestre grossesse. Il faut préciser qu’aucun résultat publié n’a apporté la preuve que l’utilisation du dosage sFlt-1/PlGF améliore le pronostic maternofœtal, aucun essai randomisé n’a comparé la prise en charge de patientes avec et sans connaissance du ratio sFlt-1/PlGF par le clinicien. Enfin, aucune analyse médico-économique n’a encore été effectuée analysant l’impact potentiel de l’utilisation du ratio sFlt-1/PlGF chez les patientes à risque [11].
Discussion
Limites de l’étude
La limite principale de notre étude est son caractère rétrospectif et descriptif. Les difficultés auxquelles nous avons été confrontés sont :
➤ La difficulté d’accès au dossier, par le manque d’organisation des archives ;
➤ Le manque d’informations contenues dans les dossiers pour remplir notre fiche d’enquête ;
➤ Le manque d’un bon nombre d’examens complémentaires nécessaire pour la surveillance des patientes ;
➤ Le manque d’informations sur le suivi post-partum et le devenir des nouveau-nés.
Caractéristiques socio-démographiques et antécédents
Caractéristiques socio-démographiques
Dans notre étude, l’âge moyen des patientes était de 28,9 ans avec des extrêmes de 16 et 40 ans. Les patientes étaient âgées entre 30-39 ans dans 50 % des cas. Ces résultats sont étroitement similaires à ceux avancés par certains auteurs qui ont trouvé que les désordres hypertensifs au cours de la grossesse concernent surtout la femme jeune. Benjelloun, a noté que l´âge moyen des patientes était de 29,9 ans avec des extrêmes de 16 et 46 ans, avec deux pics qui concernaient les tranches ´âge 30- 39 ans (46%) et 20-29 ans (39,6%) [3]. Selon Ndiaye, l’âge moyen était de 28 ans avec des extrêmes de 16 et 40 ans, et 46,7% des femmes avaient un âge compris entre 20 et 29 ans. En revanche, une étude Indienne avait retrouvé un âge moyen plus jeune de 21,1 ans [31]. Lie et al., ont confirmé grâce à un registre de 404176 grossesses en Norvège, que le risque de PE a été multiplié par 1,3 avec un avancement d’âge de 5 ans entre la première et la deuxième grossesse après avoir pris en compte d’autres facteurs de risque liés à l’âge et, le changement du partenaire [22]. En France, aucune étude de grandes tailles sur la PE n’a été réalisée, mais les études à partir des données hospitalières ont trouvé la même conclusion [22]. Les femmes mariées étaient les plus touchées dans notre étude avec 91,7%, ce qui rejoint les résultats rapportés par Sogoba et, Traoré au Mali avec respectivement 95,5% et 95% [32 ; 34]. Ceci peut s’expliquer par le fait que la conception hors mariage est non courante compte tenu des facteurs socio-culturels, et que le mariage reste de cadre légal dès la conception dans une société essentiellement musulmane. La majorité des patientes étaient des femmes au foyer (80%). Cela rejoint les données de la littérature qui objectivent que le risque est plus élevé chez les mères chômeuses ou ayant un faible niveau socio-économique [25]. Une étude Allemande publiée en 2011 a retrouvé une association avec le statut socio-économique : les femmes occupant des emplois à faible revenu ont été diagnostiquées avec une PE plus fréquemment que les femmes enceintes occupant des emplois à revenu élevé. Les femmes enceintes signalant une difficulté financière particulièrement élevé ont également montré un risque plus élevé de PE. Ce résultat serait dû au fait que les femmes ayant un faible revenu seraient exposées au stress et donc à des risques de développer une hypertension artérielle gravidique [25].
Antécédents
La parité moyenne était de 2,8 avec des extrêmes de 1 et 7 pares. Les primipares représentaient 36,7 % dans notre étude suivie des paucipares, multipares et, grandes multipares avec respectivement 33,3%, 18,3%, 11,7%. Ceci est conforme aux données de la littérature. En effet en France Geyl et al., avaient retrouvé un taux de 69,7% de primipares, au Congo Pambou et al., retrouvaient 65% [26]. Cependant dans les séries Nigériennes et Maliennes, prédominaient respectivement les multipares (58,6%) et les nullipares (54,62%) [26]. Pour la plupart des chercheurs, la PE chez les primipares est principalement le résultat d’une mauvaise adaptation du système immunitaire parental à la « greffe semi-allogénique » que représente la grossesse. Cette hypothèse explique pourquoi une nouvelle paternité chez les multipares peut également augmenter le risque de développer une PE. La réduction du risque de prééclampsie lors d’une deuxième grossesse et des grossesses suivantes, lorsqu’elles impliquent le même partenaire, serait liée à une adaptation immunologique de la mère aux antigènes du père [33]. Les antécédents d’hypertension artérielle étaient retrouvés chez 8,3 % des patientes dans notre série. Selon Naha et, Sogoba l’HTA chronique représentait respectivement 11,6% et 22,2% [33 ; 32].
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Table des matières
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE
1. Définition
2. Physiopathologie
3. Classification de l’hypertension artérielle pendant la grossesse
3.1. Classification de l’American college of obstetricians and Gynecologists
3.2. Classification de l’international Society for the study of Hypertension in Pregnancy
4. Diagnostic
4.1. Critères de gravité cliniques
4.1.1. Chez la mère
4.1.2. Chez le fœtus
4.2. Critères de gravité paracliniques
4.2.1. Chez la mère
4.2.2. Chez le fœtus
5. Evolution-Pronostic
5.1. Eléments de surveillance
5.2. Complications
6. Facteurs étiologiques
6.1. Facteurs de risques liés à la grossesse
6.2. Facteurs de risques indépendants de la grossesse
7. Prise en charge
7.1. Prise en charge initiale
7.2. Traitement
7.3. Critères d’arrêt de la grossesse
7.4. Dans le post-partum
7.5. Prévention
DEUXIEME PARTIE
1. Objectifs
1.1. Objectif général
1.2. Objectifs spécifiques
2. Cadre d’étude
3. Méthodologie
3.1. Type et période d’étude
3.2. Population d’étude
3.3. Critères d’inclusion
3.4. Critères d’exclusion
3.5. Collecte des données
3.6. Analyse des données
3.7. Paramètres étudiés
4. Résultats
4.1. Effectif
4.2. Caractéristiques socio-démographiques
4.2.1. Age
4.2.3. Statut matrimonial
4.2.4. Profession
4.3. Antécédents
4.3.1. Antécédents obstétricaux
4.3.2. Antécédents médicaux
4.3.3. Antécédents conjugaux
4.3.4. Mode de vie
4.3.5. Familiaux
4.4. Suivi de grossesse
4.4.1. Nombre de consultations prénatales
4.4.2. Type de grossesse
4.4.3. Bilan prénatal
4.4.4. Nombre d’échographies
4.4.5. Hypertension artérielle découverte au cours des CPN
4.4.6. Prééclampsie sévère
4.5. Aspects diagnostiques
4.5.1. Aspects cliniques
4.5.2. Aspects paracliniques
4.6. Aspects thérapeutiques
4.6.1. Antihypertenseurs
4.6.2. Sulfate de magnésium
4.6.3. Maturation pulmonaire
4.7. Aspects pronostiques
4.7.1. Maternel
4.7.2. Fœtal
4.8. Suivi post-partum
5. Discussion
5.1. Limites de l’étude
5.2. Caractéristiques socio-démographiques et antécédents
5.3. Suivi prénatal
5.4. Aspects diagnostiques
5.5. Aspects thérapeutiques
5.6. Aspects pronostiques
5.7. Suivi post partum
CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
ANNEXES