Classification chimique des métabolites secondaires

Métabolisme secondaire

Généralités

L’homme a utilisé les propriétés médicinales des plantes depuis l’aube du temps. Il s’est par exemple vite aperçu que l’extrait du pavot à opium (Papaver somniferum) calmait la douleur alors que l’extrait de la digitale (Digitalis spp.) administré à faible dose régularisait le rythme des battements cardiaques. L’avancement de la recherche a permis de découvrir que ces propriétés étaient dues à la présence de petites molécules bioactives, notamment la morphine dans le cas de P. somniferum et la digoxine dans le cas de Digitalis spp.  (Courtwright 2009, Withering 1785).

La morphine et la digoxine font partie de ce que l’on appelle aujourd’hui des métabolites secondaires (ou métabolites spécialisés). Il s’agit de petites molécules synthétisées par des organismes vivants, qui sont caractérisées surtout par ce qu’elles ne sont pas. Elles ne sont pas synthétisées par un grand nombre d’espèces, elles ne sont pas produites à toutes les étapes du développement de l’organisme producteur, et elles ne sont pas essentielles pour la croissance, la survie et la reproduction de l’organisme producteur dans les conditions de culture en laboratoire, même si elles lui procurent un avantage sélectif dans son environnement naturel (Davies 2013, Davies & Ryan 2011).

Les métabolites secondaires sont très répandus dans le monde du vivant. Ils sont notamment produits par des plantes (comme c’est le cas pour les exemples de la morphine et de la digoxine) où ils jouent souvent un rôle important dans la protection contre les prédateurs, mais on trouve également une grande abondance de métabolites secondaires chez les champignons et les bactéries où ils sont souvent impliqués dans la compétition entre les espèces et dans la signalisation intra- et interspécifique.

Classification chimique des métabolites secondaires

Les métabolites secondaires peuvent être classifiés de différentes manières. Un moyen de le faire est de se baser sur leur structure chimique, comme dans la présentation des classes majeures de métabolites secondaires qui va suivre. Cette introduction ne se veut en aucun cas exhaustive et omet quelques classes mineures de métabolites secondaires, comme les phénazines ou les phénols. Il faut aussi souligner que d’un côté la frontière entre les différentes classes est parfois floue, de l’autre les molécules hybrides ne sont pas rares, et par conséquent une molécule peut parfois appartenir à plusieurs classes en même temps.

Alcaloïdes
Les alcaloïdes constituent probablement la classe de métabolites secondaires qui comprend le plus de membres caractérisés et qui est, en même temps, la moins bien définie. Leur point commun chimiquement parlant est la présence d’un atome d’azote et le fait qu’ils soient des dérivés d’acides aminés (Waller & Nowacki 1978). On a longtemps cru qu’ils étaient produits uniquement par les plantes (avec les exemples phares de la morphine qui fut le premier alcaloïde purifié, la quinine  ou la cocaïne , chez lesquelles ils jouent souvent un rôle dans la protection contre les prédateurs grâce à leur toxicité. Néanmoins, on les retrouve aussi produits dans d’autres parties de l’arbre du vivant (Waller & Nowacki 1978) : la tétrodotoxine est par exemple trouvée chez le poisson fugu (Takifugu spp.) et la psilocybine est produite par le champignon Psilocybe semilanceolata (Guzmán 2005 ; Narahashi et al. 1964). De nombreux alcaloïdes ont trouvé un usage médical (comme la morphine en traitement de la douleur ou la quinine en traitement du paludisme) ou récréatif (comme la cocaïne qui est un stupéfiant ou la psilocybine qui est un hallucinogène puissant).

Terpénoïdes

Les terpénoïdes sont des molécules dérivées d’unités d’isoprène assemblées de différente manière et souvent fortement modifiées. C’est une classe extrêmement riche et diversifiée. On peut ainsi citer des exemples trouvés chez les plantes, comme le menthol , apprécié pour son arôme, ou l’artémisinine , qui est utilisée en médecine pour ses propriétés antipaludéennes (Tholl 2015), mais aussi des métabolites secondaires de champignons, comme l’aphidicoline , ou encore d’actinobactéries, comme la terpentécine , les deux ayant des propriétés antibiotiques (Toyomasu et al. 2014, Hamano et al. 2002).

Glycosides

Le terme « glycoside » décrit toute molécule contenant des sucres liés par une liaison glycosidique, pouvant ainsi englober de nombreuses molécules du métabolisme primaire comme secondaire. Les glycosides diffèrent par les sucres contenus ainsi que par la partie de la molécule ne contenant pas de sucre que l’on appelle aglycone. Les molécules appartenant à cette famille peuvent être trouvées dans tout l’arbre du vivant, mais la plupart des exemples viennent des plantes et des bactéries. Le premier métabolite spécialisé appartenant à cette classe qui ait été découvert est l’amygdaline (Robiquet & Boutron-Charland 1830), responsable de l’arôme des amandes amères, molécule très toxique en grande quantité . La digoxine mentionnée au début de ce chapitre fait aussi partie de cette catégorie. Un autre exemple de molécule qui protège la plante qui la produit contre la prédation, mais appréciée par l’homme pour son goût, est la sinigrine, dont le produit de dégradation donne son arôme à la moutarde (Erickson & Feeney 1974). Enfin, les bactéries du genre Streptomyces produisent aussi des aminoglycosides. Ceux-ci constituent une des classes majeures d’antibiotiques utilisés en médecine avec les exemples de la streptomycine , le premier antibiotique utilisé dans la thérapie de la tuberculose, ou de la kanamycine (Yanai & Murakami 2004, Sing & Mitchison 1954).

Polycétides

Les polycétides sont des produits issus de la condensation itérative d’unités acyles catalysée par des enzymes appelées polycétide synthases (PKS – Polyketide Synthase). Les PKS présentent un certain nombre de similitudes avec les synthases d’acides gras. Cette classe de molécules est très représentée dans les produits naturels des bactéries, mais aussi des champignons. Leur fonction primaire est la compétition entre les espèces et la protection contre les prédateurs (Staunton & Weissman 2001). De nombreux composés utilisés en médecine appartiennent à cette classe. On peut par exemple citer les antibiotiques synthétisés par les actinobactéries comme l’érythromycine ou la chlortétracycline , l’antifongique nystatine , mais aussi la toxine cancérigène d’origine fongique, l’aflatoxine  (Staunton & Weissman 2001).

Peptides

Les peptides, comme leur nom l’indique, se caractérisent par la présence d’une ou plusieurs liaisons peptidiques (amides) dans leur structure chimique. Comme pour les glycosides, il s’agit avant tout de molécules du métabolisme primaire ; néanmoins de nombreux métabolites secondaires appartiennent aussi à cette classe. Ils peuvent être synthétisés aussi bien par la voie ribosomale (comme les protéines) puis éventuellement fortement modifiés après la traduction, que par des voies indépendantes du ribosome, notamment grâce à des synthétases de peptides non ribosomaux (NRPS – Non Ribosomal Peptide Synthetase) ou à des cyclodipeptide synthases (CDPS) (cf. la troisième partie de cette introduction). Ils peuvent être synthétisés par tous les domaines du vivant et leurs fonctions peuvent être très diverses, allant de la compétition et protection contre les prédateurs (comme dans le cas des antibiotiques produits par des actinobactéries comme le thiostrepton ou la vancomycine , en passant par l’implication dans la virulence (comme dans le cas des molécules ayant des propriétés immunosuppressives et utilisées par l’homme en thérapie après les greffes, comme la cyclosporine  ou encore dans la capture du fer (les sidérophores comme l’entérobactine (Svarstad et al. 2000, Pollack & Neilands 1970, Donovick et al. 1955, McCormick et al. 1955). Les dicétopipérazines, auxquelles sera consacrée la partie suivante de l’introduction, constituent un exemple particulier de peptides.

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Table des matières

INTRODUCTION
1. Métabolisme secondaire
1.1. Généralités
1.2. Classification chimique des métabolites secondaires
1.2.1. Alcaloïdes
1.2.2. Terpénoïdes
1.2.3. Glycosides
1.2.4. Polycétides
1.2.5. Peptides
2. Dicétopipérazines
2.1. Généralités
2.2. Diverses fonctions des dicétopipérazines naturelles
2.2.1. Introduction
2.2.2. Communication
2.2.3. Défense contre les concurrents et les prédateurs
2.2.4. Virulence
2.2.5. Sidérophores
2.3. Activités biologiques des dicétopipérazines artificielles obtenues par synthèse chimique
3. Biosynthèse des dicétopipérazines
3.1. Biosynthèse du noyau dicétopipérazine
3.1.1. Introduction
3.1.2. NRPS
3.1.3. CDPS
3.2. Voies de biosynthèse de dicétopipérazines
3.2.1 Introduction
3.2.2. Voies de biosynthèse dépendantes des NRPS
3.2.3. Voies de biosynthèse dépendantes des CDPS
3.3 Mise en évidence et caractérisation des voies de biosynthèse de dicétopipérazines
4. Streptomyces
4.1. Ecologie
4.2. Cycle de vie
4.3. Génome
4.4. Métabolisme secondaire
5. Objectifs du travail de thèse
CONCLUSION

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