Le sujet de mon doctorat se place dans le contexte général de l’océanographie du Pacifique et porte sur l’étude des eaux qui alimentent le Pacifique Équatorial.
Le Pacifique Équatorial Est est une région clé de l’océan mondial. D’une part, c’est le siège du phénomène El Niño Southern Oscillation (ENSO), plus communément désigné par le nom de sa phase chaude El Niño par opposition à sa phase froide La Niña (fig. 1.1). Ce phénomène issu du couplage entre l’océan et l’atmosphère dans les tropiques a des conséquences tant climatiques que sociétales qui se font sentir sur l’ensemble de la planète au travers des connexions atmosphériques et océaniques. D’autre part, le Pacifique Équatorial Est est une région où d’importants échanges de dioxyde de carbone (CO2) ont lieu entre l’océan et l’atmosphère. La solubilité du CO2 dépend de la température de l’eau de mer : aux hautes latitudes, la solubilité du CO2 s’accentue avec la température froide de l’eau et permet à l’océan d’absorber du CO2 atmosphérique. A l’équateur, l’océan dégaze ce CO2 vers l’atmosphère, sous l’effet de l’augmentation de la température de l’eau et de l’upwelling. Le Pacifique Équatorial Est est parmi les régions de plus fort dégazage. Néanmoins, ce dégazage est limité par la présence d’une forte activité biologique qui participe au développement d’un écosystème important (voir la concentration de chlorophylle de surface sur la fig. 1.2). Cette activité biologique confère à l’océan la capacité de participer à la régulation de la concentration du CO2 en activant sa propriété de pompe biologique : la production de plancton résulte du processus de photosynthèse, qui transforme le CO2 atmosphérique dissous en carbone organique particulaire. L’export de ce carbone organique particulaire lors de la chute des particules vers les profondeurs représente un véritable puits de carbone atmosphérique. Cependant, cette région présente des quantités d’éléments nutritifs tels que le nitrate et le phosphate, à la disposition des algues, qui restent pourtant inutilisées (voir la concentration de nitrate de surface sur la fig. 1.2). En rapport à cette quantité d’éléments nutritifs disponibles dans sa couche de surface, la productivité du Pacifique Équatorial Est est considérée comme faible, ce qui lui confère la qualification de zone « High Nutrients – Low Chlorophyll » [HNLC, fig. 1.2 ; Thomas, 1979]. Le consensus permettant d’expliquer cette inutilisation d’éléments nutritifs est que l’activité biologique de cette région est essentiellement limitée par le manque d’un oligoélément indispensable à la photosynthèse : le fer.
Ainsi, la dynamique et la géochimie du Pacifique Équatorial influent sur la variabilité climatique mondiale et font de cette région océanique une zone cruciale, stimulant l’intérêt des scientifiques.
Les eaux alimentant le Pacifique Équatorial Est proviennent en grande partie d’une remontée des eaux du Sous-Courant Équatorial (Equatorial Undercurrent ; EUC), puissante et étroite langue d’eau oxygénée et salée longue de 14000 km, s’écoulant vers l’est, qui relie les côtes de Papouasie Nouvelle-Guinée (PNG) aux côtes d’Amérique du Sud [Johnson et al., 2002]. Large de 500 km, l’EUC est centré autour de 200 m de profondeur dans l’ouest du bassin et remonte progressivement vers la surface sous l’effet indirect de l’upwelling équatorial (fig. 1.3, haut).
C’est parce que l’EUC est le principal contributeur des eaux de surface du Pacifique Est qu’il est capital d’améliorer notre compréhension concernant i) l’origine des eaux le composant et ii) l’enrichissement chimique qu’elles subissent au cours de leur transit à l’EUC.
Circulation océanique et hydrographie du Pacifique
Principaux courants et masses d’eau
Les différences de rayonnement solaire que reçoivent les pôles et l’équateur de notre planète induisent des différences de pression atmosphérique qui créent une circulation méridienne des subtropiques (30˚N-30˚S) vers l’équateur en basse atmosphère et de l’équateur vers les subtropiques en haute atmosphère : c’est la cellule de Hadley. Dans la bande intertropicale, la subsidence d’air sec d’altitude alliée à la force de Coriolis donne naissance aux célèbres vents d’est nommés « alizés » (fig. 1.4). Entre 30˚ et 60˚, la circulation méridienne est orientée vers les pôles en basse atmosphère (cellule de Ferrel) et induit des vents d’ouest dominants. Ces différentes cellules participent à la mise en place de grandes boucles de circulation océanique appelées gyres, dont la branche longeant les bords ouest est intensifiée par compensation du transport de Sverdrup (fig. 1.5). La plupart de ces courants de surface impactent les 1000 premiers mètres de l’océan. Dans la région intertropicale se trouvent les gyres subtropicaux anticycloniques, dont les branches les plus équatoriales sont les Courant Équatoriaux Nord et Sud (NEC et SEC, respectivement), s’écoulant d’est en ouest, à l’image des alizés. Le Contre-Courant Équatorial Nord (NECC) s’intercale entre ces deux courants pour redistribuer vers l’est l’eau accumulée à l’ouest. Dans l’hémisphère sud, le contre-courant équatorial SECC est plus faible, non permanent et ne s’écoule que dans la partie ouest. Le NEC et le SEC alimentent les courants intenses de bord ouest de basse latitude (LLWBCs), le Courant de Mindanao (MC) et les Courant et Sous-Courant Côtiers de Nouvelle-Guinée (NGCC et NGCU). Aux plus hautes latitudes se trouvent les WBCs s’écoulant vers les pôles, le Courant de Kurushio et le Courant Est Autralien (EAC).
Entre 400 et 1000 m de profondeur, on trouve l’Eau Modale Subantarctique [SAMW ; McCartney, 1977; Sokolov and Rintoul, 2000] et les Eaux Intermédiaires [IW ; Talley, 1993; Tsuchiya and Talley, 1998; Bostock et al., 2010, fig. 1.7]. La SAMW surplombe l’Eau Antarctique Intermédiaire (AAIW) et s’écoule juste en dessous des eaux de la thermocline. Elle se forme dans le Pacifique Sud-Est durant l’hiver par convection profonde et est caractérisée par la densité σθ = 26.85 kg m-3 dans le Pacifique Tropical Sud-Ouest. La forte concentration d’oxygène acquise à sa source ([250-300] µmol kg-1) est un marqueur de sa présence jusque dans le Pacifique Équatorial (fig. 1.7, gauche). L’AAIW se forme dans le Pacifique Sud-Est. Centrée sur l’isopycne σθ = 27.2 kg m-3 dans le Pacifique Sud. Elle est presque aussi oxygénée que la susjacente SAMW et se distingue le long de son parcours vers le Pacifique Équatorial Ouest par son minimum de salinité (fig. 1.7, droite). L’Eau Intermédiaire du Pacifique Nord [NPIW ; Talley, 1993; You, 2003], centrée autour de σθ = 26.8 kg m-3, est originaire du Pacifique Nord et est marquée par une bien plus faible concentration d’oxygène ([0-150] µmol kg-1).
Du côté du Sous-Courant Équatorial. . .
L’EUC résulte du gradient océanique de hauteur de la mer engendré par les alizés, qui sont entretenus par le gradient de température de surface présent dans le Pacifique Équatorial. En effet, dans la bande équatoriale, les eaux de surface chauffées par le rayonnement solaire et poussées vers l’ouest du bassin par les alizés induisent un gradient de pression océanique de subsurface . Les eaux chaudes de surface qui s’accumulent dans la partie ouest inter-tropicale forment la « Warm Pool » (Tsurface > 29˚C, fig. 1.1). L’EUC transporte des eaux de subsurface issues de l’ouest vers l’est du bassin et remonte progressivement vers la surface. Cette accumulation d’eaux chaudes à l’ouest et cette remontée d’eaux froides à l’est provoquent l’inclinaison de la thermocline, centrée autour de 150 m de profondeur dans l’ouest du bassin et à 50 m de profondeur à l’est (fig. 1.3, bas). L’EUC s’écoule en suivant le cœur de la thermocline d’ouest en est.
Toutes les eaux décrites ci-avant rejoignent l’équateur selon les boucles de circulation de la figure 1.5 et s’écoulent dans la bande équatoriale via l’EUC ou les autres courants équatoriaux la constituant (fig. 1.8). L’EUC transporte principalement les TW et les CW [Tsuchiya et al., 1989]. Les Contre-Courants Équatoriaux de Subsurface Nord et Sud (NSCC et SSCC, respectivement) sont principalement formés des CW et de la SAMW, les Contre-Courants Intermédiaires Nord et Sud (NICC et SICC, respectivement) transportent en majorité l’AAIW [Stramma et al., 2010]. Le Courant Intermédiaire Équatorial (EIC) est en moyenne formé d’eaux issues du Pacifique Équatorial Est.
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Table des matières
1 Introduction générale
1.1 Contexte général
1.2 Circulation océanique et hydrographie du Pacifique
1.2.1 Principaux courants et masses d’eau
1.2.2 Focus sur les Mers de Corail, de Salomon et de Bismarck
1.2.3 Alimentation du Sous-Courant Équatorial
1.3 Les Terres Rares et le néodyme
1.3.1 Les Terres Rares : quel outil ?
1.3.2 Le néodyme, un élément « bavard » par ses isotopes
1.3.3 Caractérisation du bassin Pacifique
1.4 Le « Boundary Exchange » : définition et état de l’art
1.5 Objectifs et méthodologie
2 Approche méthodologique
2.1 Approche physique
2.1.1 Le modèle de circulation générale océanique ORCA025-G70
2.1.2 Validation du modèle
2.1.3 L’outil lagrangien ARIANE
2.2 Approche géochimique
2.2.1 Composition isotopique de néodyme dissous dans l’eau de mer
2.2.2 Concentrations des Terres Rares dissoutes dans l’eau de mer
3 Alimentation du Sous-Courant Equatorial du Pacifique
3.1 Introduction
3.2 Article publié dans Journal of Geophysical Research : From the western boundary currents to the Pacific Equatorial Undercurrent : Modeled pathways and water mass evolutions
3.3 Evolution hydrologique des sources de l’EUC
3.3.1 Le mélange vertical dans le modèle ORCA025-G70
3.3.2 Validation du champ de salinité
3.3.3 Modification des propriétés hydrographiques
3.4 Conclusions
4 Caractérisation des eaux du Pacifique Tropical Ouest en néodyme et Terres Rares
4.1 Introduction
4.2 Article publié dans Journal of Geophysical Research : From the subtropics to the central equatorial Pacific Ocean : Neodymium isotopic composition and rare earth element concentration variations
4.3 Conclusions
5 Quantification des flux d’échange marge-océan par couplage d’analyses lagrangiennes aux données de néodyme
5.1 Introduction
5.2 Article soumis : From the subtropics to the equator in the Southwest Pacific : Continental material fluxes quantified using neodymium parameters along modeled thermocline water pathways
5.3 Conclusions
6 Conclusions