LE plateau antarctique est le siège d’importantes transformations de masses d’eau issues de l’interaction de l’océan avec l’atmosphère ou avec les parties océaniques (langues glaciaires, plateformes glaciaires) de la calotte antarctique. La compréhension de ces interactions est primordiale pour mieux appréhender le système climatique global. L’eau dense de plateau (Dense Shelf Water, DSW) est formée au sein de polynies côtières tout autour de l’Antarctique (Zwally et al., 1985; Cavalieri and Martin, 1985). Les polynies sont des régions de la banquise où la concentration de glace reste faible tout au long de l’année favorisant l’interaction avec l’atmosphère (elles sont définies plus en détails dans le paragraphe II.5). La DSW est la masse d’eau précurseur de l’Eau Antarctique de Fond (AntArctic Bottom Water, AABW), qui est la masse d’eau la plus dense tapissant les plaines abyssales de l’océan global (Jacobs et al., 1970; Gordon, 1971; Gill, 1973; Orsi et al., 1999). Les propriétés de l’AABW sont en grande partie contrôlées par les processus de formation, de transport et de mélange de la DSW sur le plateau Antarctique. Les processus océaniques sur le plateau Antarctique jouent également un rôle crucial dans l’évolution de la calotte antarctique (Jacobs et al., 1996; Rignot and Jacobs, 2002). L’océan apporte de la chaleur aux langues glaciaires et aux plateformes de glaces continentales flottants. L’océan exerce donc un contrôle sur l’évolution du bilan de masse de la calotte antarctique (Pritchard et al., 2012; Rignot et al., 2013; Liu et al., 2015), et par conséquent sur la quantité d’eau douce issue de la fonte glaciaire apportée à l’océan. Cet apport a d’importantes conséquences sur le bilan d’eau douce de l’océan et les propriétés des masses d’eau profondes (Jacobs, 2006; Purkey and Johnson, 2013), sur la distribution de la glace de mer (Bintanja et al., 2013) et l’élévation du niveau marin (Rignot et al., 2011). Cette dernière est estimée à 2 ± 0.8 mm a−1 sur l’océan austral au sud de 50˚S, en moyenne sur la période 1992 – 2011 (Rye et al., 2014).
Le plateau Adélie bien que très petit (environ 100 km par 100 km ; moins d’un pixel pour une grande partie des modèles de circulation générale ayant participé à l’exercice CMIP5) joue un rôle important dans la circulation océanique globale.
Cadre large échelle
L’océan Austral a pour particularité de ne pas être borné zonalement par des continents. Il joue le rôle d’un échangeur géant entre les différents océans avec lesquels il communique. C’est également à sa frontière sud, le long du continent antarctique, que l’Eau Antarctique de Fond est formée.
Circulation atmosphérique de surface
Le vent joue un rôle primordial dans la circulation grande échelle de l’océan Austral. Le régime de vent grande échelle, loin du continent antarctique, est dominé par des vents d’ouest, associés au rail des dépressions, caractéristique de la circulation atmosphérique des moyennes latitudes. Près des côtes antarctiques, la circulation atmosphérique zonale change de signe, avec un régime de vents d’est. Ils sont directement liés à la circulation atmosphérique sur le continent antarctique. Ce sont les masses d’air froides provenant du continent qui sont déviés vers l’ouest sous l’effet de l’accélération de Coriolis à grande échelle.
Le principal mode de variabilité atmosphérique dans cette région du monde est le mode annulaire austral (SAM) (Thompson and Wallace, 2000). En période de SAM positif, le passage des dépressions de moyennes latitudes est localisé plus au sud, vers le continent antarctique. Les vents d’est le long du continent antarctique sont également impactés. Il existe en effet un lien important entre la circulation atmosphérique grande échelle australe et les vents antarctiques côtiers appelés vents catabatiques (définis et détaillés dans le paragraphe II.4) (Parish and Bromwich, 1991; Yasunari and Kodama, 1993; Van den Broeke et al., 2002). Ces vents côtiers ont une grande importance dans le processus de formation d’eau dense à la côte (voir section II) Une tendance positive du SAM a été observée ces dernières décennies (Marshall, 2003; Fogt et al., 2009), avec de nombreux impacts sur la couverture de glace, sur la circulation océanique australe, en particulier sur le plateau antarctique (Schmidtko et al., 2014; Spence et al., 2014; Campagne et al., 2015; Stewart and Thompson, 2015). Les changements de SAM semblent associés à un réchauffement des eaux de subsurface et des eaux de fond particulièrement important sur le plateau de l’Antarctique de l’Ouest (mer de Bellingshausen et d’Amundsen). Ces changements semblent aussi impacter les échanges d’Eau Circumpolaire Profonde (Circumpolar Deep Water, CDW) entre le plateau et le large et donc également le transport méridien de chaleur.
Circulation océanique péri-antarctique
Courant circumpolaire Antarctique (ACC) : l’ACC circule d’ouest en est autour du continent Antarctique (Figure 1.1) sur une distance d’environ 20000 km, transportant approximativement 141Sv ± 2.7 (1Sv = 106m3/s) (Koenig et al., 2016). L’ACC isole les eaux stratifiées de la thermocline subtropicale au nord des eaux polaires plus homogènes au sud. La structure circumpolaire de l’océan Austral en fait une pièce maîtresse de la circulation thermohaline globale. Au large de la Terre-Adélie, à 140˚E, on identifie le front sud de l’ACC entre 62˚S et 64˚S, à environ 100 km au nord de l’isobathe 1000 m du talus continental qui se situe à 65.5˚S à cette longitude. Les vents d’ouest créent une dérive d’Ekman vers le nord tandis que les vents d’est créent une dérive vers le sud. Cette divergence des courants de surface, divergence antarctique, va induire un pompage d’Ekman à l’origine de la remontée de la CDW le long du talus continental Antarctique. Courant de talus et front antarctique de talus : Le transport d’Ekman vers le continent antarctique, dû au vent d’est soufflant au sud de la divergence antarctique, est à l’origine d’une accumulation des eaux de surface au sud qui va s’ajuster géostrophiquement pour former un courant vers l’ouest : c’est le courant du talus antarctique (Antarctic Slope Curent, ASC) et sur le plateau le courant côtier antarctique. Gyre du bassin Australo-Antactique : la dérive d’ouest (ACC) et la dérive d’est (ASC) sont connectées dans les gyres de Weddell, de Ross et du bassin Australo-Antarctique (Figure 1.1). Dans ce dernier bassin, l’ASC semble en effet faire partie d’un gyre grande échelle de faible intensité compris entre 80˚et 150˚E (Bindoff et al., 2000a). À 140˚E, cette circulation de gyre est moins marquée et laisse place à des tourbillons cycloniques de grande dimension horizontale (diamètre de 130 à 150 km) (Hirawake et al., 2003; Aoki et al., 2007, 2010). Ces tourbillons semblent jouer un rôle important dans les échanges entre la côte et le large.
Échanges côte large en Antarctique de l’Est
En certains endroits autour de l’Antarctique, l’Eau Circumpolaire Profonde plus chaude et plus salée que l’Eau Antarctique de Surface (AntArctic Surface Water, AASW), entre directement sur le plateau continental. Elle transporte ainsi de la chaleur et du sel sur le plateau, et parfois jusqu’aux plateformes de glace continentale, contribuant de façon plus ou moins importante à la fonte de cette glace. L’ASC agit comme une barrière dynamique, Nøst et al. (2011) et Stewart and Thompson (2015) (pour un talus idéalisé sans indentations) montrent un lien direct entre l’intensité de la tension de vent parallèle au talus et le transport de CDW sur le plateau : pour des tensions de vent d’est trop élevées, il n’y a plus d’échange de CDW à travers le talus. Les échanges côte large dépendent de nombreux autres facteurs dont notamment : la présence ou non de formation d’eau dense, la présence ou non d’un seuil qui creuse le talus à l’entrée du plateau et la profondeur de la MCDW au large (Dinniman and Klinck, 2004; Dinniman et al., 2011; Wåhlin et al., 2012; St-Laurent et al., 2013). Contrairement aux mers d’Amundsen et de Bellingshausen, les mers de Ross, Weddell et le plateau Est-Antarctique au large de la Terre-Adélie comportent le long du talus continental un front antarctique de talus (Antarctic Slope Front, ASF) associé à l’ASC. En Antarctique de l’Est, le plateau continental est relativement étroit et la branche sud du Front Polaire Antarctique (59˚et 60˚S) est proche du plateau antarctique (Sokolov and Rintoul, 2002). Les traces d’intrusions directes d’Eau Circumpolaire Profonde Modifiée (Modified Circumpolar Deep Water, MCDW) sur le plateau sont assez rares par rapport à l’Ouest de la péninsule antarctique où la CDW est relativement omniprésente (Hofmann and Klinck, 1998). Il y a donc un fort contraste de température entre les masses d’eau du plateau de la partie ouest de la péninsule antarctique et le reste du plateau antarctique (Pritchard et al., 2012; Schmidtko et al., 2014). Ce contraste est également associée à une fonte basale des plateformes glaciaires plus importante en Antarctique de l’Ouest (péninsule antarctique) qu’en Antarctique de l’Est. En Antarctique de l’Est, le gradient de température de surface côte-large est beaucoup plus prononcé du fait de la subduction (downwelling) côtière induite par les vents d’est, des pertes de chaleur vers l’atmosphère ou la glace de mer, et également des forts vents catabatiques qui contribuent au maintien d’un front de température (∆θ >1.75˚C) séparant la CDW chaude du large, des eaux côtières proches du point de congélation.
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Table des matières
1 Introduction
État de l’art et motivation
I Cadre large échelle
I.1 Circulation atmosphérique de surface
I.2 Circulation océanique péri-antarctique
I.3 Échanges côte large en Antarctique de l’Est
I.4 Circulation méridienne de retournement
II Contexte régional et objectifs de la thèse
II.1 Prologue historique
II.2 Géographie du plateau de la Terre Adélie
II.3 La Langue Glaciaire du Mertz : polynie et landfast ice
II.4 Régime des vents en Terre Adélie
II.5 La polynie du Mertz
II.6 Importance de la polynie du Mertz et de la circulation horizontale pour
la production biologique
II.7 Conditions hydrologiques sur le plateau Adélie
II.8 Circulation océanique sur le plateau au large de la Terre-Adélie
III Objectifs de la thèse
III.1 Questions scientifiques
III.2 Démarche adoptée
III.3 L’année 2008 dans le contexte de la variabilité climatique
2 Matériel et traitement des données
I Observations du projet ALBION et données complémentaires
I.1 Observations du projet ALBION : période 2008-2010
I.2 Autres données océanographiques
I.3 Forçage atmosphérique de surface
I.4 Concentration de glace de mer et de production de glace
II Traitement des données ALBION
II.1 Qualification des données CTD
II.2 Calibration des microcats à MG
II.3 Traitement des données de courant : ADCP
III Méthodes
III.1 Estimation des contenus en chaleur et en eau douce et leur évolution
III.2 Analyse optimale à multi-paramètres pour l’identification des masses d’eau
III.3 Détection de tourbillons à partir de données de mouillage
3 Variabilité saisonnière sur le plateau Adélie : hydrologie et courants Caractérisation du courant et des échelles de temps associées
I Évolution saisonnière des propriétés hydrologiques dans la dépression Adélie
I.1 Évolution des propriétés hydrologiques au mouillage MG
I.2 Évolution saisonnière du champ de densité et de la stratification
I.3 Distributions spatiales saisonnières de la salinité dans le sud-est de la dépression Adélie
II Éléments sur la variabilité interannuelle des conditions hydroligiques
III Caractérisation du courant moyen aux trois sites de mouillage
III.1 Courant moyen annuel
III.2 Influence de la topographie sur les courants de fond
III.3 Contraste saisonnier
IV Relation entre les cycles saisonniers aux différents sites de mouillage
V Synthèse et perspectives
4 Cadre formel du modèle inverse
Modèle physique et statistique
I Le modèle physique
I.1 Géostrophie
I.2 Le problème inverse
I.3 Formulation du problème en couches
I.4 Surfaces neutres ou surfaces isopycnales
I.5 Représentation des flux diapycnaux dans le modèle inverse
I.6 Travail en anomalie de traceur
I.7 Discrétisation du problème
II Résoudre un système d’équations sous-déterminées
II.1 Gauss-Markov
II.2 Importance des matrices de covariance du bruit
II.3 Comparaison avec une inversion basée sur la décomposition en vecteur singulier
II.4 Conclusion sur le modèle inverse en boîtes
III Modèle d’erreur et construction de la matrice de covariance a priori du bruit
III.1 Bruit sur la mesure
IV Résumé et conclusion
5 Conclusion
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