Garantir aux patients un accès précoce à des traitements innovants est un enjeu essentiel en recherche clinique. La France se positionne parmi les pays leaders en matière de participation aux essais cliniques mondiaux. La 10ème édition de l’enquête du LEEM (Les Entreprises du Médicament) « Attractivité de la France pour la recherche clinique » classe l’Europe en 2ème position parmi les grandes régions composées de l’Amérique du Nord, l’Asie, l’Australie, l’Amérique du Sud, et l’Afrique. La France se trouve en 4ème position au niveau européen, et au 2ème rang européen en oncologie.
Ces positions majeures engendrent une forte inclusion de patients dans les essais cliniques menés en France, et donc une forte demande de produits expérimentaux pour essais cliniques. Les produits de santé expérimentaux englobent les dispositifs médicaux et les médicaments destinés aux essais cliniques, déjà sur le marché pour certains ou en cours de développement pour d’autres. Un Médicament Expérimental (ME ou IMP : Investigational Medicinal Product) est défini dans les Bonnes Pratiques de Fabrications (BPF) comme « tout principe actif sous une forme pharmaceutique ou placebo expérimenté ou utilisé comme référence dans une recherche biomédicale, y compris les médicaments bénéficiant déjà d’une autorisation de mise sur le marché (AMM), mais utilisés ou présentés ou conditionnés différemment de la spécialité autorisée, ou utilisés pour une indication non autorisée ou en vue d’obtenir de plus amples informations sur la forme de la spécialité autorisée » (2) (3). Cette définition inclut alors les médicaments en développement non commercialisés, et certains médicaments avec AMM utilisés dans les essais cliniques comme médicament de référence par exemple. En France, le dispositif d’accès dérogatoire permet un accès précoce aux thérapies innovantes. Certains médicaments impliqués dans ce dispositif, et ne disposant pas encore d’AMM, peuvent emprunter en partie le circuit des médicaments expérimentaux (5). Ces médicaments peuvent néanmoins faire l’objet d’études cliniques en parallèle de ce dispositif.
Le circuit des produits de santé expérimentaux doit donc être optimisé et flexible afin de répondre aux différentes spécificités de chaque produit, tout en respectant la réglementation en vigueur encadrant la recherche clinique : les Bonnes Pratiques définies ultérieurement et le Code de la Santé Publique. Il doit également tenir compte de nombreuses variables propres aux études cliniques : le nombre de pays participant au programme de développement clinique, le nombre de centres investigateurs, le nombre actuel et prévisionnel de patients inclus, le design et le protocole de l’étude, la péremption des produits pouvant être courte, le budget, les différents délais (fabrication, approvisionnement, obtention des autorisations des autorités de santé, etc.).
Depuis l’apparition, début 2020, du virus Covid-19, ce circuit a dû s’adapter afin d’assurer l’accès aux traitements expérimentaux aux patients inclus dans les essais cliniques. Les laboratoires pharmaceutiques, les autorités de santé et les centres investigateurs ont donc travaillé ensemble pour rapidement trouver des adaptations afin de contrer les difficultés rencontrées liées à l’épidémie, notamment en permettant une livraison de certains produits expérimentaux directement au domicile des patients depuis le centre investigateur.
Les acteurs et instances impliqués dans la recherche clinique et sa réglementation
Les instances réglementaires
Les essais cliniques sont encadrés principalement par deux instances réglementaires : les Autorités Compétentes (AC ou CA / HA) et le Comité de Protection des Personnes (CPP ou IRB).
Autorité Compétente
– Le formulaire et le courrier de demande d’autorisation de recherche clinique ;
– Le protocole et le résumé de l’essai clinique ;
– La Brochure Investigateur (BI) pour les médicaments en développement ou les DM (Dispositifs Médicaux) sans marquage CE, RCP (Résumé des Caractéristiques du Produit) pour les médicaments avec AMM, certificat de marquage CE, déclaration de conformité et notice d’emploi pour les DM avec marquage CE ;
– Le dossier du Médicament Expérimental (ME), du Médicament Auxiliaire (MA) ou le dossier technique sur le DM ;
– Autres documents : avis CPP dès que disponible, avis de tout état membre ou de l’EMA (European Medicines Agency) si disponible, décision d’approbation du Plan d’Investigation Pédiatrique (PIP) si disponible et nécessaire, l’étiquetage des produits expérimentaux, le formulaire de demande d’importation, le dossier technique relatif à tout autre produit que le ME ou MA.
L’étude est enregistrée sous un n° EudraCT (European Union Drug Regulating Authorities Clinical Trials Database) avant dépôt à l’autorité compétente pour les recherches portant sur les médicaments à usage humain (n°IDRCB pour les autres types de recherches). Cette base de données recense tous les essais cliniques de médicaments expérimentaux avec au moins un site dans l’UE à partir du 1er mai 2004. Elle a été établie conformément à la directive 2001/20/CE (9). Ces données sont aussi transférées dans la base internationale https://www.clinicaltrials.gov/ (10).
Comité de Protection des Personnes
Le CPP est le comité d’éthique pour la recherche clinique. Actuellement, il existe 39 CPP répartis sur 7 régions (11) (16). Les CPP sont agréés par le Ministre chargé de la santé pour une durée de 6 ans (12). Les membres sont nommés par le directeur général de l’Agence Régionale de Santé (ARS) pour une période de 3 ans renouvelable, et ils exercent leurs fonctions bénévolement (13) (14). Les CPP se prononcent sur les conditions dans lesquelles le promoteur d’étude clinique assure la protection des patients participants, notamment sur le bien-fondé, la pertinence du projet de recherche et sur sa qualité méthodologique (15). Un CPP est composé de 28 membres répartis en deux collèges (12) :
– Premier collège :
o Huit personnes ayant une qualification et une expérience approfondie en matière de recherche impliquant la personne humaine, dont au moins quatre médecins et deux personnes qualifiées pour leurs compétences en matière de biostatistique ou d’épidémiologie ;
o Deux médecins spécialistes de médecine générale ;
o Deux pharmaciens hospitaliers ;
o Deux auxiliaires médicaux.
– Deuxième collège :
o Deux personnes qualifiées pour leurs compétences à l’égard des questions d’éthique ;
o Quatre personnes qualifiées pour leurs compétences en sciences humaines et sociales ou pour leur expérience dans le domaine de l’action sociale
o Quatre personnes qualifiées pour leurs compétences en matière juridique ;
o Quatre représentants des associations agréées conformément aux dispositions de l’article L. 1114-1.
Un membre d’un CPP ne peut pas exercer des fonctions exécutives au sein d’un établissement promoteur de recherches. Le CPP est choisi par un tirage au sort organisé par la Commission Nationale des Recherches Impliquant la Personne Humaine (CNRIPH) (16). Pour débuter une étude clinique, le CPP choisi doit rendre un avis favorable sur l’étude clinique en question en examinant les documents qui lui sont transmis, notamment pour une étude impliquant au moins un médicament expérimental :
– Le protocole et le résumé en français ;
– L’étiquetage du produit expérimental ;
– La notice d’information et le formulaire de consentement du patient en français (ICF = Informed Consent Form) ;
– Le cahier d’observations de l’étude et/ou questionnaires ;
– La liste et Curriculum Vitae (CV) des investigateurs participants ;
– Le cas échéant un document attestant que l’autorisation de l’étude a été demandée à l’ANSM ;
– Les modalités de recueil, de conservation et d’utilisation des données ;
– Le cas échéant, la déclaration de conformité à une méthodologie homologuée de référence par la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL, cf. I.C.1.a.).
La liste complète des documents à fournir au CPP est définie dans l’Arrêté du 2 décembre 2016 fixant le contenu, le format et les modalités de présentation du dossier de demande d’avis au Comité de Protection des Personnes sur un projet de recherche mentionnée au 1° de l’article L. 1121-1 du code de la santé publique portant sur un médicament à usage humain (17). Le CPP évalue la balance des bénéfices et risques pour la personne se prêtant à la recherche, les modalités de son information et le recueil de son consentement. En cas d’avis défavorable, il est possible de saisir un autre CPP par un nouveau tirage au sort (16).
Les acteurs de la recherche clinique et organisation du laboratoire promoteur
Les acteurs de la recherche clinique
Au niveau du promoteur
La Décision du 24 novembre 2006 fixant les règles de bonnes pratiques cliniques pour les recherches biomédicales portant sur des médicaments à usage humain, définit le promoteur d’une étude clinique comme une personne physique ou morale qui prend l’initiative d’une recherche biomédicale sur l’être humain, qui en assure la gestion et qui vérifie que son financement est prévu (18). Il s’agit donc d’une personne physique, d’une société, ou d’une institution, qui prend l’initiative d’un essai clinique et en assume les responsabilités et le financement (19). Il peut être, par exemple, un laboratoire pharmaceutique, une association, un établissement de soins ou un médecin. Certaines tâches peuvent être déléguées à des organismes prestataires de service ou Contract Research Organization (CRO), comme le suivi du recrutement, le monitoring, ou l’étiquetage des produits expérimentaux par exemple. Il existe alors au niveau du promoteur, ou du prestataire, des chefs de projets et des Attachés de Recherche Clinique (ARC). Les chefs de projet assurent la coordination des études cliniques. L’ARC promoteur, quant à lui, est chargé d’effectuer des visites de monitoring auprès des centres investigateurs, permettant de garantir la qualité des données recueillies, le respect du protocole et de la réglementation sur centre.
Au niveau du centre investigateur
Un investigateur est défini par cette même Décision du 24 novembre 2006 comme la (ou les) personne(s) physique(s) qui dirige(nt) et surveille(nt) la réalisation de la recherche sur un lieu (18). L’investigateur est donc une personne qualifiée, qui dirige et surveille la réalisation de l’essai clinique sur un lieu de recherche, un établissement de santé autorisé par l’ARS, appelé site ou centre investigateur. Pour les essais cliniques portant sur des médicaments, c’est un médecin avec une expérience dans la discipline concernée par la recherche. Il est appelé investigateur principal (PI ou Principal Investigator) dans le cas où il délègue une partie de ses activités de recherche à des membres de son équipe (des co investigateurs ou collaborateurs de l’investigateur), en s’assurant qu’ils soient suffisamment formés pour ces activités, par exemple :
– Technicien d’Etude Clinique (TEC) ou ARC investigateur : il recueille et saisit les données auprès des patients, gère les échantillons biologiques et informe les patients sur l’étude ;
– Infirmière de Recherche Clinique (IRC) : elle a les mêmes missions que le TEC mais dispose de compétences supplémentaires pour la réalisation des gestes techniques comme les prélèvements biologiques, les examens ou encore l’administration du produit expérimental ;
– Pharmacien gérant de la Pharmacie à Usage Intérieur (PUI) : Il est chargé d’assurer la gestion, l’approvisionnement, le stockage, le contrôle, la préparation, la dispensation et la qualité des produits de santé expérimentaux ou auxiliaires.
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Table des matières
Introduction
I. Les acteurs et instances impliqués dans la recherche clinique et sa réglementation
A. Les instances réglementaires
1. Autorité Compétente
2. Comité de Protection des Personnes
B. Les acteurs de la recherche clinique et organisation du laboratoire promoteur
1. Les acteurs de la recherche clinique
a. Au niveau du promoteur
b. Au niveau du centre investigateur
2. Organisation du laboratoire promoteur
a. Généralités
b. Organisation du département « Développement Clinique »
C. Le cadre réglementaire de la recherche clinique
1. Réglementations européenne et française relatives aux essais cliniques
a. Réglementations appliquées aux médicaments expérimentaux
b. Particularités des dispositifs médicaux expérimentaux
2. Les Bonnes Pratiques de Fabrication
3. Les Bonnes Pratiques de Distribution en Gros
4. Les Bonnes Pratiques Cliniques
5. Les Bonnes Pratiques de Préparation
II. Le circuit des produits de santé expérimentaux
A. Fabrication et certification des produits de santé expérimentaux en cours de développement ne disposant pas d’AMM
1. Généralités
2. Particularités du placebo
B. Approvisionnement de produits de santé expérimentaux
1. Cas des produits pour essais cliniques
a. Achat et approvisionnement de produits expérimentaux pour essais cliniques
b. Importation de produits expérimentaux provenant de l’Union Européenne (hors France)
c. Approvisionnement et importation de médicaments expérimentaux provenant de pays tiers en dehors de l’Union Européenne
d. Transport des produits jusqu’à l’entrepôt de stockage du prestataire
e. Responsabilités des différents acteurs définies par les Incoterms
f. Réception et stockage des produits
2. Particularités des produits pour accès dérogatoire
3. Particularités des études à promoteurs externes
4. Autres cas particuliers
C. Etiquetage et libération des produits de santé expérimentaux
1. L’étiquetage des médicaments expérimentaux selon la LD13 des BPF
2. Etiquetage à la suite d’un approvisionnement de médicaments commerciaux pour essais cliniques
a. Différences d’étiquetage entre un médicament français et un médicament acheté en UE hors France
b. Processus d’étiquetage chez le prestataire
3. Cas des médicaments expérimentaux en développement ne disposant pas d’AMM
a. Etiquetage avant importation
b. Etiquetage après importation
4. Etiquetage pour extension de date de péremption
a. Stock du prestataire et de la maison mère
b. Stock des centres investigateurs
5. Changement de l’étiquetage en cours d’étude
6. Certification et libération des lots de produits pour essais cliniques
D. Distribution aux centres investigateurs et dispensation aux patients
1. La réglementation portant sur les produits expérimentaux au niveau des centres investigateurs
2. Distribution des produits vers les centres investigateurs
3. Réception et stockage des produits sur centre investigateur
4. Transfert de médicaments expérimentaux d’un centre investigateur à un autre
5. Préparation et dispensation des produits aux patients
a. Préparation des traitements à la PUI
b. Dispensation des produits expérimentaux aux patients
6. Notification d’événements et d’effets indésirables
E. Monitoring, retours et destructions des produits, rappels de lot
1. Visites de monitoring
2. Retours et destructions des médicaments expérimentaux
a. Retours
b. Destructions
i. Sur centre investigateur
ii. Par le promoteur ou le prestataire en charge des produits expérimentaux
3. Réclamations pharmaceutiques et rappels de lots des produits expérimentaux
a. Réclamations pharmaceutiques
b. Rappels de lots
i. Généralités
ii. Processus de rappel de lot de médicaments expérimentaux au niveau du laboratoire étudié
F. Archivage des documents concernant les études cliniques dans le TMF
G. Les logiciels informatiques impliqués dans le circuit des produits de santé expérimentaux
III. Adaptations en période de Covid-19 et perspectives pour l’avenir
A. Recommandations mises en place par l’ANSM concernant les produits pour essais cliniques
1. Interruption d’étude et suspension des traitements expérimentaux
2. Adaptation des visites de suivi
3. Dispensation des traitements expérimentaux
a. Pour une durée supérieure à celle décrite dans le protocole
b. Au domicile du patient
4. Monitoring des essais cliniques
5. Vigilance des essais cliniques
B. Recommandations mises en place par l’ANSM concernant les produits pour accès dérogatoire
C. Adaptations du promoteur
1. Délivrance des traitements au domicile des patients
2. Monitoring centralisé
3. Monitoring à distance
4. Disponibilité des médicaments sur le marché
5. Adaptation des processus papiers en électroniques
D. Adaptations des centres investigateurs
1. Disponibilité du personnel et monitoring à distance
2. Dispensation au domicile du patient
E. Discussion sur les perspectives d’évolution du circuit des produits de santé expérimentaux à la suite du Covid-19
Conclusion
Bibliographie
Annexes