INTRODUCTION
70% de la population active de Madagascar se trouve dans le secteur primaire qui est dominé par l’agriculture, générant 25% du PIB en 2009 (Labourdette, et al.). La fertilisation tient une place importante pour la production agricole. L’engrais est connu pour être un intrant puissant d’augmentation de la productivité. Ainsi, un tiers de l’augmentation de la production céréalière mondiale et la moitié de l’augmentation de la production céréalière de l’Inde sont attribués à des facteurs relevant des engrais (FAO, 2010). Pourtant, le taux d’utilisation d’engrais est très faible à Madagascar puisque l’utilisation d’engrais minéral correspond à une moyenne de l’ordre de 3 à 7 kg par hectare cultivé (MAEP, 2006). Par conséquent, les sols s’appauvrissent au fil des cultures, tandis que la demande en nourriture augmente compte tenu de l’accroissement de la population (Rasoarimalala, et al., 2011). Une augmentation de l’utilisation des engrais chimiques demeure par conséquent une des solutions pour améliorer la faible productivité de Madagascar, mais, les intrants chimiques sont coûteux, ne permettant pas à bon nombre de paysans d’y accéder facilement (Andrianjafy Andriamanindrisoa, 2004).
De plus, le recours excessif aux engrais chimiques est une cause de dégradation des sols et de pollution des eaux (PNUE, 2002). L’alternative est en conséquence l’utilisation des engrais biologiques.La présente étude est en partenariat avec la société GUANOMAD qui fabrique des engrais organiques à base de guano. En effet, la société veut expérimenter dans l’engrais liquide c’est- à-dire obtenir une solution liquide à partir de son engrais (solide) Guanomad. Un engrais liquide soluble qui peut être utilisé directement dans un système de micro-irrigation (fertigation).Les éléments fertilisants dans les engrais organiques comme le Guanomad ne sont pas tout de suite disponible pour la plante, puisque les plantes n’absorbent que des éléments de forme plus solubles dans la solution du sol. Ces éléments doivent ainsi passer par un processus de minéralisation assuré par les micro-organismes avant d’être utilisable par la plante.Face à cette situation, nous avons voulu essayer de trouver des produits qui peuvent accélérer le processus de minéralisation. C’est pour cela qu’on s’est tourné vers les activateurs de compost. Deux produits qui peuvent être trouvés localement sont de ce fait expérimentés :
(i) le rumen qui est un sous-produit de l’abattage bovin et qui est fréquemment utilisé par les paysans lors du processus de compostage (Nadjyat, 2009),
(ii) et la consoude dont le purin est extrait et qui sert à la fois de fertilisant et d’activateur de compost (Herinomenjanahary, 2005). La problématique de l’étude est donc de savoir si les activateurs de compost ont un effet sur la minéralisation du Guanomad en milieu liquide. Notre objectif consiste alors à analyser l’évolution de la minéralisation et de la solubilisation des éléments fertilisants du Guanomad dans une solution aqueuse additionnée de rumen et/ou de purin de consoude. Le but étant la recherche de substance qui optimise la minéralisation du Guanomad en milieu liquide.
Cinétique de minéralisation de l’azote
L’azote est généralement 95 à 99 % sous forme organique dans le sol et dans les amendements organiques (Mustin, 1987). Cette forme n’est globalement pas assimilable par les plantes et l’azote doit de ce fait être converti par minéralisation en formes inorganiques solubles (NH4+, NO3-).Dans le cycle de l’azote, les micro-organismes constituent la force motrice de toutes les réactions qui se produisent. Ils sécrètent des enzymes qui catalysent les réactions biochimiques à l’intérieur des cellules comme dans leur environnement qui permettent de passer d’une forme azotée à une autre (Epstein, 1997) (Brady, et al., 2002) (Troeh, et al., 2005). La dégradation des composés azotés, des protéines essentiellement, comporte trois processus successifs : la protéolyse aboutissant à la libération des acides aminés constitutifs, l’ammonification aboutissant à la libération d’azote sous la forme ammoniacale et la nitrification.
L’ammonification est le processus de transformation de l’azote de la matière organique en azote ammoniacal. Et la nitrification est un phénomène biologique où l’azote ammoniacal est transformé en azote nitreux puis nitrique (Falinirina, 2010). Nous nous sommes limités à l’analyse de l’azote ammoniacal dans cette présente étude. Une partie de l’ammonium libéré est aussitôt réutilisée par d’autres microorganismes disposant d’énergie et de substrat carbonés nécessaires à l’élaboration de leur protoplasme. Ce qui explique en partie les certaines baisses de concentration de NH4+ dans les solutions au cours du temps. La présence de composés carbonés énergétiques favorise la réorganisation.La production d’azote minéral par nitrification et ammonification est liée à la disponibilité de carbone organique.
Les fractions organiques carbonés servent de source d’énergie pour la biomasse microbienne minéralisatrice. L’activité croissante des microorganismes minéralisateurs domine en générale du début de l’essai (Rakotoarivelo, 2011) d’où les allures croissantes des courbes, jusqu’à atteindre un pic, pour tous les traitements à partir de t0.En outre, dans certains cas (lisiers, purins, etc.) où le NH4+ est en grande quantité et le rapport C/N faible, la libération de l’azote assimilable se fait rapidement (Leclerc, 2001). Ce phénomène peut être observé sur le traitement C (figure 5) qui a la plus forte amplitude de courbes (depuis t0 jusqu’au premier pic) entre tous les traitements.
Le potentiel de la minéralisation du N est influencé par plusieurs interactions, souvent complexes, entre l’humidité, la température, la nature et la qualité de la matière organique (Jedidi, et al., 2002) (N’Dayegamiye, 2006). En effet, Valé (2009) affirme que quand la température augmente de 10°C, la minéralisation est multipliée par 3 et aussi la minéralisation est minimale au point de flétrissement, optimale à la capacité au champ puis diminue au-delà (anaérobie). Aussi, les premières humectations provoquent une prolifération des microorganismes ammonificateurs et une activité microbienne intense (Zeraouli, et al., 2001) : on peut remarquer cela sur la figure 11 où déjà à t0, les densités des populations microbiennes sont maximales.La minéralisation de l’azote, proprement dite, présente 3 phases : une phase de minéralisation intense, puis une phase d’organisation de l’azote minéral et enfin le redémarrage de la minéralisation (Jedidi, et al., 2002). Ce phénomène est bien illustré dans notre expérimentation avec l’allure des courbes de la cinétique de minéralisation de l’azote .La diminution du taux d’ammonium survenu après un pic (cf. figure 5) peut être expliquée par la nitrification, et éventuellement par volatilisation et par immobilisation (Zeraouli, et al., 2001).
En effet, une fraction de la forme minérale de l’azote pouvant être assimilé par les microorganismes pour leur croissance ; il s’agit de l’organisation de l’azote minéral, appelé aussi immobilisation (terme anglo-saxon) (Parnaudeau, 2005).L’apport des amendements organiques au sol entraine généralement soit une minéralisation, soit une immobilisation de l’azote par les microorganismes (Jedidi, et al., 2002). Dans le cas où les produits apportés sont suffisamment riches en composés azotés labiles et de faible rapport C/N, une minéralisation nette et immédiate de l’azote a généralement lieu (cas du traitement C). Par contre, le purin de consoude a l’inconvénient de ne pas apporter au sol les matières carbonées nécessaires au bon fonctionnement de l’activité biologique (Herinomenjanahary, 2005), voilà pourquoi une baisse notable de la minéralisation est observée à partir de t7 (pour le traitement C).
Au contraire, si les produits apportés sont pauvres en ces composés azotés labiles et ont un rapport C/N relativement élevé (25-30) (c’est le cas du rumen utilisé avec un C/N = 26,69), leur décomposition engendre l’immobilisation d’une quantité importante de l’azote disponible dans le sol (Ichir, et al., 2002) (Chabalier, et al., 2002) (Gagnon, 2004). Les micro-organismes responsables de sa dégradation assimilent l’azote minéral du sol, réduisant ainsi sa disponibilité dans le sol. Cet effet dépressif est le fait d’un blocage temporaire de l’azote minéral, sous forme organique, provoqué par le développement de la biomasse microbienne. Cependant on ne remarque presque pas d’immobilisation de NH4+ sur le traitement R, l’allure de sa courbe présente une croissance moyenne au début puis semble se stabiliser.
L’explication de ce phénomène pourrait être la suivante : puisque le Guanomad utilisé est déjà riche en azote (4,23%) et a un C/N faible (3,2), l’ajout de rumen a augmenté le taux de matière carboné dans la solution, ainsi assurant le bon fonctionnement de l’activité microbienne. Du fait encore de cette caractéristique du Guanomad, la minéralisation nette du témoin par rapport aux autres traitements est aussi justifiée.La revalorisation des matières minérales par les microorganismes d’une part, et l’intervention des microorganismes spécialisés pour la dégradation des éléments à molécules complexes d’autre part, peuvent assurer la continuité de la minéralisation (Rakotoarivelo, 2011).
Cinétique de minéralisation du phosphore
Le phosphore est un composant relativement mineur, mais essentiel de la matière organique du sol. Cependant le phosphore pose un certain nombre de problèmes en termes des fertilité de sols notamment par : (i) les basses teneurs en phosphore total dans les sols, (ii) les composés du phosphore sont souvent insolubles et non disponibles pour être facilement assimilés par les plantes et (iii) les apports extérieurs du phosphore peuvent être fortement fixés et devenir à la longue des composés insolubles (Paul, et al., 1996). En effet, la mobilité du P est restreinte à cause du fait de la faible solubilité de ses sels (phosphate de Ca et de Fe) et de sa rétention par les composés du sol (Sigg, et al., 2000).Le P est donc un élément très instable ce qui explique les faibles concentrations de P soluble libéré en solution pour tous les traitements, ainsi que l’allure des courbes en dent de scie.La disponibilité en phosphore est assez faible (Pommel, 1982). Selon Traoré (1998) et Charland, et al., (2001) le devenir du phosphore ou sa disponibilité dans un sol amendé est plus dépendant des propriétés intrinsèques du sol (teneur en phosphore échangeable, pouvoir fixateur, concentration des ions phosphatées en solution) que de la minéralisation de la matière organique de l’amendement.
De Haan (1981), rapporte même un effet négatif d’un compost d’ordures ménagères sur le prélèvement du P par des tomates. Signalons cependant que d’autres travaux montrent que l’ajout de compost augmente la quantité de phosphore disponible pour les plantes (Erich, et al., 2002). Les résultats similaires ont été obervés par Perez-de-Mora et al., (2006), avec un compost à base des déchets organiques sur un Entisol fortement acide. De même sur les sols argileux (Bukavu, R.D. Congo) et limono-sableux (Busogo, Rwanda) après quatre saisons culturales d’application (5, 10 et 15 t.ha-1) dans une étude sur l’influence d’apports en matières organiques sur l’activité biologique et la disponibilité du phosphore dans deux sols de la Région des Grands Lacs d’Afrique (Mze, 2008).
Les matières organiques du compost agissent également sur le phosphore du sol en rendant soluble du phosphore qui ne l’était pas auparavant en plus de l’effet de remontées du phosphore des couches profondes par les micro-organismes filamenteux (McDowell, et al., 2003). Herinomenjanahary, (2005) aussi affirme que le phénomène de rétrogradation du phosphore est d’autant plus important que le sol est pauvre en matières organiques.
Cinétique de libération des bases échangeables
La plante puise dans la solution du sol les cations utiles, dont la disponibilité est directement fonction de la garniture du complexe d’échange (Gobat, et al., 2003).Selon Brady et Weil (2002), de fortes quantités de ces nutriments apportés par la matière organique sont associées avec les particules inorganiques et organiques solides du sol. A travers une série de processus chimiques et biochimiques, les nutriments sont libérés à partir des formes solides du sol pour remplacer ceux de la solution du sol.
Dans cet échange de cations, les éléments comme le Ca2+, Mg2+, K+, sont libérés dans la solution du sol à partir des surfaces colloïdales et peuvent directement être absorbés par les plantes. Les ions sont également libérés dans la solution du sol à partir de la décomposition des tissus organiques par les micro-organismes du sol.Ces différents cations étant libérés au rythme de la minéralisation (Schvartz, et al., 2003), ce phénomène est observable sur les figures 8 et 9 lors des pics de libération de Mg et Ca à t14. Les quantités mises en jeu sont fonction des apports totaux. Le potassium par exemple est présent en concentration variable dans les amendements organiques et généralement très faible que dans les sols cultivés (< 1 %) (He, et al., 1992).
Mais sa disponibilité est très grande, puisque pratiquement tout le K est disponible (De Haan, 1981) (Garcia, et al., 1992) (Jakobsen, 1995) (Francou, 2003) (Albrecht, 2007), d’où l’explication de la quantité croissante de K libéré tout au long de l’expérimentation . La haute disponibilité du K peut donc être attribuée à la contribution directe des matériaux eux-mêmes, et à l’influence de l’apport de matière organique fraîche sur la capacité d’échanges cationiques du sol responsable de la fixation et du relâchement du K à partir des colloïdes (He, et al., 2001).Beaucoup d’études ont montré un accroissement considérable des concentrations des cations basiques principaux (Ca, Mg, K) dans le sol après un apport répété en compost (de biomasse végétale, déchets urbains ou déchets verts) et ou en essais d’incubation (Parkinson, et al.,1999) (Mbonigaba, 2007) (Mze, 2008). En effet, les substances humiques peuvent complexer des cations métalliques (K+, Ca2+, Mg2+…), ce qui leur confère des propriétés de molécules échangeuses d’ions suivant les conditions du milieu.
Les composés organiques difficilement dissociables se transforment en substances humiques par polymérisation et par association avec des substances azotées. Les microorganismes du sol sont responsables non seulement de la synthèse, mais aussi de l’élimination des substances humiques (De Nardi, 2009). Ici, il est donc vérifié que plus les traitements sont riches en matières organiques, plus leur complexe adsorbe les bases échangeables et c’est pour cela que le témoin contient plus de bases que les autres traitements (cf. section III.3).Selon Pedneault (1994 in Charland, et al., 2001), le potassium, le calcium et le magnésium deviennent disponibles rapidement, alors que la libération d’azote et de phosphore, qui dépend aussi de la biodégradabilité des matières organiques se réalise par contre plus lentement puisque ces derniers sont soumis à un cycle de minéralisation et de réorganisation par les micro-organismes (Herinomenjanahary, 2005).
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Table des matières
I INTRODUCTION
II MATERIELS ET METHODES
II.1 Site expérimental
II.2 Matériels utilisés
II.2.1 L’engrais Guanomad
II.2.2 Le rumen
II.2.3 Le purin de consoude
II.2.4 L’eau de puits
II.3 Dispositif expérimental
II.4 Conduite de l’expérimentation
II.5 Méthode d’analyse et de traitement
II.6 Contraintes et limites du travail
III RESULTATS
III.1 Analyse chimique et microbiologique des matériels utilisés
III.2 Cinétique de minéralisation de l’azote et du phosphore
III.2.1 Azote ammoniacal
III.2.2 Phosphore soluble (orthophosphate)
III.3 Cinétique de libération des bases échangeables
III.3.1 Potassium
III.3.2 Magnésium
III.3.3 Calcium
III.4 Evolution du pH
III.5 Analyse microbiologique des traitements
III.6 Analyse du complexe adsorbant
III.7 Analyse des éléments totaux restants dans la fraction solide
IV DISCUSSIONS ET RECOMMANDATIONS
IV.1 Cinétique de minéralisation de l’azote
IV.2 Cinétique de minéralisation du phosphore
IV.3 Cinétique de libération des bases échangeables.
IV.4 Evolution du pH
IV.5 Complexe adsorbant et solution du sol
IV.6 Implication pratique de l’étude : « Potentialité des activateurs »
IV.7 Recommandations
IV.7.1 Sur la méthodologie
IV.7.2 Sur l’intérêt agronomique
V CONCLUSION
VI BIBLIOGRAPHIE
VII ANNEXES
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