Les endophtalmies
Définition
Les endophtalmies est un état inflammatoire de l’œil, qui est dû à un processus infectieux provenant de bactéries, de champignons ou, plus rarement, de parasites qui pénètrent dans le segment postérieur de l’œil (1). Il existe deux grandes catégories d’endophtalmies : les endophtalmies exogènes, qui sont le plus souvent secondaires à une procédure chirurgicale, mais peuvent aussi être secondaire à un traumatisme pénétrant oculaire par exemple, et les endophtalmies endogènes. Selon l’étiologie de l’endophtalmie, le spectre des agents microbiologiques diffère. L’endophtalmie n’en demeure pas moins une complication sérieuse menaçant le pronostic visuel : elle représente une des principales urgences diagnostiques et thérapeutiques rencontrées en ophtalmologie.
Physiopathologie
Généralités
L’agent infectieux causal de l’endophtalmie est dans la grande majorité des cas une bactérie. Ces agents infectieux proviennent de la contamination aérienne, celle en rapport avec les solutés et les médications utilisés pendant la chirurgie, des tissus du patient et du chirurgien, et enfin la contamination des instruments et des machines utilisés pendant la chirurgie. Cependant, depuis qu’une étude utilisant la biologie moléculaire a prouvé que dans plus de 80 % des cas les germes responsables d’endophtalmies exogènes proviennent de la conjonctive du patient, les efforts se sont portés sur la décontamination de la conjonctive .
Ces agents infectieux accèdent généralement au segment postérieur de l’œil par l’une des trois voies suivantes : à la suite d’une chirurgie intraoculaire (postopératoire), à la suite d’un traumatisme pénétrant du globe (post-traumatique), ou par propagation hématogène des de bactéries dans l’œil à partir d’un site anatomique distant (endophtalmie endogène).
La gravité et l’évolution clinique de l’endophtalmie postopératoire sont liées à la virulence et à l’inoculum des bactéries responsables de l’infection, le délai nécessaire pour établir le diagnostic et au statut immunitaire du patient. Au cours de l’infection, des dommages irréversibles sont fréquemment causés aux photorécepteurs de la rétine avec une destruction de l’architecture des différentes couches rétiniennes liée à l’afflux rapide des cellules inflammatoires dans le segment antérieur et postérieur de l’œil. Ainsi, les dommages irréversibles infligés à ces cellules après l’inoculation bactérienne vont directement conduire à une baisse d’acuité visuelle et une altération du champ visuel du patient, entrainant un handicap visuel majeur, et ce malgré une intervention chirurgicale et thérapeutique agressive (1). Une prise en charge la plus rapide possible est indispensable.
En raison de la réponse immunitaire limitée qui se produit dans l’œil à cause de son privilège immunitaire indispensable à sa fonction visuelle, un large éventail d’organismes provoque une infection intraoculaire, et par conséquent, ces symptômes peuvent aller d’une inflammation douloureuse de la chambre antérieure, comme dans certains cas d’endophtalmie à Staphylococcus epidermidis, à une infection intraoculaire indolente et chronique causée par P. acnes, ou une infection oculaire et périorbitaire explosive causée par Bacilus cereus (3,4). Le privilège immunitaire de l’œil est indispensable pour une bonne fonction visuelle en limitant une éventuelle réponse immunitaire excessive de l’hôte qui causerait une atteinte rétinienne irréversible par destruction des photorécepteurs notamment. Il repose en grande partie sur les deux barrières hémato-oculaire que sont la barrière hémato-rétinienne interne et externe ainsi que la barrière hémato-aqueuse.
Cascade inflammatoire
Les barrières hémato-oculaire sont constituées de la barrière hémato-rétinienne interne (jonctions serrées entre les cellules endothéliales au niveau des couches rétiniennes internes) et externe (jonctions serrées entre les cellules de l’épithélium pigmentaire), ainsi que la barrière hémato-aqueuse (couche épithéliale de l’iris et des corps ciliaires). Ces barrières permettent d’apporter le flux sanguin nécessaire à l’homéostasie des différents composants oculaires et limitent le passage de macromolécules et des constituants placentaires dans l’humeur aqueuse et le vitré. De plus, les cellules constituant ces barrières produisent un certain niveau de cytokines anti-inflammatoires telles que le TGF-béta et le peptide intestinal vasoactif (5,6). Au cours d’un épisode inflammatoire intraoculaire, on assiste à une souffrance de ces barrières hémato-oculaires qui deviennent plus perméables et produisent moins de cytokines anti-inflammatoires. Il existe également des facteurs intrinsèques propres à chaque groupe de germes qui vont jouer un rôle crucial dans l’intensité de l’inflammation induite par l’inoculation de ce dernier. Les différences dans le pronostic de la maladie ont été ont été attribuées à la production de toxines par l’organisme en cause. En effet, certaines études suggèrent que l’endophtalmie explosive associée à Bacilus cereus serait associée à la production d’hémolysine BL, une toxine aux propriétés dermonécrotiques et hémolytiques. Il n’y a cependant aucune preuve scientifique de cette corrélation. Callegan et al ont montré que l’hémolysine BL contribue massivement que très tôt dans l’endophtalmie expérimentale à B. cereus, mais n’affecte pas l’évolution globale de l’infection : l’inflammation intraoculaire et la toxicité rétinienne sont survenues indépendamment de la présence de l’hémolysine BL ce qui implique la contribution d’autres facteurs à la pathogénicité, telles que la sécrétion par exemple de collagénase qui vont détruire les fibres de collagène vitréennes, et permettre ainsi au germe et aux cellules inflammatoires d’atteindre plus rapidement les tissus rétiniens (7). Ainsi, Entérocoque faecalis est par exemple responsable d’une synthèse de cytolysines qui vont être à l’origine d’une lyse cellulaire non sélective majeure des cellules du segment antérieur et postérieur (8): ceci explique en grande partie l’échec de traitement antibiotique conventionnel sur ce type de germe et le mauvais pronostic visuel qui en résulte .
D’autres rapports cliniques font également état d’infections graves causées par des bactéries ne produisant pas de toxines telles que les staphylocoques à coagulase négative et aureus (10). Certaines protéines formant les parois cellulaires des germes peuvent contribuer à l’inflammation : les germes gram-positifs tels que le staphylocoque aureus et ses constituants tels que les polysaccharides et peptoglycanes sont ainsi proinflammatoires et cytotoxiques. Ils stimulent l’afflux de cellules inflammatoires et la production de cytokines en particulier dans la cavité vitréenne, et doivent donc être considérés comme des toxines intraoculaires non classiques (11). En comparaison, les parois cellulaires du Propionibacterium acnes sont beaucoup moins pro-inflammatoires, ce qui explique l’inflammation à bas bruit et l’endophtalmie chronique associée à ce dernier .
Un autre aspect à considérer est le comportement des différents germes à l’intérieur de l’œil. Des modèles expérimentaux ont montré que globalement l’évolution et la sévérité de l’endophtalmie à S. aureus ou à E. faecalis par exemple étaient corrélées à leur taux de multiplication intraoculaire (13). Pour ces organismes, l’inflammation maximale est observée peu de temps après qu’ils aient atteint la phase stationnaire de croissance intraoculaire.
En revanche, les yeux infectés par B. cereus présentent une réponse inflammatoire presque immédiate malgré le faible nombre d’organismes aux premiers stades de l’infection, plusieurs heures avant que les organismes en croissance n’atteignent leur nombre maximal .
Chronologie et différentes étapes de l’endophtalmie
Le processus infectieux commence par une phase d’incubation, qui peut très bien ne présenter aucun signe clinique ni symptôme, qui dure au moins 16 à 18 heures pendant lesquelles une charge bactérienne majeure prolifère, atteint un point culminant et altère la barrière hémato-aqueuse (1). Il s’ensuit une exsudation de fibrine et une infiltration cellulaire. La phase d’incubation varie selon le délai de multiplication du germe responsable de l’infection (par exemple, jusqu’à 10 minutes pour Staphylocoque aureus et Pseudomonas aeruginosa ; plus de 5 heures pour Propionibacterium acnes) (7), et également selon d’autres facteurs comme la capacité de certaines bactéries à produire des toxines bactériennes comme nous l’avons vu précédemment. Avec les micro-organismes courants comme le staphylocoque epidermidis (ou coagulase négative), trois jours peuvent s’écouler avant que l’infiltration n’atteigne son point culminant. Par la suite, une phase d’accélération et, enfin, une phase de destruction de l’infection se développe. La phase d’accélération suit l’infection primaire du segment postérieur et entraîne l’inflammation de la chambre antérieure et une réaction immunitaire avec les macrophages et les lymphocytes qui s’infiltrent dans la cavité vitréenne pendant 7 jours environ. Dans les 3 jours suivant l’infection intraoculaire, on peut détecter des anticorps spécifiques de l’agent pathogène ; ceux-ci contribuent à éliminer les microbes par opsonisation et phagocytose en 10 jours environ. Les médiateurs inflammatoires, en particulier les cytokines, recrutent davantage de leucocytes, ce qui contribue à la cascade destructrice et entraine des dommages rétiniens et une prolifération vitréorétinienne sévère et irréversible.
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Table des matières
I- Introduction : Les endophtalmies
A- Définition
B- Physiopathologie
a) Généralités
b) Cascade inflammatoire
c) Chronologie et différentes étapes de l’endophtalmie
C- Présentation clinique
a) Endophtalmies exogènes
b) Endophtalmies endogènes
D- Examens complémentaires
E- Étiologies et facteurs de risque des endophtalmies exogènes
a) Endophtalmies post-opératoires
b) Endophtalmies post-traumatiques et de contiguïté
F- Spectre microbien
a) Agents pathogènes
b) Endophtalmies exogènes
c) Endophtalmies endogènes
G- Traitement
a) Prélèvements
b) Injections intravitréennes d’antibiotiques
c) Traitement systémique et suivi
d) Vitrectomie
H- Diagnostics différentiels
a) Syndrome toxique du segment antérieur
b) Uvéite phacoantigénique
I- Prévention de l’endophtalmie post opératoire
a) Préparation chirurgicale
b) Préparation du patient
c) Utilisation de la céfuroxime
II- Étude
A- Patients et méthodes
a) Critères d’inclusion
b) Critères d’exclusion
B- Protocole médical et chirurgical
C- Protocole post-opératoire
D- Données recueillies
E- Analyses statistiques
III- Résultats
A- Population générale
B- Étiologies
C- Vitrectomie thérapeutique complémentaire
D- Pronostic visuel en fonction de l’étiologie
a) Acuité visuelle initiale
b) Acuité visuelle à 1 mois
E- Identification microbiologique en fonction de l’injection de céfuroxime
F- Résistance à la méticilline en fonction de l’injection de céfuroxime
G- Pronostic visuel des endophtalmies en fonction de l’antibioprophylaxie par céfuroxime
a) Acuité visuelle initiale
b) Acuité visuelle à 1 mois
IV- Discussion
A- Généralités et étiologies
B- Endophtalmies et caractéristiques microbiologiques
C- Pronostic visuel des endophtalmies selon leur étiologie
D- Endophtalmies et vitrectomie thérapeutique complémentaire
E- Impact de l’utilisation de céfuroxime intracamérulaire sur les endophtalmies résiduelles
F- Utilisation de la céfuroxime intracamérulaire et résistance à la méticilline
V- Conclusion