CHRONICISATION DE LA LOMBALGIE CHEZ LES PATIENTS À L’HUMEUR DÉPRESSIVE
MATÉRIEL ET MÉTHODES
Identification et sélection des études: Afin de restreindre au maximum le risque d’inclure des articles concernant l’humeur dépressive induite par la lombalgie, deux critères ont paru importants : la durée de l’épisode lombalgique la plus brève possible à l’inclusion et une évaluation de l’humeur dépressive initiale pratiquée tôt dans l’évolution. Une recherche systématique a été effectuée de mars à septembre 2015 avec les moteurs de recherche suivants : Medline, PsycARTICLES, Cochrane et CAIRN. L’équation de recherche utilisée était la suivante : «Low back pain» [Mesh Terms] AND Depression [Mesh Terms]. Les références bibliographiques des articles ont ensuite été analysées. Les critères d’inclusion étaient les suivants: études prospectives, observationnelles ou interventionnelles, en soins primaires, population adulte (âge compris entre 18 et 65 ans), lombalgie non spécifique, dépistage initial de l’humeur dépressive dans un délai de 1 semaine lors de l’inclusion dans l’échantillon chez des patients n’ayant pas de douleur avant l’épisode actuel, lombalgie évoluant depuis moins de 12 semaines. Les critères d’exclusion étaient l’indisponibilité des articles en français ou en anglais, et les articles parus avant l’année 2000 pour des raisons de qualité scientifique.
Analyse de la littérature et extraction des données
Le recrutement initial était majoritairement réalisé en soins primaires chez des médecins généralistes(10,12,13,17,19), parfois associés à d’autres cliniciens(11,16). Il était assuré par des structures de soins (clinique et hôpital) dans les 2 études américaines et l’étude turque(14,15,19), mais la majorité de la population étudiée y consultait dans le cadre de soins primaires. Lors de la phase initiale de suivi, la lombalgie commune étudiée évoluait depuis moins de 2 semaines(15,16), 3 semaines(17,19), 8 semaines(14), et depuis moins de 12 semaines (phase subaiguë) dans 5 études(10–13,18). Il s’agissait d’un nouvel épisode de lombalgie sachant qu’une période sans douleur allant jusqu’à 6 mois (10,14) pouvait faire partie des critères d’inclusion. Trois autres études utilisaient un critère moins important de 1 mois sans douleur(11,12,16).
Le suivi des patients s’échelonnait sur une durée allant de 6 semaines(13) jusqu’à un an(16–18), mais surtout 3 mois(14,15,19) et 6 mois(10–12). Diverses échelles d’évaluation de la dépression* ont été utilisées à travers les études. L’outil de dépistage des symptômes dépressifs le plus utilisé dans ces études était la modified Zung Depression Scale(10–13) puis la Center for Epidemiologic Studies Depression Scale (CES-D)(14,15) et enfin l’ Acute Low Back Pain Screening Questionnaire (ALBPSQ)(17), Short Form 36 Health Survey (SF-36)(16), Hospital Anxiety and Depression Scale (HADS)(18), Beck Depression Inventory (BDI)(19). Il s’agissait d’échelles dont les questionnaires sont auto-administrés: les données sont rapportées par l’individu en fonction de son ressenti et permettent de l’identifier ou pas comme personne à l’humeur dépressive. L’objectif de ces études était principalement d’étudier les facteurs pronostiques sur l’évolution de la lombalgie ; seules deux(12,13) étaient concentrées sur le rôle de la dépression. Les critères de suivi des études étaient surtout basés sur l’impotence fonctionnelle provoquée par la lombalgie en utilisant l’Oswestry Disability Index (ODI)(10,12) le Roland-Morris Disability Questionnaire (RMDQ)(17-19) et Pain Disability Index (PDI)(14). La douleur à travers l’échelle numérique (EN) et l’échelle visuelle analogique (EVA)(13,16,17,19) était également un critère de suivi avec le statut au travail(11,15–17).
Parmi les 10 études, 9 mettaient en évidence le rôle de l’humeur dépressive initiale comme facteur de mauvais pronostic de l’évolution de la lombalgie(11–19). Deux études avaient englobé le critère de l’humeur dépressive avec d’autres facteurs psychosociaux afin d’établir une valeur statistique plus significative, ne le considérant ainsi pas comme un facteur pronostique isolé. Dans l’étude de Reme(15), le critère dépressif avait été associé avec notamment le catastrophisme et un temps de guérison important attendu pour définir un groupe intitulé « détresse émotionnelle », qui avait un Odd Ratio(OR) de 5,88 IC95%[2,8-12,35] p<0,01 d’incapacité à retourner au travail sans limitation fonctionnelle après 3 mois d’évolution. De la même manière, un groupe identifié par « dépression et comportement inadapté » comprenant dépression, somatisation, attitude résignée face au travail, comportement d’évitement, rumination, sentiment d’impuissance, catastrophisme et préjugés négatifs sur le retour au travail, présentait les facteurs initiaux prédictifs de persistance de la lombalgie à 6 mois (OR=5,1 IC95%[1,04-25,1] p<0,05)(10). En se basant sur le statut au travail comme critère de jugement, on pouvait ainsi rapprocher le résultat de Reme(15) à celui de Melloh(11) qui soulignait le rôle de la dépression comme un facteur prédictif d’absence au travail à 3 semaines(OR=1,07, 95%IC [1,03-1,10]), à 6 semaines (OR=1,09 IC95%[1,04-1,14]), à 12 semaines(OR=1,10 IC95%[1,03-1,17]) et à 6 mois(OR=1,10 IC95%1,04-1,17]).
Comparaison avec la littérature existante
Lors de la recherche bibliographique, aucune revue de la littérature similaire n’avait été retrouvée. Cependant, un article australien de Pinheiro(20) est paru dans The Spine Journal en janvier 2016. Il s’agit d’une revue de littérature sur les symptômes de dépression comme facteur pronostique de lombalgie. Cet article intègre tous les critères PRISMA avec une base de recherche importante: AMED, CINAHL, EMBASE, Health & Society Database, LILACS, MEDLINE, PsycINFO, Scopus, and Web of Science. Il inclut les lombalgies évoluant depuis moins de 12 semaines. Cette revue de littérature n’intègre pas l’évaluation de l’humeur dépressive dans la semaine qui suit l’inclusion des patients, laissant ainsi encore plus de place aux dépressions induites par la lombalgie. Cette revue de littérature regroupe les articles avant l’année 2000, incluant des articles concernant soins primaires et secondaires et sans poser de limite d’âge de la population. Dix-sept articles ont ainsi été analysés permettant aux auteurs de conclure que toutes ces études ont montré un effet néfaste de la dépression sur la lombalgie, parfois sans réelle valeur significative. Ils se retrouvent confrontés au même problème d’hétérogénéité des méthodes de recueil et les critères de jugements, ne permettant pas non plus de tirer une réponse tranchée sur les effets de la dépression sur l’évolution de la lombalgie. Ils suggèrent simplement que la dépression initiale pourrait avoir un impact négatif sur l’évolution de la lombalgie.
Influence sur la pratique: Ces données nous incitent à suggérer qu’un dépistage précoce de l’humeur dépressive pourrait permettre d’orienter le traitement de la lombalgie commune, et cela même lors de la phase aiguë(10–13,16). L’étude de Heneweer(21) se positionne plutôt pour un dépistage dans la phase subaiguë entre 6 et 8 semaines d’évolution. Il met l’accent sur l’importance de la prise en charge adaptée à cette étape, période à laquelle l’impact de la plainte lombalgique conditionne grandement son évolution vers la chronicisation. Il serait ainsi intéressant de proposer une prise en charge biopsychosociale adaptée à chaque individu, si nécessaire dès la première consultation en fonction de son histoire de vie afin de l’accompagner au mieux dans l’évolution de sa douleur. La dépression n’est pas le seul facteur psychosocial pronostique. Au cours de 2 études(10,15), elle a été associée à d’autres facteurs psychosociaux afin de créer un sous-groupe, décrit comme en détresse émotionnelle, présentant un allongement significatif de la durée de la lombalgie. Ces études nous montrent le rôle intriqué des facteurs psychosociaux dans l’évolution de la lombalgie, et ainsi l’intérêt de considérer la personne dans sa globalité.
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Table des matières
TABLE DES MATIÈRES
LISTE DES ABRÉVIATIONS
RÉSUMÉ
INTRODUCTION
MATÉRIEL ET MÉTHODES
Identification et sélection des études
Analyse de la littérature et recueil des données
RÉSULTATS
Selection et schéma des études
Analyse de la littérature et extraction des données
DISCUSSION ET CONCLUSION
Principaux résultats
Forces et faiblesses
Comparaison avec la littérature existante
Influence sur la pratique
Perspectives de recherche
Conclusion
BIBLIOGRAPHIE
LISTE DES FIGURES
TABLE DES MATIÈRES
ANNEXES
Annexe 01: Résumés des articles
Annexe 02: Modified Zung Depression Scale
Annexe 03: Center for Epidemiologic Studies Depression Scale
Annexe 04: Short Form 36 Health Survey
Annexe 05: Acute Low Back Pain Screening Questionnaire
Annexe 06: Hospital Anxiety and Depression Scale
Annexe 07: Beck Depression Inventory
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