Certains matériaux, tels les structures photoniques, permettent la manipulation de la lumière. Beaucoup d’attentions sont portées vers ces matériaux depuis une vingtaine d’année tant pour les apports fondamentaux étonnants que procurent leurs études que pour les enjeux pratiques qui peuvent en découler. Ces structures nouvelles, fabriquées par l’homme mais souvent inspirées par la nature [1, 2], permettent de jouer avec la lumière dans l’intention de l’utiliser dans des circuits optiques par exemple, mettant à profit la vitesse inégalable qu’elle peut atteindre pour transporter de l’information. Les opérations les plus souvent étudiées et utilisées concernent tant le contrôle de la direction de la lumière (guidage quasi parfait par fibre photonique [3], réflexion d’une bande de longueurs d’onde plus ou moins large,…) que celui de sa polarisation (polarisation d’une onde non polarisée ou changement de polarisation d’une onde polarisée) ou de son intensité (atténuation ou renforcement). Il peut de plus être recherché de créer des structures actives ou passives, c’est-à-dire contrôlables par stimuli – souvent un champ électrique – ou non. Ces deux types de système trouvent des applications distinctes : le système passif pourra être utilisé comme polariseur dans un circuit optique tandis que la structure active sera employée comme interrupteur. Il estmanifeste que l’obtention d’un matériau actif est plus délicat car nécessitant la prise en compte de l’effet dynamique du dispositif et toutes les difficultés qui s’ensuivent.
L’état cristal liquide. L’état CL est un état de la matière partiellement organisé pour lequel les molécules constitutives présentent un ordre orientationnel et un désordre positionnel. Les CL thermotropes auxquels nous nous intéressons sont constitués de molécules de forme allongée (molécules-bâtons) qui possèdent de plus une structure moléculaire particulière : leur partie centrale est rigide (souvent constituée de cycles aromatiques) tandis que leurs extrémités sont flexibles (généralement de par la présence de chaînes hydrocarbonées). Cette alliance subtile entre éléments flexibles et rigides permet à ces molécules de s’organiser en phase CL, ou phase mésomorphe. Pour de telles molécules, un état intermédiaire existe donc entre les états cristallin et isotrope lors de variations en température.
La réflexion sélective de la lumière dans les CLC
Rappels : Propriété de réflexion sélective de la lumière dans les CLC
Ainsi que présenté en introduction, l’ordre hélicoïdal d’une phase cholestérique peut être décrit par deux paramètres : le pas et le sens d’hélicité. La texture cholestérique est dite planaire lorsque l’axe hélicoïdal est normal au plan d’observation – l’ancrage des molécules est alors tel que cellesci sont disposées parallèlement aux substrats.
Cette configuration est à l’origine d’interactions avec la lumière incidente se présentant sous différents aspects suivant la valeur du pas cholestérique p par rapport à celle de la longueur d’onde incidente, λinc [13]. Lorsque p et λinc sont du même ordre de grandeur, un phénomène comparable à la réflexion de Bragg dans les phases cristallines prend place [17] : pour des longueurs d’onde centrées sur λinc = λBragg et sur une largeur de bande ∆λ, une réflexion sélective de la lumière existe. Ces valeurs sont reliées au pas hélicoïdal et aux indices de réfraction du milieu par les formules suivantes :
λBragg = np cos θ, (1.1)
où n est l’indice de réfraction moyen, soit n = (nk+n⊥)/2, nk et n⊥ étant les indices de réfraction locaux mesurés respectivement parallèlement et perpendiculairement au grand axe des molécules, et θ est l’angle entre le rayon incident et la normale aux substrats ;
∆λ = ∆np cos θ, (1.2)
Dans la bande de Bragg, les interactions complexes entre la lumière incidente et le milieu ont de plus pour conséquence d’opérer une sélection en polarisation : pour une onde électromagnétique incidente non polarisée, 50% de la lumière, polarisée circulairement du même sens de rotation que le matériau, sont réfléchis alors que les 50% restant sont transmis.
Il est intéressant de noter que lorsque la lumière incidente est polarisée circulairement de même sens de rotation que l’hélice cholestérique, la polarisation de la lumière réfléchie est identique à celle de la lumière incidente. Ceci est un cas unique, ainsi que l’on peut s’en convaincre en se rappelant que le miroir change le sens de rotation d’une onde électromagnétique incidente polarisée circulairement. Les valeurs de la biréfringence des matériaux cholestériques étant inférieures à 0,3, la largeur de la bande de réflexion dans le visible est généralement comprises entre 50 et 80nm, ce qui peut être intéressant pour des filtres ou de polariseurs circulaires ciblés en longueurs d’onde ou encore pour des applications en thermographie. Pour d’autres applications, il est préférable de pouvoir utiliser les propriétés d’interaction des CLC avec la lumière sur de plus grands intervalles.
Les CLC à large bande de réflexion : motivation du domaine
Du point de vue industriel, un matériau présentant des propriétés de réflexion sur un panel étendu de longueurs d’onde possède des avantages certains. Des polariseurs à large bande sont par exemple en demande actuellement dans le domaine des afficheurs, dans l’objectif de diminuer les coûts en énergie [18, 19, 20]. Les polariseurs linéaires classiques absorbent en effet 50% de la lumière, ce qui réduit l’efficacité lumineuse des écrans LCD (Liquid Crystal Display). La possibilité d’utiliser un film cholestérique à large bande de réflexion (pouvant ainsi polariser l’ensemble des longueurs d’onde émise par une source polychromatique classique émettant sur l’intervalle 400-650nm), associé à une lame quart d’onde (un film nématique par exemple) afin de convertir la polarisation circulaire de la lumière en polarisation linéaire, permet d’améliorer grandement ce rendement et de réduire ainsi les coûts énergétiques d’utilisation. Il est en effet possible de recycler la lumière initialement réfléchie par le film cholestérique en la redirigeant de nouveau dans sa direction, ce qui permet en théorie de transmettre 100% de la lumière incidente non polarisée. En pratique, un gain de 40% est obtenu en comparaison de l’utilisation d’un polariseur absorbant classique [19].
Sont également en demande sur le marché des réflecteurs noir et blanc bistables, pour des films CLC actifs à anisotropie diélectrique positive [21]. L’état « blanc » est assuré par l’état réflecteur d’un CLC dont la bande de réflexion couvre le spectre visible entier et l’état « noir » est obtenu à l’aide d’un film absorbant sous la cellule lorsque le matériau est dans un état transparent ou faiblement diffusif . Dans le second cas, le passage d’un état à un autre est assuré par de courtes excitations sous champ électrique, ce qui permet d’ajuster la teinte de chaque pixel. Lorsque l’état transparent est nécessaire afin d’obtenir l’état « noir » (par exemple lorsque l’état diffusif du matériau est trop diffusif, induisant une teinte de réflexion grise non souhaitée en terme de contraste), un champ électrique de quelques dizaines de volts est appliqué de façon continue aux pixels souhaités. Il est ainsi possible d’obtenir un support assimilable aux pages d’un journal, effaçables et utilisables de nouveau.
Ces propriétés élargies de réflexion soulèvent également des questionnements fondamentaux. Ces travaux reposent en effet sur des interactions complexes entre la lumière et la matière dans l’objectif de créer de nouvelles propriétés non atteignables à l’état naturel c’est-à-dire sans un travail d’ingénierie du matériau. De constants allers-retours entre manipulations et analyses des résultats sont nécessaires afin de détecter quels paramètres physiques sont pertinents dans l’élargissement des propriétés de réflexion du matériau et pourquoi. Les études par spectrophotométrie permettent d’appréhender les gradients de structure du et leur agencement dans l’espace tandis que les études par microscopie électronique sont à même de fournir une visualisation de la structuration du matériau après des étapes de solidification du gel. Lorsque les élargissements de la bande de réflexion des CLC sont associés à des distributions de pas dans l’épaisseur de l’échantillon, des sections transverses de matériau visualisées par Microscopie Electronique en Transmission (MET) ou à Balayage (MEB) permettent de corroborer les déductions obtenues après l’analyse des données spectrales ou de les éclairer sous un jour différent.
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Table des matières
Introduction générale
I Cholestériques à large bande de réflexion
1 La réflexion sélective de la lumière dans les CLC
1.1 Rappels : Propriété de réflexion sélective de la lumière dans les CLC
1.2 Les CLC à large bande de réflexion : motivation du domaine
1.3 Etat de l’art : solutions présentées dans la littérature
2 gels de cholestériques à gradient de structure et de propriétés optiques consécutivement à l’écrantage de la lumière UV par le constituant CL
2.1 Les gels de CL : généralités
2.2 Les gels de CL à gradient de structure consécutivement à l’absorption de la lumière UV
2.2.1 Gels nématiques
2.2.2 Matériaux cholestériques
2.3 Résultats
2.3.1 Contexte expérimental
2.3.2 Gélification asymétrique
2.3.2.1 Influence de paramètres intrinsèques
2.3.2.2 Influence de paramètres extrinsèques
2.3.3 Gélification symétrique
2.3.4 Filtrage de la lumière UV provoqué par le constituant CL
2.3.5 Etude structurale par Microscopie Electronique en Transmission
2.4 Discussion
II Gels de cholestériques à inversion d’hélicité : étude de la mise en mémoire du sens d’hélicité
3 Dépassement de la limite de réflectivité des CLC dans des systèmes mono- et multicouches
3.1 Rappels et état de l’art
3.2 Les gels de CLC monocouches super-réflecteurs : le cadre de recherche au CEMES de ce présent travail
4 Les gels de CLC à inversion d’hélicité : impact des conditions d’élaboration sur les caractéristiques de la bande de réflexion
4.1 Rôle de la nature et de la composition du mélange
4.2 Pilotage des effets mémoire
4.2.1 Rôle de l’état de confinement du CL
4.2.2 Rôle de l’épaisseur de cellule
4.2.3 Rôle des conditions de photogélification
4.2.4 Rôle de la vitesse de descente en température
4.2.5 Rôle du temps de recuit
4.2.6 Rôle du gradient de température dans l’épaisseur de la cellule
4.2.7 Rôle d’une contrainte électrique sur le profil de la bande de réflexion
4.2.8 Rôle de l’histoire structurale de la photogélification
4.3 Recherche d’un mode opératoire favorisant le dépassement de la limite de réflectivité
4.3.1 Changement de photoinitiateur
4.3.2 Changement de monomère réactif
4.3.3 Ajout d’un absorbeur UV
4.4 Conclusion
Conclusion