Etude du secteur IIB dans les curages ganglionnaires cervicaux des carcinomes épidermoïdes de la cavité orale classés cT1T2N0M0
Les curages ganglionnaires cervicaux sélectifs des carcinomes épidermoïdes de la cavité orale au stade précoce, faisant référence à des cN0 cT1-T2, peuvent être responsable du syndrome de l’épaule. Cela peut s’expliquer anatomiquement par la dissection du nerf spinal XI qui sépare l’aire IIA du IIB. L’objectif de cette étude était d’évaluer la positivité de l’aire IIB dans une population homogène de carcinomes épidermoïdes de la langue et du plancher buccal cT1-T2 cN0 afin de discuter de l’intérêt de sa dissection.
Une étude rétrospective monocentrique a été menée aux Cliniques Universitaires Saint-Luc, Bruxelles, Belgique, de 1995 à 2019. Les critères d’inclusion étaient les patients atteints de carcinomes épidermoïdes de la langue et du plancher buccal classés cT1-T2 cN0 ayant eu une résection tumorale ainsi qu’un curage ganglionnaire sélectif et segmenté en per-opératoire. La positivité de l’aire IIB a été évaluée, ainsi que la répartition des ganglions lymphatiques sur le reste des aires. Enfin, les facteurs de risque de positivité des ganglions lymphatiques ont été analysés.
Les cancers de la cavité orale sont responsables de 377 713 nouveaux diagnostics et de 177757 décès en 2020. Environ 90% sont des carcinomes épidermoïdes (CE) [1-2]. La cavité orale comprend les muqueuses labiales et buccales, le plancher buccal, la crête alvéolaire, la muqueuse attachée, les deux tiers antérieurs de la langue (en avant des papilles caliciformes), le palais dur et le trigone rétro molaire.
Rationnel
Il existe une certaine divergence concernant la gestion des ganglions lymphatiques (GL) cervicaux dans les stades précoces des carcinomes épidermoïdes oraux (CEO), qui correspondent aux cT1-T2 cN0 [3]. Le raisonnement algorithmique a montré que si le taux de métastases occultes dans le cou est inférieur à 20 %, un suivi pourrait être proposé [4]. Comme le risque de métastases occultes dans les stades précoces d’un CEO après un bilan préopératoire complet (examen clinique et imagerie par CT-Scan, et/ou PET-CT, et/ou IRM) est d’environ 30% [5], un traitement électif du cou est donc requis (radiothérapie ou chirurgie). Cela signifie que si le cou n’est pas traité, 30 % des patients seront susceptibles de développer des métastases dans le futur, altérant leur pronostic. D’autre part, cela signifie également que 70 % des patients seront surtraités, incluant des effets secondaires difficilement acceptables aujourd’hui [6]. En outre, certains soulignent le coût de ces traitements, ainsi que la modification des voies de propagation du cancer en cas de récidive ou de localisation secondaire.
Pour les stades précoces des CEO, le curage ganglionnaire cervical supra omohyoïdien, comprenant les aires I à III est la référence [8]. L’examen histopathologique de ces curages détecte les métastases régionales avec une sensibilité allant jusqu’à 95% et une spécificité de 100% [9]. Cette chirurgie n’est pas exempte de complications. La plus spécifique correspond au « syndrome de l’épaule » et semble être liée à la dissection de l’aire IIB, avec de forts impacts sur la qualité de vie post opératoire. L’aire IIB borde l’aponévrose du splenius capitus et du levator scapulae, se situe au-dessus du nerf XI, est limité postéro-latéralement par le muscle sternocléidomastoïdien (SCM), et au-dessous de la base du crâne. Pour accéder à cette zone, le nerf XI est soigneusement individualisé, et un écarteur est placé près du nerf afin de le protéger pendant la dissection. Cela peut entraîner un mouvement de traction qui, associée à une dissection rapprochée autour du nerf (avec une éventuelle dévascularisation) et autour des muscles impliqués dans la mobilité de l’épaule (principalement le SCM), pourrait être responsable du syndrome de l’épaule [10].
Chez les patients présentant un CEO au stade précoce, l’incidence des métastases ganglionnaires au niveau IIB semble être faible dans la littérature [11], alors que sa dissection est reliée au syndrome de l’épaule. Dans cette population, la dissection ultra-sélective du cou, en épargnant le niveau IIB, pourrait être un compromis entre résultat fonctionnel, survie globale (OS) et survie sans récidive (RFS).
Population
Pour avoir une homogénéité de cohorte, seuls les patients diagnostiqués avec un CE cT1-T2 cN0 de la langue ou du plancher buccal, avec un curage ganglionnaire cervical segmenté ont été inclus. Le diagnostic initial de CE était confirmé par biopsie. Les stades précoces de ces cancers ont été définis selon le 7e manuel de classification des cancers de la cavité orale selon l’AJCC (American Joint Committee on Cancer) pour les patients inclus avant 2017 et le 8e manuel pour ceux inclus à partir de 2018.
Un cou était considéré comme cliniquement négatif (cN0) lorsqu’aucune adénopathie n’était retrouvée à l’examen clinique ou radiologique. L’évaluation radiologique comprenait une tomographie (CT-scan) et/ou une imagerie par résonance magnétique (IRM) et/ou une tomographie par émission de positrons (PET-CT). Un ganglion cervical était considéré comme pathologique (adénopathie) lorsque la mesure du plus petit diamètre dans le plan axial était ≥10 mm (≥11 mm dans l’aire II), ou lorsque le rapport entre l’axe le plus long et l’axe le plus petit était <2 (c’est-à-dire plus rond), ou lorsqu’un groupe de trois ganglions de taille limite ou plus était trouvé(chacun des ganglions ≥8 mm de diamètre dans l’axe le plus petit pour tous les niveaux saufs le niveau II>9 mm). Un aspect nécrotique/kystique (faible densité au scanner, intensité élevée du signal T2 à l’IRM, zone hypodense avec ou sans rehaussement des bords), une extension extra-nodale avérée, y compris des bords nodaux indistincts, un rehaussement capsulaire irrégulier et une infiltration graisseuse ou musculaire adjacente ont également été considérés comme des adénopathies, même en cas de diamètre minimal <10 mm.
Étaient exclus les patients présentant un antécédent de tumeur de la tête et du cou, de tumeurs récidivantes ou synchrones, chez qui le curage ganglionnaire cervical n’avait pas été segmenté ou si les informations du curage n’étaient pas suffisantes.
Chirurgie et examen anatomopathologique
Après le bilan initial comprenant un examen clinique, des bilans paracliniques, une endoscopie des voies aérodigestives supérieures sous anesthésie générale et une biopsie, le choix du traitement était discuté lors d’une réunion de concertation pluridisciplinaire. En cas de décision chirurgicale, tous les patients ont été opérés localement avec résection tumorale, en association avec un curage ganglionnaire cervical (comprenant les aires I à III ou I à IV). En cas de tumeurs proches ou traversant la ligne médiane, le curage ganglionnaire cervical était bilatéral. Toutes les aires étaient divisées au moment de la chirurgie et envoyées séparément à l’anatomopathologiste. L’examen anatomopathologique permettait de définir le degré de différenciation, la taille et la profondeur de l’invasion tumorale (en millimètres), ainsi que les marges de résections (R0, R1), l’invasion péri-nerveuse et lympho-vasculaire. Le nombre de ganglions était analysé pour chacune des aires (Ia, Ib, IIa, IIb, III et IV) et l’examen des coupes histologiques était réalisé de manière standard par coloration à l’hématoxyline et l’éosine.
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Table des matières
1. INTRODUCTION
1.1. Contexte
1.2. Rationnel
1.3. Objectif et résultats de l’étude
2. MATÉRIEL ET MÉTHODES
2.1. Conception de l’étude
2.2. Population
2.3. Chirurgie et examen anatomopathologique
2.4. Analyse statistique
3. RÉSULTATS
3.1. Organigramme
3.2. Critère de jugement principal
3.3. Critères de jugement secondaires
4. DISCUSSION
4.1. Arguments pour la dissection de l’aire IIB
4.1.1. Examen anatomopathologique
4.1.2 Le syndrome de l’épaule
4.2. Arguments en faveur d’une épargne de l’aire IIB
4.2.1 Technique du ganglion sentinelle
4.1.2 Protocole « wait and scan »
4.1.3 Faible positivité du niveau IIB
4.1.4 Schéma des drainages lymphatiques dans les CE0
5. REFERENCES
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