Chimie des terres rares
D’un point de vue chimique, les ions de terres rares ont tous des propriétés très similaires. La plupart d’entre eux existent au degré d’oxydation +III dans des minerais naturels. Dans ce manuscrit, nous ne parlerons que des terres rares trivalentes (+III). Une caractéristique importante de ces espèces est que leur orbitale éléctronique 4f est partiellement remplie, leur donnant une configuration du type [Xe]4fn , avec n allant de 0 à 14. Les couches 5s et 5p qui sont remplies, écrantent les électrons de la couche 4f, dont le rayon est plus petit que les couches 5s et 5p [94]. C’est pour cela que les terres rares trivalentes sont très peu sensibles à leur environnement, et les électrons f sont relativement inertes. Les ions lanthanides trivalents sont des acides durs dans la classification HSAB de Pearson [95], formant facilement des liaisons par des interactions électrostatiques avec des ligands durs tels que l’eau. Ils s’incorporent également très facilement dans des cristaux d’oxydes de bien de fluorures. Leur rayon ionique dans les cristaux d’oxydes (matériaux utilisés dans ce travail) varie en diminuant en partant du lanthane (1.160 Å) jusqu’au lutécium (0.977 Å) [96].
Niveaux d’énergies 4f, Hamiltoniens
Ce paragraphe n’est qu’une introduction. Pour plus de détails, se réferer aux ouvrages de réference : [97, 98, 99, 100, 45, 101].
La description des niveaux d’énergies 4f des ions de terres rares est possible au moyen d’un Hamiltonien que l’on peut détailler en perturbations successives :
Htot =HIL + HCC + HSpin
HIL >> HCC >> HSpin
HIL représente l’Hamiltonien de l’ion libre, HCC l’Hamiltonien de champ cristallin et HSpin l’Hamiltonien de spin. La figure I.1 montre ce raffinement successif des niveaux d’énergies.
L’Hamiltonien de l’ion libre
Le premier terme de l’hamiltonien décrit dans l’équation (I.1), HIL, correspond à l’Hamiltonien de l’ion libre. Il décrit les interactions de type Coulombiennes entre les électrons eux-mêmes ou avec le noyau ainsi que les interactions spin-orbites dues aux couplages magnétiques dipôles-dipôles entre le moment angulaire orbital L et le moment magnétique des spins des électrons S. L’interaction Coulombienne lève la dégénérescence des niveaux électroniques en terme de S et L, mais est indépendante du moment angulaire total J = L + S. Le couplage spin-orbite, lui est dépendant de J, ce qui va introduire des mélanges des niveaux dans la base |L, SÍ. Dans un langage de physique quantique, l’opérateur du couplage spin-orbite ne commute pas avec L2 et S2 , mais il commute avec J2 et Jz. Ces deux termes ensemble lèvent donc la dégénérescence en terme de L, S, J, mais la dégénérescence en mJ n’est pas levée. Les différents niveaux issus de cet Hamiltonien sont dégénérés (2J+1)-fois. Ils sont notés 2S+1LJ , appelée notation de Russell-Sanders.
Interaction de champ cristallin
Lorsqu’un ion de terre rare est placé dans un environnement cristallin, le champ électrique créé par les atomes autour de celui-ci va briser la symétrie sphérique de sa structure électronique. Cela va entrainer une levée de dégénérescence partielle ou totale des niveaux 2S+1LJ en fonction de la géométrie du site comme le montre la figure I.1. Ces nouveaux niveaux seront appelés niveaux de champ cristallin, ou bien niveaux Stark à cause de l’effet électrique des ions environnants. Cette interaction peut être décrite par un Hamiltonien de champ cristallin HCC. Dans le cas de Y2SiO5, la matrice qui sera utilisée dans cette étude et dont la description est faite dans le paragraphe II.4.1, la symétrie des sites occupés par les ions de terres rare est basse (symétrie C1 voir II.4.1) et la dégénérescence des niveaux de champ cristallin va être complètement levée. Les niveaux 2S+1LJ vont donner naissance à 2J+1 niveaux de champ cristallin si J est entier (ions non Kramers) et (2J+1)/2 si J est demi-entier (ions Kramers) indiquant que la levée de dégénérescence maximum conduit à des doublets dit de Kramers. Ces interactions de champ cristallin peuvent être être traitées en terme de perturbation par rapport aux interactions de l’ion libre (HCC << HIL). De ce fait HCC fait varier la structure au sein des multiplets 2S+1LJ , mais ces multiplets vont globalement grader les énergies dictées par HIL. Comme les multiplets 2S+1LJ vont garder des énergies similaires dans tous les matériaux, il possible de dresser un diagramme d’énergie « typique » commun à tous les cristaux dopés terres rares que l’on appelle le diagramme de Dieke [102], présenté figure I.2. Ceci est complètement différent des métaux de transitions, dont les électrons ne sont pas écrantés par une autre couche électronique. Les énergies de leurs niveaux électroniques vont changer radicalement en fonction du champ cristallin.
Hamiltonien de spin
Pour plus de détails sur les notions présentées dans ce paragraphe, se référer à [107, 108, 109] .
Si l’on augmente encore d’un degré de précision des niveaux, les niveaux champs cristallins sont, eux aussi, subdivisés en plusieurs niveaux du fait des interactions relatives aux spins électroniques ou nucléaires. Ces interactions sont décrites par un Hamiltonien de spin HSpin. Dans ce chapitre, ainsi que dans le reste de ce manuscrit, l’étude sera focalisée sur les terres rares paramagnétiques qui ont un nombre impair d’électrons 4f, et donc un spin électronique.
L’Hamiltonien de spin des ions de terres rares se présente de la forme :
HSpin = HZ,e + HH + HZ,n + HQ (I.2)
Les contributions représentent, dans l’ordre, l’Hamiltonien Zeeman électronique, l’Hamiltonien Hyperfin, l’Hamiltonien Zeeman nucléaire et enfin l’Hamiltonien quadrupolaire.
Ce type d’Hamiltonien suffit généralement à décrire la position des niveaux de spin pour un doublet de Kramers, cependant il est encore possible d’augmenter la précision en ajoutant des effets interactions superhyperfins [110, 111]. Cette interaction prend en compte d’éventuels couplages avec des spins nucléaires présents dans l’environnement chimique de la terre rare. Ces effets ne seront pas étudiés dans ce travail.
Les différents termes présents dans l’équation (I.2), HZ,e, HH, HZ,n et HQ sont composés de paramètres qui sont propres au système étudié. Ces paramètres peuvent être des constantes ou bien des tenseurs en fonction de l’anisotropie du système. Ils peuvent être calculés ab initio si l’ensemble des paramètres de champ cristallin et d’ion libre sont connus pour le système. En général, ces paramètres sont déterminés à partir de données expérimentales par des techniques d’ajustement.
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Table des matières
Introduction générale
I Les terres rares
I.1 Introduction
I.2 Chimie des terres rares
I.3 Niveaux d’énergies 4f, Hamiltoniens
I.4 Hamiltonien de spin
I.4.1 Interaction Zeeman, facteur g
I.4.2 Interaction hyperfine
I.4.3 Autres termes
I.5 Largeurs des raies
I.5.1 Largeur homogène et temps de cohérence
I.5.2 Élargissement homogène
I.5.3 Largeur inhomogène
I.6 Interactions spin-phonons
I.6.1 Absorption et émission d’un phonon : le processus direct
I.6.2 Processus à deux phonons résonants : le processus Orbach
I.6.3 Processus à deux phonons non-résonants : le processus Raman
I.6.4 Modélisation des processus spin-phonons pour les ions Kramers
I.7 Interactions spin-spin
I.8 Transitions d’horloges : ZEFOZ
II Dispositifs expérimentaux et matériaux
II.1 Spectroscopie optique haute résolution
II.1.1 Caractéristiques du laser
II.1.2 Cryogénie
II.1.3 Génération et contrôle des impulsions optiques
II.1.4 Contrôle de la fréquence et des scans du lasers
II.1.5 Détection
II.1.6 Creusement de trous spectraux
II.1.7 Echos de photons
II.2 Spectroscopie RPE
II.2.1 Introduction
II.2.2 RPE continue
II.2.3 RPE pulsée
II.3 Résonance magnétique détectée optiquement
II.4 Matériau
II.4.1 Y2SiO5
II.4.2 L’ion Yb3+
III Propriétés spectroscopiques optiques et magnétiques de Yb3+ dans Y2SiO5
III.1 Introduction
III.2 Conditions expérimentales
III.2.1 Échantillons utilisés
III.2.2 Spectroscopie optique
III.2.3 Spectroscopie RPE
III.3 Spectroscopie optique
III.3.1 Absorption, émission, temps de vie
III.3.2 Spectroscopie haute résolution
III.3.3 Comparaison aux autres terres rares
III.4 Spectroscopie magnétique
III.4.1 Spectre RPE
III.4.2 Détermination des tenseurs g
III.4.3 Isotopes à spin I>0
III.5 Détermination optique des tenseurs g de l’état excité optique 2F5/2
III.6 Raffinement des tenseurs hyperfins A de 171Yb3+
III.7 À la recherche de transitions d’horloges
III.7.1 Structure hyperfine de 171Yb3+ et 173Yb3+
III.7.2 Algorithme de recherche
III.7.3 Résultats pour 171Yb3+
III.8 Conclusions
III.9 Points-clefs
IV Étude de la dynamique des spins électroniques de Yb3+ dans Y2SiO5
IV.1 Introduction
IV.2 Partie expérimentale
IV.3 Étude préliminaire
IV.4 Relaxations spin-réseau
IV.5 Temps de cohérence électronique et diffusion spectrale
IV.6 Étude de la diffusion spectrale instantanée
IV.7 Découplage dynamique
IV.8 Temps de cohérence nucléaire, ENDOR
IV.9 Conclusions
IV.10 Points-clefs
Conclusion générale
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