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La Schola avant la Schola
Tout au long de sa vie, Marguerite le Meignen revendique 1913 comme date de naissance de la Schola57. Or, les statuts de la « Schola Cantorum de Nantes » sont déposés en préfecture le 23 février 192058. Comment expliquer cette discordance ? Une période d’ambiguïté est entretenue par Marguerite Le Meignen entre 1913 et 1920. En réalité, il faut distinguer la Schola, société chorale effectivement formée par Marguerite Le Meignen en 1913 de la Schola Cantorum de Nantes, « association musicale » ayant pour but d’organiser des concerts et autres manifestations artistiques, » préambule inscrit dans les statuts de 1920. Un texte daté du 31 décembre 1918, « la musique à Nantes après la guerre », confirme cette distinction. Sans doute dû à la directrice de la Schola, il prône la « formation de la Schola en société (sous ce titre ou sous un autre différent)59. » Très habilement, la Schola, société chorale, garde son nom mais associe à ses chœurs un orchestre, celui réuni par Henri Morin. Pour comprendre comment la Schola est devenue une très puissante société de concerts, il faut examiner l’existence parallèle de l’orchestre que dirige Henri Morin et de la société chorale fondée par Marguerite le Meignen.
Divers textes publiés dans des programmes de salle retracent les débuts de la société chorale et délivrent des informations contradictoires : ceux des 15 avril 1916, 11 et 12 février 1922, 25 avril 192960. Le premier, rédigé par Augustin Mahot, membre de la Schola, justifie la création du groupement choral. Selon lui, le seul groupement choral mixte existant à Nantes et « fonctionnant régulièrement », l’A Capella, se contente d’auditions sans orchestre. Vincent d’Indy, venu diriger un concert à Nantes en 1912, aurait encouragé la création d’une Schola locale61. Le second est rédigé par Louis Rouche, lui aussi scholiste, dans le programme de salle du festival Albert Roussel auquel participe la Schola, le 25 avril 1929 à Paris. La Schola nantaise serait née de l’initiative de Marguerite le Meignen qui réunit dans son salon quelques chanteurs amateurs. Sans doute est-ce ce chœur qui participe à l’audition de l’Orfeo de Monteverdi en 191362. Les 11 et 12 février 1922, la Schola chante à Paris avec les concerts Pasdeloup : le programme de salle retrace encore une fois les origines de la Schola. La vérité est quelque peu travestie : « fondée en 1913 par madame Le Meignen, la Schola Cantorum de Nantes est une société de concerts comprenant, outre l’orchestre complet, une chorale de 175 chanteurs63. » Pourtant, c’est seulement après le départ du chef d’orchestre Henri Morin que cette affirmation devient réelle. Un autre document affirme le lien étroit de la Schola de Nantes avec Vincent d’Indy. Après le succès de la Passion selon Saint-Jean dirigée par Vincent d’Indy en 1914, « le maître devient son parrain et lui donne le nom de Schola de Nantes64. »
La Schola Cantorum avait pour habitude de créer des « filiales » partout en France et à l’étranger. L’ouvrage écrit par d’Indy et ses élèves répertorie les villes françaises et les pays étrangers dans lesquels les disciples de Charles Bordes professeurs ou anciens élèves, de leur propre initiative se font propagandistes » des principes scholistes. Des conférences et des auditions auxquelles d’Indy prend part ont lieu en « employant de préférence dans chaque ville les éléments locaux65. » A Nantes, Augustin Mahot fonde et dirige, en 1902 Les Chanteurs de Notre-Dame. Le répertoire réunit musique religieuse et musique profane. A Saint-Nicolas, un autre groupe se forme, l’A Capella que dirige Auguste Le Guennant. Par ailleurs, Francisco de Lacerda qui fut professeur d’ensemble vocal et suppléant de la classe d’orchestre à la Schola de 1903 à 1908, jette les bases, en 1905, à Nantes, des Concerts Historiques qui durent jusqu’en 1910.
Schola et orchestre pendant la première guerre mondiale
Malgré le conflit imminent, Marguerite Le Meignen veut à tout prix conserver les acquis de l’Orfeo de 1913 et de la Passion selon saint Jean de 1914. Dès le mois de juillet 1914, elle commence les répétitions de la Messe en si de Bach. Elle reprend aussi le travail de la Passion selon saint Jean. La déclaration de guerre met fin à ces initiatives. Pourtant, les chœurs de la Schola et l’orchestre d’Henri Morin ne restent pas inactifs pendant le conflit. Parmi les programmes des dix-huit concerts répertoriés durant la Première Guerre, dix sont des concerts de bienfaisance. Cinq sont donnés au cours de cérémonies religieuses. La note patriotique est souvent présente. Les hymnes des pays alliés sont entendus. Le concert du 27 octobre 1916, « grande représentation de gala sous le haut patronage de S.A.R. Madame la princesse Henriette de Belgique » propose des « chants d’Alsace chantés en costumes125. »
Marguerite Le Meignen fait intervenir ses chœurs dans diverses cérémonies religieuses ou patriotiques, réussissant parfois à grouper un petit nombre d’instrumentistes indépendants. La direction, lors des cérémonies religieuses, est souvent confiée à Joseph Rousse, professeur de solfège au conservatoire et organiste. La majeure partie des œuvres entendues est pour chœurs a cappella.
Portrait de Marguerite Le Meignen
Marguerite Marie Anne Andrée Gouin est née à Nantes le 3 août 1878, « à neuf heures et demie du soir, » au domicile de ses parents, place Saint-Pierre188. Son père, Louis Théophile Gouin, âgé de 24 ans, est « propriétaire. » Sa mère, Augustine, Joséphine, Zita, Marie Douillard, est âgée de 23 ans. L’acte de naissance est signé par les deux grands-pères. L’aïeul paternel, Henri, Pierre, André Gouin, 56 ans, « courtier en marchandises » demeure rue Crébillon. L’aïeul maternel, Constant, Marie, Joseph Douillard, « négociant » âgé de 48 ans, habite place Saint-Pierre. La petite Marguerite voit donc le jour dans un milieu aisé résidant dans le centre très cossu de Nantes189. Marguerite a un frère et trois sœurs190. Signe d’aisance, deux domestiques sont au service de la famille191. L’été, parents et enfants, cousins et cousines, se retrouvent à La Garenne », villa de La Bernerie en Retz. Ce lieu de villégiature n’a pas le luxe de La Baule où les riches Nantais aiment passer leurs vacances192. Le 22 février 1897, Marguerite Gouin, encore mineure comme le précise l’acte de mariage, épouse Alexandre Charles Marie Joseph Lemeignen, « propriétaire » fils d’un avocat, né le 23 novembre 1875 à Nantes193. Charles a neuf frères et sœurs. Trois domestiques travaillent pour la famille194. La future mariée habite alors chez ses parents, rue du Calvaire, non loin du théâtre Graslin. De cette union naîtront, entre 1898 et 1912, quatre filles et trois garçons195. Mais une vie de mère de famille nombreuse ne lui suffit pas196.
Nous n’avons pu découvrir, actuellement, quelles furent les études musicales de Marguerite le Meignen197. Son nom ne figure pas sur les palmarès du conservatoire de Nantes. Sa très vive critique pour l’enseignement de cette maison laisse penser qu’elle a probablement travaillé avec des professeurs particuliers198. Elle a appris le violon puisque son nom est porté dans la liste des instrumentistes de l’orchestre que dirige Henri Morin199.
Communiquer et informer
Dès sa création, la Schola de Nantes accorde une place de choix à la communication. Elle ne possède pas, à la différence d’Angers, de périodique consacré à ses activités405. La communication se fait grâce aux affiches et aux journaux. L’information est réalisée par le biais des programmes de salle et des comptes rendus des concerts.
L’affichage
Quelques rares affiches sont conservées dans les archives de la Schola de Nantes. Outre un exemplaire nantais, s’y trouve le souvenir des concerts parisiens406. De nombreuses factures permettent également de connaître comment les concerts sont annoncés tant pour les concerts d’hiver que pour les concerts d’été. Une photo de la Schola en répétition le 5 mars 1934 montre la salle Debussy dont les murs sont ornés de onze grandes affiches de concerts antérieurs407. Si toutes ne sont pas bien lisibles, elles permettent de se rendre compte de la variété des formats et des graphies. Un seul exemplaire annonçant la saison 1918-1919 et le premier concert, existe dans les dossiers de la société408. Les affiches utilisent un fond coloré. Leur dimension varie : 40 cm sur 120 cm, pour les premières saisons, puis 80 cm sur 120 cm ou 60 cm sur 160 cm (format le plus utilisé), ou encore 60 cm sur 80 cm pour les plus petites publicités, réservées aux concerts populaires ou au radio-crochet409. Les grandes affiches sont tirées de 34 à 95 exemplaires, en fonction de la notoriété du chef d’orchestre ou de l’intérêt supposé du programme. Selon la directrice de la Schola, une œuvre comme La Passion selon saint Jean doit attirer un nombreux public, tout comme un concert essentiellement consacré à Wagner. Marguerite Le Meignen prévoit alors un nombre conséquent410. A partir de 1937 un nombre supérieur à 90 est le plus souvent de mise. La directrice de la Schola pense qu’il faut assurer aux concerts une grande publicité pour remplir Graslin. Ces affiches sont apposées au théâtre, sur les murs de la ville, indiquent les factures. La publicité pour le concert concerne aussi les commerces411, et les cafés412. Sur l’affiche, sont indiqués le nom de la salle et celui de la ville, la date, le nom de la société et la numérotation du concert dans la vie de la Schola, les œuvres jouées et le nom des interprètes associé à celui des sociétés auxquelles ils collaborent : « de l’ Opéra », « de l’Opéra-Comique », « des Concerts Lamoureux » par exemple, puis le nom des chœurs (« de la Schola Cantorum de Nantes »), le nombre d’exécutants, le nom du chef d’orchestre. Les concerts d’été adoptent une présentation un peu différente. Trois petits traits horizontaux simples, centrés, délimitent quatre espaces inégaux. Le premier est réservé au nom de la ville de Nantes. Dans le second, le plus développé, on trouve, successivement les dates, le lieu et l’horaire, le nombre de concerts, l’organisateur dont le nom est écrit en italique, la société de concert (la Schola Cantorum de Nantes.) Le troisième espace est consacré au prix des places, suivi de la liste des lieux de location. Enfin la dernière ligne fait connaître une date de remplacement en cas d’intempérie, le concert ayant lieu en plein-air413. Outre l’affichage, la Schola utilise, en 1919, six hommes-sandwiches414. » Au mois de juillet de 1936, un calicot est apposé cours de la République415. En plus des affiches, Marguerite Le Meignen achète à l’imprimeur les timbres fiscaux qui doivent y être collés. Leur montant est variable. Les dimensions des affiches pour les magasins et les cafés dont le coût du timbre fiscal atteint 2,88 francs ne sont pas indiquées sur les factures de la société416. Pendant l’Occupation, l’affichage se révèle compliqué417.
CONSTRUIRE DES PROGRAMMES
Le répertoire et sa réception
Le choix d’appeler « Schola Cantorum de Nantes » la nouvelle société de concerts créée par Marguerite Le Meignen en 1920 indique clairement la volonté de se situer dans la lignée de la Schola de Paris et d’en obtenir le soutien moral et artistique. Il est significatif que Marguerite Le Meignen ait abandonné tout titre faisant référence à une société symphonique nantaise comme l’avait fait précédemment Henri Morin471. Il convient de se demander si la Schola de Nantes est une réplique exacte de la Schola de Paris, si le répertoire nantais est comparable et s’il évolue au cours des vingt-sept années d’existence officielle de la Schola nantaise sous l’influence d’une femme présidente-directrice472.
Héros et héroïnes
L’examen des soirées de la Schola révèle un grand nombre d’oeuvres exaltant les valeurs auxquelles aspire la bourgeoisie. Les programmes de salle, les comptes rendus , nous livrent une vision particulière des personnages masculins ou féminins participant aux pages religieuses, aux poèmes symphoniques mais aussi aux symphonies descriptives retenues par la directrice de la Schola. Nombre d’oeuvres choisies mettent en scène des héros religieux ou laïques dont le catholiscisme social est la première vertu. Cette esthétique, sans être originale, est propre à séduire le public nantais. Les protagonistes wagnériens occupent une large place. La foi de Lohengrin, tout comme celle de Parsifal est soulignée à maintes reprises495. Le catholiscisme est glorifié dans nombre de chroniques de concert496. Dans Fervaal, « action musicale » de Vincent d’Indy, Fervaal, très proche de Parsifal, est un héros blessé recueilli par une princesse sarrazine qui s’éprend de lui. Mais Fervaal, lié par un serment de chasteté, ne peut répondre à son désir. Les poèmes symphoniques mis à l’affiche semblent correspondre à ce que le public de la Schola attend du concert. Les œuvres de Vincent d’Indy en donnent des exemples497. Le Chant de la cloche est entièrement tourné vers la figure du fondeur, artisan à la foi puissante498. Après avoir achevé une cloche gigantesque qui sera son chef d’oeuvre, Wilhelm, le fondeur, revoit les divers épisodes de sa vie auxquels les cloches furent associés. L’Étranger dans la partition éponyme est paré de toutes les vertus499. Homme mystérieux, il réussit des pêches miraculeuses grâce à une émeraude qu’il porte au front et distribue ses prises aux villageois. Vita, une jeune fille, s’éprend de lui mais, se trouvant trop âgé par rapport à elle, il refuse de l’épouser. L’Étranger meurt en portant secours à une barque en perdition et Vita le rejoint dans la mort. Le héros qui a failli s’oppose aux figures lumineuses. Faust est l’un d’eux.
Les personnages féminins participent également à cette hagiographie. La femme est soit douce, soit parée de vertus reconnues comme masculines, soit encore magicienne, tentatrice, faisant chuter l’homme. Le thème de l’amour fidèle transparaît dans plusieurs partitions choisies par Marguerite Le Meignen. Eurydice, Istar, par amour, décident d’aller chercher leur amant au-delà de la mort. Fidelio porte pour sous-titre « Fidelio ou l’amour conjugal. » Le personnage de Léonore travestie en homme sous le nom de Fidelio montre un courage sans faille pour sauver celui qu’elle aime. Claire, la femme amoureuse d’Egmont, tente de soulever le peuple pour délivrer le héros condamné à mort. Ayant échoué, elle s’empoisonne pour ne pas lui survivre500. Ce sont la mère et la femme de Coriolan qui le supplient d’épargner Rome. Selon Coriolan, la ville s’était montrée ingrate à son égard et il avait décidé de la détruire. Le dévouement semble l’unique but de certains personnages féminins, telle Guilhen dans Fervaal ou Senta dans Le Hollandais volant501. La compassion est la vertu principale de nombre de femmes. Dans La Légende de sainte Elisabeth, le résumé de l’action contenu dans le programme de salle insiste sur ses qualités de mère toute dévouée à ses enfants et aux pauvres qu’elle secourt en cachette502. Après le décès de son mari, mort lors d’une croisade, elle endure avec une infinie patience les brimades de sa belle-mère. La femme est vue aussi comme une parfaite chrétienne, capable de convertir le guerrier le plus farouche. C’est le cas de Guilhen dans Fervaal503. Plusieurs figures bibliques sont mises en valeur : La Sulamite « scène lyrique » de Chabrier dépeint la femme sensuelle du Cantique des cantiques « attendant au désert Salomon qu’elle aime504. » La femme peut aussi se montrer rusée comme Shéhérazade. C’est elle qui triomphe du sultan persuadé jusque là « de la fausseté et de l’infidélité des femmes505. » Dans le poème symphonique de Camille Saint-Saëns, Le Rouet d’Omphale, Omphale, reine de Lydie réduit Hercule à un rôle de fileur de laine.
Chefs d’orchestre et solistes, chœurs et orchestre
Recruter des interprètes
La directrice de la Schola recrute chefs d’orchestre et solistes comme le prévoit l’article 10 des statuts. Elle fait de nombreux voyages dans la capitale où réside notamment son beau-frère, Charles de Fouchier, où son fils Henri est antiquaire, et où elle compte de nombreux amis. C’est l’occasion d’être au courant de l’activité artistique parisienne dans tous les domaines et d’entendre les artistes qu’elle pense inviter659. Le recrutement des chefs d’orchestre et des solistes est assuré soit grâce à des contacts personnels, soit par l’intermédiaire d’agents artistiques.
Des agents artistiques, agissent pour le compte de Marguerite Le Meignen dès 1921 même si cette décision n’est pas approuvée par certains des membre du conseil d’administration660. Plusieurs d’entre eux sont mentionnés dans les archives de la société. La « Société de concerts » L’heure musicale » (classiques et modernes) » a son « siège social à Musica », 31 rue Tronchet à Paris. Les directeurs, Gaston Le Feuve et Louis Montpellier, sont sollicités en 1922. Le « Bureau international de concerts C. Kiesgen et E.C. Delaet » est d’abord installé « immeubles Pleyel » 47 rue Blanche dans le neuvième arrondissement de Paris, puis 252 Faubourg saint Honoré dans le huitième. Il travaille pour la directrice de la Schola entre 1925 et 1927 puis entre 1945 et 1947.
Marcel de Valmalète et compagnie », 45-47 rue de la Boétie est le plus présent, de 1928 à 1938. Il a des filiales : « Madame C. de Valmalète, organisation artistique internationale », 43 boulevard Périer à Marseille est la mère de Marcel de Valmalète661. F. Horwitz se présente comme l’un des gérants de Marcel de Valmalète. Certains courriers du bureau de Marcel de Valmalète sont signés S. Bourdais. Suzanne Bourdais paraît prendre son indépendance en 1937 puisqu’elle utilise à partir de cette date un papier à lettre personnel dont l’en-tête mentionne simplement « 7, rue Théophile Gautier, Neuilly sur Seine662. » A Martha Angelici elle précise, le 4 novembre 1942, qu’elle est la « correspondante » de Madame Le Meignen663. Son activité se situe entre 1937 et 1942. Certains agents artistiques interviennent brièvement à la Schola, comme les « Concerts et conférences P. Bocquel 1900-1932 », 69 boulevard de Clichy,
directeur Félix Brunetière, docteur en droit664. » P. Bocquel est sollicité seulement en 1933. Madame N.D. Bouchonnet travaille pour « l’office artistique continental », 45 rue de la Boétie, en 1945. L’adresse est celle des bureaux de Marcel de Valmalète ; il s’agit probablement d’une intermédiaire. Madame des Bordeaux est mentionnée en 1946 ; nous ignorons si elle se rattache aux organismes précédemment cités.
LES CONCERTS, LES COMPOSITEURS ET LEURS ŒUVRES
Les concerts d’hiver
Il ne suffit pas de faire venir des chefs d’orchestre et des solistes réputés pour remplir le théâtre Graslin. Des programmes alléchants doivent fidéliser le public. La Schola est, à Nantes, entre 1920 et 1938, la seule société permanente de concerts avec grand orchestre, succédant à celle fondée par Henri Morin mais avec des buts différents911. Le répertoire de la Schola nantaise entre 1920 et 1947, les seules années pour lesquelles nous avons des informations précises, associe les grandes œuvres chorales et les œuvres symphoniques912. La musique vocale regroupe 175 œuvres, la musique instrumentale, 211. La part accordée aux différentes formes musicales s’établit de la façon suivante :
Le graphique met en lumière le poids des œuvres lyriques, entendues intégralement ou sous forme d’extraits, tout comme l’importance des oratorios, ce qui n’a rien de surprenant pour une société chorale qui se dit l’héritière de la Schola parisienne. Toutefois, comme le remarque le journaliste Joseph Cox, l’auditeur serait moins sensible l’émotion religieuse intériorisée qu’au drame traduit par d’importants moyens sonores913. La musique religieuse occupe une place moins importante que la musique profane constituée d’ouvrages lyriques, de chœurs isolés, de lieder ou de mélodies. Soixante-cinq partitions religieuses font face à soixante-cinq ouvrages lyriques. Mais la durée des compositions est fort inégale, ce qui ne donne pas une photographie très exacte de la programmation. Les œuvres lyriques sont presque toujours des extraits, alors que messes, oratorios, requiem ou cantates sont jouées intégralement. Quinze chœurs isolés complètent ce tableau. Les mélodies, les lieder, permettent aux solistes vocaux invités de mettre en valeur leur talent : trente-trois pages de ces genres musicaux sont inscrites aux soirées de la Schola.
Les écoles nationales
L’école russe, principalement le Groupe de cinq, mais aussi Rachmaninov, Liadov, Prokofiev et Stravinsky, est bien présente à la Schola. Alexandre Koubitzky, ténor russe, privilégie les mélodies de son pays, celles de Moussorgsky, Gretchaninov, Rimskij-Korsakov, Glazounov, qu’il chante dans la langue originale. Deux membres du Groupe des Cinq dominent les programmes russes de la Schola : Rimskij-Korsakov avec treize occurrences et Moussorgsky avec douze. Les partitions du XXe siècle ne sont pas oubliées. Écrites en 1913, Les Cloches de Rachmaninov sont signalées, sur le programme de 1929, comme « première audition en France. » Achevées en 1913, elles sont jouées à Nantes en 1929. D’autres partitions russes viennent à la Schola de Nantes alors qu’elles ont été écrites il y a seulement dix ou vingt ans comme Chout de Prokofiev, composé en 1921, entendu à Nantes en 1933. Les auditeurs du théâtre Graslin se familiarisent aussi Kikimora de Liadov, L’Oiseau de feu de Stravinsky, L’Amour de trois oranges de Prokofiev composés respectivement en 1909, 1910, 1921 pour cette dernière partition en version française et 1927 pour la version russe.
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Table des matières
INTRODUCTION
PREMIÈRE PARTIE : LA SCHOLA DE NANTES, UN PROJET LONGUEMENT MÛRI
Chapitre 1 : Nantes à la veille de la Première Guerre mondiale Nantes au début du XXe siècle, une ville prospère
La vie artistique nantaise
L’enseignement musical
Chanter en chœur
Chapitre 2 : La Schola avant la Schola
L ‘Association Nantaise des Grands Concerts
Les balbutiements de la Schola
La fondation de la Schola Cantorum
Une rivalité ?
Marguerite Le Meignen s’impose de plus en plus
Schola et orchestre pendant la Première Guerre mondiale
Les projets de Marguerite Le Meignen
Chapitre 3 : Portrait de Marguerite Le Meignen
Un salon d’amateurs
Du salon à la scène
La Schola, sa vraie famille ?
Un caractère bien trempé
Socialiste ?
Une fin de vie difficile
DEUXIÈME PARTIE : UNE SOLIDE ORGANISATION
Chapitre 1 : Organisation et fonctionnement
Organisation
Fonctionnement
Recettes
Dépenses
Une activité erratique
Chapitre 2 : Communiquer et informer
L’affichage
Le rôle de la presse
Les programmes de salle
TROISIÈME PARTIE : CONSTRUIRE DES PROGRAMMES
Chapitre 1 : Le répertoire et sa réception
Critères de choix des programmes
Héros et héroïnes
La question politique
Des contenus de spectacles variés
Les concerts d’hiver
La danse
Faire chanter les enfants
Innover à tout prix
Les concerts d’été
La tentation de la mise en scène
La radio
Chapitre 2 : Chefs d’orchestre et solistes, chœurs et orchestre
Recruter des interprètes
Les chefs d’orchestre
Les solistes
Les chœurs
L’orchestre
QUATRIÈME PARTIE : LES CONCERTS, LES COMPOSITEURS ET LEURS ŒUVRES
Chapitre 1 : Les concerts d’hiver
Notre père Bach
Autres compositeurs allemands du XVIIIe siècle
La forte présence de Beethoven
Quatre romantiques allemands
Un romantique français, Berlioz
Wagner
Compositeurs allemands de la fin du XIXe siècle
Les écoles nationales
Traductions et textes chantés dans la langue vernaculaire
Musique française
À l’écoute des auditeurs
Les coupures et les adaptations
Chapitre 2 : Les concerts d’été CINQUIÈME PARTIE : LE PUBLIC
La presse nantaise et la Schola Cantorum
Chapitre 1 : Les journaux et leurs chroniqueurs
Chapitre 2 : Les jugements des critiques musicaux
Musique française
Les écoles étrangères
SIXIÈME PARTIE : UNE HÉGÉMONIE CONTESTÉE
Chapitre 1 : Un nouveau directeur au conservatoire de Nantes
Chapitre 2 : Des tentatives sans lendemain
Les Concerts Lonati
Les Concerts Babin
L’Orchestre symphonique de Nantes
L’Association Gabriel Fauré
Les Concerts Maurice-Paul Guillot
Chapitre 3 : L’Association des Concerts du Conservatoire de Nantes
CONCLUSION
ANNEXES
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