Chauffage magnétique
Chauffage magnétique – généralités
La découverte du chauffage magnétique remonte à la fin du 19ème siècle. Celui-ci a aussi bien pu être utile, pour la cuisine par exemple, que déploré, pour les pertes dans les moteurs électriques par exemple. Il prend donc dans la littérature tour à tour les noms de « chauffage magnétique » ou « pertes magnétiques ». Ces travaux faisant un usage fructueux de ce phénomène, il sera appelé « chauffage » dans le reste du manuscrit. Le concept général repose sur l’absorption par un matériau d’une énergie électromagnétique. Si cette absorption se fait de manière irréversible, quel que soit le mécanisme sous-jacent, elle induira un dégagement de chaleur dans le matériau. Comprendre le chauffage magnétique revient à comprendre comment sont produits, transmis, et absorbés les champs électromagnétiques dans la matière. Les premières lois qui le décrivent sont tirées de l’électromagnétisme classique.
Un petit aparté semble pertinent ici pour introduire le phénomène d’« effet de peau ». Quel que soit le mécanisme d’absorption de l’onde électromagnétique incidente, plus celle-ci pénètre dans le matériau, plus elle est absorbée, et donc plus elle décroit en intensité. Cette profondeur de pénétration, notée ? dans la plupart des cas, dépend des caractéristiques électromagnétiques du matériau, mais aussi de la fréquence de l’onde. La résolution des équations de Maxwell, et notamment de l’équation de dispersion, permet de déterminer cette épaisseur caractéristique. Ce calcul peut être lourd dans le cas général. Dans le cas d’une onde incidente sinusoïdale émise à l’intérieur d’une bobine électrique (la majorité des cas en chauffage par induction) se propageant dans une direction ?, l’onde dans le matériau sera de la forme ? = ?0?−?/? cos(?? − ??) ?? . ? est donc la longueur caractéristique d’une décroissance exponentielle de l’onde dans une certaine direction. La comparaison entre ? et l’épaisseur du matériau permet de caractériser « à quel point le matériau absorbe » l’onde. Ainsi, si l’échantillon considéré est très petit comparé à sa longueur de pénétration, celui-ci n’absorbera pas ou peu l’onde incidente. Au contraire, plus le matériau est épais, plus celui-ci absorbera, et l’onde sera quasiment totalement absorbée dans une région environ égal à 5?. Ainsi, la chaleur produite dans le matériau ne le sera pas de manière homogène et sera plus importante à proximité de sa surface.
Partons d’un champ appliqué nul et donc du point (0, -??), la rémanence négative du matériau. Le travail pour passer d’un état d’aimantation -?? à +???? (l’aimantation maximale obtenue avec le champ appliqué maximal) est l’aire entre ces points de la courbe ?(?) et l’axe des ordonnées . Cette aire est représentée par la somme des aires rouges et bleues . Puisque la configuration magnétique du matériau a changé de manière irréversible, la réduction du champ magnétique appliqué jusqu’à sa valeur initial de zéro ne ramène pas l’aimantation du matériau dans son état initial (0, -?? ) mais dans un nouvel état (0, +?? ). L’énergie libérée par le matériau est représentée alors par l’aire en bleue. L’énergie qui, globalement, est dissipée sous forme de chaleur est donc ici représentée par l’aire en rouge. Donc, lorsque le champ appliqué varie d’une valeur positive donnée à une valeur négative donnée, puis positive encore, l’aimantation du matériau ferromagnétique parcourt ce cycle appelé « cycle d’hystérésis ». Le dégagement de chaleur est l’aire contenue dans ce cycle, ici représentée par la région rayée.
Chauffage magnétique de nanoparticules
Magnétisme d’une nanoparticule unique
Dans un matériau massif, la minimisation des énergies magnétiques auxquelles celui-ci est soumis conduit à la formation de « domaines magnétiques » où les spins sont alignés les uns avec les autres, séparés par des zones où les spins sont désalignés les uns par rapport aux autres appelées « parois de domaine magnétique ». Lorsque la taille de l’échantillon considéré diminue en deçà d’un rayon appelé « rayon critique », la minimisation des énergies conduit à avoir tous les spins de l’échantillon orientés dans le même sens. De plus, si l’échantillon est suffisamment petit, le retournement d’aimantation se fait de manière cohérente. Le rayon à partir duquel apparait ce phénomène, appelé « rayon de cohérence », est nécessairement plus petit que le rayon critique. Une nanoparticule peut être vue comme un macrospin si son rayon est plus petit que le rayon de cohérence du matériau. Cette simplification, dite « approximation macrospin » a été formulée par Stoner et Wohlfarth en 1948 [26].
Dans ce cas, les énergies magnétiques mises en jeu sont au nombre de deux : l’énergie de Zeeman et l’énergie d’anisotropie. L’énergie de Zeeman est l’énergie d’interaction entre le moment magnétique et le champ extérieur, qui tend à amener l’aimantation dans l’axe du champ extérieur. L’énergie d’anisotropie tend à aligner l’aimantation selon certains axes appelés « axes de facile aimantation ». Cette énergie peut avoir plusieurs sources, par exemple la structure cristalline du matériau (anisotropie magnétocristalline), la surface de la nanoparticule (anisotropie de surface) ou sa forme. Dans la modélisation d’une nanoparticule sous forme de macrospin, l’anisotropie est considérée uniaxiale et le plus souvent approximée à l’ordre deux. L’énergie totale s’écrit donc ici [27] :
? = ?? + ?? = ????? sin² ? − ?0????? cos(? − ?) (1-14)
Modèle linéaire
Deux types de modèles existent pour détailler le chauffage magnétique d’une assemblée de nanoparticules. Le premier repose sur le modèle linéaire . En effet, une assemblée de nanoparticules peut être représentée par une aimantation globale ? linéaire avec le champ appliqué tant que le champ appliqué est « faible ». Ce modèle, très courant dans l’étude de matériau massif, a été transposé à l’étude d’une assemblée de nanoparticule par Rosensweig en 2002 [28]. L’échauffement provient dans ce cas d’un décalage dans le temps entre le champ appliqué et l’aimantation de l’assemblée. La fréquence du champ appliqué doit donc être comparée à un « temps de relaxation » de l’aimantation, le temps ?? que met l’aimantation à s’aligner avec le champ magnétique à chaque changement du champ. A basse fréquence, l’aimantation arrive à suivre parfaitement le champ appliqué. L’assemblée de nanoparticules ne chauffe pas. Lorsque la fréquence du champ appliqué augmente, les nanoparticules se retournent mais avec un décalage. Cela induit un échauffement. Si la fréquence devient trop importante, l’aimantation ne suit plus du tout le champ magnétique et reste nulle, n’induisant aucun échauffement. Un moyen de le représenter mathématiquement est de considérer un champ magnétique appliqué sinusoïdal ? = ℜ(?0? ???) avec la relation linéaire ? = ??, avec ? = ?′ + ??′′ . ?′ est alors la partie de l’aimantation en phase avec le champ et ?′′ la partie de l’aimantation déphasée de ?/2, responsable de l’échauffement. La courbe d’hystérésis de l’assemblée de nanoparticule a dans ce cas une forme elliptique .
Chauffage jusqu’aux hautes températures
Le chauffage magnétique de nanoparticules à des températures proches de la température ambiante (jusqu’à 60°C) est très documenté par la communauté l’utilisant pour le traitement du cancer par hyperthermie [14], [23]. Mais leur comportement à haute température n’a pas autant été étudié. Pourtant, ce comportement est loin d’être évident. Les paramètres magnétiques comme l’aimantation ou l’anisotropie varient à haute température, pouvant influencer l’amplitude de l’échauffement. Les questions qui seront posées dans cette partie sont : comment évolue la puissance de chauffe des nanoparticules avec la température, quels sont les paramètres influant et dans quelles conditions le sont-ils, peut-on chauffer n’importe quel matériau jusqu’à n’importe quelle température ?
Effet de la température sur la puissance de chauffe de nanoparticules – étude théorique
Pour commencer, le modèle à deux états constitue une première étape théorique dans l’étude de la puissance de chauffe des nanoparticules. Le détail de ce modèle ainsi que les simulations numériques correspondantes ont été développées précédemment dans notre groupe [27]. Les auteurs d’alors ont présenté diverses formules permettant de calculer l’évolution de la puissance de chauffe avec la température. Néanmoins, les formules théoriques et les simulations associées ne prenaient en compte que la variation de probabilité des sauts thermiques avec la température, mais pas les variations d’aimantation à saturation ou d’anisotropie avec la température, car la plage restreinte de variation de température de l’application visée (hyperthermie magnétique) ne le nécessitait pas. Nous avons décidé de reprendre ces travaux et de les compléter en y incluant la variation de l’aimantation et de l’anisotropie avec la température, afin d’illustrer le comportement de nanoparticules à hautetempérature.
Pour obtenir des puissances de chauffe (appelées SAR, Specific Absorption Rate) comparables, et obtenir un effet de chaque paramètre variant avec la température, nous avons simulé des nanoparticules de fer de 15 nm de rayon et des nanoparticules de cobalt de 3 nm de rayon. Le champ appliqué est sinusoïdal et son intensité maximale est ?0???? = 70 mT à une fréquence de 100 kHz. Dans le cas du fer, le champ appliqué maximal est déjà supérieur à son champ d’anisotropie à basse température . Donc la saturation est d’ores et déjà atteinte et sa décroissance avec la température, en plus de la décroissance du champ coercitif, n’a pour seul effet que de diminuer la puissance de chauffe des nanoparticules. Cet effet sur les cycles d’hystérésis obtenus, où le champ coercitif et l’aimantation à saturation décroissent, sont tracées les puissances de chauffe selon si l’on fait varier avec la température le ?? , le ???, les sauts thermiques, ou ces éléments ensembles. Lorsque seul le ?? varie , la puissance de chauffe est constante avec la température. En effet, la décroissance du ?? induit une augmentation du champ coercitif à un taux équivalent. Tant que ce champ coercitif est plus petit que le champ appliqué, la puissance de chauffe reste donc constante, car l’aire du cycle est proportionnelle au produit du champ coercitif par l’aimantation. Lorsqu’est appliqué un champ maximal de 40 mT , à partir d’une certaine température, le coercitif devient trop important et la puissance de chauffe diminue. Ce non-effet de la variation du ?? à 70 mT se retrouve dans la superposition entre les courbes où ???? varie . et où ???? et ?? varient . Cette dernière courbe montre bien que la diminution de la puissance de chauffe suit la diminution du champ d’anisotropie , puisque celui-ci est plus petit que le champ maximal appliqué. La prise en compte des sauts thermiques en plus du reste . diminue un peu plus la puissance de chauffe. Cette diminution s’accentue à mesure que la température augmente.
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Table des matières
Introduction
Chapitre 1. Chauffage magnétique de nanoparticules
I. Chauffage magnétique
I.1 – Chauffage magnétique – généralités
I.2 – Chauffage magnétique de nanoparticules
II. Chauffage jusqu’aux hautes températures
II.1 – Effet de la température sur la puissance de chauffe de nanoparticules – étude théorique
II.2 – Mesures expérimentales de la dépendance en température de la puissance de chauffe
III. Interactions et chaînes de nanoparticules
III.1 – Formation de chaînes de nanoparticules
III.2 – Influence des chaînes de nanoparticules sur leur puissance de chauffe
IV. Température à l’échelle nanométrique
Chapitre 2. Evolution de la puissance de chauffe avec la température
I. Mise en place de la mesure
I.1 – Description du dispositif expérimental
I.2 – Méthode de mesure
II. Etude expérimentale
II.1 – Echantillons types
II.2 – Etude d’une série d’échantillons de FexCo1-x
Chapitre 3. Mesure de cycles d’hystérésis à haute fréquence
I. Mise en place d’une mesure de l’évolution temporelle des cycles d’hystérésis à haute fréquence
II. Etude de la formation de chaîne de nanoparticules
II.1 – Explication de la chauffe ou non d’un échantillon de FeC
II.2 – Etude de la formation de chaîne de FeNi3
III. Mesure des premiers cycles
III.1 – Intérêt pour la mesure de température interne des nanoparticules
III.2 – Dispositif expérimental
Chapitre 4. Mesure de la température interne de nanoparticules par diffraction de rayons X
I. Matériel et méthode de mesure
I.1 – Mise en place de l’expérience
I.2 – Principe de la mesure
II. Résultats sur la température interne de nanoparticules d’oxyde de fer
II.1 – Echantillon utilisé
II.2 – Résultats
Conclusion générale
Bibliographie