Chanter pour naître, naître enchanté : voici là une bien vaste terre d’exploration s’ouvrant à nous. Si chanter pour un bébé ne surprend pas, il en est tout autrement quant au fait de chanter pour enfanter. Pour une grande majorité des professionnels de la naissance ainsi que certains parents, cette pratique suscite de vives et variées réactions pourtant toutes reliées par une même réalité : la méconnaissance. Cette méconnaissance concerne les divers aspects de cette préparation : méconnaissance de la physiologie du chant, méconnaissance ou connaissances approximatives de la physiologie de la naissance, méconnaissance des motivations des couples entreprenant ce projet, et donc à une ignorance de son intérêt en tant que préparation à la naissance et à la parentalité. Forts de ce constat, il nous faut rappeler que l’éclosion d’une telle pratique est encore très récente et donc en construction. En effet, la pratique du chant lors de la grossesse et de la naissance est une technique de préparation ayant timidement émergé dans l’univers de la maternité depuis les années 1970. C’est donc uniquement depuis les années 1970- 1980, époque où se développe l’idée d’un accompagnement global en réponse à l’hypermédicalisation via des courants divers (écologique, féministes, pédo-psychologique…) (1), que la pratique vocale au sein des cours de préparation à la naissance voit concrètement le jour. Cette préparation s’ajoute ainsi à la liste des préparations dites « non classiques » (sophrologie, haptonomie, yoga, balnéothérapie…) dont les objectifs sont le bien être maternel et fœtal, la valorisation des capacités maternelles et parentales, la projection positive dans l’accueil de leur enfant, un vécu heureux de l’accouchement.
Si la pratique du chant comme préparation semble se démocratiser petit à petit, à l’image de la maternité du CHU de Caen proposant depuis quelques années une préparation par le chant, nous ne savons finalement pas grand-chose de celle-ci. Premier constat : il est très difficile d’évaluer avec précision l’étendue de cette pratique en France. La cartographie des professionnels proposant une telle préparation s’avère laborieuse : ceux-ci sont encore peu nombreux et ne forment que de petits réseaux relativement disséminés. La formation des professionnels reste très majoritairement une initiative ponctuelle et personnelle. La seule exception dont nous ayons connaissance à ce jour est la maternité de Pertuis (Vaucluse) où une formation d’équipe s’est mise en place, ainsi qu’une étude sur les effets de la vibration sonore sur le travail et la satisfaction des mères (2). Enfin, les sages-femmes étant loin de constituer la majorité des professionnels dispensant ce type de préparation (sophrologues, chanteurs, psychologues …) nous n’avons trouvé aucune institution capable de les recenser (Ordre des sages femmes par exemple).
DISCUSSION
Pertinence de la recherche
Malgré l’honnêteté de notre démarche et la rigueur imposée, nous pouvons noter quelques facteurs de biais pouvant modérer les conclusions tirées de nos entretiens. C’est principalement au mode d’accès à la population et à sa sélection que nous pensons. De fait, les femmes rencontrées avaient été préalablement contactées par nos professionnels ressources afin d’être autorisées à nous transmettre leurs coordonnées et ainsi pouvoir les contacter. Ces mêmes professionnels ressources sont les professionnels leur ayant dispensé cette préparation. Il est donc possible de se demander si les retours positifs recueillis sur l’ensemble de notre population d’étude ne pourrait être modifié par le vécu plus modéré, voire négatif, de femmes n’ayant souhaité ou osé participer à notre étude.
À propos de ces femmes
Bien que la population de notre étude, de par son effectif, ne puisse être considérée comme étant représentative de la mixité socio-professionnelle à laquelle nous sommes confrontés en maternité, nous pouvons néanmoins constater une certaine hétérogénéité professionnelle. Certes, notre population reste issue d’une classe socio-économique de niveau relativement similaire mais au sein de laquelle nous observons néanmoins une certaine diversité professionnelle et culturelle. De fait, les femmes rencontrées ne sont pas toutes issues de milieux où elles ont reçu une éducation musicale institutionnelle ou même familiale poussée. L’attrait pour une telle préparation à la naissance n’était donc pas une évidence ce qui contredit l’idée d’une préparation sélective voire élitiste. Comme Bérénice, plusieurs d’entre elles témoignent bien de l’accessibilité de cette préparation :
« Après on se rend compte rapidement qu’il faut pas forcément être chanteuse pour faire du chant prénatal. Au départ c’est un peu l’idée qu’on se fait du chant prénatal. C’est un peu dommage parce qu’il y a des gens qui s’arrêtent à cette idée …» Bérénice, deuxième entretien « Oui et j’imagine que quelqu’un même pas bien dans son corps peut carrément adhérer et ça peut même ouvrir, faire respirer cette personne-là. » Iris, dixième entretien .
Ces femmes ont un goût pour la musique et le chant, issu ou non d’une éducation familiale, sans avoir pour autant de compétence en la matière. A noter par ailleurs que certaines n’associent en rien leur préparation à la naissance à une préparation en chant prénatal. Comme nous l’avons dit, si la PNVS utilise les sons, sa fondatrice ne la définit pas comme une technique de préparation par le chant. Nous constatons néanmoins que les deux mères ayant suivi la préparation dans sa forme la plus stricte, sont deux femmes pour qui la musique reste un élément central:
« Ben y en avait un rapport parce qu’on chante dans la famille, parce que je chante mais c’était pas du chant là … C’était pas du chant pendant la préparation mais n’empêche que je chante plein de chansons à (son enfant) (…) » Iris, neuvième entretien «Ben, j’aime la musique, j’en écoute pas mal. (…) Ben, du coup, j’ai accouché en musique, j’me dis…c’est un truc que j’aime bien. (…) J’suis pas du tout musicienne, je ne chante pas non plus, je suis juste une écouteuse de musique ! » Joane, dixième entretien .
Si cette préparation est encore peu répandue, et limitée à une classe socio-économique, ce fait ne s’explique donc pas selon un principe d’exigence technique ou culturelle requise pour y participer. C’est un aspect fondamental que nous souhaitions souligner et que défendent par ailleurs les fondatrices de cette technique de préparation : « (…) pour chanter, comme pour toute autre action, la condition à requérir, c’est de « croire (…) tout homme est fait pour le chant. Cette certitude ne peut naître que de constatations physiologiques et neurologiques autant que psychologiques. » .
À l’origine du projet…
À l’origine de ce choix de préparation, il y a des femmes. Des femmes bien différentes mais réunies par une envie commune exprimée de manières extrêmement diverses : prendre soin de cette naissance pour elle et leur enfant. « Naître enchantés s’adresse donc à toutes les femmes pour qui la mise au monde de leur enfant ne se réduit pas à une formalité. Les curieuses, les audacieuses, les peureuses, les douillettes, les subversives, les frondeuses, les rêveuses …La joie est libre. » (2).
L’histoire d’une liberté accordée
De nombreuses femmes s’accorderont à dire que devenir femme puis devenir mère aujourd’hui relève d’un défi bien différent de celui que les femmes avaient à relever dans les années 50. La question n’est plus d’obtenir l’autonomie ou l’émancipation du foyer mais de continuer sur cette voix en conciliant aspirations et obligations. En tant que sages-femmes, nous sommes aux premières loges pour constater qu’une grande partie des femmes que nous rencontrons sur le terrain mènent de front : une carrière professionnelle, une vie affective plus ou moins épanouie selon les femmes, une vie de mère plus ou moins partagée voire uniquement secondée par le père et des obligations domestiques encore majoritairement assumées par la population féminine. « Ainsi, en dépit de la diffusion de représentations égalitaires quant au partage des tâches dans les couples hétérosexuels, les pratiquent changent lentement. Sur une journée en 2010, les femmes consacrent 50% de leur temps en plus que les hommes au travail domestique (3h52 contre 2h24 en moyenne).».
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Table des matières
Introduction
Matériel et Méthode
Problématique et corps d’hypothèses
Approche, terrain et technique d’enquête
Présentation du terrain d’étude
Cadre et dispositif de l’étude
Recueil des données
Traitement des données
Critères d’inclusion
Résultats
Tableau récapitulatif de la population
Principaux résultats
Discussion
Pertinence de la recherche
À propos de ces femmes
À l’origine du projet
L’histoire d’une liberté accordée
L’histoire d’une construction
L’histoire d’une volonté, l’histoire d’un projet
L’histoire de rencontres
Chanter pour accoucher, chanter pour accueillir
Une Odyssée du réel ?
Chanter pour vivre ou la métaphore d’un continuum invisible
Conclusion
Des hypothèses aux résultats
Pistes de réflexion et application professionnelle
Bibliographie
Annexes