Changements globaux et écosystèmes forestiers

Changements globaux et écosystèmes forestiers

Changements globaux et écosystèmes forestiers

Les activités humaines modifient le système terrestre depuis des millénaires (Goudie, 2006). L’anthropisation des biomes terrestres s’est aussi intensifiée au cours des derniers siècles avec la révolution industrielle et l’explosion démographique des populations humaines (Ellis et al., 2010), basculant le système terrestre dans une nouvelle ère géologique: l’Anthropocène (Lewis & Maslin, 2015). À l’aire de l’Anthropocène, les changements globaux modifient les écosystèmes à la fois de manière directe par l’usage des sols et l’exploitation des ressources naturelles (Foley, 2005), et de manière indirecte au travers des changements climatiques liés au relargage massif de gaz à effet de serre dans l’atmosphère (Grimm et al., 2013).
D’une part, les usages des sols et l’exploitation des ressources forestières modifient l’étendue et la distribution du couvert forestier à l’échelle globale (Foley, 2005; Meyfroidt & Lambin, 2011 ; Hansen et al., 2013). À une échelle régionale, ces activités peuvent aboutir à des modifications profondes dans la structure, la composition et la dynamique des paysages forestiers (ex. : Axelsson et al., 2002; Urbieta et al., 2008). Dans l’est de l’Amérique du Nord, les populations autochtones ont modifié la naturalité des forêts depuis plusieurs milliers d’années (Delcourt & Delcourt, 2004; Abrams & Nowacki, 2008; Munoz & Gajewski, 2010; Munoz et al., 2014). Par la suite, les changements d’usage des sols liés à la colonisation européenne et à l’industrialisation ont engendré un bouleversement des écosystèmes, avec généralement une fragmentation, un rajeunissement, une homogénéisation et une augmentation des espèces de début de succession à l’échelle du paysage (Lorimer & White, 2003; Friedman & Reich, 2005; Rhemtulla et al., 2009; Riitters et al., 2012; Thompson et al., 2013).

Le Témiscamingue : contexte biogéographique et historique

Les travaux présentés dans cette thèse sont centrés sur la région du Témiscamingue à l’extrémité sud-ouest de la province canadienne du Québec , et dont nous dressons ici un bref portrait biogéographique et historique. Le climat régional varie entre continental humide et boréal, avec des températures moyennes et des précipitations totales (normales annuelles 1981-2010) variant respectivement de 5,2 oc et 918 mm à l’extrémité sud de la région (Rapide des Joachims) à 2,3 oc et 885 mm au nord (Montbéliard). En conséquence, les forêts mixtes de cette région représentent la zone de transition entre les forêts tempérées et boréales (Rowe, 1972), correspondant aux domaines bioclimatiques de l’érablière à bouleau jaune et de la sapinière à bouleau jaune selon la classification provinciale (Robitaille & Saucier, 1998).
La région a été libérée des glaces il y a environ 9 000 à 10 000 ans pour laisser place, dans un premier temps, aux vastes lacs pro-glaciaires Barlow et Ojibway (Veillette, 1983; Dyke, 2004). Ces lacs pro-glaciaires sont à l’origine d’une importante quantité de dépôts argileux dans les basses altitudes de la région (Vincent & Hardy, 1977), alors que les plus hautes altitudes du Bouclier canadien, restées émergées après la  déglaciation, sont dominées par des dépôts de tills glaciaires. Une végétation boréale s’est installée immédiatement après la déglaciation dans la région, et a été colonisée par les forêts mixtes des Grands Lacs et du St Laurent il y a environ 7 000 à 8000 ans (Liu, 1990).
Dans cette région, les perturbations représentent le principal moteur de la dynamique des forêts. Durant les derniers siècles, le cycle de feux était relativement court dans le domaine de la sapinière à bouleau jaune ( 188-314 ans ; Grenier et al., 2005), et augmentait vers le sud dans le domaine de l’érablière à bouleau jaune (373-694 ans; Drever et al., 2006). La fréquence des feux a aussi significativement diminué dans toute la région depuis la fin du Petit Âge glaciaire vers 1850 (Bergeron & Archambault, 1993; Bergeron et al., 2006). Plusieurs épidémies de tordeuse de bourgeons de l’épinette ont également contribué à la dynamique des forêts au cours des derniers siècles (Bouchard et al., 2005, 2006a, 2006b )

Portrait général des forêts préindustrielles du Témiscamingue

À l’époque préindustrielle, l’ensemble de la région était dominé par les épinettes (Picea spp.), le sapin baumier (Abies balsamea) et les pins (Pinus spp).
Au sud, les pins, le sapin baumier et le bouleau jaune (Betula alleghaniensis) dominaient à eux trois plus de 66 % du domaine de l’érablière à bouleau jaune. Le domaine de la sapinière à bouleau jaune au nord était largement dominé par les épinettes (36 %) accompagnées par le sapin et le bouleau à papier (Betula papyrifera) qui étaient également très présents. Le gradient climatique régional (latitude et altitude) avait donc une influence sur la composition des forêts, avec un remplacement progressif de la dominance des pins au sud par les épinettes au nord.
Le sapin, très abondant, tendait à être omniprésent sur l’ensemble de la région d’étude.
La fréquence et l’intensité des feux représentaient d’importantes variables explicatives de la composition et de la structure spatiale des forêts .
En comparaison avec aujourd’hui, le climat plus sec du Petit Âge glaciaire (PAG; approx. 1300-1850; Gennaretti et al., 2014) était à l’origine d’une plus grande fréquence des feux dans la région (Bergeron et al., 2006). Les portions du territoire qui n’avaient pas connu de forte fréquence des feux pendant le PAG étaient dominées par des espèces sensibles aux feux (sapin, bouleau jaune, cèdre; Thuya occidentalis), alors que les autres portions étaient dominées par les taxons adaptés aux feux (épinettes noires ; Picea mariana, pins, bouleaux blanc). Les grands feux de couronne au nord (Grenier et al., 2005) favorisaient plutôt des paysages dominés par les épinettes noires (Picea mariana; chapitre II). Au sud, des feux moins fréquents (Drever et al., 2006), et possiblement de plus faible intensité, favorisaient le maintien des pins (principalement le pin blanc; Pinus strobus, et dans une moindre mesure le pin rouge; Pi nus resinosa).

Les changements de composition: deux grandes trajectoires dynamiques

Les changements de composition survenus depuis l’époque préindustrielle se résument à un remplacement des taxons résineux par des taxons feuillus. Ce changement de composition peut être schématisé par deux principales traj ectoires dynamiques: (1) les forêts qui ont brûlées ou ont subi des coupes totales durant le xx• siècle, et qui sont aujourd’hui jeunes. (2) Les forêts qui n’ ont subi que des perturbations partielles durant le xx• siècle, et qui sont aujourd’hui plus âgées.
Les forêts qui ont brûlé ou subi des coupes totales sont principalement localisées au nord et à basse altitude . Ces forêts ont été rajeunies et ont subi une forte augmentation de dominance et de présence des feuillus de début de succession (peupliers ; Populus spp., bouleau blanc, érable rouge; Acer rubrum). Bien que les feux fréquents à l’époque préindustrielle contribuaient à favoriser la dominance des épinettes noires, la combinaison des premières coupes industrielles pour l’industrie  papetière avec les grands feux du début du xx• siècle a abouti au remplacement des épinettes noires par des feuillus de début de succession . Le peuplier faux-tremble (Populus tremuloides) est devenu dominant sur les dépôts argileux des basses altitudes où il est particulièrement compétitif, alors que le bouleau blanc domine sur les dépôts de tills des moyennes altitudes .
Parallèlement, les peuplements d’épinette noire qui abondaient dans cette zone de la région à l’époque préindustrielle ont été restreints vers les bas de pentes moins bien drainés .

Quelles espèces cibles dans un contexte de restauration adaptative?

En termes de composition, face au phénomène général d’enfeuillement de la région, l’aménagement écosystémique doit avoir pour principal objectif de favoriser la dominance des conifères. Cependant, dans le cadre des changements climatiques et de leurs conséquences indirectes (ex. : changements de régime de perturbations  naturelles), les états de références historiques doivent être analysés prudemment pour établir les objectifs d’un aménagement écosystémique adaptatif (Choi et al., 2008; Gagné et al., 20 15).
L’abondance préindustrielle des épinettes noires était largement favorisée par une plus importante fréquence des feux à cette époque, et leur abondance a fortement diminué suite à l’addition des coupes et des feux du début du xx• siècle. Les épinettes représentent encore aujourd’hui les espèces les plus prisées par les acteurs industriels régionaux, et leurs populations devraient donc être restaurées. Cependant, dans le contexte d’une diminution générale de la fréquence des feux dans la région (Bergeron et al., 2006), il semble plus approprié de favoriser des peuplements diversifiés, avec une importante proportion de conifères moins dépendants des feux que l’épinette
noire (ex. : épinettes blanches, sapins, pins blancs, pins rouges, cèdres).
Les pins blancs étaient très abondants dans le paysage préindustriel et, bien qu’ils aient aussi été favorisés par les feux, cette espèce peut se maintenir en absence de feux (Quinby, 1991; Abrams, 2001 ; Uprety et al., 2013b). Le pin blanc représente une espèce clef pour la biodiversité (Rogers & Lindquist, 1992; Naylor, 1994), et dans la culture des communautés autochtones de la région (Uprety et al., 2013a). Les populations de pin rouge (Pinus resinosa) ont également subi un important déclin depuis l’époque préindustrielle. Malgré qu’elles soient plus strictement dépendantes des feux (Rudolf, 1990; Flannigan, 1993), ces populations représentent aussi un important enjeu de conservation (Anand et al., 2013). Ces populations de pins blancs et pins rouges, présentes dans la région depuis plusieurs milliers d’années (Liu, 1990), et décimées par les coupes du début du xx· siècle, doivent donc être restaurées, au moins en partie

Filtre brut : des coupes pour éviter l’enfeuillement

Les coupes partielles permettent de limiter l’envahissement par les feuillus de début de succession, tout en laissant la régénération résineuse préétablie se développer dans la canopée (Man et al., 2008; Prévost et al., 2010a; Bose et al., 2014) . Ce type d’aménagement représente donc un bon moyen de rétablir une composition à dominance résineuse par un aménagement écosystémique des forêts. Les forêts matures du Témiscamingue, qui n’ont subi que des coupes partielles et des épidémies de tordeuses depuis l’époque préindustrielle, offrent d’ailleurs une rétrospective intéressante sur la validité de ce type d’aménagement . Dans une certaine mesure, ces forêts témoignent de la pertinence de l’usage des coupes partielles, car ces dernières ont permis le maintien d’espèces de milieu à fin de succession (érables à  sucre, bouleau jaune, cèdre). Malgré tout, les anc1ens modes de coupes partielles (écrémage des pins et coupes à diamètres limites des conifères) ont largement contribué à la raréfaction des conifères et au développement de l’érable à sucre. Aussi, les coupes partielles contemporaines (ex. : coupes de jardinage, coupes par trouées, coupes progressives) sont plus appropriées que ces coupes partielles anciennes pour éviter l’enfeuillement (Raymond et al., 2009; Prévost et al., 2010b), et doivent être associées aux approches de filtres fins développées plus bas.

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Table des matières

CHAPITRE I : INTRODUCTION GÉNÉRALE
1.1 Changements globaux et écosystèmes forestiers
1.2 Aménagement écosystémique et états de références historiques
1.3 Le Témiscamingue : contexte biogéographique et historique
1.4 Les archives de l’arpentage primitif
1.5 Objectifs
CHAPITRE II :PRE-INDUSTRIAL LANDSCAPE COMPOSITION PATTERNS AND POSTINDUSTRIAL CHANGES AT THE TEMPERATE-BOREAL FOREST INTERFACE IN WESTERN QUEBEC, CANADA
2.1 Abstract
2.2 Résumé
2.3 Introduction
2.4 Study area
2.5 Methods
2.5.1 Database construction
2.5.2 Data analysis
2.6 Results
2.7 Discussion
2. 7.1 Pre-industrial composition and vegetation changes at the regional scale
2. 7. 2 Pre-industrial composition at the lands cape scale
2. 7.3 Native Americans and naturalness of the pre-industriallandscape
2. 7.4 Post-industrial changes at lands cape scales
2. 7. 5 Implication for forest restoration and management
2.8 Conclusion
2.9 Acknowledgements
2.10 References
CHAPITRE III: LONG-TERM COMPOSITIONALCHANGES FOLLOWING PARTIAL DISTURBANCE REVEALED BY THE RE-SURVEY OF LOGGING CONCESSION LIMITS IN THE NORTHERN TEMPERATE FOREST OF EASTERN CANADA
3.1 Abstract
3.2 Résumé
3.3 Introduction
3.4 Study area
3.5 Material and methods
3.5.1 Site selection and field measurements
3.5.2 Data-base construction and analysis
3.6 Results
3.7 Discussion
3.8 Conclusions
3.9 Acknowledgements
3.10 References
CHAPITRE IV: ANTHROPOGENIC DISTURBANCES STRENGTHENED TREE COMMUNITY-ENVIRONMENT RELATIONSHIPS AT THE TEMPERATEBOREALINTERFACE OF EASTERN CANADA
4.1 Abstract
4.2 Résumé
4.3 Introduction
4.4 Material and methods
4.4.1 Study area and historical background
4.4.2 Community and environmental data
4.4.3 Data analysis
4.5 Results
4.5.1 Patterns of -divers ty and variation partitioning
4.5.2 Compositional changes across environmental gradients
4.6 Discussion
4. 6.1 Environmental ubiquity of preindustrial dominant taxa
4.6.2 Increased -dive ity and strengthening of community-environment relationships
4. 6. 3 Broader theoretical and practical significance
4.6 Acknowledgments
4.7 References
CHAPITRE V :CONCLUSION GÉNÉRALE 
5.1 Portrait général des forêts préindustrielles du Témiscamingue
5.2 Les changements de composition : deux grandes trajectoires dynamiques
5.3 Quelles espèces cibles dans un contexte de restauration adaptative?
5.4 Quelles pratiques sylvicoles pour répondre aux enjeux de composition ?
5.4.1 Filtre brut: des coupes pour éviter l’enfeuillement
5.4.2 Filtres fins :rétention, plantation et exigences écologiques de régénération
5.5 Conclusions

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