Changements dans l’écosystème arctique

Changements dans l’écosystème arctique

Interactions prédateurs-proies et cycles de population

La deuxième hypothèse, selon laquelle les populations d’herbivores sont régulées par les prédateurs, semble être mieux supportée pour expliquer les cycles d’abondance des lemmings. De nombreuses études ont mis en cause l’effet de la prédation comme initiateur du cycle des lemmings (Korpimäki et Krebs 1996, Reid et al. 1997, Angerbjörn et al. 1999, Wilson et al. 1999, Hanski et al. 2001, Gilg et al. 2003, Korpimäki et al. 2005). La capacité de reproduction des lemmings est tellement élevée (taux de croissance potentiel maximal étant estimé à 2.44% par jour; Stenseth et Ims 1993a) que la prédation par les spécialistes résidents (i.e. les mustélidés) semble être insuffisante à elle seule pour contrôler le cycle (Angerbjörn et al. 1999, Hanski et al. 2001). Il est donc nécessaire, pour amorcer la phase de déclin du cycle durant l’été, que la pression de prédation exercée provienne de plusieurs espèces de prédateurs en plus de l’hermine (Mustela erminea), notamment le renard arctique (Vulpes lagopus) et plusieurs espèces de rapaces (Korpimäki et al. 2005). Cette pression excèderait alors le taux de recrutement des lemmings et contribuerait à faire diminuer l’abondance tout au long de la saison estivale (Reid et al. 1995, Gilg 2002, Gilg et al. 2006).

Étant le seul prédateur pouvant avoir facilement accès aux lemmings dans leurs tunnels durant l’hiver (Bjørnstad et al. 1995, Sittler 1995, Krebs et al. 2003, King et Powell 2007), l’hermine jouerait un rôle clé dans le cycle d’abondance en maintenant les populations de lemmings à basse densité après que les prédateurs aviaires aient quitté pour l’hiver (Hanski et al. 2001, Gilg et al. 2006, Gilg et al. 2009). L’hermine, avec des portées moyennes de 8 à 10 jeunes, a un fort potentiel reproductif (King et Powell 2007) et elle répondrait numériquement de façon décalée à l’augmentation d’abondance des lemmings (Sittler 1995, Klemola et al. 1999, Gilg et al. 2006). Elle aurait également une forte réponse fonctionnelle puisqu’en présence de hautes densités de proies elle augmenterait de façon disproportionnée son taux de capture afin de se faire des réserves de nourriture en prévision d’un déclin de population de sa proie (Jędrzejewska et Jędrzejewski 1989, King et Powell 2007). L’hermine serait aussi susceptible d’inhiber indirectement la reproduction chez les rongeurs en engendrant un niveau de stress élevé. À haute densité de prédateurs, les rongeurs limiteraient leurs activités afin de mieux échapper à la prédation (Henttonen et al. 1987, King et Powell 2007). Chez le lièvre d’Amérique (Lepus americanus), l’élévation du stress due à de fortes densités de prédateurs peut se propager aux jeunes via des effets maternels et inhiber la reproduction sur plus d’une génération, accentuant ainsi l’impact des prédateurs (Sinclair et al. 2003). Certains chercheurs ont également observé que les hermines sélectionneraient comme proies les femelles allaitantes et les nids avec des jeunes (Sittler 1995), probablement parce que ceux-ci sont moins mobiles et donc plus facilement repérables à l’odorat, ce qui amplifierait leur impact. L’hermine pourrait donc maintenir à basse densité les populations de lemmings durant les années suivant le pic jusqu’au déclin de leur propre population (Hanski et al. 2001, Gilg et al. 2006) dû au manque éventuel de nourriture.

Habitats utilisés par les lemmings et compétition

Dans l’Arctique canadien, deux espèces de lemmings se côtoient habituellement, le lemming brun (Lemmus trimucronatus) et le variable (Jarrell et Fredga 1993). Lorsque les deux espèces coexistent, le lemming brun montre habituellement de fortes fluctuations d’abondance, tandis que celles du variable sont beaucoup plus modérées (Batzli et al. 1983, Negus et Berger 1998, Gruyer et al. 2008). Les deux espèces démontrent une certaine ségrégation au niveau de l’habitat durant l’été. Les lemmings bruns préféreraient des habitats plus humides que les variables (MacLean et al. 1974, Batzli et al. 1983), mais il est possible que ces derniers soient partiellement exclus de ces habitats par les lemmings bruns plus compétitifs (voir plus bas). En effet, l’utilisation de l’habitat par les lemmings variables semble plus limitée lors des années de pic d’abondance de lemmings bruns comparée aux années de creux de cette espèce.

La différence majeure dans leur utilisation de l’habitat proviendrait toutefois de leurs préférences alimentaires (Batzli 1993, Rodgers et Lewis 1985). Les lemmings bruns préfèreraient les monocotylédones et les lemmings variables les dicotylédones (Rodgers et Lewis 1985), mais une étude récente à l’Île Bylot montre cependant que les deux espèces peuvent s’alimenter en grande partie de Salicaceae, une dicotylédone abondante dans l’Arctique canadien (E. Soininen et G. Gauthier, communication personnelle). En hiver, les deux espèces de lemmings partageraient néanmoins les mêmes habitats, principalement les milieux mésiques et le long des ravins formés par les cours d’eau (Duchesne et al. 2011b). Au printemps, les lemmings bruns passeraient d’habitats plus élevés et plus secs, à des habitats plus humides et plus bas après les inondations causées par la fonte de la neige (Batzli et al. 1983, Pitelka et Batzli 1993). La compétition entre les espèces sympatriques de lemmings semble davantage se manifester au niveau de l’espace plutôt que des ressources alimentaires (Hansson et Henttonen 1985, Morris et al. 2000), la compétition serait donc sous forme d’interférence (Morris et al. 2000). En effet, les expériences de Morris et al. (2000) montrent que la sélection de l’habitat par le lemming brun en été (i.e. préférence pour les milieux humides) ne serait pas influencée par la densité de lemming variable, tandis que celle du lemming variable, qui tend à se distribuer dans tous les habitats à faible densité de brun, serait influencée par la densité de Lemmus. Ces résultats supportent l’hypothèse que le lemming brun pourrait exclure le variable de son habitat préféré par interférence.

Écologie hivernale des populations de lemmings et couvert nival

Les lemmings sont actifs tout l’hiver et ils sont mieux adaptés aux conditions hivernales de l’Arctique que les autres espèces de rongeurs (Stenseth et Ims 1993a). Ceci est particulièrement vrai pour le lemming variable qui montre des adaptations physiologiques plus marquées comme une grande résistance aux chocs hypothermiques (Batzli et al. 1983, Malcolm et Brooks 1993, Stenseth et Ims 1993c). Pendant la période hivernale, qui peut durer jusqu`à 9 mois aux hautes latitudes, les lemmings sont confinés sous le couvert nival où les effets du froid et possiblement de la prédation sont moins ressentis (Gilg et al. 2006, Korslund et Steen 2006, Kausrund et al. 2008, Duchesne et al. 2011b). Les lemmings ont aussi la capacité de se reproduire sous la neige durant l’hiver (Millar 2001, Stenseth et Ims 1993b). La majorité des informations sur la période hivernale nous provient des nids d’hiver construits par les lemmings (MacLean et al. 1974, Sittler 1995, Duchesne et al. 2011b) afin de mieux s’isoler des températures très froides et sauver de l’énergie (Casey 1981). La sélection du site pour l’emplacement des nids d’hiver semble être grandement influencée par la topographie, avec une préférence marquée pour les dépressions et les endroits où la neige est plus épaisse (Sittler 1995, Duchesne et al. 2011b, Reid et al. 2012). MacLean et al. (1974) ont observé que les nids les plus gros et les mieux isolés étaient ceux où il y avait de la reproduction et que les nids plus petits n’abritaient que des adultes, probablement des mâles ou des femelles non reproductrices.

Une conséquence de leur fort potentiel de reproduction en hiver combiné avec un taux de prédation relativement faible serait que les densités les plus hautes sont atteintes à la fin de la saison hivernale (Henttonen et Kaikusalo 1993, Gilg et al. 2002, Ims et Fuglei 2005, Getz et al. 2006a). Au contraire, la forte pression de prédation subie après la disparition du couvert nival causerait le plus souvent une chute de population estivale (Stenseth et Ims 1993b, Gilg et al. 2006). Le couvert nival pourrait donc être un facteur ayant une grande influence sur la démographie des lemmings (Ims et Fuglei 2005, Kausrud et al. 2008). Les variations des caractéristiques du couvert nival peuvent affecter la qualité et la sélection de l’habitat hivernal (Reid et al. 2012), qui à son tour peut influencer la survie, spécialement celle des jeunes nés durant l’hiver, et possiblement aussi la reproduction (Yoccoz et Ims 1999, Aars et Ims 2002). Le couvert nival peut également affecter la démographie en réduisant la disponibilité de la nourriture, notamment lorsqu’une couche de glace se forme au sol ou en limitant l’accès aux prédateurs (Ims et Fuglei 2005, Kausrud et al. 2008, Gilg et al. 2009, Duchesne et al. 2011b). Plusieurs considèrent d’ailleurs qu’un couvert nival de qualité est une condition essentielle pour avoir une explosion de population menant à un pic d’abondance de lemmings (MacLean et al. 1974, Aars et Ims 2002, Korslund et Steen 2006, Ims et al. 2008, Kausrud et al. 2008).

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Table des matières

Résumé
Abstract
Avant-Propos
Table des matières
Liste des tableaux
Liste des figures
Introduction
Changements dans l’écosystème arctique
Cycle de population des micromammifères dans l’Arctique
Facteurs pouvant expliquer les cycles d’abondance
Interactions plantes-herbivores et cycles de population
Interactions prédateurs-proies et cycles de population
Habitats utilisés par les lemmings et compétition
Écologie hivernale des populations de lemmings et couvert nival
Le modèle d’étude : les lemmings à l’île Bylot
Objectifs de la thèse
Organisation de la thèse
Chapitre 1 Demographic response of tundra small mammals to a snow fencing experiment
Résumé
Abstract
Introduction
Material and methods
Study sites
Snow fence experiment
Lemming winter nests
Live-trapping
Statistical analyses
Results
Effect of experimental treatment on snow depth
Effect on densities
Effect on reproduction
Effect on predation
Discussion
Population densities
Reproduction
Predation
The challenges of experimental climate manipulations
Chapitre 2 The effect of snow cover on lemming population cycles in the Canadian High Arctic
Résumé
Abstract
Introduction
Materials and methods
Study area
Lemming densities
Snow cover
Statistical analyses
Generation of cycles
Extraction of residuals
Regression of residuals with snow variables
Results
Lemming cycles
Snow variables
Modelling of cycles
Effect of snow variables on lemming abundance
Mesic habitat
Wet habitat
Discussion
Chapitre 3 Evaluation of a technique to trap lemmings under the snow
Résumé
Abstract
Introduction
Methods
Study area
Selecting trapping sites
Trapping boxes
Snowmelt
Results
Discussion
Conclusion
Chapitre 4 Does lemming winter grazing impact vegetation in the Canadian Arctic?
Résumé
Abstract
Introduction
Methods xiii
Lemming exclosures
Lemming density
Results
Lemming population dynamic
Impact of lemmings on plants during winter
Annual variation in plant growth
Discussion
Chapitre 5 Effect of snow cover on the vulnerability of lemmings to mammalian predators in the Canadian Arctic
Résumé
Abstract
Introduction
Materials and methods
Study area
Fox hunting behavior
Ermine predation
Snow measurements
Lemming nest density
Statistical analyses
Results
Effects of snow cover on fox hunting behavior
Effects of snow cover on predation by ermine
Other determinants of predation by ermine
Discussion
Fox hunting behavior
Predation by ermine
Snow cover, climate change and predation
Chapitre 6 Patterns of predation by ermine on lemmings in the Canadian Arctic xiv
Résumé
Abstract
Introduction
Methods
Study area
Lemming density
Monitoring of ermine activity
Statistical analysis
Results
Lemming densities
Ermine response during winter
Ermine response during summer
Discussion
Ermine numerical response
Diet and consumption rate
The role of the ermine in lemming population dynamics
Conclusion
Effet de la neige sur la démographie des lemmings
Interaction plantes-herbivores
Interaction prédateurs-proies
Message final et apport de la thèse
Bibliographie
Annexe 1 Supplementary material for Chapter 1
Annexe 2 Modélisation du couvert nival à l’aide du modèle SNOWPACKxv
Annexe 3 Supplementary material for Chapter 4

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