Changement climatique global
Depuis la révolution industrielle, au milieu du XIXème siècle, avec l’utilisation massive des combustibles fossiles (charbon, pétrole, gaz) et le changement d’utilisation des sols (déforestation massive et évolution des pratiques agricoles), la concentration en dioxyde de carbone (CO2) atmosphérique a augmenté de 50%, en élevant sa pression partielle de 278 parties par million (ppm) en 1750 à 415 ppm en 2021 (http://www.esrl.noaa.gov/gmd/ccgg/trends/global.html, dernier accès: 17 Août 2022). Depuis 1958, la concentration en CO2 atmosphérique est mesurée aux stations historiques Mauna Loa (Hawaï) et Pôle Sud (Antarctique), permettant ainsi un suivi précis à long-terme et révélant une oscillation saisonnière (Fig. I.1). L’étude de bulles d’air emprisonnées dans la glace de Vostok (Antarctique) a permis de reconstruire les concentrations en CO2 atmosphérique des 800 000 dernières années et a révélé une fluctuation naturelle de CO2 atmosphérique lors des successions glaciaires-interglaciaires avec des valeurs oscillant de 180 ppm à 300 ppm (Petit et al., 1999). Mais alors que les plus fortes variations de CO2 enregistrées dans le passé (~100 ppm) s’effectuaient sur plusieurs milliers d’années, la rapide augmentation de CO2 atmosphérique actuelle se réalise sur seulement quelques décennies. En 2016, la concentration de CO2 atmosphérique a franchi le seuil des 400 ppm, jamais atteint au cours des 2.1 derniers millions d’années (Hönisch et al., 2009).
Depuis 2007, le groupe Global Carbon Project (Raupach et al., 2007) évalue chaque année le bilan global de carbone, qui est la base de référence du Groupement International sur l’Evolution du Climat (GIEC). La dernière version publiée par Friedlingstein et al. (2022), montre que les émissions de CO2 anthropique atteignaient près de 10.6 ± 0.8 GtC an-1 pour les années 2011-2020 (dont 9.5 ± 0.5 GtC an-1 libérées par la combustion des énergies fossiles et 1.1 ± 0.7 GtC an-1 dues à une modification de l’utilisation des sols), ce qui est 2.3 fois plus important que dans les années 1960. Ce CO2 émit dans l’atmosphère se répartit ensuite entre les trois réservoirs naturels de carbone : environ la moitié reste dans l’atmosphère, un peu moins d’un tiers est absorbé par la biosphère terrestre et un peu plus d’un quart par l’océan .
Le CO2 est un gaz à effet de serre naturellement présent dans l’atmosphère, comme la vapeur d’eau (H2O) ou le méthane (CH4), participant au maintien d’une température moyenne clémente (~15°C) autour de notre planète en absorbant une partie des radiations infrarouge émises par celle-ci. Selon la communauté scientifique, représentée par les experts du GIEC, les activités humaines, dites anthropiques, sont responsables de l’augmentation accrue de l’émission de gaz à effet de serre, comme le CO2 et le CH4, qui s’accumulent dans l’atmosphère et sont à l’origine du réchauffement global de la surface de la Terre. Selon le dernier rapport du Working Group I du GIEC, publié en 2021, la température moyenne au niveau du sol et à la surface des océans a augmenté de +0.6°C sur la période 1951-2010. Selon les modèles climatiques, si les tendances actuelles perdurent, un réchauffement de la planète de +5.7°C serait atteint d’ici 2100 par rapport aux années 1850-1900 (GIEC, 2021).
En plus du réchauffement global de l’atmosphère, des sols et des océans, l’augmentation accrue du CO2 atmosphérique induit un deuxième phénomène : l’acidification des océans, qui représente une menace pour la biodiversité marine, et pourrait également aggraver le changement climatique. Ce n’est que depuis quelques années, que le pH, par l’acidification des océans (Doney et al., 2009), est reconnu au même titre que les variations de température ou du niveau des mers, comme un véritable témoin du changement global (World Meteorological Organization, WMO, 2018). La baisse du pH océanique induite par la pénétration du carbone anthropique est déjà observée avec une diminution globale du pH de surface des océans de -0.1 depuis l’ère pré-industrielle (Bindoff et al., 2007), qui pourrait atteindre -0.44 d’ici la fin du XXIème siècle (dans le cadre de scénario de fortes émissions SSP5-8.5 ; Kwiatkowski et al., 2020).
L’utilisation croissante des énergies fossiles conduit à l’injection dans l’atmosphère de CO2 ayant la signature isotopique de la matière organique, puisque le pétrole ou le charbon ont une origine végétale, conduisant à un appauvrissement en 13C par rapport au 12C. C’est ce qu’on appelle l’effet Suess du 13C (Keeling, 1979). Au cours de l’ère industrielle, la composition isotopique du CO2 atmosphérique a diminué de -6.5 ‰ (à l’époque pré-industrielle, Friedli et al., 1986) à moins de -8.5 ‰ au début des années 2020 (mesuré à Mauna Loa, Hawaii, United States, données disponibles dans la partie carbon cycle / time series de l’onglet data viewer sur le site https://gml.noaa.gov/, dernier accès : 31 Août 2022). La dissolution dans l’eau de mer de ce CO2 isotopiquement plus léger va donc diminuer la composition isotopique du carbone inorganique dissous (δ13CDIC). Typiquement, les valeurs de δ13CDIC de surface sont plus élevées que celles des couches plus profondes. Avec l’accumulation de CO2 anthropique dans les couches supérieures océaniques, le gradient surface-fond est affaibli (Olsen and Ninnemann, 2010; Eide et al., 2017).
Rôle des océans dans le cycle du carbone
L’océan, réservoir majeur de carbone, joue un rôle essentiel dans la régulation du cycle global du carbone. En effet, comme vu précédemment, l’océan absorbe environ un quart du CO2 anthropique émis dans l’atmosphère chaque année. Depuis le début de l’ère industrielle, 33% de CO2 anthropique a été absorbé par les océans (Gruber et al., 2019a). Plusieurs processus sont responsables de l’absorption du CO2 par les océans, que l’on appelle les pompes océaniques de carbone .
A l’interface air-mer, la diffusion du CO2 est régie au premier ordre par la différence de fugacité de CO2 (fCO2) entre le compartiment océan de surface et atmosphère, qui va imposer le sens du flux. L’intensité du flux air-mer est également fonction de la solubilité du CO2 dans l’océan qui dépend de la température (et la salinité) des eaux. La solubilité du CO2 dans l’eau de mer augmente quand la température diminue. Ainsi, l’absorption de CO2 atmosphérique est favorisée dans les eaux froides des hautes latitudes, ce à quoi s’ajoutent la formation des eaux profondes au niveau des zones de convection (Keeling and Peng, 1995; Pérez et al., 2013) et la formation des eaux modales et intermédiaires (Sallée et al., 2012) qui contribuent à la pompe physique de solubilité .
Le puits océanique de CO2
Selon le dernier rapport du GIEC (Chapitre 5 Global Carbon and Other Biogeochemical Cycles and Feedbacks, Canadell et al., 2021), 170 (± 20) Gt de carbone anthropique (Cant) se sont accumulées dans l’océan global sur la période 1750-2019. En réponse à l’augmentation accrue et exponentielle des teneurs en CO2 atmosphérique, le puits de carbone océanique global a augmenté (Ciais et al., 2013 ; Khatiwala et al., 2013) : le taux d’absorption annuel moyen est passé de +1.1 (±0.4) GtC an-1 pour la décennie 1960 à +2.8 (±0.4) GtC an-1 pour la décennie 2010 (Friedlingstein et al., 2022), bien que l’incertitude relative reste importante (McKinley et al., 2017; Gruber et al., 2019a ; Fig. I.4). Pour réduire cette incertitude, une compréhension plus approfondie à l’échelle régionale est nécessaire (Lovenduski et al., 2016). En effet, ce carbone anthropique n’est pas distribué uniformément dans les océans (Sabine et al., 2004). Il pénètre dans l’océan intérieur préférentiellement dans les régions de convection profonde et de subduction (Sarmiento et al., 1992). En effet, ~25% du Cant pénètre dans les eaux de surface de l’Atlantique Nord et ~40% dans les eaux de surface de l’océan Austral au sud de 35°S (Fig. I.5 ; Sabine et al., 2004; Khatiwala et al., 2013; DeVries, 2014; Frölicher et al., 2015; Gruber et al., 2019c).
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Table des matières
Introduction Générale
I.1 Changement climatique global
I.2 Rôle des océans dans le cycle du carbone
I.3 Le puits océanique de CO2
I.4 Motivations et problématique de cette thèse
Chapitre 1. Zones d’études et échantillonnage
1.1 Le Gyre Subpolaire Nord-Atlantique
1.1.1 Circulation superficielle
1.1.2 Contexte biogéochimique et grandes oscillations climatiques
1.1.3 Données des campagnes SURATLANT
1.2 L’océan Indien Austral
1.2.1 Circulation dans l’océan Austral
1.2.2 Contexte biogéochimique et variabilité climatique
1.2.3 Données des campagnes OISO
Chapitre 2. Méthodes
2.1 Méthodes analytiques
2.1.1 Méthodes d’extraction du CO2 et de mesure du δ13CDIC
2.1.2 Contrôle qualité des données de δ13CDIC
2.1.3 Mesures de l’Alcalinité Totale et du Carbone Total
2.1.4 Mesure de la fugacité de CO2
2.1.5 Autres mesures hydrologiques et biogéochimiques
2.2 Méthodes de calculs
2.2.1 Résolution du système des carbonates
2.2.2 Méthodes de calcul de la concentration de carbone anthropique
2.2.3 Méthode de Régression Linéaire Multiple étendue (eMLR)
Chapitre 3. Le Gyre Subpolaire Nord-Atlantique
3.1 Avant-propos
3.2 Variabilité du système des carbonates dans les eaux de surface du NASPG (1993-2017)
3.2.1 Résumé en français
3.2.2 Article (publié en 2020)
3.2.3 Supplément de l’article (publié en 2020)
3.3 Etude de la variabilité du DIC et du δ 13CDIC dans les eaux de surface du NASPG (2005-2019)
3.3.1 Variabilité saisonnière
3.3.2 Evolution décennale
3.3.3 Estimation du signal anthropique
Chapitre 4. L’océan Indien Sud et Austral
4.1 Avant-propos
4.2 Tendances estivales et drivers de la fCO2 et du pH dans les eaux de surface du secteur Indien de l’océan Austral au cours des deux dernières décennies (1998- 2019)
4.2.1 Résumé en français
4.2.2 Article (publié en 2022)
4.2.3 Supplément de l’article (publié en 2022)
4.3 Etude de la distribution du δ13CDIC et évaluation anthropique
4.3.1 Variabilité spatiale
4.3.2 Evolution décennale
4.3.3 Estimation du signal anthropique
Chapitre 5. Conclusions et perspectives
5.1 Principaux résultats
5.2 Synthèse
5.3 Perspectives
Bibliographie