Au Mali comme partout dans le monde, le paludisme constitue un véritable problème de santé publique. Chaque année, il fait de nombreuses victimes à travers le monde. Sa répercussion est si négative sur les populations que son éradication est devenue une nécessité absolue de la part de certaines organisations nationales et internationales qui tentent par tous les moyens possibles de parvenir à ce dessein. Les propos de l’ancien Secrétaire général des Nations Unies Ban Ki-Moon sont édifiants à ce sujet :
« Nous ne pouvons pas tenir pour acquises les récentes victoires dans le combat contre le paludisme. Les progrès sont fragiles. Notre engagement prolongé, nos pensées les plus innovantes et notre appui financier seront nécessaires à les préserver. Nous devons même redoubler d’efforts afin de maintenir les bénéfices de la prévention, et les redoubler encore afin de réduire les infections, d’investir dans les capacités humaines et d’assurer un accès universel au diagnostic et au traitement, tout en visant à éliminer la maladie dans le plus de régions possibles . » .
Eu égard à cette situation, nous avons jugé nécessaire d’établir une terminologie dont la visée consiste à mettre la disposition du personnel soignant ainsi qu’aux patients un outil de communication adapté à leurs conditions socio-culturelles.
Ce choix n’est pas fortuit il traduit notre volonté de doter le bamanankan de tous les outils nécessaires à son développement afin qu’il permette à ses locuteurs de retrouver leur identité culturelle tout en ayant accès au savoir scientifique et technique. Il s’agit d’outiller le bamanankan de moyens linguistiques pour l’amener à mieux traduire les compétences scientifiques et technologiques modernes. Henri BEJOINT et Philippe THOIRON (1996 : 74) semblent partager ce même point de vue quand ils affirment : « Il convient de donner à chaque langue les moyens de son adéquation aux exigences de la communication d’aujourd’hui, notamment dans des domaines scientifiques et techniques, de la doter de terminologies appropriées.». C’est à ce prix que le bamanankan pourra survivre dans un monde en perpétuel développement scientifique.
CADRE THÉORIQUE
CHOIX DE LA LANGUE
Suivant la loi n° 96-049 du 23 Août 1996 portant modalités de promotion des langues nationales, les autorités maliennes ont reconnu 13 langues nationales. Il s’agit, entre autres du bamanankan, du bomu (ou bobo), du bozo, du dogon (ou dɔgɔsɔ), du peul (ou fulfuldé), de l’hassanya (ou maure), du mamara (ou miniyankan), du mininkakan (ou malinké), du soninké (ou soninké), du songhoy, du syεnara (ou senufo), du tamasheq (ou tamalayt) et du xaasongaxonno (ou khassonké).
Nous voyons donc que la situation sociolinguistique du Mali donne lieu à l’existence de plusieurs langues nationales en plus du français qui demeure la langue officielle. En effet, le français est parlé dans les hauts lieux de l’État. C’est donc la seule langue de l’administration et du gouvernement bien qu’il ne soit parlé que par une minorité de la population. Par ailleurs, il constitue la seconde langue pour certaines couches sociales maliennes. Malgré cette situation qui donne le monopole de la communication officielle au français, le bamanankan sert de langue véhiculaire partout au Mali. 80% de la population malienne le maîtrisent parfaitement en tant que langue maternelle pour les uns et langue seconde pour les autres.
Beaucoup de personnes sont hostiles au français pour des raisons culturelles et idéologiques. Pour les uns, le français est une langue importée par les occidentaux, pour d’autres, il est aberrant d’abandonner le bamanankan (la langue de leurs ancêtres) au profit de toute autre langue étrangère. Ce sentiment peut être ambigu aux yeux d’un observateur étranger mais le bamanankan constitue pour l’homme bamanan le pilier de sa culture, le véhicule de son âme et de sa personnalité, bref son identité. NDUMBE cité par Mamadou DIA (2012 : 123) partage cet avis quand il écrivait ceci :
Un peuple qui perd sa ou ses langues est un peuple qui perd ses mots, et quand un peuple perd ses mots, il perd son âme et sa vision du monde. Ce peuple alors s’enlise dans la dépendance durable, jusqu’au jour où il récupère ses mots et commence à articuler son histoire, son présent et son devenir au sein de lui-même et dans le concert des nations.
Cette citation de NDUMBE nous rappelle que la langue constitue le conditionnement mental de l’homme.
En histoire, on nous enseigne également que les rois bamanan auraient opposé une forte résistance à la pénétration française en refusant la domination. Ce qui expliquerait également cette antipathie envers la langue française. Cette théorie nous semble pertinente d’autant plus que la ville de Ségou (la quatrième région administrative du Mali et ancienne capitale du royaume bamanan) constitue de nos jours la limite géographique du français au Mali. Les peuples du Nord (zone sahélienne à faible densité de population) s’expriment nettement mieux en français que ceux du Sud.
Néanmoins, le bamanankan reste la langue la plus parlée par les Maliens. Il est connu sous d’autres variantes, car il possède plusieurs branches dialectales que l’on rencontre dans les milieux comme Ségou, San, Bélédougou, Ganadougou, Wasoulou et Sikasso.
Le bamanankan est également parlé ou a des parlers apparentés dans d’autres pays d’Afrique de l’Ouest comme le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, la Guinée Conakry, le Sénégal, la Gambie, le Bénin, le Niger, le Togo. Il est parlé essentiellement dans ces trois derniers pays par des populations issues de l’immigration. Du reste, les locuteurs du bamanankan, du malinké et du jula qu’ils soient du Mali ou d’ailleurs se comprennent mutuellement.C’est pourquoi le professeur Drissa DIAKITÉ (1999 : 31) avance ceci :
La vitalité du bamanankan ne se dément pas aujourd’hui car cette langue ne cesse de progresser au Mali et dans toute l’Afrique de l’Ouest, relayé le plus souvent par les langues apparentées que sont le Jula et le malinké. L’urbanisation croissante, l’exode rural, le développement des mass médias, etc. favorisent cette progression. Le bamanankan est la langue du Mali qui investi le plus de champs du secteur dit moderne (école, presse écrite, presse parlée, cinéma, publicité…).
Le bamanankan est d’importance capitale à travers tout le Mali. Sa force réside dans le fait qu’il soit parlé par des populations différentes sans être nécessairement leur langue maternelle.
CADRE CONCEPTUEL
La lexicologie
La lexicologie, discipline constituée et admise dans la tradition linguistique européenne, peut avoir plusieurs définitions. Il est donc important de commencer à délimiter ses contours afin de la rendre plus explicite. Toutefois, conformément à notre objectif, il ne s’agit pas de faire des études exhaustives, nous donnerons quelques définitions à partir d’ouvrages de bases que nous avons eu à consulter.
Ainsi, dans son ouvrage intitulé Lexicologie et Sémantique lexicale : Notions fondamentales, Alain POLGUÈRE (2008 : 45), définit la lexicologie comme la « branche de la linguistique qui étudie les propriétés des unités lexicales de la langue appelées lexies. ». Il est complété sur cette voie par Alise LEHMANN et Françoise MARTIN-BERTHET (1998 : 201) qui affirment que la lexicologie a pour tâche d’établir la liste des unités qui constituent le lexique, et de décrire les relations entre ces unités. La lexicologie serait ainsi la discipline qui étudie les phénomènes lexicaux, comme étant la branche maîtresse de la linguistique, c’est-à-dire l’étude des structures du lexique ; de la description à la fois grammaticale et sémantique des relations qui s’établissent entre les unités du lexique.
Rappelons que le lexique d’une langue donnée est l’ensemble des mots de cette langue. Aussi, cet ensemble est ouvert puisque la langue vit à travers l’apparition et la disparition constante de mots, la création de nouveaux termes en fonction des besoins des usagers. Alise LEHMANN et Françoise MARTIN-BERTHET (2003 : 13) nous en disent davantage :
Le lexique n’est pas une simple liste qu’on ne pourrait ordonner que par ordre alphabétique, il s’organise sur les deux plans du sens et de la forme :
–la sémantique lexicale étudie l’organisation sémantique du lexique : elle analyse le sens des mots et les relations de sens qu’ils entretiennent entre eux ;
–la morphologie lexicale étudie l’organisation formelle du lexique : elle analyse la structure des mots et les relations de forme et de sens qui existent entre eux.
Cet ensemble non monotone agrandit le champ d’étude de la lexicologie. Il couvre le système lexical de la langue pris dans son intégralité. La lexicologie cherche en effet à comprendre les structures que constituent les mots d’une langue et à étudier les conditions dans lesquelles elles se forment. Elle s’intéresse à l’identification et au classement des mots, à la détermination de leur origine et des conditions dans lesquelles ces mots sont appelés à désigner quelque chose. Enfin, l’étude des transmissions et des valeurs de sens que les mots présentent dans leurs différents emplois relèvent aussi de la lexicologie. C’est l’examen de ce vaste champ d’étude qui a sans doute conduit Alena POLICKÀ à dire que la lexicologie est une discipline au carrefour des autres secteurs de la linguistique.
Les relations de la lexicologie avec les autres disciplines de la linguistique
En tant que science du mot, la lexicologie entretient divers rapports avec les autres branches de la linguistique. Elle est à la croisée de chemins entre la phonologie et la morphologie (pour la forme des mots), la sémantique (pour leurs significations), la syntaxe (pour leurs propriétés combinatoires), et la lexicographie (pour l’élaboration de dictionnaires ou lexiques).
La phonologie
Elle se définit comme l’étude scientifique des systèmes de sons des langues naturelles. C’està-dire l’ensemble des principes ou règles déterminant les systèmes de sons dans telle ou telle langue naturelle. Nous entendons par langue naturelle tout système de signes vocaux, éventuellement graphiques, propre à une communauté d’individus, qui l’utilisent pour s’exprimer et communiquer entre eux.
La phonologie relève du domaine de la deuxième articulation. Les unités qui la décrivent sont appelées les phonèmes. Ces derniers constituent la base de l’analyse phonologique. Ce sont des entités significatives de la chaîne parlée qui assument une fonction différentielle et servent à la distinction sémantique. L’opposition minimale en bamanankan des phonèmes f/b permet de distinguer les signes de fa = Père/ba = Mère et celle de m/t permet de différencier mɔgɔ = Être humain/tɔgɔ = Nom, etc. Par ailleurs, il convient de noter que chaque langue possède son propre système phonologique (articulation).En effet, la prononciation de certaines lettres du bamanankan est différente du français où celles-ci n’ont pas leurs équivalents, tel est le cas pour le son bamanan suivant :ј de jama = la foule ; il correspond au son anglais des prénoms John et James ; car le bamanankan n’a pas le son français j du prénom Jacques. Par le fait que la phonologie s’intéresse aussi au signifiant (la forme des mots), la lexicologie établit des rapports avec elle.
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Table des matières
INTRODUCTION
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE ET CONCEPTUEL
CHAPITRE 1 : CADRE THÉORIQUE
1.1 CHOIX DE LA LANGUE
1.2 OBJECTIFS
1.3.1 L’enquête ethnographique
1.3.2L’enquête savante
CHAPITRE 2 : CADRE CONCEPTUEL
2.1 La lexicologie
2.1.1 Les relations de la lexicologie avec les autres disciplines de la linguistique
2.1.1.1 La phonologie
2.1.1.2 La morphologie
2.1.1.3 La syntaxe
2.1.1.4 La sémantique
2.2 La terminologie
2.2.1 Historicité de la terminologie
2.2.2 Terminologie et paludisme
2.3 Le paludisme
DEUXIÈME PARTIE : PRÉSENTATION DU DOMAINE ET TRAITEMENT DU CORPUS
CHAPITRE 3: PRÉSENTATION DU DOMAINE
3.1 Les considérations préliminaires
3.1.1 Bref aperçu sur le bamanankan
3.2 L’arbre du domaine
3.3 Présentation de la fiche terminologique
3.4 La terminologie du paludisme en français et en bamanankan
CHAPITRE 4 : TRAITEMENT DU CORPUS
4.1 L’analyse sémantico-morphologique
4.1.1 La dérivation affixale
4.1.1.1 Les suffixes
4.1.1.1.1 Nom + Suffixe
4.1.1.1.2 Verbe + Suffixe
4.1.1.2 Les préfixes
4.1.2 La composition
4.1.3 La réduplication
4.1.4 La siglaison
4.2 L’élaboration du sens en néologie
4.2.1 Les emprunts
4.2.2 Le calque
4.2.3 Les relations sémantiques
4.2.3.1 La synonymie
4.2.3.2 La polysémie
CONCLUSION
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
TABLE DES MATIÈRES
ANNEXES