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Système gappé et champ magnétique
Dans les systèmes de chaînes de spins demi-entiers, tout écart à l’uniformité des interactions va entraîner l’ouverture d’un gap d’énergie entre le niveau fondamental et les premiers états excités. Nous avons présenté l’exemple de la chaîne à couplages alternés. L’effet de l’application d’un champ magnétique sur ce type de système est très intéressant. Des transitions quantiques induites sous champ et de nouveaux ordres magnétiques sont ainsi prédits théoriquement. L’exemple de la phase incommensurable longitudinale dans des chaînes de type Ising a déjà été présenté. Dans ce qui suit, nous allons donner une description plus « générale » de l’effet du champ sur un système gappé.
Sur la figure 1.13 est présenté un exemple de scénario d’effet du champ magnétique sur un système gappé. En champ nul, l’ouverture du gap d’énergie (induit par l’alter-nance des couplages par exemple) est associé à un niveau fondamental singulet S = 0, c’est-à-dire une phase non magnétique (pas d’ordre). Lorsque le champ magnétique est appliqué, un éclatement Zeeman du premier niveau excité, le triplet S = 1, est observé (figure 1.13.(a,d)). La variation du gap d’énergie en fonction de la valeur du champ magnétique appliqué est connue [43] : le niveau de plus haute énergie s’écarte de la position Δ en champ nul suivant la loi +g B H (en vert sur les figures 1.13.(a,d)) alors que l’écart entre le niveau fondamental et le premier niveau excité varie en −g B H (en rouge). Le niveau du milieu reste constant.
Le gap d’énergie se ferme à un premier champ critique Hc1 = Δ/g B . Au-dessus de ce champ, le système s’ordonne magnétiquement en-dessous d’une certaine température Tc dépendante des interactions inter-chaînes [44]. Cette phase d’ordre magnétique induit par le champ est couramment appelée par son anglicisme FIMO pour Field Induced Magnetic Ordering. Les moments magnétiques s’ordonnent dans le plan perpendiculaire à la direction d’application du champ magnétique.
Dans la phase FIMO, le gap entre le premier niveau excité et le niveau fondamental est nul. Une grande attention est portée pour les systèmes présentant ce type de phase car une condensation de Bose-Einstein des magnons a été prédite théoriquement [43, 45, 46]. Expérimentalement, de nombreux composés quasi-1D présentant une dimérisation des spins ont été intensivement étudiés. Citons les deux exemples les plus marquants que sont TlCuCl3 [46, 47] et BaCuSi2O6 [48, 49].
La transition vers cette phase FIMO s’accompagne d’une croissance de l’aimantation (figure 1.13.c) restée nulle entre 0 et Hc1 tant que le gap n’était pas fermé. Si l’on continue à augmenter le champ, l’aimantation croît également. Ce phénomène s’explique par le fait que le champ tend à aligner les moments dans sa direction (canting des spins). La croissance de l’aimantation s’arrête lorsque le champ magnétique atteint un second champ critique Hc2, le champ de saturation. Les moments magnétiques sont alors complètement alignés dans la direction du champ. Le système est dans la phase paramagnétique saturée.
Au-dessus de Hc2, un gap d’énergie se réouvre entre le niveau fondamental et le premier état excité (figure 1.13.d).
Diffusion neutronique
Différentes techniques de caractérisation ont été utilisées au cours de cette thèse : mesures de chaleur spécifique sur un instrument PPMS, diffraction Laue (rayons X et neutron) et diffusion des neutrons. Le principal outil utilisé étant la diffusion neutro-nique, nous présenterons uniquement cette technique.
La diffusion des neutrons est à l’heure actuelle l’un des outils les mieux appropriés pour étudier les propriétés magnétiques au niveau microscopiques de la matière. Elle s’avère être quasiment indispensable après caractérisation des composés par des mesures macroscopiques telles que la chaleur spécifique, la susceptibilité…
Dans ce chapitre, nous allons présenter les avantages de l’utilisation des neutrons pour les études magnétiques. Pour cela, les propriétés générales des neutrons seront exposées dans un premier temps. Ensuite, les différentes techniques expérimentales que nous avons utilisées pour ce travail seront présentées : la diffraction des neutrons, pour les études statiques, et la diffusion inélastique des neutrons pour tout ce qui concerne la dynamique de spins. Au sein de chaque partie, nous décrirons brièvement les différents instruments sur lesquels nous avons travaillé : diffractomètres 4-cercles et deux axes bras levant et le spectromètre trois-axes.
Ce chapitre n’a pas la prétention d’être une description détaillée de cet outil. Le lecteur intéressé pourra se reporter aux références [50–52]. La partie théorique de la diffusion neutronique sera une présentation brève des notions importantes. Elle sera suivie d’une présentation d’une vision « pratique » de l’utilisation des neutrons pour l’étude de la matière.
Généralités sur le neutron
Pourquoi les neutrons ?
Le neutron est une particule découverte en 1932 par James Chadwick [53]. Il possède une charge nulle, une masse mn = 1.675 × 10−27 kg, un spin S = 1/2 et un moment magnétique n = 1.913 N ( N étant le magnéton de Bohr nucléaire). La première utilisation du neutron dans une expérience de diffusion pour étudier la matière date de 1946. Depuis lors, de part ces différentes propriétés que nous venons de citer et des avancées technologiques, la diffusion neutronique est devenue l’une des techniques d’exploration de la matière les plus utilisées.
Deux principales techniques sont utilisées pour produire des neutrons : les réacteurs nucléaires et les sources à spallation. Nous ne parlerons pas ici de la seconde technique, toutes les expériences de notre étude ayant été réalisées au réacteur à haut flux de l’Institut Laue Langevin de Grenoble. Dans un réacteur, les neutrons sont produits par la fission nucléaire des éléments du combustible radioactif U235. Dans le coeur du réacteur, refroidi à l’eau lourde, une partie des neutrons produits vient auto-alimenter la réaction nucléaire, permettant ainsi à un réacteur comme l’ILL de faire des cycles d’utilisation d’une cinquantaine de jours.
La réaction nucléaire produit des neutrons de très grande énergie, d’une vitesse de 20 000 km/s. Ces derniers sont ensuite ralentis et répartis dans différentes sources avant l’utilisation sur les expériences : les neutrons thermiques (vitesse v ≈ 2.2 km/s, énergie E ≈ 25 meV), les neutrons chauds (v ≈ 10 km/s, E ≈ 520 meV), les neutrons froids (v ≈ 700 m/s, E ≈ 2.5 meV) et ultra-froids (v ≈ 10 m/s). Après ces différentes sources, les neutrons sont transportés dans des guides vers les différentes zones expérimentales.
Pourquoi les neutrons sont-ils utilisés pour étudier la matière ? En plus de ses pro-priétés en tant que particule, le neutron peut être décrit comme une onde. Il lui est associé un vecteur d’onde k et une longueur d’onde λ reliés à sa vitessev par les rela-tions suivantes : mn k = ~v λ = 2π = h k mnv
où h est la constante de Planck et ~ = h/2π.
Son énergie est donc définit de la manière suivante : E = 1 mnv2 = ~2k2 22mn
Si l’on considère sa longueur d’onde dans le cas « classique » des neutrons thermiques, elle se situe entre 1 et 4 Å. Cette longueur est de l’ordre de la distance inter-atomique. L’interaction entre un faisceau de neutrons et un réseau cristallin va donc engendrer des interférences. L’étude de ces interférences va permettre alors de connaître l’organisation atomique de la matière. Ce type d’étude statique est la diffusion élastique des neutrons, plus couramment appelée diffraction. L’utilisation d’un faisceau de neutrons permet également d’étudier la dynamique des systèmes. L’énergie des neutrons thermiques, par exemple, se situe dans la gamme 5 – 100 meV. Cette plage d’énergie correspond typiquement aux énergies mises en jeu dans les excitations d’origine inter-atomique (phonons). La connaissance de l’énergie que le neutron transfert avec un système permet alors de connaître l’énergie des excitations. Ce type d’étude correspond à la diffusion inélastique.
Du fait que sa charge est nulle, le neutron est une sonde volumique. Contrairement aux rayons X (RX), le neutron va pouvoir pénétrer en profondeur dans la matière sans être arrêté par la barrière coulombienne créée par le cortège électronique des atomes. Une autre différence importante avec les rayons X vient du fait que l’interaction du neutron avec les éléments du tableau de Mendeleïev n’est pas régi par la taille nuage électronique entourant l’atome, mais par un potentiel d’interaction définit pour chaque atome : la longueur de Fermi, sur laquelle nous reviendrons plus loin lorsque nous dé-crirons les interactions neutrons/matière. Pour donner un exemple typique, l’utilisation de la diffusion neutronique permet d’étudier les éléments légers comme l’hydrogène, ce dernier étant difficilement observable aux RX 1.
L’autre propriété importante est le fait que le neutron possède un spin S = 1/2. Grâce à son moment magnétique intrinsèque, le neutron va pouvoir interagir avec les électrons non appariés des atomes magnétiques. L’étude de l’interaction magnétique entre le neutron et la matière permet ainsi de déterminer l’arrangement des moments magnétiques dans la matière (structure magnétique, par exemple) et également les excitations magnétiques (par exemple les magnons).
Diffusion neutronique
Lorsqu’un faisceau de neutrons interagit avec la matière, différents phénomènes peuvent se produire : absorption, réfraction et diffusion. Nous ne parlerons pas des deux premiers par la suite et allons focaliser notre discussion sur la diffusion.
Lors d’une interaction neutron-matière, le neutron incident de vecteur d’onde ki est diffusé par un système diffuseur, dont l’état initial est noté λi. L’interaction est décrite par le potentiel V . Après l’interaction, le neutron repart avec un vecteur d’onde kf et le système diffuseur se retrouve dans l’état λf .
Lors de l’interaction, deux types de transferts se produisent : un transfert de moment et un transfert d’énergie :
~Q = ~ki − ~kf ~2 Transfert de moment
~ω = Ei − Ef = ki2 − kf2 Transfert d’énergie
où Ei et Ef sont les énergies avant et après diffusion et Q est le vecteur de diffusion.
Par définition, le transfert d’énergie est positif lorsque le neutron cède de l’énergie.
La quantité fondamentale mesurée lors d’une expérience de diffusion neutronique est la section efficace différentielle partielle définie de la manière suivante (figure 2.1) : neutrons diffusés par seconde dans l’angle solide dΩ nb deautour de kf et avec une énergie finale comprise d2σ=1entre Ef et Ef + dEf dΩdEfΦdΩdEf où Φ est le flux de neutrons incidents.
Dans le cadre l’approximation de Born, la section efficace différentielle partielle permettant de décrire le passage du système neutron-système diffuseur de l’état (ki, λi) à l’état (kf , λf ) s’écrit : 2 σ kf mn 2 2 d = kf , λf V r( ) ki, λi δ(~ω + Eλi − Eλf ) dΩdEfki2π~.
Diffusion inélastique
Jusqu’à présent, nous avons principalement présenté la diffusion élastique des neu-trons. Lors de ce travail de thèse nous avons également étudié les excitations magné-tiques dans certains des composés. L’énergie des neutrons étant de l’ordre de grandeur des excitations élémentaires de la matière, la diffusion inélastique est un outil parfai-tement adapté pour ce genre d’étude. Deux principaux types d’excitations sont cou-ramment étudiées : les excitations de réseau (phonons par exemple) et les excitations magnétiques (magnons ou spinons par exemple). Lors du travail réalisé pendant cette thèse, nous avons uniquement étudié les excitations magnétiques. Dans cette section, nous allons donc uniquement présenter la diffusion inélastique magnétique des neutrons.
Diffusion inélastique magnétique
Lorsque le neutron interagit avec le système diffuseur deux types d’échange d’énergie peuvent se produire :
– soit le neutron cède de l’énergie au système et crée ainsi une excitation (transfert d’énergie positif).
– soit le système, déjà excité, cède une quantité d’énergie équivalente à une excitation élémentaire au neutron (transfert d’énergie négatif).
Dans notre cas, nous avons travaillé à basse température (T ≤ 10 K). Dans cette gamme de température, le système est dans son état fondamental et peu, voire aucune, excitation existe dans le système, le premier type d’échange est alors celui qui se produit majoritairement. Il est donc nécessaire de travailler à transfert d’énergie positif.
Rappelons que la diffusion cohérente inélastique s’associe à deux types de transfert : un transfert de moment et un transfert d’énergie :
Q = ki − kf =q +τ Transfert de moment
~ω = Ei − Ef = ~2 ki2 − kf2 Transfert d’énergie
La section efficace différentielle de diffusion magnétique peut s’écrire sous la forme : d2σ magn kf 2 2 δαβ − QαQβ S αβ (Q, ω) (Q, ω)coh=pf(Q) dΩdEkiQ2 α,β
avec (α, β = x, y, z). Sαβ (Q, ω) est le facteur de structure magnétique dynamique et est donné par l’expression (en négligeant les interactions spin–réseau) : Sαβ(Q, ω) = 1 dte−iωt e−iQ.Ri eiQ.Rj Sα(0)Sβ (t) 2π~ij i,j
où Sjβ (t) est la composante β du moment magnétique j à l’instant t. Siα(0)Sjβ (t) est la fonction de corrélation spin-spin. Cette quantité est généralement assez difficile à calculer. Pour cette raison, une forte corrélation entre théoriciens et expérimentateurs mesurant les excitations magnétiques dans la matière est une nécessité.
Le facteur de structure dynamique peut être aussi écrit de cette manière : Sαβ(Q, ω) = 1 1 I m χαβ (Q, ω) π 1 − e−~ω kB T
où Im χαβ (Q, ω) est la partie imaginaire de la susceptibilité généralisée. Elle décrit la réponse dynamique du système.
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Table des matières
Introduction
1 Magnétisme basse dimension
1.1 Chaînes uniformes
1.1.1 Spins entiers
1.1.2 Spins demi-entiers
1.2 Chaînes non-uniformes
1.2.1 Chaînes à couplages alternés
1.2.2 Chaînes XXZ
1.3 Système gappé et champ magnétique
2 Diffusion neutronique
2.1 Généralités sur le neutron
2.1.1 Pourquoi les neutrons ?
2.1.2 Diffusion neutronique
2.2 Diffusion élastique – diffraction
2.2.1 Diffusion nucléaire élastique
2.2.2 Diffusion magnétique élastique
2.2.3 Diffraction par un cristal
2.3 Diffraction en pratique
2.3.1 Détermination de structure magnétique
2.3.2 Diffractomètres
2.3.3 Intensités et corrections
2.4 Diffusion inélastique
2.4.1 Diffusion inélastique magnétique
2.4.2 Spectromètre 3-axes
3 Chaînes alternées F-AF : DMA-CuCl3
3.1 Généralités sur le composé
3.1.1 Aspects structuraux
3.1.2 Magnétisme
3.2 Détails expérimentaux
3.3 Ordre magnétique en champ nul
3.3.1 Vecteur de propagation
3.3.2 Détermination de la structure magnétique
3.4 Effet du champ magnétique – Diagramme H-T
3.4.1 Caractérisation de la phase FIMO
3.4.2 Diagramme de phase champ-température
3.4.3 Structure magnétique de la phase FIMO
3.5 Conclusion
4 Chaîne de spins de type Ising : BaCo2V2O8
4.1 Généralités sur le composé
4.2 Mesures de chaleur spécifique
4.3 Phase de Néel
4.3.1 Préliminaires expérimentaux
4.3.2 Structure nucléaire à basse température
4.3.3 Vecteur de propagation en champ nul
4.3.4 Analyse de symétries
4.3.5 Structure magnétique champ nul
4.4 Effet du champ magnétique
4.5 Phase incommensurable longitudinale
4.6 Diagramme de phase champ-température
4.7 Étude des excitations magnétiques en champ nul
4.7.1 Champ cristallin
4.7.2 Excitations basse énergie
4.7.3 Modes acoustiques et optiques
4.8 Conclusion
5 Chaînes alternées AF-AF dans un composé organique : D-F5PNN
5.1 Généralités sur le composé
5.1.1 Cristallographie et magnétisme
5.1.2 F5PNN deutéré
5.1.3 Intérêts du composé
5.2 Étude structurale
5.2.1 Transition induite par la température
5.2.2 Structures cristallographiques en champ nul
5.2.3 Transition cristallographique induite sous champ magnétique
5.2.4 Structure cristallographique sous champ
5.2.5 Bilan intermédiaire sur l’étude structurale
5.3 Excitations magnétiques
5.3.1 Excitations magnétiques en champ nul
5.3.2 Effet du champ magnétique sur le gap d’énergie
5.3.3 Excitations magnétiques dans la phase saturée
5.3.4 Bilan de l’étude des excitations magnétiques
5.4 Nature de la transition structurale
5.5 Conclusion
Conclusion
Bibliographie
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