”Ceci est un monde” Le partage des jeux en ligne

« Ce n’est qu’un jeu ! » 

Mais n’est-ce pas déjà l’insulter sérieusement que d’appeler les échecs un jeu ? – Stefan Sweig. Le joueur d’échecs .

L’une des réactions parmi les plus fréquentes à l’exposé de notre objet de recherche a été de souligner le caractère exotique de ce dernier. Le jeu est pourtant courant dans l’analyse sociologique, surtout lorsqu’on le mobilise pour un usage métaphorique, en faisant référence au jeu comme espace mécanique incertain ; au jeu comme situation sociale dans laquelle des participants parient et prennent des risques pour obtenir des gains particuliers, ou comme modalité de lecture d’une interaction, d’une situation sociale dans laquelle les acteurs se retrouvent interprètes de rôles bel et bien définis. En revanche, il est vrai qu’en tant que cadre et objet d’activités collectives en soi, le jeu n’a, à première vue, que peu eu sa place dans les sciences humaines modernes.

Le jeu, objet utile ou futile ? 

L’historien néerlandais Johan Huizinga donne en 1938 une importance culturelle primordiale au jeu, en inscrivant ce type d’activité comme une forme première d’expression humaine (homo ludens) au même titre que la connaissance (homo sapiens) et que le travail (homo faber). Son approche compréhensive du phénomène ludique s’oppose alors à des lectures positivistes, phénoménologiques ou encore fonctionnalistes de l’expérience du jeu. Le jeu doit être perçu comme une activité qui fait, pour les individus, sens en soi, et non comme le vecteur d’autres intentions. La primauté qu’accorde Huizinga au sens subjectif de l’expérience de jeu permet de mieux comprendre le point de vue qu’il exprime par ailleurs, et selon lequel l’ère industrielle, avec ses sensibilités matérielles et bourgeoises, aurait conduit à un effacement de certaines formes ludiques qui lui préexistaient, pour y privilégier un « solennel sérieux ». Faut-il donner raison à cette perspective particulièrement pessimiste et historiquement située au vu du dédain relatif montré par certaines sciences sociales, dont la sociologie, pour l’étude du jeu comme phénomène pour soi ?

C’est, du moins, le point de départ d’une réflexion à laquelle nous invite le travail de synthèse opéré par Thomas S. Henricks dans l’ouvrage Play Reconsidered. Sociological Perspective on Human Expression. Ce sociologue du jeu sportif souhaite répondre à l’appel lancé par Huizinga en interrogeant le traitement de l’expression humaine, plus largement que celui du jeu, par les auteurs structurants de la sociologie. Il s’intéresse ainsi à la question de la créativité et de la productivité qui relève d’une lecture du travail comme réalisation de soi et possibilité de connexion avec le collectif chez Karl Marx. Il retrouve la question des relations entre l’activité (et la créativité) humaine et le collectif au travers des rapports que la première entretient avec les normes sociales chez Émile Durkheim, et note un écho à cette relation dans celle qu’entretiennent le jeu et le rituel. Il s’appuie sur les travaux menés par Max Weber sur la musique pour interroger l’hypothèse d’une rationalisation du domaine de l’expérience elle-même, et parmi ses formes, du jeu, qui, dans cette perspective, apparaît moins comme une échappatoire à la complexité sociale que comme un élan vers elle . Comme la musique, le jeu sportif pourrait être analysé comme ayant fait l’objet de l’instrumentalisation, de l’institutionnalisation, de la technicisation et finalement de la bureaucratisation de l’expérience de jeu dans les sociétés occidentales modernes. L’évolution sociale du jeu dans l’histoire et celle de la violence de la forme ludique, est un sujet qui sera également réfléchi au travers du sport comme source de création d’une tension émotionnelle dans une société par ailleurs pacifiée par Norbert Elias et Éric Duning . S’il a perdu de la violence physique qui le caractérisait dans l’Antiquité, ou encore au Moyen Âge, le jeu reste une échappatoire temporaire au contrôle social des émotions. La standardisation du sport est également traitée dans ce cas comme conjointe à la formation des clubs anglais : le jeu sportif n’est pas seulement un exutoire cathartique, il fait alors aussi partie de la construction d’une lingua franca pour des individus qui reconnaissent là un lien mutuel .

Le jeu, forme sociale pure 

Reste à savoir si le jeu tient bien, comme le défendait Huizinga, un rôle singulier dans la complexité de ces articulations. Il semble que ce soit le cas selon Georg Simmel, pour qui il faut distinguer, sans les séparer, contenu et formes de la vie sociale, culture subjective et culture objective. Les individus poursuivent des intérêts, buts et motifs qui s’expriment au travers de modes ou formes de relation spécifiques. Dans cette perspective, le jeu est singulier en ce qu’il est d’abord perçu comme une forme sociale pure, autonome. Dans le jeu, ou dans les formes ludiques de la sociation, la forme sociale devient elle-même le contenu de l’interaction. Le jeu peut être ainsi vu comme un genre d’interaction singulier qui donne la possibilité de mettre ces formes sociales à distance. Jouer, c’est contempler le monde comme un artifice. Le jeu est donc profondémment marqué par cette dynamique de distanciation qui exige, entre autres, de travailler à rendre les interactions impersonnelles : dans le jeu, il faut jouer un rôle, et certaines différences doivent être effacées pour supporter un sentiment d’unanimité.

Plusieurs points nous intéressent particulièrement dans la proposition de lecture du jeu faite par Simmel. D’abord, il y a là l’idée que le phénomène ludique puisse être considéré comme spécifique non en tant qu’objet, ou comme activité, mais comme une modalité de la sociation. Cet exemple de la sociabilité comme forme ludique de la sociation est tout à fait parlant. Le jeu compte effectivement parmi les formes de l’interaction les plus fréquentes lors de certaines rencontres collectives. C’est notamment le cas à l’occasion de réunions familiales, de séminaires de travail, ou autre événement, tout particulièrement lorsqu’il réunit des individus dans un contexte extra ordinaire. Parce qu’il est la construction d’une enclave dans la vie sociale, un cadre que l’on construit volontairement « à part », le jeu peut, en théorie du moins, se réclamer de déplacer la donne des rôles et des positions sociales, le temps d’une partie, à défaut d’être en mesure de la défaire.

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Table des matières

INTRODUCTION GENERALE
« CE N’EST QU’UN JEU ! »
LE JEU, OBJET UTILE OU FUTILE ?
LE JEU, FORME SOCIALE PURE
LE JEU, CADRAGE SINGULIER DES INTERACTIONS
JEUX EN LIGNE MULTIJOUEURS A UNIVERS PERSISTANT
CE QUE CHANGENT LES « NOUVELLES » TECHNOLOGIES
PLASTICITE DES PRATIQUES, TECHNIQUES ET ESPACES MEDIATIQUES
L’ARENE D’UN MONDE EN PARTAGE
TERRAINS, METHODES, ET MATERIAUX
AGE OF UTOPIA : STILLNODE, ONIRIS ET LES SONGEURS
WORLD OF WARCRAFT : CARACOLE ET AUTRES AVATARS
TERRAINS ET RAPPORTS AU TERRAIN
DES MONDES EN PARTAGE ?
PARTIE 1 / CONNEXIONS
CHAPITRE 1 : DE NOUVELLES TECHNOLUDIES
I. JEUX ELECTRONIQUES
I.1. JEUX DE LABORATOIRE
I.2. LA MISE EN PLACE D’UNE INDUSTRIE
I.2.1. JEUX D’EXTERIEURS ET CONSOLES DE SALON
I.2.2. LE KRACH DES ANNEES 1980 ET LA RESTRUCTURATION DU SECTEUR
I.2.3. LA GENERATION NINTENDO
I.3. LE TOURNANT PROFESSIONNEL DES ANNEES 1990
II. CONNECTER LES JOUEURS
II.1. L’ELITISME CULTUREL ET TECHNOLOGIQUE DES PREMIERS UNIVERS EN LIGNE
II.1.1. PLATO, ILLINOIS, ÉTATS-UNIS
II.1.2. MULTI-USERS DUNGEON, ESSEX, ROYAUME-UNI
II.1.3. MULTI-USER DIMENSION, INTERNET
II.2. COMMERCIALISATION DES UNIVERS EN LIGNE
II.2.1. DES RESEAUX PRIVES AU WORLD WIDE WEB
II.2.2. MASSIVEMENT MULTIJOUEURS ET PERSISTANTS
CHAPITRE 2 : JEUX VIDEO ET CULTURE
I. RICHESSE DES TECHNOLOGIES, MONDES COMMUNS
I.1. L’INTERACTION LUDIQUE : TECHNIQUES ET SAVOIRS
I.2. CONVERGENCE DES PRATIQUES
I.2.1. MONDES FICTIONNELS
I.2.2. TECHNIQUES
I.2.3. PRATIQUES
I.3. DES UNIVERS PARTAGES ET MASSIFS
II. L’ESSOR DES GAME STUDIES
II.1. LE JEU COMME OBJET VULGAIRE, UNE EPOQUE REVOLUE ?
II.1.1. LE JEU COMME SIMULATION ET LES PLAY STUDIES
II.1.2 LUDOLOGIE CONTRE NARRATOLOGIE
II.2. LE JEU EN VAUT-IL LA CHANDELLE ?
II.2.1. LE RATTACHEMENT PROGRESSIF DU JEU VIDEO A LA SPHERE MONDAINE
II.2.2. L’URGENCE A TRAITER LE PHENOMENE LUDIQUE COMME UN PHENOMENE SOCIO-CULTUREL
II.3. TERRAINS DE JEU : LES LABORANTINS DU CYBERESPACE
II.3.1. LES ETHNOGRAPHES DU VIRTUEL
II.3.2. LE POTENTIEL EXPERIMENTAL ET QUANTITATIF DES NOUVEAUX MONDES
II.3.3. LE RAPPEL A LA PRISE EN COMPTE DU CONTEXTE TECHNIQUE DE LA PRATIQUE DES JEUX VIDEO
PARTIE 2 / FABRIQUE
CHAPITRE 3 : LA FACTURE D’AGE OF UTOPIA
I. D’UN MONDE DE DISCOURS A UN MONDE-OBJET
I.1. ÉLABORATION D’UN DISCOURS SUR LE MEILLEUR DES MONDES
I.1.1. SE DEMARQUER : DISTINGUER LE PRODUIT AU SEIN D’UNE OFFRE NOUVELLE
I.1.2. LES PERSPECTIVES COMMUNES D’AGE OF UTOPIA
I.2. LA GUERRE DES MONDES : CONCEPTEURS A L’ŒUVRE
1.2.1. L’ENTRE-DEUX DE LA DEFINITION DU PROJET
1.2.2. QUI COMPRENDRA LES JOUEURS ? OU LA « MISE AU PLACARD » DES GAME DESIGNERS
I.3. REFORMULATIONS
1.3.1. ÉVOLUTIONS CONJOINTES DE L’ORGANISATION ET DE SON PRODUIT
1.3.2. TRACES OU TRAME DU PASSE ?
II. UTOPIA COMME ARENE, OU OBJET COMMUN A DES MONDES HETEROGENES
II.1. L’APPARENTE CHRONIQUE D’UNE MORT ANNONCEE
II.1.1. DE L’AGE D’OR A L’AGE TRAGIQUE
II.1.2. UN DEVELOPPEMENT SOUS PERFUSION
II.2. MAIS LE MONDE TOURNE
II.2.1. L’ENTREE DES USAGERS DANS L’ARENE
II.2.2. RECONFIGURATIONS A L’ŒUVRE
CHAPITRE 4 : LES JOUEURS D’UTOPIA
I. L’USAGE EN CONCEPTION
I.1. LA FIGURE DU JOUEUR
I.1.1. DE MAUVAIS MAITRES
I.1.2. TOUS LES CONCEPTEURS SONT DES JOUEURS ?
I.2. À QUOI SERVENT LES JOUEURS ?
I.2.1. LE JOUEUR COMME PREUVE ET ARGUMENT D’AUTORITE
I.2.2. LES QUALITES CONTRAIGNANTES DE LA FIGURE DU JOUEUR
I.2.3. VEILLE SUR LE MONDE DES JOUEURS
II. JOUEUR TYPE ET TYPES DE JOUEURS
II.1. JOUEUR TYPE : LA VIE REELLE DES SONGEURS
II.1.1. UNE POPULATION PARTICULIEREMENT DISPONIBLE AUX LOISIRS ?
I.1.2. UNE POPULATION ELECTIVE ?
II.2. TYPES DE JOUEURS
II.2.1. DU TEMPS A L’ACTIVITE EN JEU
II.2.2. LES FACTEURS D’INFLUENCE SUR LES TYPES D’ACTIVITE EN JEU
PARTIE 3 / PRATIQUES
CHAPITRE 5 : JOUER, C’EST FAIRE QUOI ?
I. JOUER, C’EST FAIRE … QUOI ?
I.1. LE JEU COMME ESPACE INFORMATIONNEL ET COMMUNICATIONNEL
I.1.1. MON ONIRIS : PREMIERS PAS DANS L’ESPACE CLOS DE LA FICTION
II.1.2. NOTRE ONIRIS : RENCONTRE AVEC UN SONGEUR
I.1.3 ONIRIS COMME ESPACE D’ACTIVITES ET DE RENCONTRES LUDIQUES
I.2. SE CONNECTER N’EST PAS JOUER : ACTIVITES PRESCRITES ET PRESTIGE DES ACTIVITES
II.2.1. PRATIQUE ROUTINIERE, ACTIVITES INDETERMINEES
II.2.2. DU BON USAGE DU JEU : ACTIVITES PRESCRITES ET PRESTIGE DES ACTIVITES
II. JOUER ENSEMBLE
II.1. JEU COLLECTIF, JEUX DE ROLES
II.1.1. COMPOSITION D’UN GROUPE D’ACTION
II.1.2. DES ROLES POUR LA COORDINATION DE L’ACTION
II.1.3. DE LA QUESTION DES ROLES A CELLE DE L’INTERCONNAISSANCE
II.2. DE L’INTERCONNAISSANCE A LA PERENNISATION DU COLLECTIF
II.2.1. L’ACCES AUX RAIDS
II.2.2. CONTRAINTES PESANT SUR LES MODALITES DE L’ORGANISATION DE L’ACTION DE RAID
II.2.3. LA GESTION DES RISQUES PAR L’INTERCONNAISSANCE
CHAPITRE 6: TECHNOLOGIES DU JOUER ENSEMBLE
I. LES TECHNOLOGIES DEPLOYEES EN ACTION
I.1. SEQUENCES ET ORGANISATION DE L’ACTION COLLECTIVE
I.1.1. METTRE EN SCENE L’ACTION COLLECTIVE
I.1.2. UNE SCENE D’ACTION COMMUNE, DES INTERFACES SINGULIERES
I.2. GESTION DE L’INFORMATION : PLUS QUE SIMPLES OUTILS DE REPRESENTATION
I.2.1. UNE ERGONOMIE DELEGUEE AUX UTILISATEURS
I.2.2. « LE MEC NE PEUT PAS SAVOIR CE QU’IL SE PASSE DANS LA TETE DU TANK »
I.2.3. « BOMBE DE GRAVITE SUR VOUS ! » : CE QUE FAIT L’INTERFACE
II. LES AUTRES ESPACES TECHNIQUES DU JEU
II.1. LA GUILDE COMME VECTEUR DE DIVERSIFICATION DES TECHNIQUES DU JEU
II.1.1. LA NECESSITE D’UN ESPACE DE COMMUNICATION ASYNCHRONE
II.1.2. LE FORUM EST LA GUILDE ?
II.2. DES TECHNIQUES EN AMONT ET EN AVAL DE LA RENCONTRE LUDIQUE
PARTIE 4 / PARTAGE
CHAPITRE 7 : LES MONDES DES JOUEURS
I. PRATIQUES, ESPACES ET « IDENTITES LUDIQUES »
I.1. LES IDENTITES LUDIQUES
I.1.1. UNE DEFINITION RELATIVE DU RAPPORT AU JEU
I.1.2. DES CONSTRUCTIONS COLLECTIVES
I.2. ESPACES D’INTERPRETATION ET DE CONFLIT
I.3. « CAN’T WE JUST GET ALONG ? »
II. JOUEURS CONTRE JOUEURS
II. 1. LE TAG DE FACTION : DES INTERPRETATIONS CONCURRENTES
II.1.1. JOUEURS CONTRE ENVIRONNEMENT
II.1.2. JCJ VS JCE, RP VS LE RESTE DU MONDE : DES OPPOSITIONS CLASSIQUES
II.2. ESPACES DISPUTES DE LA DEFINITION DU MONDE
II.2.1. QUI COMPOSE LA « COMMUNAUTE BRUYANTE » ?
II.2.2. ESPACES OFFICIELS ET ALTERNATIFS
CHAPITRE 8 : MEDIATIONS
I. LES ENJEUX DU METAJEU
I.1. LA QUESTION DE L’AUTORITE SUR L’ORDRE DU MONDE
I.1.1. L’IMPORTANCE DU METAJEU
I.1.2. ENTRE TYRANNIE DES JOUEURS ET OMNIPOTENCE DES CONCEPTEURS
I.2 « GERER LA COMMUNAUTE » DE JOUEURS ?
I.2.1. L’ICEBERG DE LA GESTION DE COMMUNAUTE
I.2.2. RECOLTER, TRIER, ET « PESER » L’INFORMATION
I.3. LES « CRIS » DES FORUMS
I.3.1. LES FORUMS COMME ESPACES CRITIQUES
I.3.2. LA « FATIGUE DE JEU »
I.3.3. L’AMBIVALENCE ET LA VIOLENCE MEDIATIQUE DU FORUM
II. UN DISPOSITIF DE MEDIATIONS
II.1. LE CHUCHOTEMENT DES BENEVOLES
II.1.1. RESTER EN JEU : ETABLIR UN CONTINUUM ENTRE LE STATUT DE JOUEUR ET CELUI DE DEVELOPPEUR
II.1.2. LES BENEVOLES RESTENT DES JOUEURS A SURVEILLER
II.2. LES ENJEUX DU TRAVAIL DE MEDIATION
CONCLUSION GENERALE

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