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Localisation de la zone d’étude
Le site de Beampingaratsy se situe dans la Région d’Anosy, à 100 kilomètres de Fort Dauphin sur l’axe RIP 118. Ce massif forestier, qui s’étend sur une superficie de 60 000 hectares, appartient à l’écosystème forêts humides et relie notamment les Parcs Nationaux d’Andohahela et de Midongy Atsimo gérés par Madagascar National Parcs ou MNP. Le site est inclût dans les Communes Rurales de Ranomafana, Bevoay, Ampasimena et Analamary sur le Versant Est (District de Fort-Dauphin), et dans les Communes de Manevy et de Marovitsika sur le Versant Ouest (District d’Amboasary). Les actions du PHCF sont concentrées sur le Versant Est du site, là où la déforestation est plus importante et qui fait notamment l’objet de cette étude. La Carte 1 suivante présente la zone d’étude où sont visualisées les communes et fokontany enquêtés ainsi que les points chauds de la déforestation.
Démarches méthodologiques
Démarche conceptuelle et état de l’art
Concept de déforestation
La déforestation, présentée par les dictionnaires courants comme synonyme de déboisement, désigne l’action qui consiste à détruire la forêt. Le concept de déforestation se définit largement par l’irréversibilité du changement d’affectation de la terre, car la plupart des terres défrichées ne retournent pas à leur état boisé précédent (PULNAMASARI, 2010). Les chercheurs qui étudient la déforestation, tantôt sur ses aspects purement écologiques, tantôt agro-écologiques ou socio-économiques, aboutissent à une compréhension commune de ce phénomène comme étant le passage du couvert végétal d’un état naturel à un état « artificialisé » ou bien la transformation ou la conversion des forêts en d’autres types d’occupation du sol, désormais plus ou moins dépourvues de végétation ligneuse (DEMAZE, 2011). Souvent impulsé par la croissance démographique, ce phénomène résulte des actions de déboisement puis de défrichement liées à l’extension des terres agricoles, d’une exploitation excessive ou anarchique de certaines essences forestières et de l’urbanisation (UN-REDD, 2012).
Toutefois, la définition la plus usitée de la déforestation est celle de Food and Agricultural Organization ou FAO : « selon le couvert vertical au sol, la déforestation est définie comme étant la réduction à long terme de ce paramètre de telle façon que la forêt ne peut maintenir un couvert arboré dépassant le seuil de 10 % »5. (ANGELSEN et al., 2009). Cette définition exclut spécifiquement les surfaces où les arbres ont été retirés pour leur récolte et où l’on s’attend à ce que la forêt se régénère naturellement ou avec l’aide de mesures sylvicoles (UN-REDD, 2013). Dans ces différentes définitions, le caractère anthropique de la déforestation est largement souligné, mais ce phénomène peut aussi être provoqué par des phénomènes naturels comme les tempêtes ou la sècheresse (BALDO-SORIANO, 2010).
Causes directes et facteurs sous-jacents de la déforestation
De nombreux auteurs soulignent la différence entre les causes directes (« proximate causes ») et les facteurs sous-jacents (« driving forces » ou « underlying causes ») de la déforestation. Les causes directes de la déforestation sont définies comme des activités anthropiques qui affectent directement l’environnement. Autrement dit, elles proviennent de l’utilisation des terres et impactent directement sur le couvert forestier (GEIST.et al., 2001). Elles sont généralement regroupées en trois grandes catégories à savoir l’expansion des terres cultivées et des pâturages (expansion agricole), la récolte ou l’extraction de bois (exploitation forestière), et l’expansion de l’infrastructure. Les agents de déforestation sont les personnes qui réalisent directement ou indirectement ces causes directes, donc l’action de déboiser. Sont ainsi considérés comme des agents de la déforestation : les agriculteurs, les exploitants forestiers ou miniers et même les gouvernements qui investissent dans des infrastructures (CALMEL et al., 2008a).
Les facteurs sous-jacents de la déforestation sont considérés comme les forces fondamentales qui sous-tendent les causes directes de la déforestation, influençant les décisions quant à l’utilisation du sol (LAMBIN et al., 2006). Elles peuvent être vues comme des associations de variables sociales, politiques, technologiques et culturelles qui constituent les conditions initiales dans les relations humain-environnement. En termes d’échelle, ces facteurs sous-jacents peuvent opérer directement à une échelle locale ou indirectement au niveau national voire global (GEIST.et al., 2011). Il peut s’agir par exemple de l’augmentation du prix d’une denrée agricole, de la pauvreté, du manque d’accès à l’énergie, du manque de clarté dans les droits fonciers, de la densité démographique ou des politiques de développement économique, etc. (CALMEL et al., 2008).
Concept de « tavy »
Le concept de tavy et celui de la déforestation sont étroitement liés, étant donné que le tavy est accusé depuis des siècles de provoquer la déforestation dans les forêts de la côte orientale de Madagascar (AUBERT et al., 2003a). Le mot tavy vient du verbe mitevy qui signifie défricher et désigne à la fois le système de culture et la parcelle cultivée. Le tavy est défini comme étant un système de culture de riz pluvial basé sur la technique d’abattis-brûlis, communément appelé agriculture itinérante sur brûlis, très répandu sur les basses terres de la côte Est, mais également toute action de défriche, même sur les Hautes Terres, où les forêts et milieux arbustifs se sont raréfiés depuis des siècles (BIDAUD, 2012). Aubert et al. (2003) définit le tavy comme la culture de riz pluvial, sans labour, sur défrichement de forêt naturelle humide, en général de forêt secondaire, ou de recrue forestier, sur la côte Est de Madagascar. La pratique du tavy commence par la coupe de la végétation arborée, forêt primaire ou secondaire, puis de son séchage pendant plusieurs mois. Une fois que la végétation est sèche, l’agriculteur met le feu à la parcelle. La principale culture est le riz pluvial qui est généralement associé avec des tubercules comme le manioc, l’igname ou d’autres plantations. Après une ou deux ans de cultures en moyenne, le champ est abandonné et mis en jachère, ce qui permet la recrue de la biomasse végétale. Le paysan retourne à sa parcelle après quelques années de jachère, qui est indispensable à la régénération des nutriments du sol (BAHUCHET et al., 2012). Par ailleurs, le tavy est souvent associé à des règles sociales et foncières car, dans l’organisation des modes d’occupation des territoires, la première défriche de forêt donne le droit de propriété, ou droit de hache (DKAMELA, 2011).
Toutefois, une action de défriche-brûlis, par la pratique du tavy ne signifie pas systématiquement la disparition définitive du couvert forestier (SERPANTIE et al., 2006). En effet, la pratique du tavy ou de l’agriculture itinérante sur brûlis est considérée, en condition de faible densité de population, comme un système stable et durable d’un point de vue écologique. En effet, la pratique traditionnelle de l’agriculture sur brûlis, incluant deux à trois ans de culture suivie de 10 à 20 ans de jachère, permet la reconstitution des nutriments du sol et n’engendre pas de dégradation importante de ses propriétés physico-chimiques (RANDRIAMALALA, 2009). Il convient alors de faire une distinction entre le tavy cultivateur, dans une situation de faible densité où le système agraire est en équilibre avec le milieu naturel, et le tavy défricheur, dans un contexte de dynamique de population galopante qui fait régresser progressivement la forêt (AUBERT et al., 2003). La régénération est possible mais elle est fortement tributaire de la fréquence des perturbations, de leur étendue et de leur intensité qu’il faudrait cerner pour comprendre les dynamiques de la déforestation liées au tavy dans le site de Beampingaratsy.
Approche systémique
Selon Geist et Lambin (2001), la déforestation est abordée dans son environnement complexe et spécifique qui est spatialement défini par l’unité infranationale de la zone d’étude de cas. Pour comprendre ce phénomène, il faut donc l’appréhender par rapport au contexte dans lequel il évolue, et cerner notamment les causes directes et facteurs sous-jacents qui y sont reliées. D’où l’adoption d’une approche systémique afin de comprendre les causes directes et facteurs sous-jacents de la déforestation qui interagissent et sont liés entre eux par de multiples rétroactions. En effet, l’approche systémique vise à « expliquer les faits en saisissant les éléments et les phénomènes de la nature, leur état et leur mouvement en se basant sur les interrelations et les interactions, les comportements et les changements» (RAZAFIARIJAONA, 2006). Cette approche est basée sur le modèle de Geist et Lambin qui considère à la fois les différentes causes directes et facteurs sous-jacents de la déforestation mais aussi leurs liens de causalité. Sur la base de 150 études de cas, le modèle de Geist et Lambin (2001) se distingue par la perspicacité de son analyse et la robustesse de son argumentation (UN-REDD, 2012). La Figure 1 suivante donne une vision systémique et généralisée du modèle causal de déforestation tropicale selon Geist et Lambin.
Démarche globale de l’étude
Phase exploratoire
Revue bibliographique
Cette première étape de l’étude est primordiale car il s’agit d’élaborer une synthèse bibliographique et webographique afin d’assembler les informations nécessaires concernant la thématique de la recherche et la zone d’étude. Pour ce faire, plusieurs ouvrages, articles et publications ont été consultés concernant notamment les questions relatives à la REDD+ au niveau international, national et local, mais également celles concernant la déforestation et la pratique du tavy. Des documents internes du Programme PHCF comprenant entre autres les différents rapports d’activités ainsi que des études antérieures ayant été entreprises dans le site de Beampingaratsy, notamment concernant les données existantes sur l’évolution de la déforestation6, ont également fait l’objet de nos investigations.
Elaboration de questionnaire d’enquête et guide d’entretien
Le questionnaire a été élaboré pour le recueil des informations auprès des ménages riverains du site de Beampingaratsy (Annexe IV). Quant au guide d’entretien, il a été établi afin de recueillir des informations utiles à la thématique étudiée auprès des personnes-ressources (Annexe V). Le questionnaire et le guide d’entretien regroupe des informations qualitatives communes qui ont été collectées à la fois auprès des ménages riverains et des personnes-ressources, notamment par rapport à leurs connaissances sur (i) les causes directes et facteurs sous-jacents de la déforestation à Beampingaratsy, (ii) l’explication de l’évolution historique de la déforestation entre 2006-2012 et enfin (iii) les migrations historiques touchant la zone d’étude.
Mise à part ces informations, le questionnaire comprend également les informations individuelles sur chaque enquêté concernant entre autres (i) les caractéristiques générales des ménages, (ii) les activités des ménages qui sont liées ou non à la forêt, (iii) la situation des terres (forêt-hors-forêt) et leur affectation aux différents types de spéculation, et enfin (iv) les opinions des ménages relatives au Programme PHCF. Des questions spécifiques à ces mêmes personnes ressources interrogées ont également été posées durant les entretiens concernant les informations spécifiques relatifs à leur domaine de compétence (Annexe VI).
Phase de collecte d’informations et de données
Entretien auprès des personnes-ressources
Les entretiens ont été menés sur la base d’un guide d’entretien semi-ouvert. Les personnes-ressources qui ont été consultées sont les responsables du PHCF au niveau de l’Etc Terra, de WWF, notamment l’équipe sise à Fort-Dauphin, et d’AGRISUD International. Il y a également les responsables au niveau de la Direction Régionale de l’Environnement et des Forêts (DREF-Anosy), les Maires, les Chefs Fokontany ainsi que les présidents des COBA.
Focus-Group
L’organisation des focus-group a été nécessaire afin d’échanger sur les points de divergence et de convergence entre les différents intervenants et d’harmoniser ensuite leurs opinions concernant différentes rubriques à savoir : (i) l’ordre d’importance des causes directes et facteurs sous-jacents de la déforestation, (ii) les aspects de l’évolution historique de la déforestation et (iii) la cartographie participative concernant les migrations historiques touchant le site de Beampingaratsy. Au total, quatre (4) focus-group ont été tenus au niveau des groupes suivants:
– la COBA du Fokontany Ranofolo dans la Commune de Ranomafana ;
– les Responsables au niveau de la mairie de Ranomafana;
– la COBA du Fokontany d’Ampaho dans la Commune de Bevoay ;
– la COBA du Fokontany de Lapamena dans la Commune d’Analamary. c. Enquêtes auprès des ménages riverains
Echantillonnage
Une enquête a été réalisée auprès des ménages riverains du Versant-Est du site de Beampingaratsy dans le courant du mois d’Octobre-Novembre 2014. Elle a notamment été effectuée au niveau des Communes de Ranomafana, de Bevoay, d’Ampasimena et d’Analamary. Le choix des fokontany à enquêter a été établi en fonction de leur degré de déforestation7 (Annexe XXIV), et des conditions de sécurité au moment de l’enquête8.
L’échantillonnage aléatoire simple a été utilisé pour le choix de l’échantillon à enquêter, c’est-à-dire que cette méthode consiste à choisir au hasard les individus à enquêter. Sur un total de 2 067 ménages répartis dans les quatre (4) communes d’intervention du programme PHCF, 192 ménages ont été enquêtés, soit une proportion de 9,3 %. La répartition des enquêtés par fokontany et par commune est montrée par le Tableau 1 suivant.
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Table des matières
INTRODUCTION
1 MATERIELS ET METHODES
1.1 Délimitation de l’étude
1.1.1 Contexte de réalisation
1.1.2 Choix du thème
1.1.3 Choix de la zone d’étude
1.1.4 Localisation de la zone d’étude
1.2 Démarches méthodologiques
1.2.1 Démarche conceptuelle et état de l’art
1.2.1.1 Concept de déforestation
1.2.1.2 Causes directes et facteurs sous-jacents de la déforestation
1.2.1.3 Concept de « tavy »
1.2.1.4 Approche systémique
1.2.2 Démarche globale de l’étude
1.2.2.1 Phase exploratoire
1.2.2.2 Phase de collecte d’informations et de données
1.2.3 Démarche spécifique de vérification de chaque hypothèse
1.2.3.1 Démarche de vérification de l’Hypothèse 1 : «La pratique du tavy, qui est la principale cause de déforestation dans le site de Beampingaratsy, représente à la fois une nécessité et une opportunité pour les ménages riverains »
1.2.3.2 Démarche de vérification de l’hypothèse 2 : «De nombreux facteurs sousjacents notamment technologiques et politico-institutionnels influencent fortement l’évolution de la déforestation dans le site de Beampingaratsy»
1.2.4 Synthèse des méthodologies utilisées
1.2.5 Limites de l’étude
2 RESULTATS
2.1 Résultat 1 : Logiques socio-économiques des ménages par rapport à la pratique du tavy responsable de la déforestation
2.1.1 Caractérisation de la pratique du tavy dans la zone d’étude
2.1.1.1 Dynamique de tavy
2.1.1.2 Facteurs de choix de la pratique du tavy
2.1.2 Profils des exploitations agricoles selon la dépendance au tavy et la disponibilité en facteurs de production
2.1.2.1 Typologie selon la dépendance au tavy d’après l’enquête de terrain (Typologie 1-Echantillon A)
2.1.2.2 Typologie selon l’accès aux facteurs de production pour les ménages enquêtés par AGRISUD (Typologie 2-Echantillon B)
2.1.2.3 Rapprochement entre les classes/groupes issues des deux typologies
2.2 Résultat 2 : Facteurs sous-jacents responsables de l’évolution de la déforestation dans le site de Beampingaratsy
2.2.1 Historique de l’évolution de la déforestation dans le site de Beampingaratsy
2.2.2 Relations de l’évolution de la population, du prix du riz blanc et des précipitations annuelles avec l’évolution de la déforestation
2.2.3 Influence des flux migratoires et de la gouvernance forestière sur l’évolution historique de la déforestation
2.2.3.1 Flux migratoires
2.2.3.2 Gouvernance forestière dans le site de Beampingaratsy
2.2.4 Compilation des facteurs sous-jacents responsables de l’évolution de la déforestation
3 DISCUSSIONS ET RECOMMANDATIONS
3.1 Discussions
3.1.1 Dynamiques de tavy et déforestation
3.1.2 Déterminants du choix de la pratique du tavy
3.1.3 Analyse du comportement des ménages par rapport à la dépendance au tavy et l’accès aux facteurs de production
3.1.3.1 Dépendance au tavy comme nécessité
3.1.3.2 Dépendance au tavy comme opportunité
3.1.4 Influence du Programme PHCF sur les ménages
3.1.5 Comparaison des données sur l’évolution de la déforestation
3.1.6 Influence des facteurs sous-jacents sur l’évolution de la déforestation
3.1.6.1 Par rapport aux conditions pluviométriques
3.1.6.2 Par rapport aux flux migratoires
3.1.6.3 Par rapport au PHCF
3.1.7 Modèle de Geist et Lambin
3.2 Recommandations
3.2.1 Orientation des mesures alternatives au tavy
3.2.1.1 Adoption des pratiques agricoles plus respectueuses de l’environnement et intensification des cultures hors-forêts
3.2.1.2 Diversification agricole et promotion des activités génératrices de revenus.
3.2.1.3 Diffusion des techniques agricoles et accompagnement sur le terrain
3.2.2 Appropriation des actions de conservation par les communautés locales
3.2.2.1 Renforcement des capacités des Communautés de Base en gouvernance de proximité des ressources naturelles
3.2.2.2 Implication et participation des populations locales dans le mécanisme REDD+
3.2.3 Options stratégiques transversales
3.2.3.1 Promotion de l’accès au crédit et au marché
3.2.3.2 Implication de l’Etat et des services décentralisées
3.2.3.3 Clarification du régime foncier forestier
3.2.3.4 Cohésion entre les parties prenantes du PHCF
3.2.4 Modélisation de la lutte contre la déforestation dans la zone de Beampingaratsy
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
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