CONTEXTE POLITIQUE, ÉCONOMIQUE ET SOCIAL EN HAÏTI
Il est important de bien comprendre les différents contextes en Haïti pour saisir comment les facteurs environnementaux jouent un rôle dans la volonté de migrer. L’histoire haïtienne est complexe et très mouvementée. Depuis l’indépendance, Haïti est gouvernée par un président élu par le peuple. Jocelerme Privert est le président actuel d’Haïti. Toutefois, en 1957, François Duvalier prend le pouvoir avec le soutien de l’armée et se proclame président à vie. Avec l’aide des «Tontons macoutes», il règne avec autorité. La corruption s’étend à tout le gouvernement. Sa politique va, certes, amener une certaine prospérité économique au pays, mais la corruption, de nombreuses répressions s’instaurant, engendre un climat politique tendu (HOWARD 1998: 9). L’élection de Jean-Bertrand Aristide, en 1990, redonne de l’espoir au peuple; il est le « président des pauvres » (HOWARD 1998: 9). Il essaie, entre autres, de promouvoir une réforme agraire, l’autosuffisance alimentaire et de luter contre la contrebande.
Mais un an après son élection, un violent coup d’Etat l’oblige à s’exiler aux Etats-Unis. Cet évènement est dirigé par Raoul Cédras, qui était le commandant en chef de l’Armée et ce dernier prend le pouvoir à la suite du départ d’Aristide. L’Etat haïtien est très longtemps dirigé par la minorité aisée du pays qui n’en est pas représentative. De très fortes inégalités de traitement existent entre la classe supérieure et les familles plus pauvres habitant dans les campagnes. Ces conflits politiques font qu’aujourd’hui encore, Haïti reste un des pays parmi les moins développés au monde avec un très grand déséquilibre de revenus entre villes et zones rurales (HOWARD 1998: 10). Actuellement, on estime que deux tiers des biens et services produits le sont dans le secteur informel (HOWARD 1998: 10), ce qui prive l’Etat de revenus fiscaux substantiels. Le secteur informel se comprend comme «toute part de l’activité économique échappant aux cadres normatifs, statistiques, administratifs ou fiscaux» (LEVY et LUSSAULT 2003 :509). Ainsi, par exemple, les coupes de bois sont régulièrement et notoirement revendues sur le marché noir sans aucun contrôle. L’économie du pays est basée principalement sur l’agriculture. Celle-ci «contribue pour 25% du produit intérieur brut» (SINGH et COHEN 2014: 16). Le pays se retrouve néanmoins confronté à d’énormes difficultés économiques, car le rendement est freiné par des conditions météorologiques désastreuses.
HAÏTI ET LA MIGRATION
La pénurie des ressources environnementales dans les zones agraires provoque la migration de la population rurale vers les zones urbaines très souvent fragilisées d’un point de vue écologique. Les gens migrent vers la ville, mais leur situation les appauvrit plus encore. Ceux qui décident de rester dans les zones rurales voient leur revenu agricole diminuer considérablement à cause de la péjoration des conditions environnementales (HOWARD 1998: 8). La migration augmente davantage la population à Port-au-Prince, Jacmel et Cap-Haïtien et engendre une certaine précarité (HOWARD 1998: 8). Beaucoup de migrants quittent Haïti qui connaît un solde migratoire négatif. Une grande partie de la population émigre vers la République Dominicaine ou aux Etats-Unis. Selon le gouvernement haïtien, la cause principale de la migration rurale-urbaine serait la dégradation des sols arables (ALSCHER et FAIST 2008: 3). Mais la situation globale à Haïti rend difficile l’étude des migrations, car une multitude de causes sont liées pour expliquer l’exode des Haïtiens. La migration haïtienne s’est faite en plusieurs étapes au cours de son histoire. Selon l’étude d’Alscher et Faist (2008), les facteurs push principaux de la migration haïtienne ont toujours été économiques et politiques. Par la suite, le facteur environnemental est venu s’y superposer.
La première vague de migration a eu lieu après l’indépendance avec une réforme postcoloniale des sols et une décentralisation du pouvoir des zones urbaines vers les zones rurales. Au début du 20ème siècle, les Haïtiens défavorisés partent travailler vers Cuba et la République Dominicaine dans les plantations de sucres (ALSCHER et FAIST 2008: 9). Les migrations internationales vers les USA ont débuté dans les années 50. Ce sont principalement les Haïtiens hautement qualifiés cherchant de meilleures conditions de vie qui ont pu fuir le régime de Duvalier. Dans les années 60, le climat politique et les dégradations environnementales favorisent la migration des classes moyennes tant au niveau interne qu’international. La migration haïtienne se caractérise souvent par le départ des hommes vers l’étranger, ceux-ci ayant pour but d’envoyer des fonds à la famille restée sur place. Ces migrants, formant une diaspora, créent un réseau très important entre les pays de destination et le pays d’origine. Nous reviendrons sur la thématique de la diaspora plus loin dans ce travail. Le tremblement de terre de 2010 a déclenché une vague de migration très importante d’abord vers les zones reculées et non touchées par le séisme. Par la suite, après quelques mois, un retour s’est instauré vers la capitale Port-au-Prince (GÜTERMANN et SCHNEIDER 2011: 40).
DÉGRADATION ENVIRONNEMENTALE
L’«Hispaniola Island» est très fréquemment touchée par des catastrophes naturelles telles que des cyclons, des éboulements, des pluies torrentielles, phénomènes aggravés par les dégradations environnementales perpétrées par l’homme (ALSCHER 2011: 164). En effet, l’activité humaine, ici, déstabilise tout l’écosystème qui ne peut plus se régénérer. Haïti rencontre quatre problèmes environnementaux majeurs. Le premier est la déforestation, le second l’érosion du sol, le troisième le manque d’eau potable et enfin les catastrophes naturelles comme les cyclones, les pluies torrentielles ou les séismes. La déforestation et l’érosion du sol sont induites par l’activité de l’homme avec comme conséquence le manque d’eau potable. Ces multiples difficultés fragilisent d’autant plus le pays déjà régulièrement confronté aux cyclones et autres catastrophes naturelles (ALSCHER et FAIST 2008: 6). Le problème majeur à Haïti est la disparition de la forêt et la diminution des ressources du sol. Haïti est un pays montagneux des Caraïbes qui s’étend sur 2.8 millions d’hectares.
Environ deux tiers du pays sont en pente et deux cinquièmes culminent en-dessus de 400 mètres. Le sol est donc très sujet à l’érosion due aux éboulements lors des cyclones ou des pluies torrentielles. Ces effondrements rendent la terre moins arable et isolent un peu plus des grandes villes les zones rurales. Selon les experts, seul un tiers du pays est cultivable (HOWARD 1998: 12). Le sol devrait être propice à l’agriculture comme en République Dominicaine, mais suite à la déforestation constante et de la culture intensive, le sol s’appauvrit. Le cumul de ces dégradations environnementales impacte l’économie du pays, cela ralentit son développement et aggrave sa situation de précarité. Paradoxalement ces dégradations environnementales massives suivies de grandes catastrophes attirent les populations vers la zone sinistrée. Car là, ces habitants démunis recevront une aide substantielle des organisations humanitaires. Eventuellement, ils trouveront des perspectives d’emploi pour la reconstruction des zones touchées. C’est ce scénario qui s’est installé après le tremblement de terre de 2010 (PIGUET 2010: 6). La forte pression démographique que subit le pays péjore les problèmes environnementaux. En effet, la diminution des terres cultivables exige de trouver des ressources pour nourrir la population croissante5. Afin d’obtenir des revenus, les agriculteurs procèdent donc à la coupe des arbres avec comme corollaire l’exposition de plus de terre aux fortes pluies. Donc, cela favorise encore l’érosion des sols. C’est ainsi que la surface des terres non cultivables augmente nourrissant ainsi un cercle vicieux. L’Etat haïtien et les différents groupes sociaux qui ont dominé la scène politique ces dernières années, ont joué un rôle important dans le processus de déforestation. L’Etat a exploité le bois comme ressource afin d’augmenter ses recettes fiscales, promouvant ainsi la coupe de bois, et alimentant sans cesse une spirale pernicieuse.
Théorie des réseaux et du capital social Les chercheurs ont commencé à s’intéresser aux liens entre les individus et les chaînes migratoires. L’individu qui décide de migrer n’est plus vu comme quelqu’un d’indépendant mais comme une personne dans une structure sociale. Massey (1993: 448) explique que les réseaux de migrants sont constitués d’ « interpersonal ties that connect migrants, former migrants, and nonmigrants in origin and destination areas through ties of kinship, friendship, and shared community origin ». L’existence de ces réseaux favorise les migrations internationales et la création de diaspora. Le fait d’être inclu dans un réseau a une grande importance sur la prise de décision. Indéniablement, les facteurs sociaux et culturels vont permettre de décider si une migration se concrétise et par la suite, quel sera le pays de destination. Ces décisions seront prises en connaissant les expériences des migrants composant le réseau (HAUG 2008 : 588) La présence d’un réseau plus au moins important apporte à un individu des informations sur la migration. Il lui facilitera l’accès à une aide pour s’établir dans un autre pays. Selon Haug (2008), cinq mécanismes décrivent comment les réseaux influencent la décision de migrer (les affinités, l’information, la facilitation, le conflit et l’encouragement).
Tout d’abord, les individus recherchent les lieux, où ils ont des affinités. Par conséquent, avoir un réseau social à l’étranger, va engendrer une migration. Mais son absence est considérée comme un facteur push. La présence d’un réseau social dans une autre région peut engendrer plus facilement une migration, car les conditions de vie sont connues. L’individu possède toutes les informations nécessaires. Les connaissances, les amis, permettent de faciliter l’intégration dans la nouvelle région, en aidant pour la recherche d’appartement, de travail et etc. Les conflits communautaires ou familiaux sont également des éléments qui engendrent une migration. Pour finir, les membres de la famille peuvent encourager une personne à tenter sa chance ailleurs sur le plan professionnel ou social. Les réseaux sociaux qu’ils soient dans la région d’origine ou d’accueil jouent un rôle primordial « particulièrement au stade préliminaire du processus migratoire » (PIGUET 2010 : 11). Chacun de ces éléments pèse dans la prise de décision. On considère de manière générale que les réseaux favorisent la migration car c’est une forme de capital social qui permet d’avoir accès à certains services plus aisément (MASSEY 1993 : 448).
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Table des matières
REMERCIEMENTS
RÉSUMÉ
TABLE DES MATIÈRES
LISTE DES FIGURES
LISTE DES TABLEAUX
LISTE DABRÉVIATIONS
Première partie INTRODUCTION
1. Introduction
Deuxième partie CAS DÉTUDE
2. Cadre de létude
2.1. Contexte politique, économique et social en Haïti
2.2. Haïti et la migration
2.3. Dégradation environnementale
2.3.1. Déforestation
2.3.2. Erosion des sols
2.3.3. Manque deau potable
2.3.4. Catastrophes naturelles, cyclones et pluies torrentielles
Troisième partie PROBLÉMATIQUE
3.1. Cadre théorique
3.1.1Introduction
3.1.2. Théories explicatives de la migration
3.1.2.1. Modèle Push-Pull d Everett Lee
3.1.2.2. Théorie Néoclassique
3.1.2.3. La théorie du choix rationnel
3.1.2.4. Nouvelle économie des Migrations
3.1.2.5. Approches issues de la psychologie sociale
3.1.2.6. Théorie des réseaux et du capital social
3.1.2.7. Imaginaire géographique
3.1.3. Mouvements de la population induits par lenvironnement
3.1.3.1. Types de migrations après une catastrophe naturelle
3.1.3.2. Les réfugiés climatiques
3.1.4. Diaspora
3.1.4.1. Le transfert de fonds
3.1.4.2. La diaspora haïtienne
3.2. Problématique
3.3. Question de départ
3.3.1. Question de recherche
3.3.2. Systèmes dhypothèses
3.3.2.1. Première hypothèse
3.3.2.2. Deuxième hypothèse
3.3.2.3. Troisième hypothèse
3.3.3. Synthèse des hypothèses
Quatrième partie MÉTHODOLOGIE
4. Méthodologie
4.1. Haïti en tant que terrain détude
4.2. Collection dinformations pré-terrain
4.2.1. Recherche documentaire
4.2.2. Terrain dexploration
4.3. Collecte dinformations sur le terrain
4.3.1. Entretiens semi-directifs
4.3.2. Le questionnaire
4.4. Problèmes rencontrés sur le terrain
4.5. Méthode danalyse
Cinquième partie ANALYSE
5. Analyse
5.1. Les différents facteurs explicatifs
5.1.1. Facteurs économiques
5.1.1.1. Le salaire et opportunités de travail dans les villes
5.1.1.2. La diversification des risques
5.1.1.3. La privation relative
5.1.2. Facteurs socioculturels
5.1.2.1. La présence dun réseau à Port-au-Prince
5.1.2.2. Le système éducatif et de santé
5.1.2.3. Limaginaire géographique de Port-au-Prince
5.1.2.4. Linsécurité à Port-au-Prince
5.1.3. Facteurs politiques
5.1.4. Bilan
5.2. Migration et environnement
5.2.1. Les cyclones, pluies torrentielles et inondations
5.2.2. La déforestation
5.2.3. Lérosion
5.2.4. La perception des changements environnementaux
5.2.5. Bilan
5.3. Limportance de la diaspora
5.3.1. LInfluence de la diaspora sur la mobilité
5.3.2. Bilan
5.4. Analyse des questionnaires
5.4.1. Les facteurs explicatifs des migrations
5.4.1.1. Les facteurs économiques
5.4.1.2. Les facteurs socioculturels
5.4.1.3. Les facteurs politiques
5.4.2. La migration et lenvironnement
5.4.2.1. La perception des dégradations environnementales
5.4.2.2. Le lien entre dégradations environnementales et migration
5.4.2.3. La migration après le tremblement de terre de 2010
5.4.3. Limportance de la diaspora
5.4.4. Bilan
Sixième partie CONCLUSION
6.1. Conclusion
6.2. Remarques réflexives et pistes de recherche
Septième partie ANNEXES
7.1. Bibliographie
7.2. Grilles dentretien
7.2.1. Grille dentretien pour les personnes ayant migré à Port-au-Prince
7.2.2. Grille dentretien pour les personnes dans une zone rurale
7.2.3. Grille dentretien dexpert
7.3. Questionnaires
7.4. Entretien de Pierre, 50ans, agronome
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