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SEQUENCE « EVITER, REDUIRE, COMPENSER »
Cest à la fin du XIXè siècle que les premières prises de conscience quant aux conséquences des activités anthropiques sur les milieux naturels ont émergé, et cest dailleurs une loi de 1872 qui crée le premier parc national au monde, le parc de Yellowstone aux Etats Unis (National Park service, 2017). Entre 1950 et 2000, la population mondiale est passée denviron 2,5 milliard dhabitants à plus de 6 milliards (ONU, 2017). Durant cette période, les préoccupations environnementales se sont accrues et les premiers « devoirs de lhumanité envers lenvironnement » ont été énoncés lors de la conférence de Stockholm en Suède en 1972. Depuis, de nombreux accords internationaux en faveur de la diminution des impacts humains sur la biodiversité ont été signés. On peut notamment citer la convention de Ramsar (1971) relative à la conservation des zones humides, et la convention de Washington (CITES) en 1973 relative à la régulation du commerce international de certaines espèces. En 1972 auxEtats Unis apparait la politique dabsence de perte nette (ou « No net loss » en anglais), dans une loi portant sur la pollution des eaux et des zones humides, (Clean Water Act, 1972). Elle impose aux projets dinfrastructures une absence dimpacts entrainant une perte de biodiversité ou une atteinte aux milieux. Elle instaure donc, dans cet objectif, le processus de « mitigation » qui définit les moyens datténuation des effets daménagements sur lenvironnement. Ce processus de mitigation est composé de trois phases, que les porteurs de projet doivent respecter, à savoir : lévitement des altérations ; la réduction des effets qui nont pas pu être évités ; et enfin si des impacts subsistent, la compensation de ces impacts via des actions de restauration, de création, ou de préservation de sites (Darbi et al., 2010 ; CGDD, 2013).
En France, bien que des espaces protégés aient été mis en place avant cette date (avec notamment en la création du site naturel des 7 iles en Bretagne dès 1912), la reconnaissance juridique despaces dont « la conservation de la faune, de la flore, du sol, du sous-sol, de latmosphère, des eaux et, en général, dun milieu naturel présente un intérêt spécial » est affirmée en 1960 avec la création des premiers parcs nationaux (Loi n°60-708 du 22 juillet 1960 relative à la création des parcs nationaux). A la suite de la création des parcs nationaux, une série de mesures ayant trait à la gestion des ressources naturelles et à la protection de la biodiversité sont mises en uvre. On peut citer en 1975 la création des Parcs Naturels Régionaux, puis les transcriptions françaises de lois Européennes telles que la première directive oiseau (directive 79/409/CEE) ou la directive habitat (directive 92/43/CEE) qui définiront les réseaux daires protégées Européennes Natura 2000. La « Déclaration de Rio sur lEnvironnement et le Développement » en 1992 réaffirme la notion de développement durable avec notamment la création du programme daction « Agenda 21 » décliné au niveau local par le « Comité 21 » afin de susciter la réflexion sur les modes daction et les objectifs du développement durable. Cest notamment depuis cette conférence de Rio en 1992, et la signature de la Convention sur la diversité Biologique (CDB), que la France a pris des engagements forts pour la conservation de la biodiversité. En 2004, est adoptée la Stratégie Nationale pour la Biodiversité qui fixe la mise en uvre de la CDB au niveau national. En 2007, avec les lois « Grenelle 1 » et « Grenelle 2 » est mise en place la politique publique visant à préserver la « Trame Verte et Bleue », témoignant de la prise en considération de laltération des continuités écologiques. La loi « Grenelle 2 » inscrit également dans le code de lenvironnement les Plans Nationaux dAction (PNA), bien que nombre de ces PNA aient été mis en uvre avant cette date. Les impacts des populations humaines sur les espèces, leurs habitats, et sur les continuités écologiques sont donc reconnus par la loi française qui permet la mise en place des outils nécessaires à préservation de la biodiversité sur le territoire.
Parallèlement à cette prise en compte des impacts passés via les actions de restauration de continuités écologiques, dhabitats ou de populations en déclin, des initiatives de prise en compte en amont de futurs impacts dus aux activités humaines sont également mises en place.
Le processus de mitigation a été transposé en France par la mise en application de la séquence « Eviter, réduire, compenser » (ERC). La séquence ERC (figure 1) a été évoquée pour la première fois en droit français dans la loi relative à la protection de la nature du 10 juillet 1976. Cette loi instaure notamment lobligation de la constitution dune étude dimpact environnemental préalable à la construction dun grand projet. Cette loi fut complétée etprécisée dans les décennies suivantes, notamment dans les lois « Grenelle 1 » et « Grenelle 2 » en 2009 et 2010, jusquà la loi n°2016-087 « pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages » datée du 8 aout 2016, qui précise notamment des objectifs de résultats. La réglementation française impose donc aux aménageurs et maîtres douvrage une évaluation des impacts prévisibles des projets, et la description des mesures dévitement, de réduction et de compensation dès létude dimpact préliminaire présente dans le dossier de demande dautorisation du projet. Cette évaluation doit conduire à des prises de décision allant dans le sens dune limitation au strict minimum de toute atteinte à la biodiversité par les infrastructures, dans le respect de la hiérarchie de séquence ERC : évitement des impacts, réduction des impacts non évitables, et enfin compensation des impacts non réductibles, dans un objectif dabsence de perte nette, voire de gain de biodiversité (Ministère de lenvironnement, de lénergie et de la mer, 2017).
LES CAUSES MAJEURES DE REGRESSION DES AMPHIBIENS
Parmi les groupes faunistiques les plus étudiés, les vertébrés ont fait lobjet de nombreuses études, qui ont largement démontré limpact de la perte dhabitat et de la fragmentation sur leurs populations. Parmi eux, les amphibiens sont le groupe le plus menacé dextinction (7,4% des espèces en danger critique dextinction) et ce devant les oiseaux (1,8% des espèces en danger critique dextinction) (Stuart et al., 2004). 42% des espèces damphibiens sont en déclin (BirdLife International, 2004). Ces constats sont particulièrement alarmants, notamment parce les zones tropicales, qui abritent les plus grandes richesses spécifiques damphibiens (Lips et al., 2005), sont également celles dont la croissance humaine est la plus importante (Gallant et al., 2007) et sont donc celles qui seront les plus menacées dans les prochaines décennies.
Globalement dans le monde, et principalement dans les régions les plus développées telles que lEurope de louest et lAmérique du nord, la principale cause de déclin des amphibiens est la perte dhabitat (Baillie et al., 2004 ; Stuart et al., 2004 ; Cushman, 2006). Ce groupe despèces au cycle de vie parfois complexe est particulièrement sensible aux modifications de ses habitats puisquil exploite à la fois des habitats terrestres et aquatiques, et est donc impacté par les altérations de ces deux environnements (Blaustein & Kiesecker, 2002). Les amphibiens utilisent en effet pour beaucoup dentre eux des habitas aquatiques pour se reproduire pendant quelques jours à plusieurs mois suivant les espèces, et un ou des habitats terrestres le reste de lannée (Porej et al., 2004 ; Rogeon & Sordello, 2012) pour le repos, et lalimentation pendant lestive et lhivernage. Ce cycle bi-phasique requiert des migrations saisonnières permettant aux individus de rejoindre successivement ces différents habitats (Semlitsch, 2008 ; Janin et al., 2009 ; Rothermel, 2004). La présence des deux types dhabitat et leur proximité sont donc nécessaires au maintien des amphibiens puisque leurs capacités de déplacement sont relativement faibles (Marsh & Trenham, 2001). De plus, la structure des populations dun grand nombre damphibiens, organisées en complexes de populations plus ou moins isolés les uns des autres cest-à-dire une organisation de type métapopulation, nécessite pour la persistance régionale de lespèce la possibilité de recolonisations après une extinction locale (Sjogren, 1991). La détérioration des habitats, ou des continuités écologiques altérant les processus dispersions entre populations peuvent compromettre la persistance dune métapopulation (Gibbs, 1998). De la même manière que pour la biodiversité en général, les causes majeures de la perte dhabitat pour les amphibiens sont lurbanisation et la construction dinfrastructures dune part, et lintensification des pratiques agricoles dautre part. Ces effets sont documentés pour les amphibiens. Par exemple, la perte et la fragmentation dhabitat par lurbanisation diminuent la quantité et la qualité des habitats des amphibiens, et induisent une diminution de la richesse spécifique, une diminution de loccurrence des espèces ainsi quune diminution de leur abondance (Hamer & McDonnell, 2008). Les effets de lurbanisation semblent cependant différents selon les espèces puisque les espèces damphibiens qui ont des capacités de dispersion plus limitées semblent moins impactées par lurbanisation que les espèces migrant le plus loin (Hamer & McDonnell, 2008). Concernant la perte dhabitat due aux changements de pratiques agricoles, Curado et al., (2011) ont montré dans le nord de la France que la disparition des mares les plus favorables à la reproduction des amphibiens entre 1975 et 2006 était corrélée positivement avec une augmentation des surfaces de cultures céréalières, alors que dans le même temps les surfaces occupées par le pâturage diminuaient.
De nombreux autres facteurs expliquent le statut critique de ce taxon, et agissent conjointement avec la perte dhabitat (Blaustein & Kiesecker, 2002). Les changements climatiques, via notamment lélévation globale des températures ont probablement dores et déjà modifié la phénologie de certaines espèces damphibiens. Ces espèces sont en effet très sensibles à ces facteurs climatiques qui régissent leur cycle de vie (Todd et al., 2010).
Plusieurs études montrent par exemple des corrélations positives entre lélévation moyenne des températures et la précocité des périodes de reproduction chez les amphibiens (voir par exemple Beebee, 2009 ; Blaustein et al., 2001 ; Gibbs & Breisch, 2001). Si ces tendances se confirment et si les températures continuent de sélever, certains espèces damphibiens dEurope pourraient ne plus trouver les conditions nécessaires à leur persistance au sein de leur aire de répartition actuelle (Araujo et al., 2006). Les maladies locales touchant les populations damphibiens, dorigines virales, fongiques, portées par des vers parasitaires ou des bactéries (Blaustein & Kiesecker, 2002) menacent aussi les populations damphibiens partout à travers le monde, avec des conséquences parfois dramatiques. Cest le cas par exemple de Batrachochytridium salamandrivorans, un champignon hautement pathogène responsable du déclin drastique de lespèce Salamandra salamandra aux Pays Bas entre 2010 et 2013 (Martel et al., 2013). La peau perméable des amphibiens est également particulièrement exposée aux contaminants chimiques (Blaustein & Kiesecker, 2002) comme les nitrates en milieu agricole. Parmi les facteurs responsables du déclin des amphibiens, la présence despèces introduites est aussi reportée, induisant une augmentation de la prédation et/ou de la compétition (Kiesecker & Blaustein 1998). Cest par exemple le cas en France de la grenouille taureau qui fait lobjet dun programme déradication (Dejean et al., 2012). Ces espèces introduites peuvent par ailleurs être porteuses saines dinfections qui sont pathogènes pour les espèces autochtones, comme cest le cas par exemple du Xénope lisse introduit en France et porteur sain de la chytridiomycose ainsi que dun ranavirus (Robert et al., 2007).
Enfin, parmi les causes de déclin dans le monde, on peut citer la surexploitation des individus pour la consommation humaine, qui est lune des causes majeures de ce déclin en Asie (Stuart et al., 2004).
Le niveau de déclin global, le nombre de facteurs susceptibles de les impacter ainsi que la sensibilité aux perturbations des amphibiens imposent de mettre en place des actions efficaces de conservation pour ce taxon. La perte dhabitat étant limpact majeur à leur persistance en Europe de louest (Stuart et al., 2004), lapplication stricte des méthodes dévitement, de réduction, et de compensation aux impacts environnementaux des infrastructures est de ce fait cruciale pour les amphibiens. Nous lavons vu, la mise en place de la séquence ERC nécessite une évaluation précise du niveau dimpact, et des bénéfices attendus des mesures dévitement, de réduction et de compensation le cas échant, qui permettent datteindre lobjectif de « zéro perte nette » pour lespèce considérée. Pourtant, la mise en place de ces évaluations chez les amphibiens est particulièrement complexe. En effet, du fait de la grande variété dexigences écologiques, de comportement (Hamer & McDonnell, 2008), ou de dynamiques de populations, lévaluation des impacts dune infrastructure exige des connaissances préalables précises sur chacune des espèces impliquées. Lapplication des mesures dévitement, de réduction et de compensation est principalement rendue complexe par le manque de ces connaissances fondamentales pour la plupart des amphibiens. Pour les amphibiens, loccupation de lhabitat terrestre est mal évaluée, tant spatialement que temporellement. Pour la plupart des espèces, on ne connait précisément ni les domaines vitaux nécessaires ni les arrangements spatiaux entre habitats les plus favorables aux espèces, ni précisément les périodes pendant lesquelles ces habitats sont fréquentés (Marty et al., 2005).
Le « simple » fait de recenser le nombre dindividus sur un site peut savérer une opération complexe chez les amphibiens (Kyek et al., 2007) tant leur probabilité de détection peut être faible (Schmidt, 2003), notamment chez les urodèles, qui némettent pas de vocalises. La compréhension de la dynamique locale dune population damphibien est également rendue complexe par le fait que pour la plupart des espèces, une sous population locale fonctionne en lien avec les autres sous populations (Alford & Richards, 1999), en métapopulations. Des échanges dindividus entre patchs dhabitat ont lieu, permettant ainsi la persistance globale de la métapopulation à la condition que la fréquence de colonisation de nouveaux patchs permette déquilibrer celles des extinctions locales. Or, les capacités de dispersion et la fréquence de ces déplacements sont peu étudiées chez les amphibiens, du fait de la difficulté à suivre des individus lors de leurs déplacements. On ne connait donc précisément ni les distances parcourues, ni les habitats corridor utilisés préférentiellement lors des déplacements (Jehle & Arntzen, 2000). De plus, il est difficile de distinguer la part des fluctuation naturelles deffectifs, qui peuvent être importantes chez les amphibiens (Pechman et al., 1991 ; Alford & Richards, 1999), des fluctuations dues à limpact dune infrastructure ou aux mesures datténuation mises en place. Ce manque de connaissances global sur les éléments déterminant la dynamique et la persistance des populations damphibiens rend la mise en place de la séquence ERC complexe. En effet, comment éviter puis réduire un impact sur une population dont on ne connait pas précisément les lieux de vie et les préférences dhabitat ?
Comment hiérarchiser limportance de sites potentiellement utilisés par lespèce si les moteurs de la dynamique de population sont inconnus ? Ces questions se posent également lors dune éventuelle compensation dimpacts résiduels. Il sagit en effet dêtre capable de recréer et dentretenir des habitats adaptés à lespèce pour assurer léquivalence fonctionnelle entre lhabitat détruit et lhabitat recréé, ce qui demande une bonne connaissance des variables déterminant le choix dhabitat et son utilisation par lespèce. Enfin, le faible niveau de connaissances fondamentales sur lespèce cible nuit à lévaluation de lefficacité de ces mesures de compensation, qui nécessite la comparaison entre état initiaux et situations après compensation. Par exemple, le respect de lobjectif dabsence de perte nette de biodiversité implique des tailles de population comparables avant et après impact et compensation. La difficulté à estimer le nombre dindividus et la grande variabilité des effectifs rend ces comparaisons particulièrement complexes. Une augmentation du nombre dindividus (si elle est détectée par la méthode utilisée) après impact et compensation nest par exemple pas nécessairement synonyme dun succès de la mesure (et inversement, une diminution des effectifs pouvant être liée à une fluctuation naturelle, la conjonction des deux cas de figure étant possible également).
LE CAS DU PROJET DAEROPORT DU GRAND OUEST
PRESENTATION DU PROJET
Prévu dès les années 60 sur une zone située au nord de lagglomération nantaise entre les communes de Notre-Dame-des-Landes et Vigneux-de-Bretagne, le projet daéroport du Grand Ouest a pour objectif de remplacer lactuel aéroport Nantes Atlantique situé au sud de Nantes. Il a été intégré aux documents durbanisme via la création de la Zone dAménagement Différé (ZAD) en 1974 (Arreté prefectoral du 11 juillet 1974). La création de la ZAD, dune superficie de 1225 hectares, sur les communes de Notre-Dame-des-Landes, Vigneux-de-Bretagne, Grandchamps-des-Fontaines et Treillières, a permis une mise en réserve foncière par le département de Loire-Atlantique des espaces prévus pour accueillir le projet (Biotope, 2012). Cette acquisition a aussi indirectement permis la protection de ces espaces naturels notamment vis-à-vis de lurbanisation périphérique à la ville de Nantes. Le projet est ensuite mis sous silence pendant des décennies, notamment à cause des crises pétrolières des années 70. En 1999, Dominique Voynet alors ministre de lenvironnement présente la loi dorientation pour laménagement et le développement durable du territoire (loi n° 99-533 du 25 juin 1999). Cette loi relance les réflexions sur laménagement du territoire et remet sur le devant de la scène le projet daéroport de Notre Dame des Landes. Après une enquête publique, le projet daéroport du Grand Ouest est déclaré dutilité publique par le Décret du 9 février 2008. En 2010, cest la société Aéroports du Grand Ouest (AGO) qui est désignée concessionnaire de la construction puis de lexploitation du futur aéroport du Grand Ouest pour une durée de 55 ans. Le projet daéroport est associé à celui dune desserte routière située au sud de laéroport. Cest la Direction Régionale de lEnvironnement, de lAménagement et du Logement (DREAL) des Pays de la Loire qui est chargée de la mise en uvre de cette desserte. Lemprise de la concession aéroportuaire est de 1236 hectares, répartis sur 4 communes. Lemprise aménagée prévue pour la mise en service de laéroport est de 537 hectares. La desserte routière située au sud du futur aéroport et qui devra relier la RN 165 (axe Nantes Vannes) à louest à la RN 137 (axe Nantes Rennes) à lest sera longue de 11,6 kilomètres pour une emprise au sol de 186 hectares (Figure 3) (Biotope, 2012).
Létude dimpact publiée en 2006 (Préfecture de Loire Atlantique, 2006), reprend les éléments issus des expertises effectuées entre 2002 et 2005 sur les habitats naturels, ainsi que sur les espèces faunistiques et floristiques protégées présentes sur lemprise désignée pour le projet. Elle précise également les impacts prévisibles du projet sur ces espèces et habitats, ainsi que les grandes lignes des mesures datténuation et de compensation prévues en leur faveur, qui ont été précisées dans les dossiers de demande de dérogation datés de 2012 (Biotope, 2012).
Impacts prévisibles
Les impacts prévisibles du projet daéroport sur la zone demprise prévue sont de plusieurs ordres. Tout dabord les impacts considérés comme directs et permanents liés à la destruction des habitats despèces. Il sagit ici de la construction des bâtiments, des infrastructures aéroportuaires, et de lensemble des zones dont la surface sera imperméabilisée. Ces impacts directs ont pour conséquences des altérations permanentes des milieux et des ruptures de continuités écologiques. Vis-à-vis des espèces, ces impacts peuvent également conduire à la destruction directe dindividus nayant pas la possibilité de se déplacer. Les phases de chantier et dexploitation induiront aussi des impacts ponctuels ou permanents liés notamment à des pollutions ou des nuisances sonores par exemple, et dont lincidence sera possible tout au long de lexploitation de laéroport. Lensemble de ces impacts prévisibles fait lobjet de mesures de réduction détaillées dans les dossiers de demande de dérogation au titre des articles L411-2 et R411-6 à 14 du Code de lEnvironnement. Une fois lensemble des mesures de réduction mises en place, les impacts résiduels sont évalués et font lobjet de mesures de compensation.
Parmi les espèces animales protégées, plusieurs amphibiens sont présents sur le site de Notre Dame des Landes. Leur destruction, leur perturbation, laltération de leurs aires de reproduction, de repos ou de déplacement sont interdites en vertu de larticle 2 de lArreté du 19 novembre 2007. Lautorisation du projet est donc soumise pour ces espèces à dérogation, nécessitant lévaluation des impacts du projet sur leurs habitats et sur leur statut de conservation. Lévaluation de limpact résiduel pour les amphibiens indique des atteintes « modérées » à « majeures » en fonction des espèces après application des mesures dévitement et de réduction. Le triton marbré est la seule espèce pour laquelle les atteintes sont considérées comme « majeures » et fait donc lobjet dun traitement spécifique.
CAS SPECIFIQUE DU TRITON MARBRE ET MESURES ASSOCIEES
Description générale
Le triton marbré (Triturus marmoratus, Latreille 1800) est un amphibien de lordre des Urodèles et de la famille des Salamandridae. Il fait partie des 8 espèces du genre Triturus, et des deux espèces du genre présentes en France avec le triton crêté, Triturus cristatus (hormis Triturus carnifex, introduit et présent près de la frontière Suisse (Lescure & de Massary, 2012)). Le triton marbré mesure 120 à 160 mm, les femelles étant généralement plus grandes que les mâles. La face dorsale est marbrée de vert sur fond noir, et une ligne rouge médio dorsale est présente chez la femelle. En période de reproduction, le mâle arbore une crête dorsale et caudale haute à bords lisses qui régresse hors période de reproduction (Duguet & Melki, 2003) (Figure 5).
Cycle annuel, reproduction et comportement migratoire
Le triton marbré a un comportement principalement terrestre, hormis pendant la saison de reproduction qui est aquatique pour cette espèce (Jehle et al., 2005). Dans louest de la France, la période de reproduction se déroule de mars à juillet et débute par la migration pré- nuptiale durant laquelle les individus gagnent les mares dans lesquelles ils se reproduisent (Marty et al., 2005). La période aquatique est la mieux connue pour cette espèce puisque le regroupement dune partie des individus rend léchantillonnage plus facile. Marty et al. (2005) ont observé, grâce à la pose sur une mare dune barrière piège, un début de migrations pré-nuptiale et post nuptiale plus précoce chez les males que chez les femelle, le premier mâle ayant été détecté 3 semaines avant la première femelle pour les deux migrations. Sur cette mare et pendant les deux années de létude, la population est restée en moyenne 4 mois et trois jours, mais aucune donnée nest disponible quant au temps passé sur la mare par chaque individu. La saison de reproduction est suivie en fin de printemps et début dété dune migration post-nuptiale durant laquelle les individus rejoignent leurs sites destive puis dhivernage (Marty et al., 2005). La distance parcourue depuis la mare est relativement faible puisque les rares observations directes ont recensé des déplacements de moins de 200 mètres (Jehle & Arntzen, 2000). Pendant lété et lhiver, le triton marbré fréquente des habitats boisés lui offrant des abris (Marty et al., 2005) proches de la mare (Boissinot & Grillet, 2010). La présence de boisements ou dun maillage bocager dense est donc sans doute intéressante pour cette espèce, même si limportance de la qualité de ces habitats est encore peu étudiée (Jehle, 2000). Le triton marbré utilise donc au cours de son cycle annuel différents habitats (Marty et al., 2005). Cette spécificité quil partage avec dautres amphibiens nécessite pour le maintien de ses populations des paysages hétérogènes sans barrière aux déplacements, lui permettant de migrer dun site à lautre, et daccomplir ainsi son cycle complet.
Eléments de démographie
Les paramètres qui contrôlent la variation des effectifs du triton marbré sont extrêmement mal connus. Les études menées sur des temps suffisamment longs et grâce à des méthodes permettant le recueil de telles informations sont rares. Un jeu de données recueillis sur lensemble des espèces européennes damphibiens (Trochet et al., 2014) rassemble tout de même les informations disponibles dans la littérature. La maturité sexuelle pour le triton marbré est atteinte entre 4 et 5 ans et les individus pourraient être reproducteurs pendant environ 10 ans (Arnold & Ovenden, 2007). Le sexe ratio des populations du genre Triturus est généralement de 1:1 (Jehle et al., 2001). Lors de la période de reproduction, la femelle de triton marbré pond environ 400 ufs. Le taux de survie des larves pour cette espèce est estimé à 0,45 en condition expérimentale (Arntzen & Hedlund, 1990). Le taux de survie annuel des juvéniles est estimés à 0,65 tandis quil serait de 0,77 pour les adultes. Chez le triton crêté, une espèce très proche partageant une partie de son aire de répartition avec le triton marbré, le taux de survie annuel est estimé à 0,22 pour les juvéniles, et 0,49 pour les adultes (Arntzen & Teunis, 1993).
Les variations deffectifs et de recrutement dune année à lautre chez les amphibiens (Semlitsch et al., 1996) et le fait que ces variations soient contraintes en partie par des événements non prévisibles comme les événements climatiques (Richter-Boix et al, 2006, Jakob et al., 2003) rendent complexes létudes de leffet des facteurs anthropiques sur la dynamique de population du triton marbré. En effet, la part des variations naturelles des éléments de dynamique de populations, et la part imputable à une perturbation externe sont dans ce cas difficiles à déterminer (Pechman et al., 1991). Le faible taux de détection des amphibiens (Schmidt, 2003) (et à fortiori des urodèles en raison de labsence de vocalises) ainsi que létude souvent restreinte à la partie aquatique du cycle de vie, auquel il est probable que lensemble de la population ne participe pas chaque année (Semlitsch et al., 1996), rendent la caractérisation de la dynamique de population du triton marbré complexe et encore insuffisamment développée.
Le fonctionnement en métapopulation semble être dominant chez le triton marbré (Rogeon & Sordello, 2012) comme chez beaucoup damphibiens (Marsh, 2008). Ce type de fonctionnement dynamique dans le temps repose sur une distribution en patchs des habitats utilisables par lespèce, certains étant occupés et dautre non (Hanski, 1998). La variation des effectifs au sein de chaque patch peut entrainer des phénomènes naturels dextinctions locales (Hanski, 1998). La persistance globale du système est assurée par la dispersion dindividus dun patch à lautre, permettant, dune part, le maintien dun flux génique, et assurant, dautre part, la colonisation de patchs non occupés (Hanski & Gilpin, 1991). Dans ce type de système, les déplacements dindividus sont donc particulièrement importants pour le maintien local de lespèce (Rogeon & Sordello, 2012). La distance parcourue par le triton marbré depuis la mare est peut être relativement faible (moins de 200 mètres, (Jehle & Arntzen, 2000)) mais les informations concernant son utilisation de lhabitat terrestre et les dispersions sont rares (Jehle & Arntzen, 2000 ; Marty et al., 2005). A léchelle du site détude, la population de triton marbré ne présente pas de structure génétique (Costanzi et al., non publié) démontrant labsence de barrière significative au déplacement des individus.
Conservation et protection
En raison des habitats quil fréquente, la simplification des paysages due notamment aux changements de pratiques agricoles représente lune des principales menaces qui pèsent sur le statut de conservation de lespèce (Marchadour, 2009). Cest le cas dans les Pays de la Loire où lon constate depuis 50 ans la forte diminution de surface des habitats bocagers (Pointereau & Bazile, 1995). Entre les deux cycles dinventaires effectués lun dans les années 60, lautre jusquen 1980 par lInstitut National Forestier (IFN), le département de Loire Atlantique a perdu plus de la moitié de son linéaire de haies. Dans les Pays de la Loire, la surface en prairies permanentes a suivi la même évolution entre 1970 et 2003 avec une perte de la moitié de la surface de prairies (Fédération régionale des chasseurs des Pays de la Loire, 2008). Même si des régressions locales sont observées dans la région depuis 1980, la tendance des populations de triton marbré est mal connue dans la région (Marchadour, 2009).
La disparition des bosquets et haies, les comblements de mares, la diminution du nombre et de la surface des zones humides, mais aussi laccroissement des aménagements urbains et routiers, ont probablement menacé directement lhabitat du triton marbré dune part, maisaussi lensemble des continuités écologiques lui permettant de se déplacer tout au long de son cycle annuel. Dautres menaces telles que lutilisation de pesticides, et lintroduction despèces exotiques parfois envahissantes telles que lécrevisse de Louisiane, affaiblissent e tmenacent probablement les populations de triton marbré. En raison de ces éléments défavorables au maintien de lespèce, le triton marbré est cité en annexe IV de la directive habitats, en annexe III de la convention de Berne, et fait lobjet dun arrêté de protection national (arrêté du 19 novembre 2007, article 2). LUICN le classe cependant comme une espèce de « préoccupation mineure » en raison de son aire de répartition large, de sa large tolérance à différents types dhabitats, et de ses populations présentant des effectifs a priori suffisants au maintien de lespèce (Arntzen et al., 2009). Dans la région Pays de la Loire, en raison de la proportion élevée de laire de répartition totale située dans la région (6% de laire totale) et de la dégradation continuelle de ses habitats depuis plusieurs décennies, le triton marbré est considéré comme une « priorité élevée » en termes de conservation.
Engagements des maîtres douvrage
Létat des lieux environnemental effectué en 2011 par un bureau détudes spécialisé et concernant les dossiers de demande de dérogation au titre des articles L411-2 et R 411-6 à 14 du Code de lenvironnement a permis le recensement de 254 mares sur laire détude de 2900 hectares comprenant laire de la plateforme aéroportuaire, de la desserte routière (figure 3), ainsi que dune zone tampon de 100 à 250 mètres autour de celles-ci. Ces sites ont fait lobjet dexpertises consistant en un ou deux passages nocturnes entre février et mai. Les individus de triton marbré ont été recherchés à laide de lampes torches, ou capturés à laide dun troubleau si la végétation aquatique ou une trop forte turbidité perturbaient la détection à la lampe. Parmi les 254 mares, plus de 30% (N=82) abritaient le triton marbré de façon certaine.
Les expertises effectuées ont permis de contacter 285 individus sur lensemble des 82 mares (Biotope, 2012). Le bureau détudes en charge de ces expertises a estimé les effectifs réels comme étant « probablement compris dans une fourchette allant de 10 à 30 fois les effectifs observés ». Pour le triton marbré, les effectifs étaient de ce fait estimés sur les 2900 hectares de lordre de 1500 à 8000 individus.
Le dossier de demande de dérogation des maîtres douvrage examiné par le CNPN pour avis détaille les impacts prévisibles du projet daéroport du Grand Ouest sur le triton marbré. Ces impacts nont pas été évalués spécifiquement dans ce dossier mais au sein du groupe des amphibiens afin de réaliser une « analyse conjointe de lintérêt des milieux (
) sur la base de préférences écologiques globalement proches pour les espèces contactées au sein de laire détude » (Biotope, 2012). Les effets prévisibles pour ce groupe étaient principalement la destruction et la dégradation des habitats, la destruction de spécimens despèces en phase de travaux, la dégradation des continuités écologiques, le dérangement despèces (pollution sonore et lumineuse) ainsi que les pollutions chimiques et atmosphériques par rejet dhydrocarbures des avions, mais aussi des voitures circulant sur la desserte routière. Le choix du site de Notre Dame des Landes pour accueillir laéroport a été fait initialement en 1968. Ce choix avait été réétudié entre 1992 et 2003 et le choix de Notre Dame des Landes a été réaffirmé lors de la déclaration dutilité publique en 2006 à la suite dun comparatif entre neuf sites de la région. Ce comparatif était basé sur divers critères économiques (bassin demploi, desserte, marché potentiel), sociologiques (urbanisme, nuisances sonores) et environnementaux (environnement, agriculture) (Biotope, 2012). Le choix du site constitue en général la principale mesure dévitement si des atteintes particulièrement fortes sur la biodiversité sont attendues sur lun des sites. Aucun des neuf sites ne semblait présenter un impact environnemental potentiellement plus élevé que les autres, ce sont donc dautres critères qui ont permis de départager ces sites. Lautre mesure dévitement pour ce projet consiste principalement en une limitation des emprises et donc de lemprise au sol : à louverture, ce sont 537 ha qui seront aménagés au lieu de 762 ha prévus initialement soit plus de 15%. Plus spécifiquement concernant les amphibiens, les mesures de réduction consistent notamment en phase de travaux et dexploitation (et de manière non exhaustive) à adapter les plannings de chantier à la biologie de lespèce concernée (destruction de mares hors de la période de reproduction par exemple), à baliser et protéger lensemble des habitats dintérêt écologique situés en marge de chantier, à garantir labsence de pollutions des milieux aquatiques, et à mettre en place des passages dédiés à la petite faune pour le franchissement de la desserte routière.
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Table des matières
1. INTRODUCTION
1.1 LA PERTE DHABITAT COMME CAUSE MAJEURE DU DECLIN DE LA BIODIVERSITE
1.2 SEQUENCE « EVITER, REDUIRE, COMPENSER »
1.3 LES CAUSES MAJEURES DE REGRESSION DES AMPHIBIENS
2. LE CAS DU PROJET DAEROPORT DU GRAND OUEST
2.1 PRESENTATION DU PROJET
2.1.1 Contexte paysager
2.1.2 Impacts prévisibles
2.2 CAS SPECIFIQUE DU TRITON MARBRE ET MESURES ASSOCIEES
2.2.1 Description générale
2.2.2 Habitat
2.2.3 Cycle annuel, reproduction et comportement migratoire
2.2.4 Eléments de démographie
2.2.5 Conservation et protection
2.2.6 Engagements des maîtres douvrage
3. OBJECTIFS ET CHOIX METHODOLOGIQUES
3.1 PROJET INITIAL ET METHODES MISES EN PLACE
3.2 PROBLEMATIQUE
4. METHODES POUR LE SUIVI QUANTITATIF CHEZ LE TRITON MARBRE
4.1 COMPARAISON DES METHODES LES PLUS COURAMMENT UTILISEES POUR LETUDE DES URODELES
4.1.1 Introduction
4.1.2 Matériel et méthodes
4.1.3 Résultats
4.1.4 Discussion
4.1.5 Conclusion
4.2 UTILISATION DE LADN ENVIRONNEMENTAL POUR ESTIMER LABONDANCE DUNE ESPECE SUR UN SITE
4.2.1 Abstract
4.2.2 Introduction
4.2.3 Methods
4.2.4 Results
4.2.3 Discussion
4.2.4 Acknowledgements
4.2.5 Appendix
4.3 CONCLUSIONS CHAPITRE 1
5. MODELISATION DE LA PHENOLOGIE DE LA PERIODE DE REPRODUCTION DU TRITON MARBRE
5.1 ABSTRACT
5.2 INTRODUCTION
5.3 METHODS
5.4 RESULTS
5.5 DISCUSSION
5.6 ACKNOWLEDGEMENTS
5.7 SUPPORTING INFORMATION
5.8 CONCLUSIONS CHAPITRE 2
6. DISCUSSION GENERALE
7. PERSPECTIVES
8. REFERENCES
9. ANNEXE
9.1 ANNEXE 1
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