Cartographie critique de réalités géographiques: cas de la planification de l’espace marin

Une réalité géographique invisible

La PSM en action – constat et contexte

« Gouverner la mer » (Saliou, 2008) est une affaire relativement récente dans l’histoire humaine (Steinberg, 2001). Trois facteurs semblent en avoir été les gouvernails : le mode de (re)production capitaliste (XIVe ), l’art de gouverner libéral (XVIIe ) et les « sciences modernes » (XVIe ).

La PSM : un outil de management de l’espace marin 

Une longue gestation 

Á partir du XIXe siècle s’amorce une rupture dans la colonisation historique des mers et des océans faite par Sapiens (Steinberg, 1999, op. cit.). Une bifurcation anthropologique entreprise depuis le XIIIe siècle mène à la structuration d’un long et continu processus d’industrialisation des moyens et infrastructures de production, débouchant sur l’advenue du « choix industrialiste », qui va œuvrer à un capitalisme industriel (vs capitalisme marchand) (Musso, 2017) . Il en découle diverses innovations technologiques qui intensifient directement et/ou indirectement les activités humaines en mer : moteur à combustion-explosion, coques de navires en acier, filets de type chalut en coton, infrastructures offshore, industrie de la conserve, chemin de fer, etc. (Le Bouëdec et al. 2004 ; Noël, 2011 ; Smith, 1994). C’est dans ces conditions qu’un processus d’industrialisation de l’espace marin va s’engager au travers de quatre phases successives (Smith, op. cit., 2000). La phase originelle apparaît dès la fin du XIXe siècle et prend forme via l’implantation permanente d’ouvrages industriels offshore restant encore largement cantonnés à des secteurs géographiques très localisés (ex. câbles sousmarins en Manche-Est – 1871 ; plateformes pétrolières dans le golfe du Mexique – 1911). Cette phase engendre une colonisation en eaux profondes, c’est-à-dire foncière et non plus surfacique, avec la formation d’un front pionnier maritime défrichant le bleu marin des cartes (Trouillet, 2004 : 49) . Du capital se fixe alors en des positions cartésiennes, des activités en occupant matériellement l’espace absolu pour extraire de nouvelles ressources marines (ex. hydrocarbures offshore).

Dans le premier tiers du XXe siècle, les sciences modernes énoncent les bases de la théorie moderne des pêches avec la formulation mathématique de l’ensemble des processus devant être pris en compte pour mener à bien une exploitation rationnelle des « stocks » de poissons, des « ressources halieutiques » (Mansfield, 2004 ; Revéret, 1991 : 15-16) . Couplée aux avancées technoscientifiques de l’océanographie, ces connaissances bio-économiques des pêches informe alors mers et océans comme un « conteneur à ressources » (St. Martin, 2005a ; 2005b). En parallèle, les activités de pêche, chasse et commerce maritime vont paradoxalement augmenter leur effort de travail à la suite de la rationalisation de leur moyen d’agir, le navire. Si ce dernier permettait de transgresser les limites éthiques et morales (ex. traite négrière) (Cusack, 2014), il consent aussi dorénavant à défier les limites techniques en embrassant idéalement les pratiques tayloristes de l’usine, cette institution de la « religion industrielle ». Ainsi, il est constaté au sein des principaux foyers maritimes occidentaux (golfe de Gascogne, golfe du Saint-Laurent, mer du Nord, etc.), une réduction et concentration du nombre de navires et d’hommes en mer (Le Bouëdec et al. op. cit. ; Noël, op. cit.). Ce processus se réalise alors, au profit d’une spécialisation de leurs fonctions et d’une intensification accrue de leurs rythmes d’activité (ex. chalutier-congélateur).

Le renforcement de cette première phase d’industrialisation de l’espace marin en engendre une deuxième, à partir des années 1940-1950, jusqu’à la décennie 1970 (ex. extension du câblage sousmarin) (Smith, op. cit.). Le milieu marin devient ainsi « le nouveau cœur [économique] du monde » (Noël, 2011 : 14). Du moins dans l’imaginaire collectif, car la part de l’économie maritime reste marginale dans l’économie mondiale, et ce encore aujourd’hui (Suris-Reguiero et al. 2013). Toutefois sur le plan géopolitique, il se (re)trouve bien au centre d’enjeux territoriaux planétaires.

Cette « réalité géographique incontestable » (Noël, 2011 : 14) alimente une « ruée juridictionnelle » des États vers l’océan pour la production de ressources et leur appropriation, précisément durant les décennies 1920-1950. Des revendications territoriales étatiques sont déclarées unilatéralement (ex. URSS en 1917), venant remettre en cause le principe même des « droits naturels » des hommes à s’approprier mers et océans, fondés sur la thèse jusqu’ici dominante d’une mare liberum, les mers étant res nullius (« la mer n’appartient à personne ») (Mansfield, op. cit.). Derrière ces revendications, l’objectif est de poursuivre les mythes occidentaux du « développement » et du « tout progrès » (capitalistes) et de  l’auto-détermination économique des États, pour garantir la souveraineté de leur territoire national dans un contexte de compétition économique mondiale (ibid. ; Nadelson, 1992 ; Noël, 2011 ; Steinberg, 2001) . Á partir de 1930, une conférence de codification du Droit international instituée par la Sociétés des Nations (anciennement l’ONU) tente de solutionner collectivement cet appétit mondialisé (Noël, op. cit. ; Steinberg, op. cit.). Jusqu’au point de rupture amorcé par les États Unis en 1945 qui proclament unilatéralement l’extension juridique de leur souveraineté nationale sur les ressources potentielles (halieutiques et fossiles) de leur plateau continental (Noël, 2011 : 76). En 1947, le Chili et le Pérou leur emboîtent le pas, en revendiquant à leur tour respectivement 200 milles marins pour se réserver notamment la capture des bancs d’anchois qui remontent par le Sud le long de leurs côtes, soit 370 km de juridiction maritime nationale depuis leurs rivages vers le large (Mansfield, op. cit. ; Noël, op. cit. ; Papon, 1996).

En parallèle la montée en puissance du discours performatif des sciences économiques orthodoxes au travers de la théorie moderne des pêches nourrit les appétences des États occidentaux . Des théories spéculatives sont élaborées prônant la privatisation des ressources halieutiques par la création d’un régime de droits de propriété privée, couplé à des mesures de contrôle de l’effort de pêche et régulé par une économie monétaire de marché libéralisée (Mansfield, op. cit. ; St. Martin, op. cit.). Le but officiel est de contrer l’inefficacité économique du secteur des pêches maritimes, celuici générant a priori une dissipation de rente et la multiplication des situations de surexploitation des ressources halieutiques (Mansfield, 2006, 2007). Cette doctrine du choc (cf. Tragédie des Communs de G. Hardin – 1968) a une influence considérable sur les travaux de la FAO et de la CNUDM dès les décennies 1950-1960 (Mansfield, 2004) . Sans surprise alors, au regard du travail d’appropriation juridique des terres émergées enclenché depuis des millénaires par les sociétés humaines, une appropriation juridictionnelle du «vide marin » est mise en œuvre. Elle « clôture » ainsi mers et océans jusqu’à un maximum de 350 milles marins (648 km) au large, depuis le rivage des États côtiers. Cette appropriation concerne le plateau continental juridique et ses ressources du sol et du sous-sol. L’objectif est de sécuriser les intérêts des États et de leur donner le contrôle de ce front pionnier maritime. C’est-à-dire la capacité d’organiser souverainement l’exploitation de l’espace marin. C’est ainsi que progressivement, dès la conférence de 1974 et jusqu’à celle de Montego Bay en 1982 (Noël, 2011 : 76), les services administratifs des États membres de la CNUDM projettent juridiquement un référentiel régulateur. Il est structuré de limites juridiques qui sont apposées parallèlement à leur rivage respectif se succédant en escalier jusqu’au maximum des 350 milles marins (un partage binaire et massif).

Déployé par les États occidentaux en premier lieu (Smith et al. 2011), ce dispositif est un mécanisme spécifique des politiques publiques ayant des visées et/ou conséquences en mer (Smith et Vallega, op. cit.). Il permet d’établir de manière sectorielle, activité par activité, l’aménagement de leurs usages en mer (Fricke, op. cit. ; ibid.). Il s’exprime concrètement par l’élaboration des premiers plans marins contemporains, des documents planificateurs contenant des objectifs reflétant la problématique à laquelle répondre. En fonction de ces derniers, ces plans marins vont définir les outils nécessaires, dont le zonage qui devient leur auxiliaire privilégié. Ce « zonage océanique » est un instrument réglementaire qui vise à contrôler et maîtriser concrètement l’utilisation d’un espace marin perçu et représenté comme tridimensionnel, en fonction d’un cadre légal défini par les autorités publiques, afin d’atteindre des objectifs spécifiques demandés à la planification (Agardy, 2015). Toutefois la « sectorialité » des politiques publiques abordant la mer de façon compartimentée et fragmentée (Saliou, op. cit. ; Vallega, 2001 ; van Tatenhove, 2010), et l’absence de dispositif holistique à même de réguler leurs effets géographiques cumulées vient créer un « problème marin » au début des années 1980. Problème qui est accentué dans un contexte de prise de conscience « environnementale ».

Un développement au travers des aires marines protégées

La prise de conscience environnementale de la décennie 1970-1980 crée une césure théorique dans l’invention occidentale de l’« environnement », comme catégorie politique de la pensée et de l’action (Charvolin, 2003 ; Rossi et André, 2006). Cette rupture est relative aux multiples externalités négatives – les conséquences écologiques, sociales, économiques et politiques – générées par le capitalisme à caractère industriel sur terre(s) et mer(s) depuis le XIXe siècle (Harvey, 2001 ; Plumwood, 2002). Afin de parer à la multiplication visible de ses conséquences, une mythologie reformatant la croyance en cette « religion industrielle » est produite au sein de la culture occidentale (Rist, 1996 ; Rodhain et Llena, 2006). Il est alors question d’une réorientation souhaitée comme soutenable du capitalisme, d’après son « développement durable » (Rodhain et Llena, op. cit.). Il s’agit ainsi d’inscrire concrètement le développement capitaliste des sociétés humaines dans la durabilité (ibid.) .

Aussi dans ces conditions, les États occidentaux se donnent les moyens juridiques de conserver les écosystèmes, notamment aquatiques (Dudley, 2008), et en premier lieu au sein de leurs territoires maritimes, le tout dans une démarche de « conservation intégrée » (Rodary et al. 2003). Un raisonnement pragmatique qui lie conservation de l’environnement avec développement durable des activités. Sont alors identifiées et délimitées spatialement au sein des cinq océans, des aires biologiques et écologiques d’importance abritant des écosystèmes côtiers et marins dits « représentatifs » (ex. Large Marine Ecosystem). Ces entités sont qualifiées par des variables océanographiques et biologiques selon un système hiérarchique de valeurs, commun à de nombreux États occidentaux (Leroy, 2013 : 30- 31). C’est à partir de cette systématisation que ces derniers désignent respectivement des bio-régions et leurs réseaux d’Aires Marines Protégées (AMP) (Leroy, op. cit.). Les AMP sont ainsi d’après l’UICN (Union Internationale pour la Conservation de la Nature) : « Un espace géographique clairement défini, reconnu, consacré et géré, par tout moyen efficace, juridique ou autre, afin d’assurer à long terme la conservation de la nature ainsi que les services écosystémiques et les valeurs culturelles qui lui sont associés. » (Dudley, op. cit.). Leur objectif est donc double, entre d’une part conserver la biodiversité marine et d’autre part, (ré)assurer la productivité biologique des océans (Agardy, 1994 ; Kelleher, 1999) .

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Table des matières

Introduction Générale
PARTIE I : Une réalité géographique invisible
Chapitre 1 : La PSM en action – constat et contexte
Chapitre 2 : Objectifs et démarche de recherche
PARTIE II : Une réalité géographique rendue visible
Chapitre 3 : Étude de cas A – un paysage des pêches islaises sous tension
Chapitre 4 : Étude de cas B – un paysage des pêches madeliniennes sous compétition
PARTIE III : Une réalité géographique à mobiliser
Chapitre 5 : Résultats et discussion
Chapitre 6 : Réflexions géographiques et propositions exploratoires
Conclusion générale

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