Dès le début de cette première année, en charge d’une classe de CM1, j’ai été étonnée par la difficulté des élèves face à l’écrit, en particulier, lorsque la séance s’articulait en trois phases – situation découverte, institutionnalisation, entrainement – de nombreux élèves étaient tellement longs à copier la leçon qu’ils perdaient beaucoup de temps qu’ils auraient dû consacrer à l’entrainement, à la manipulation. Une solution peut être de distribuer des photocopies mais cela fait courir le risque d’une collection de leçons dans le cahier dont les élèves ne s’approprient pas les notions. Si l’écrit reste à travailler le plus souvent possible, il ne doit pas devenir un obstacle aux autres apprentissages et je cherchai donc un moyen d’alléger les synthèses élaborées en classe, d’une part pour la difficulté de copie mais aussi et surtout pour les difficultés posées à la relecture et donc à l’apprentissage, à la mémorisation. Ma préoccupation était donc de chercher des moyens plus efficaces pour que l’élève puisse mieux lire, relire, comprendre, s’imprégner et finalement se rappeler une leçon. Le coeur de cette interrogation est l’égalité des élèves devant l’apprentissage et en particulier lorsqu’ils se retrouvent seuls devant la leçon. Étant moi-même plutôt scientifique que littéraire, j’avais une tendance à utiliser des schémas pour m’aider à mémoriser mes cours, et lorsque je rencontrai des cartes mentales, leur aspect logique et précis autant que simple et ludique me séduit. C’est pourquoi je décidai de m’intéresser à leurs spécificités, à leurs avantages, qui de plus font écho aux différents profils d’élèves et aux intelligences multiples. Je les utilisai donc en classe, tout d’abord simplement pour récapituler des idées ou les notions à retenir, puis, pour accroitre leur efficacité et l’enrôlement des élèves, je leur proposai d’en élaborer eux-mêmes. J’expose donc ici le cadre théorique concernant les cartes mentales ou heuristiques, puis je détaille l’expérience menée en classe, enfin je reviens sur les bénéfices observés, les difficultés rencontrées ainsi que sur points essentiels à examiner si l’on veut introduire cet outil en classe.
Origine
Schémas anciens
Dès le Moyen-Âge, dans son « Ars Demonstrativa », Raymond Lulle utilise des schémas arborescents reliants des concepts de façon circulaire dans des domaines précis. On en trouve également dans des manuels de médecine tibétaine du Vème siècle. On peut donc avancer que le besoin de présenter des idées dans une forme non-linéaire n’est pas lié aux avancées des recherches en psychologie mais plutôt au besoin personnel de s’affranchir d’un schéma rigide pour présenter l’information de façon plus efficace, sans phrase, sur une seule page et avec une hiérarchisation différente.
Tony Buzan
La carte mentale ou carte heuristique est née dans les années 1970 sous le nom de Mindmap à l’époque où les scientifiques découvraient la spécialisation fonctionnelle de certaines zones du cerveau (par exemple, les zones du langage, de la vision ou encore de la gestion des émotions…). Tony Buzan, psychologue anglais, cherche alors à améliorer les apprentissages et la mémorisation par une méthode se basant sur le fonctionnement du cerveau ainsi que sur son architecture, le réseau neuronal. Il met alors au point le mind mapping qui part d’une idée centrale et rayonne comme la pensée humaine vers des idées secondaires, en suivant une arborescence plutôt qu’un chemin linéaire. Pour T. Buzan, la structure de la carte mentale est « le miroir externe de la pensée irradiante », il explique que l’information y circule aussi librement que dans notre cerveau.
Définition
Principes
Principes généraux
Jean-Louis Lemoigne, spécialiste de la systémique et de l’épistémologie constructiviste écrit : « une carte est une représentation qui permet de comprendre un système complexe en le simplifiant pour découvrir son sens. Pour comprendre et donner du sens à un système complexe, on doit le modéliser pour construire son sens » . La carte mentale, ou carte heuristique, permet donc d’organiser ses idées non plus de manière linéaire mais sous forme d’un diagramme partant d’un noyau central et irradiant vers d’autres niveaux d’information liés à ce thème central en suivant le cheminement associatif de la pensée. Cela permet de libérer et de développer des capacités d’association, de visualisation, de synthèse et de mémorisation. La méthode repose sur les principes suivants :
• Le sujet est placé au centre du schéma.
• Chaque branche principale et ses sous-branches ont une même couleur (différente à chaque nouvelle branche)
• Les mots-clés sont écrits à chaque embranchement, si possible horizontalement pour faciliter la lecture.
• Les lignes courbes sont privilégiées.
• Les idées sont hiérarchisées (les plus importantes proches du centre).
• Le sens de lecture se fait du centre vers l’extérieur et de la première branche à la dernière dans le sens des aiguilles d’une montre.
• La créativité est recommandée : utilisation d’associations d’idées, de dessins, logos.
Intelligences multiples
La théorie des intelligences multiples est proposée en 1983 par Howard Gardner, neurobiologiste et Professeur en cognition et en éducation à Harvard Graduate School of Education, Professeur de psychologie à Harvard Université, face à l’utilisation outrancière de tests de QI dans le cadre de l’orientation scolaire. En réhabilitant des aptitudes qui ne sont pas mesurées par les tests classiques, cette théorie permet de réparer l’estime de soi des élèves, de les aider à réfléchir à leur parcours d’apprentissage et de leur apprendre à apprendre : en leur montrant qu’il n’y a pas une façon unique d’apprendre, H. Gardner veut aussi encourager les étudiants à réfléchir à leur propre façon d’apprendre et souligne l’intérêt de la métacognition . Selon Lucas Gruez, professeur de collège, bénéficiaire du prix de l’innovation pédagogique en 2015, les cartes heuristiques, par leur simplicité et leur polyvalence, sont un outil indispensable pour gérer l’hétérogénéité des intelligences dans la classe. En effet, il avance que la carte heuristique permet de mobiliser toutes les fonctions du cerveau et associe à chaque intelligence de la théorie de H. Gardner un aspect de la carte mentale :
• la mise en relation des concepts – la structuration – fait appel à l’intelligence logicomathématique,
• l’utilisation de mots-clés et du vocabulaire précis à l’intelligence verbale, linguistique,
• la représentation visuelle dans l’espace de la feuille à l’intelligence spatiale,
• la dextérité nécessaire à la mise en forme à l’intelligence kinesthésique.
• le rythme des mots à l’intelligence musicale,
• la capacité à catégoriser les idées avec l’intelligence naturaliste,
• l’intelligence interpersonnelle est utilisée pour créer ensemble
• l’intelligence intrapersonnelle est nécessaire pour connaître ses objectifs personnels et créer une carte mentale efficace et adaptée à ses objectifs propres.
Malgré ses limites (faiblesse des preuves scientifiques, absence de lien avec les neurosciences), cette théorie présente des avantages incontestés : elle pose l’intelligence comme n’étant pas une valeur linéaire et comparable (pas de classement des élèves) et permet de prendre en compte les particularités des élèves, leurs différences d’approche dans les apprentissages. De plus, H. Gardner ne considère pas ces capacités comme figées définitivement mais comme étant à travailler et à développer, ce qui laisse place à la progression.
Atouts
Organisation synthétique
Le principal atout de la carte mentale est de synthétiser sur une seule page de nombreuses informations avec la possibilité de visualiser immédiatement la hiérarchisation des idées de situer l’idée-force (au centre), de s’attarder sur des détails sans pour autant perdre de vue le sens global. Les relations entre les concepts apparaissent au premier coup d’oeil.
Souplesse
Le deuxième atout est d’être un schéma utilisant l’arborescence et donc de se libérer de la linéarité dans laquelle les notions à apprendre sont figées. Le système est souple et ouvert : on peut toujours le compléter et ajouter de nouvelles notions, de nouvelles branches ou sousbranches. Il est possible d’y représenter des relations complexes comme des boucles de rétroaction. Cette souplesse permet également une circulation entre les mots-clés et laisse le lecteur libre d’associations d’idées qui créent du sens et facilitent la mémorisation.
Aspect ludique et visuel
L’aspect ludique du schéma, qui s’apparente à un dessin avec ses couleurs, son organisation spatiale particulière, ses lignes courbes, accroche l’oeil et participe à éveiller l’interêt du lecteur. Le côté visuel vient renforcer la compréhension des relations entre les idées et de leur organisation. Les logos sont autant d’indices pour la lecture, la compréhension et la mémorisation.
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Table des matières
INTRODUCTION
PARTIE I : CADRE THÉORIQUE
1. Origine
1.1. Schémas anciens
1.2. Tony Buzan
2. Définition
2.1. Principes
2.1.1. Principes généraux
2.1.2. Intelligences multiples
2.2. Atouts
2.2.1. Organisation synthétique
2.2.2. Souplesse
2.2.3. Aspect ludique et visuel
3. Comment mémorise-t-on avec une carte mentale ?
3.1. Qu’est-ce que la mémoire ?
3.2. En utilisant une carte mentale ?
4. Enseigner avec des cartes heuristiques
4.1. Pourquoi ?
4.1.1. Contourner certaines difficultés d’apprentissage
4.1.2. Equilibrer les différentes formes d’apprentissage
4.1.3. Donner du sens
4.1.4. Tissage
4.1.5. Composante méta-cognitive et autonomie
4.1.6. Prendre plaisir à penser
4.2. Pistes et exemples
4.3. Autres bénéfices
4.3.1. Utilisation personnelle et au collège
4.3.2. Comprendre le fonctionnement d’internet
4.3.3. Développer son intelligence
PARTIE II : PRATIQUE PROFESSIONNELLE
1. Contexte de la classe
1.1. Contexte général
1.2. Variables possibles
2. Dispositif
2.1. Utilisation et création
2.1.1. Lire
2.1.2. Lire et copier
2.1.3. Recopier et apprendre
2.1.4. S’essayer à l’élaboration
2.1.5. Séance d’éducation à l’image « Les pictogrammes »
2.1.6. Séance de vocabulaire « Les hyperonymes »
2.2. Explicitation : Séquence dédiée à la méthode
2.2.1. Test des 12 mots
2.2.2. Essai d’élaboration d’une carte mentale
2.2.3. Appropriation du concept
3. Impressions et résultats
3.1. Premières rencontres : accueil
3.2. Aspect graphique
3.3. Mémorisation
PARTIE III : ANALYSE ET INTERPRÉTATION
1. Bénéfices de l’expérience
1.1. Dimension ludique et alternative
1.2. Dimension collaborative
1.3. Travail de compétences
2. Ecueils et questions
2.1. Difficultés de l’enseignant
2.2. Questionnements
2.2.1. Autonomie et guidage
2.2.2. Différenciation
3. Propositions pour améliorer l’efficacité du dispositif
3.1. Explicitation de la méthode
3.2. Nécessité de rendre les élèves actifs et responsables de leurs apprentissages
3.3. Elargissement du projet
3.3.1. Projet sur un temps long
3.3.2. Projet pluridisciplinaire
3.3.3. L’outil informatique
4. Evolution de ma posture d’enseignant
CONCLUSION