Carrières de renards : la voix dissonante des personnages d’esprit-renard dans deux romans en langue vernaculaire

Corpus

Notre thèse analyse le Yaohua zhuan 瑤華傳 de Ding Bingren 丁秉仁 ( actif 1803) et le Huliyuan quanzhuan 狐狸緣全傳 de Zuiyue Shanren 醉月山人(1888) . Le premier roman est l’histoire de la réincarnation d’un démon renard lubrique en femme, précisément dans l’héroine Yaohua 瑤華, qui, petite fille de l’empereur Wanli 萬曆, possède un double talent martial et littéraire et deviendra une immortelle sous la direction de son maître femme Wuai 無礙. Le deuxième roman raconte l’histoire d’une renarde sorcière à neuf queues, chef d’une bande de renardes, qui envoûte un jeune lettré pour obtenir l’énergie nécessaire à devenir immortelle. Elle sera par la suite domptée par Lü Dongbin et les généraux célestes.

Ces deux romans n’ont fait l’objet d’aucune étude en langue occidentale même si, comme on l’a vu, trois sinologues leur ont consacré une petite partie de leur travail : Cruveillé, Huntington et Kang. Citons également pour le Yaohua zhuan la conférence de Liu Xun et l’article de Laura Wu. En ce qui concerne les chercheurs chinois, citons trois auteurs qui ont fait du Yaohua zhuan l’objet de leur mémoire de master et de quelques articles : Li Jieyi 李洁 谊 , Qi Qian 漆倩 et Hu Fang 胡芳. Il n’existe pas de traduction en langue occidentale, exception faite pour de brefs passages dans l’intervention de Kang à la conférence taoïste citée plus haut .

Ces romans sont particulièrement importants à étudier, et encore plus d’un point de vue psychanalytique, puisqu’ils constituent de véritables exemples de carrière du personnage de renard dans l’histoire de la littérature chinoise et qu’ils le situent dans un contexte de transgression politique et pas seulement sexuelle.

La marque du féminin 

Ces deux protagonistes sont fortement connotés du point de vue de leur féminité, puisqu’il s’agit de deux femmes fortes à la poursuite de l’immortalité et de l’amour, pleines d’initiative et dotées de talents et compétences. On a dit qu’on espère montrer, avec cette thèse, la portée socio-politique du personnage de renard dans le roman en langue vulgaire. On espère ainsi montrer à quel point ce personnage est riche et porteur d’enjeux à caractère social dans la littérature chinoise en général et plus spécifiquement sous la dynastie des Qing. L’auteur aurait le pouvoir, par son biais, de tracer un discours souterrain subversif par rapport à la morale courante : représenter par ces personnages des femmes réelles, guixiu, poètes comme courtisanes.

Fort de ces espoirs, nous pouvons alors entreprendre un voyage dans le féminin qui ne se propose certes pas de s’épuiser à l’analyse, mais qui offre une perspective peut-être nouvelle en relation avec l’étude du roman de l’époque Qing. Féminin archétypal dans lequel toutes les significations de qing 情 (sentiment, pulsion) semblent se condenser : naturel, irrationnel, mystérieux. Le féminin, dans les textes qu’on étudie, apparaît comme une fracture béante, ouverte au cœur de la narration pour représenter un « autre » : une femme réelle peut-être ? On essayera de le découvrir, au fur et à mesure que notre recherche progressera. C’est seulement cette blessure dans la chair du texte qui légitime et détermine le besoin d’une analyse un peu « différente » : celle de type psychanalytique. Comme les illustres exemples de Rainier Lanselle et plus récemment d’Aude Lucas le montrent, c’est la nature même du texte chinois (allusif) qui se prête à un tel moyen d’exploration en apnée, au-dessous de la surface. A la découverte d’une voix qu’on qualifie de démoniaque ou, pour le dire avec Lacan, d’« hystérique » : une voix féminine révoltée contre l’autorité patriarcale, capable de démentir et de mettre en question le pouvoir officiel. Conscient de l’importance de ce voyage en profondeur, nous avons défini des points de repère dans le corps même du texte : les « signifiants », qui, par nature, glissent et s’insinuent dans les replis de la parole vivante, et à chaque fois se répètent, s’acharnent, se transforment par contiguïté métonymique en guise de dévoilement. Ces sont d’ailleurs les mêmes procédés métaphoriques qui sont à la base de l’écriture romanesque .

C’est donc armé de ces outils extraordinaires que nous avons avancé à travers deux romans eux aussi extraordinaires : d’abord pour leur qualité de romans surnaturels ou de « prodiges » (shenguai xiaoshuo 神怪小說) ; ensuite pour l’intrigue et la qualité littéraire qui les distinguent. Et la marque du féminin dans le texte s’organise autour du « talent »: éduquées voire érudites, capables dans les arts martiaux comme dans les lettres, les protagonistes de ces deux ouvrages sont des êtres d’exception, qui contredisent le dicton « la femme vertueuse est celle sans qualités ». Etoiles resplendissantes de beauté et de savoir, les deux protagonistes s’entourent d’autres étoiles pas moins charmantes : guixiu poètes, concubines, performeuses musiciennes et courtisanes, nonnes et taoïstes errantes immortelles, servantes, sorcières, démones, mères vertueuses, magiciens à la sexualité hybride et hermaphrodites, fantômes de femmes à la recherche de vengeance …

Ces incursions en classique furent précisément un des obstacles les plus difficiles à affronter pendant les opérations de traduction, de même que le repérage des chaînes signifiantes dans les textes. Comment établir qu’un élément est clé et donc signifiant dans l’extrait concerné ? Il a fallu tout observer en détail et étudier la manière dont l’extrait même était construit. On observera alors que certains termes sont récurrents ou liés sémantiquement entre eux et on se concentrera par conséquent sur ces derniers. Le résultat obtenu sera alors une étude en profondeur des mécanismes allusifs dans le texte, qui se rallient tous étrangement (ou, pour mieux dire, justement) du côté de la voix de l’esprit-renard en question et des personnages qui le cotoient. Tout tourne autour de l’animalité et du féminin, confirmant qu’on peut effectivement considérer ces textes comme marqués, inscrits, gravés même, dans le féminin.

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Table des matières

Introduction
Corpus
La marque du féminin
L’angle psychanalytique
Les mécanismes allusifs
L’allusivité et le « signifiant » lacanien
La « chaîne signifiante » dans le texte
Chapitre I : Tenants et aboutissants : l’esprit-renard en général et dans les deux  romans analysés
I. Transgression, hétérodoxie, orthodoxie
II La femme-renarde des chuanqi des Tang aux xiaoshuo des Ming et des Qing : un personnage
nuancé et porteur d’enjeux
III La « voix démoniaque » féminine : sur les traces de la femme de talent ?
IV Parcourant les « signifiants » de l’inquiétante étrangeté
V. Analyse de deux ouvrages rares et méconnus
1) L’emploi des outils psychanalytiques : reconnaissance de structures
2) Contextualisation historique, sociologique et littéraire
Le panorama littéraire
Le roman : un observatoir du monde
Le roman courtisan
Un nouvel héros
La femme fatale
3) La femme « débridée » : le boom des genres féminins après 1820
4) L’inquiétante étrangeté de la femme de talent
5) Les genres féminins
6) La femme démoniaque
7) Les femmes et le roman
Chapitre II : le Yaohua zhuan : Plus qu’une femme
I. Le Yaohua zhuan 瑤 華 傳 : entre histoire de renard et nüxia 女 俠,
1). Intrigue
2). Versions existantes
3). Les études existantes
Préfaces et postfaces
Un texte protoféministe ?
La religion
Les parties poétiques
Les jugements sur le roman
La valeur socio-politique de l’esprit-renard
II. Pourquoi une carrière de renard ?
1)Le dernier péché du renard
2)Le renard et le maître
3)L’ « alien kind »
4)Les thèmes d’après l’auteur
III. Portraits de femmes remarquables
1). L’immortelle taoïste
2) La mère de Yaohua : Dame Han
3). A’Zhen
4). Qin Liangyu
5). Yaohua
6). Les servantes
IV. Personnages hybrides et démoniaques
1). L’eunuque et « la fille de pierre »
2) La femme-python
3) Les deux hermaphrodites
4). Sang’er 桑兒, le magicien sodomite, et Yang Jingfu, le prodige sexuel
5). Le renversement des rôles : un couple de « nouveaux mariés »
V. Le rapport aux hommes : des créatures corrompues et faibles
1). Le père
2). Le frère de Dame Xu
3). Le mari
4). Le frère de Zhiyan
VI. Entre humain et animal, masculin et féminin
1). La scène de la chasse
2). Une femme qui fait l’homme
3). Un souffle martial
4). Un caractère d’ancien renard
5). Une scène d’amour particulière
6). Un titre pour femme
7). Une voie d’immortelle difficile : l’ancien renard qui revient
VII. L’aide aux femmes « inférieures » en difficultés, le renversement des rôles et la justicière : à la place du père et du maître
1). Remplaçant le père
2). A la place de la justice
3) Les servantes et les guixiu
4). Une concubine
5). Un groupe de poètes
6). L’aide aux femmes contre des démons
7). Un renversement par déguisement
8). Un renversement des sexes qui devient un … mariage
9). Les femmes prisonnières de moines sorciers
10). La vengeance de la fille fantôme
11). Une rencontre inattendue
VIII. Le double talent de Yaohua
1). Habileté politique et poétique
2). Une excellence martiale
3). Un talent mâle
4). Une réunion entre nonnes
5). Un secret d’immortelle
IX. Le thème du double
1). Un père défaillant et risible
2). Une remplaçante
3). Une séparation nécessaire
4). Une situation dramatique
5). Un final amère
X. Le talent féminin et l’association de femmes
XI. Exemples de rétribution immédiate : folie et violence
1). La folie de la belle-mère
2). Le mauvais karma de Zhiyan
3) Une vengence pour le père
XII. L’association religieuse de femmes
1). Une communauté nouvelle
2). La performance
Chapitre III : Le Huliyuan quanzhuan- une femme impossible
I. Le Huliyuan quanzhuan : des origines féminines ?
1) Les différentes éditions
2) Les différentes versions du récit
3) L’attribution à un progressiste
4) Résumé et intrigue
5) Encadrement: transgression plutôt que moralisation ?
6) Une transgression étrangement inquiétante
II. La subjectivation dans le roman
1) Le sujet divisé
2) La voix démoniaque
3) A ce point de l’analyse
4)Le talent féminin qui met en crise l’autorité patriarcale
5)Exemples de poèmes: le rythme
Les zan
Les shi
6.) Le « discours » dans le roman
Conclusion
Le travail de traduction
Esquisse d’une recherche future et questions en suspens
Une perspective bataillenne
BIBLIOGRAPHIE

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