Télécharger le fichier pdf d’un mémoire de fin d’études
Biomarqueurs et thérapies ciblées
EGFR
La découverte de l’implication des mutations de l’EGFR dans l’oncogénèse pulmonaire et dans la réponse aux TKI-EGFR représente une avancée majeure dans la prise en charge des patients atteints de CNPCP.
Le récepteur à l’EGF (EGFR, aussi appelé ERBB1) est une protéine transmembranaire appartenant à la famille ERBB des récepteurs à tyrosine kinases qui contrôle plusieurs voies de signalisation intracellulaire (principalement les voies RAS/RAF/MEK et PI3K/AKT/mTOR). Celles-ci ont un rôle dans la croissance, la survie, la migration, la différenciation et l’adhésion cellulaire et dans l’angiogénèse (32).
L’activation constitutive de l’EGFR, indépendamment de son ligand, est due à une mutation activatrice du gène EGFR (32).
Le gène EGFR est localisé sur le chromosome 7. Les mutations somatiques retrouvées dans le CNPCP sont situées sur les exons 18 à 21 codant pour le domaine tyrosine kinase. Ces mutations sont présentes à l’état hétérozygote et entrainent soit une sensibilité, soit une résistance aux TKI-EGFR qui se fixent de manière compétitive au niveau de la poche ATP de l’EGFR. On les retrouve dans 10 à 20% des ADK pulmonaires au sein de la population caucasienne, quasi-exclusivement dans les ADKP (plus particulièrement dans les ADKP lépidique et papillaire avec une positivité de TTF1) (15). Les autres types histologiques ne comportent que très rarement des mutations de l’EGFR. Celles-ci sont par ailleurs plus fréquemment associées aux patients non-fumeurs, de sexe féminin et d’origine asiatique (15). Les patients EGFR+ ont un meilleur pronostic que les patients EGFR-, indépendemment de tout traitement par TKI (32).
Les principales mutations de sensibilité, qui représentent environ 80 à 85% de l’ensemble des mutations de l’EGFR dans le CNPCP, sont les délétions en phase au niveau de l’exon 19 et la mutation faux sens L858R au niveau de l’exon 21 (32,33). La mutation T790M, au niveau de l’exon 20, est une mutation de résistance le plus souvent secondaire, détectée chez environ 50% des patients traités par TKI-EGFR et échappant au traitement. Cette résistance survient généralement dans les 6 à 12 mois après l’introduction du traitement. Les insertions/duplications au niveau de l’exon 20, les amplifications de MET et d’EGFR sont également des mutations de résistance (32,33) .
Les TKI-EGFR ont transformé le pronostic des ADKP. A titre d’exemple, les études de phase III d’évaluation du géfitinib ont montré un taux de réponse de 60% à 70% environ, contre 30% à 45% environ avec la chimiothérapie conventionnelle, avec une survie sans progression de 10 mois contre 5 à 6 mois (32). Depuis, plusieurs autres TKI-EGFR ont été développés (erlotinib, afatinib, ….) et les dernières avancées thérapeutiques portent sur les TKI-EGFR de 3ième génération, tels que le rocilétinib, efficaces en cas de mutation T790M (25).
Réarrangements géniques
Les réarrangements géniques surviennent suite à des cassures chromosomiques entraînant la formation d’un fragment de chromosome pouvant soit s’inverser (inversion), soit être échangé avec un fragment provenant d’un autre chromosome (translocation), soit être perdu (délétion) (figure 24). Ils mettent ainsi en relation 2 gènes normalement éloignés. Dans le CNPCP, ils peuvent impliquer les gènes ALK, ROS ou RET codant chacun pour des récepteurs transmembranaires à activité tyrosine kinase capables d’activer des voies de signalisation intra-cellulaires suite à la fixation d’un ligand sur leur domaine extra-cellulaire.
Les altérations de ces 3 gènes font l’objet d’un chapitre dédié (D : réarrangements géniques dans
l’adénocarcinome pulmonaire).
Figure 24 : a- réarrangements chromosomiques ; b-effet protéique des réarrangements géniques
Les ADKP avec réarrangement d’une tyrosine kinase (TK+) semblent partager des caractéristiques communes : ils comportent fréquemment de la mucine extra-cellulaire, des contingents de type mucineux cribriforme, à cellules indépendantes ou à cellules hépatoides (7,35). Takeuchi et al suggèrent que l’absence de réarrangement serait un facteur indépendant de mauvais pronostic et la présence d’un réarrangement aurait la même valeur pronostique favorable que celle des mutations de l’EGFR (7) alors que Pan et al ne retrouvent pas de différence entre les TK+ et les TK- (35).
Autres biomarqueurs
KRAS
La protéine KRAS est située sur les voies de signalisation RAS/RAF/MEK/ERK et AKT/mTOR permettant de transmettre un signal d’activation depuis des récepteurs membranaires, comme l’EGFR, jusque vers le noyau cellulaire (3,36).
Les mutations somatiques de KRAS sont majoritairement présentes l’ADKP (77% vs 6% dans le CEP (31)), avec une prévalence de 32% au sein des ADKP diagnostiqués en France, et sont plus fréquemment retrouvées chez les fumeurs comme mentionné précédemment (31). Les hot-spots (« points chauds ») mutationnels sont situées sur les codons 12 et 13 de l’exon 2. Il s’agit de mutations entrainant une activation constitutionnelle de la protéine KRAS (36,37).
La valeur pronostique des mutations somatiques de KRAS est encore débattue (38,39).
De nombreuses pistes thérapeutiques sont à l’étude (comme le blocage de KRAS ou de ses effecteurs, les thérapies spécifiques d’un type de mutation de KRAS, l’immunothérapie anti-PDL-1): l’inhibition de KRAS reste toutefois un challenge du fait des nombreuses voies impliquées pouvant être source d’échappement thérapeutique (3).
HER2
Le gène HER2 (aussi appelé ERBB2) code également pour un récepteur à tyrosine kinase de la famille ERBB : ERBB2. Cette protéine est activée principalement suite à des insertions au niveau de l’exon 20 du gène HER2 (4). Ces mutations sont retrouvées dans 2 à 4% (4) des CPNPC, exclusivement dans les ADKP et le plus souvent chez des femmes non-fumeuses (4,40). Des cas de mutation concomitante des gènes EGFR, KRAS, ALK ou ROS ont été décrits (4,40).
La valeur pronostique de cette mutation est encore débattue et il n’y a pour le moment aucune thérapie ciblée ayant l’AMM pour les patients présentant une altération de HER2 (40). Une récente étude rétrospective multicentrique Européenne suggère qu’un traitement par trastuzumab ou trastuzumab+emtansine (T-DM1), associé à une chimiothérapie, pourrait apporter un bénéfice à ces patients (40). D’autres molécules, telles que le lapatinib, l’afatinib et le nératinib sont également à l’étude (40,41).
BRAF
La protéine BRAF régule la voie de signalisation RAS-RAF-MAPK. Elle est codée par le gène BRAF dont les mutations somatiques sont majoritairement situées sur le codon 600 de l’exon 15 et sont retrouvées dans 2 à 7% des CPNPC (37,41). Dans 50% des cas, la mutation retrouvée est la V600E, mutation également le plus fréquement retrouvée dans le mélanome (41).
La présence d’une mutation du gène BRAF n’aurait pas de valeur pronostique (41). Elle est par contre intéressante d’un point de vue thérapeutique. Des TKI-BRAF ont en effet été développés dans le cadre du mélanome (vémurafénib, dabrafénib) et sont actuellement évalués dans le traitement des CPNPC mutés BRAF (41). Des cas de réponse rapide au vémurafénib ont été décrits (42–44). Une étude internationale a montré un taux de réponse au vémurafénib de 42% dans le CPNPC (45). Par ailleurs, un essai de phase II avec du dabrafénib a montré un taux de réponse de 54% (46). Ces traitements sont toutefois limités par la survenue de résistances qui nécessiterons probablement d’utiliser des associations de molécules ciblant plusieurs voies oncogéniques simultanément (41).
MET
Le gène MET code pour un récepteur membranaire à activité tyrosine kinase permettant d’activer les voies RAS/MAPK, PIK3/AKT/mTOR et JAK/STAT. Plusieurs altérations de MET sont décrites dans le CNPCP : surexpression de MET, mutations ponctuelles et amplification de MET (47). Cette dernière est retrouvée dans moins de 5 % des cas et constitue également un des mécanisme de résistance aux TKI-EGFR (37,47). La sensibilité au traitement par crizotinib des tumeurs présentant une amplification de MET est en cours d’évaluation grâce au programme AcSE Crizotinib en France (48).
Plateformes de génétique moléculaire des cancers : un atout français
Afin de garantir à chaque patient une équité des soins et une analyse rapide et fiable des biomarqueurs tumoraux, l’Institut National du Cancer (INCa) a créé en 2006 les Plateformes de génétique moléculaire des cancers. Elles sont financées par la Direction Générale de l’Offre de Soins (DGOS). Il en existe 28, rattachées à des établissements hospitaliers, réparties sur tout le territoire français (figure 25).
Figure 25 : Plateformes hospitalières de génétique somatiques des tumeurs (49)
Ainsi, la plateforme de Rouen, constituée du Laboratoire de Génétique Somatique des Tumeurs (LGST) et du laboratoire de cytogénétique et biologie moléculaire du Centre Henri Becquerel, a en charge tous les prélèvements relevant d’une analyse moléculaire provenant des services hospitaliers et cabinets privés d’anatomie et cytologie pathologiques d’une partie de la Normandie et de la Martinique.
Ces plateformes analysent les biomarqueurs pour lesquelles des thérapies ciblées ont l’AMM dans les cancers du sein, de l’estomac, colorectal et du poumon et dans les tumeurs stromales gastrointestinales, les mélanomes et les leucémies (49). En France, en 2013, 89 254 tests à visée théranostique, prédictifs de la réponse à une thérapie ciblée, ont été réalisés chez 65 000 patients, dont 42 197 tests pour le cancer du poumon (49). Ces chiffres sont en augmentation constante du fait de l’apparition de nouvelles molécules (49).
Les plateformes analysent également des marqueurs diagnostiques (ex : recherche d’une instabilité microsatellitaire dans le cancer colorectal lors d’une suspicion de syndrome de Lynch), des marqueurs pronostics orientant le choix du traitement du patient (ex : recherche d’une amplifiaction de MYCN dans le neuroblastome), des marqueurs de suivi (ex : quantification du réarrangement des génes du TCR et des immunoglobulines dans le suivi de la maladie résiduelle dans la leucémie aigue lymphoblastique) et des marqueurs de pharmacogénétique constitutionnelle (49).
Par ailleurs, les plateformes anticipent l’arrivée de nouveaux traitements en analysant des biomarqueurs émergents pour lesquels des thérapies ciblées pourraient être disponibles à l’avenir. Dans le cancer du poumon, il s’agit des gènes KRAS, HER2 et BRAF, dont les résultats ont fait l’objet du projet BIOMARQUEURS France (31).
Enfin, ces plateformes ont une place importante dans la recherche clinique grâce au programme AcSé (Accés Sécurisé à des thérapies ciblées innovantes) qui a débuté en juin 2013. Il s’agit d’un essai clinique de phase II visant à rechercher une altération moléculaire, indépendamment de la localisation et du type de cancer, chez des patients en échec thérapeutique afin de leur proposer une thérapie ciblée ayant déjà l’AMM pour un autre cancer présentant cette même altération (48,50).
L’intérêt serait d’élargir les indications de ces traitements. Deux essais sont en cours :
– AcSé crizotinib : étude de l’efficacité du traitement par crizotinib chez les patients présentant des altérations des gènes ALK, ROS et MET (48)
– AcSé vémurafénib : étude de l’efficacité du traitement par vémurafénib chez les patients présentant une mutation V600 du géne BRAF (50)
Réarrangements géniques dans l’adénocarcinome pulmonaire
ALK
Oncogénèse
Le gène ALK (Anaplasic Lymphoma Kinase) est situé sur le bras court du chromosome 2p23 et comporte 26 exons (51). Il est exprimé à l’état normal dans le système nerveux (51). Il code pour une protéine transmembranaire à activité tyrosine kinase appartenant à la superfamille des récepteurs à insuline (51). Celle-ci aurait un rôle dans le développement et le fonctionnement du système nerveux central et périphérique (51,52). Son ligand n’est pas connu (53).
Les translocations impliquant ALK sont des driver mutations ayant un pouvoir oncogénique en activant différentes voies de signalisation intra-cellulaire (JAK/STAT, PIK3/AKT, MAPK, ….) intervenant dans la croissance cellulaire, la transformation cellulaire et l’inhibition de l’apoptose (figure 26) (52,54).
Figure 26 : Voies de signalisation contrôlées par ALK (55)
La fusion de ALK avec un gène partenaire a lieu suite à un réarrangement inter ou intrachromosomique mettant en relation les régions codant pour le domaine tyrosine kinase de ALK , situées en 3’ du gène, avec la région 5’ d’un gène partenaire (56,57). La transcription de ALK est
alors sous le contrôle du promoteur du gène partenaire (58). La protéine chimérique est intracytoplasmique et comporte à son extrémité C-terminale le domaine tyrosine kinase de ALK associée, à son extrémité N-terminale, au domaine coil coil ou leucine zipper du gène partenaire, conférant une activation constitutionnelle du domaine tyrosine kinase de ALK par dimérisation indépendante de la fixation de son ligant (51,56,57).
A ce jour, 10 gènes partenaires de ALK ont été identifiés : EML4, TFG, KIF5B, KLC, STRN, HIP1, BIRC6, DCTN1, SEC31A et TPR (5,53,55,59–72). Un réarrangement avec le gène PTPN3, ne comportant pas le domaine tyrosine kinase de ALK, a également été décrit, sans signification clinique connue (73).
Pour un même gène partenaire, plusieurs variants existent selon la localisation du point de cassure
(figure 27). Les 3 principaux variants de EML4-ALK (v1, v2 et v3a/b) représentent à eux seuls 70 % des réarrangements de ALK connus à ce jour dans l’ADKP (soit 85% des réarrangements EML4-ALK) (54,55).
|
Table des matières
II. Introduction
A. Cancer du poumon
1. Épidémiologie
2. Classification histologique des tumeurs malignes primitives pulmonaires
a) Carcinomes non à petites cellules pulmonaires (CNPCP)
b) Carcinome à petites cellules (CPCP)
c) Autres (tumeurs non carcinomateuses)
B. L’adénocarcinome pulmonaire
1. Classification histologique
a) Hyperplasie adénomateuse atypique, adénocarcinome in situ et adénocarcinome à invasion minime
b) Adénocarcinome à prédominance lépidique
c) Adénocarcinome à prédominance acineuse
d) Adénocarcinome à prédominance papillaire
e) Adénocarcinome à prédominance micro-papillaire
f) Adénocarcinomeà prédominance solide
g) Variants
2. Stratégie diagnostique de l’adénocarcinome pulmonaire
a) Clinique
b) Imagerie
c) Biopsie et cytologie
d) Anatomopathologie
3. Prise en charge thérapeutique de l’adénocarcinome pulmonaire
C. L’adénocarcinome pulmonaire : une maladie génétique
1. Cancérogénèse
2. Biomarqueurs et thérapies ciblées
a) EGFR
b) Réarrangements géniques
c) Autres biomarqueurs
d) Plateformes de génétique moléculaire des cancers : un atout français
D. Réarrangements géniques dans l’adénocarcinome pulmonaire
1. ALK
a) Oncogénèse
b) Caractéristiques cliniques
c) Traitement
2. ROS
a) Oncogenèse
b) Caractéristiques cliniques
c) Traitement
3. RET
a) Oncogénèse
b) Caractéristiques cliniques
c) Traitement
4. Détection des translocations
a) Caryotype
b) IHC couplée à la FISH : le « gold standard » actuel au CHU de Rouen
c) RT-PCR en temps réel
d) NGS (Next Generation Sequencing)
III. Objectif
IV. Matériel et méthode
A. La LD-RTPCR
B. Kit de LD-RTPCR pour la détection de réarrangements dans l’adénocarcinome pulmonai
C. Cohorte
D. Analyses de biologie moléculaire
1. Extraction de l’ARN
2. Reverse transcription
3. Hybridation des amorces de LD-RTPCR
4. Ligation
5. Séquençage
E. Analyses statistiques
V. Résultats
A. Données anatomopathologiques et cliniques
1. ALK
2. ROS
3. RET
4. Témoins négatifs
B. Résultats de LD-RTPCR
1. Témoins positifs
a) ALK
b) ROS
c) RET
d) Relecture des cas discordants
2. Témoins négatifs
VI. Discussion
A. Eléments pouvant entrainer des discordances
1. Quantité et qualité du matériel tumoral
a) Nombre de cellules tumorales
b) Proportion de cellules tumorales et surface du prélèvement
c) Qualité de l’ARN
d) Exclusion des cas non contributifs
2. IHC
3. FISH
4. Mutation d’un autre biomarqueur
5. Exhaustivité du kit de détection
6. Séquençage
B. Limites de la technique de référence
C. Reproductibilité chez un même patient
D. Réponse à la thérapie ciblée
E. Place de la LD-RTPCR
VII. Conclusion
VIII. Annexes
A. Témoins ALK+
1. Données anatomo-cliniques
2. Données de biologie moléculaire
3. Exemples
B. Témoins ROS
1. Données anatomo-cliniques
2. Données de biologie moléculaire
3. Exemples
C. Témoin RET
1. Données anatomo-cliniques
2. Données de biologie moléculaire
3. Résultats
IX. Bibliographie
Télécharger le rapport complet