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Identification et quantification des stigmates de phytophagie.
Caryopse de blé tendre : Triticum aestivum.
Avant carbonisation.
Les résultats des observations avant carbonisation (Tabl.2) ont permis d’observer les caractéristiques des dégâts dont les caryopses étaient victime. Sur l’échantillon de 100 grains observés, 53 % présentaient des dégâts. Parmi les 53 caryopses parasités, 43 étaient attaqués au niveau de l’embryon (dont 38 n’ayant plus d’embryons). Au total 31 % des caryopses avaient été totalement vidés de leur albumen. Toutes les faces sont attaquées avec une préférence pour la face dorsale. Les trous de sorties des larves se présentent sous la forme d’un trou de forme oblongue, aux bords irréguliers, situé de préférence au niveau de l’embryon et laissant entrevoir les traces laissées par les mandibules (Fig. 6e). Les adultes se nourrissent individuellement en provoquant de multiples perforations au niveau du péricarpe ou à plusieurs en laissant une cuvette creusée jusque dans l’albumen.
Après carbonisation en condition oxydante
D’une manière générale, la carbonisation sur le lot de blé parasité 1 (LBP1) (Tabl.9) n’a pas modifié l’aspect morphologique des grains ayant été vidés totalement de leur albumen (90 % des caryopses). La forme du trou, probablement due à la sortie de l’adulte à une forme généralement oblongue et des contours irréguliers voir dentelés (Fig.4a, 4 b, 4 c, 4d, 4e), mais celle-ci varie en fonction des individus, de leurs positions et de la carbonisation. La carbonisation a moins d’influence sur la morphologie sur les caryopses ayant au moins 2/3 de leurs albumens, cependant aucune protrusion n’a été remarquée. Une partie des traces laissées par les mandibules (Fig. 6f) ainsi que les résidus laissés (excrément, exuvie) disparaissent.
Synthèse des critères diagnostiques.
La carbonisation génère des biais de conservation liés à la conformation (taille et forme) et à la composition qualitative et quantitative des grains de céréales. Les résultats obtenus révèlent certaines différences quant au comportement des caryopses des deux espèces testées lors de la carbonisation, selon qu’ils soient parasités ou non.
Les principaux biais liés à la carbonisation des semences saines ont été signalés lors des expérimentations de S. Boardman et G. Jones (1990). Sur le matériel testé, nous avons observé les biais suivants : d’une part, la carbonisation en condition oxydante provoque différents types de protrusions dus à la sortie de l’albumen (perte d’albumen, effet soufflé provoquant une conformation différente de l’état initial). D’autre part, la carbonisation en condition réductrice permet une meilleure conservation de la structure externe des caryopses malgré un aspect friable. Les protrusions sont moins nombreuses et plus discrètes, cependant beaucoup des caryopses s’agglutinent en amas.
La plupart des grains parasités ont laissé des stigmates caractéristiques après carbonisations. Les cas de parasitisme liés à la présence de Sitophilus granarius, sont représentés par des caryopses perforés, plus ou moins vides, présentant un trou (trou de sortie de l’adulte) où les déjections du développement larvaire ne sont apparemment pas conservées. Les trous de pontes (Fig. 6c) visibles avant carbonisation ne le sont plus après. Cependant, les perforations et excavations laissées par les adultes restent en place malgré la fragilisation des péricarpes. Enfin, certains grains sont fragmentés et vidés de leur albumen.
Les trous de sorties, caractéristiques des caryopses dits « charançonnés » (Fig. 6d) peuvent être différenciés des vides provoqués par les protrusions par leurs formes oblongues et irrégulières, mais aussi par leurs positions et la présence de replis du péricarpe poussés vers l’extérieur (Fig. 4c). De plus, si la quantité d’albumen est suffisante pour être modifiée, mais insuffisante pour être expulsé, il est possible que la carbonisation modifie l’aspect interne du grain. Le reste d’albumen gonfle, remplit le caryopse et prend un aspect alvéolé.
Les différentes traces d’activités, qu’elles soient trophiques ou nidificatrices peuvent être réunis sur un même caryopse, cependant la carbonisation en conditions réductrices occulte les perforations faites par les pièces buccales des adultes. L’apparition de saillies en conditions réductrices n’est pas systématique et l’albumen des grains sains à proximité peut boucher ces perforations. La carbonisation des caryopses parasités n’entraine pas ou peu de modifications morphologiques à l’inverse des caryopses non parasités dont l’apparence est « soufflée ».
En conclusion les expérimentations ont permis d’établir des critères distinctifs entre les deux types de stigmates. La carbonisation provoque un gonflement et différentes déformations des grains selon les conditions (effet soufflé accompagné fréquemment de protrusion). A l’inverse, la phytophagie suivie de carbonisation conserve la majeure partie des stigmates et peut déclencher un repli du péricarpe. En ce qui concerne les traces d’activités de Sitophilus granarius, celles qui sont liées à la sortie de l’imago sont les plus discernables alors que les traces d’activités trophiques (cuvettes ou perforations creusées) peuvent permettre de douter quant à la présence du parasite sur l’assemblage.
Application aux assemblages archéologiques.
Comme pour le référentiel moderne, nous avons appliqué les critères d’observations aux caryopses carbonisés archéologiques (Tabl. 13). Les résultats des observations sur référentiel moderne et les comparaisons faites entre caryopses sains et caryopses parasités permirent de mettre en exergue les impacts de phytophagie ou au contraire d’éliminer les possibilités de parasitisme. Les observations sur référentiel archéologique ont été conduites sur des caryopses de seigle, de blé nu, d’avoine (Avena sativa) et de millet italien (Setaria italica). Seules les deux premières espèces citées ont été observées lors des carbonisations expérimentales, cependant, les observations des deux autres espèces reposent sur les mêmes critères.
L’abbaye Notre-Dame (Nevers)
La présence de Sitophilus granarius (Fig. 7f) dans un des caryopses de seigle suggère que le stock incendié a vraisemblablement fait l’objet d’une attaque du ravageur. Les caryopses dont l’état général est marqué par une érosion particulière du péricarpe sous la forme de petites excavations de surface ou éclatement, ont été observés afin de distinguer ceux incombant au charançon de ceux provoqués par les effets secondaires liés à carbonisation et au tamisage. Le premier caryopse de blé A1 présente des stigmates de carbonisation évidente : le degré de déformation est relativement élevé et la protrusion est nettement marquée, signe d’une carbonisation en conditions oxydantes sur caryopse sain. Le deuxième grain de blé A2 (Fig. 7a) est fragmenté dans la longueur à gauche du sillon ventral. On peut y observer une excavation sous la forme d’un enlèvement de matière, irrégulier, laissant imaginer la présence de Sitophilus adulte avant l’incendie. Deux grains de seigle (A3 et A4) présentent des similarités avec les grains expérimentaux où la présence de trou de sortie était notée. Le premier (Fig.7c, 7d) est brutalement interrompu au niveau de la radicule, la zone du germe parait entièrement rongée. Le restant d’albumen a pris un aspect filamenteux (apparence alvéolée), démontrant la consommation d’une grande partie du grain avant la carbonisation. Le parasite n’a laissé qu’une enveloppe vide.
En dépit des degrés de conservation, et contrairement aux caryopses A9, A5 et A10 les caryopses A6, A7 (Fig. 7e), A8 (Fig. 7b) présentent des stigmates attribués à l’alimentation de Sitophilus. 44 caryopses douteux avaient été prélevés sur les 1292 caryopses de seigle (entier et fragment) présent dans l’US 405E. L’analyse sur caryopse de seigle permet de conclure sur le parasitisme de 5 caryopses sur 8. Ils présentent des stigmates attribuables aux traces d’activités de Sitophilus granarius. Sachant qu’un Sitophilus adulte a été retrouvé encore logé, le rapport serait donc de 29 grains infestés sur les 45 (44+ Sitophilus) lors de l’incendie. L’aspect des péricarpes des grains, parfois rongé jusqu’à l’albumen est probablement à mettre sur le compte de ces parasites. Si la présence de 29 caryopses de seigle parasités sur 1292 est un témoin probant du stockage en masse des grains avant leur carbonisation, cette quantité (2,24%) n’est pas suffisante pour démontrer que la pièce constituait bien une réserve au moment de l’incendie. L’analyse carpologique (Ruas, 2007) parait être un outil plus pertinent pour ce type d’étude, néanmoins la présence des caryopses parasités soulève des questions : début d’une infestation ? Dernier survivant après traitement ? Disparition de nombreux témoins d’infestations ? La représentativité du rapport de grains infestés sur le nombre total de grains est biaisée par la conservation différentielle qui ne permet pas de confirmer avec certitude le niveau d’infestation.
Chapeau Rouge (Dijon)
Les observations ont été faites sur 2 caryopses d’avoine cultivée (dénombrés sur 4), 5 caryopses d’avoine indéterminés (dénombrés sur 250) et 5 de blé nu (dénombrés sur 441). Les 2 caryopses d’avoine prélevés dans l’US149 étaient douteux. Le premier caryopse nommé B1 (Fig. 8a, 8b) est vidé de son albumen. La face ventrale présente un trou de forme oblongue et des bords irréguliers assimilables à un cas de parasitisme par S.granarius. Le deuxième caryopse noté B2 (Fig. 8c) est plus érodé et ne présente pas de déformation résultant d’un gonflement. Il présente d’autres stigmates: le sillon ventral est légèrement ouvert, un creusement irrégulier est présent en face latérale attribuable à une attaque de S.granarius. Les caryopses d’avoine et de blé l’US151, B5 (Fig. 8d) et B6 (FIG. 8e), présentent des surfaces d’altération attribuable à un ravageur primaire (les autres sont attribuables à la carbonisation (Fig. 8f) : creusement, torsions, déformation morphométrique. Compte tenu de la présence des différents parasites, et du taux de parasitisme, on peut supposer que Sitophilus était présent sur le site, avant l’incendie. Cependant, nous ne pouvons pas confirmer la représentativité de l’assemblage conservé avec cette seule analyse.
Porte de Mars (Périgueux)
Les caryopses du site de la Porte De Mars présentent un état friable. La présence de grain agglutiné trahit une carbonisation à température élevée, sur la base de l’échelle utilisée par S. Boardman et G. Jones (1990), le matériel céréalier se situe aux niveaux P2/3 et D3/4. Les résultats se sont révélés intéressants sur les caryopses d’Avena sativa observés, soit 3 sur 254. Certains caryopses présentent des cuvettes qui semblent avoir été creusées face dorsale (Fig 9a, 9b, 9c), avant la carbonisation, par un ravageur primaire tel que S. granarius. Cependant si S.granarius laisse des stigmates caractéristiques, il peut en faire d’autres, assimilables à celles d’autres ravageurs primaires. La seule morphologie des excavations observées ne permet ni de confirmer, ni d’infirmer qu’il s’agit d’une attaque de Sitophilus. Les caryopses de seigle observés (8 sur 1721) ne semblent pas avoir été attaqués, seuls des stigmates de carbonisation telle que des déformations, une protrusion sous forme d’écartement du sillon ventrale (Fig. 9d) et un gonflement (Fig. 9e) ont pu être observés sur les différents échantillons. D’une manière générale, le peu de caryopses parasités ne permet pas de plaider en faveur d’une infestation, mais soulève des questions quant à la représentativité des caryopses parasités conservés ou sur le taux réel de l’infestation. Nous ne pouvons pas confirmer s’il s’agit d’un début d’infestation, ou si seuls certains caryopses ont survécu aux différents agents taphonomiques liés à la destruction des vestiges.
Lalonquette (Pyrénées-Atlantiques)
Seulement 3 caryopses en provenance du site de Lalonquette ont été observés. Leurs surfaces paraissent avoir été altérées de plusieurs manières. Le hile manque et leurs surfaces sont érodées, et piquetées. Si la présence de protrusion sur le caryopse D1 (Fig. 10a, 10b), et les degrés de déformation et de conservation sur les 3 caryopses permettent d’attribuer cette altération à la carbonisation, la présence de creusement circulaire et irrégulier semblant être antérieur à la carbonisation sur les caryopses D1 et D2 (Fig. 10c), permet confirmer l’hypothèse selon laquelle les stocks ont été attaqués par des insectes. On note que l’albumen n’a été que partiellement consommé, ce qui pourrait être la cause du degré de déformation important dont les grains font l’objet. Cependant, même si la présence de Sitophilus granarius est attestée dans ce niveau, le manque de données expérimentales et archéologiques ne permet pas d’attribuer de manière certaine ces dommages à S. granarius. Ce type de stigmate pourrait être attribué à un insecte tel que Rhyzopertha dominica.
Place de la Sorbonne (Paris)
L’US1102 contenait 11 858 caryopses de blé nu (et58 fragments) toutes structures confondues, dont l’état de conservation général était caractérisé par un péricarpe lisse et intact, malgré certains cas de germination (≤12 %). Cependant, il apparaît que de nombreux grains (50 à 95 sur 100) étaient altérés d’une manière bien spécifique, au niveau du germe. 10 caryopses sur 435 ont été observés en provenance des structures 14, et 2 sur 440 en provenance de la structure 40 (voir tabl.13). Les profils des caryopses observés E1 (Fig. 12a), E2 (Fig. 12b), E3, E4, E6, E9, E10 et E11 sont interrompus par un creux aux contours irréguliers qui affecte toute l’extrémité proximale. La position et la forme générale (circulaire à oblongue) des dégradations peuvent être attribuées aux trous de sortie de Sitophilus granarius. Cependant certains critères remettent en cause la présence de S.granarius sur le site. En effet, aucun vestige d’insectes n’a été remarqué sur le site, de plus, les expérimentations et la littérature (Bousquet, 1990) démontrent que le germe est souvent attaqué, mais pas de manière systématique (entre 6,5 et 92,5 % selon les échantillons et les différentes conditions d’élevage) et que l’albumen est en grande partie consommé par les larves. Les dégradations sont ici quasi-identiques et situées dans les mêmes zones, mais l’albumen ne parait pas avoir été consommé au-delà de la partie proximale des caryopses.
Le caryopse E5 (Fig. 12d) semble être marqué par des perforations au niveau du péricarpe ainsi que l’absence de germe. Les semences notées E7 (Fig. 12c) et E8 (Fig. 12e) montrent un albumen dont la consommation est nettement marquée, les creux au niveau de la radicule sont nettement significatifs et les contours semblent dentelés, ce qui pourrait correspondre aux enlèvements faits par les mandibules. D’une manière générale, les caryopses montrent des dégâts évidents au niveau des embryons, qui semblent avoir été rongés, cependant au-delà de l’embryon l’albumen ne semble pas avoir été consommé. Les dégradations présentes sur 50 à 95 % des grains selon les échantillons sont attribuables à un ravageur primaire, cependant les indices sont trop minces pour admettre de façon certaine la présence de Sitophilus granarius sur ce site. Il est probable qu’un parasite attaquant une proportion moindre par grains et ciblant de préférence les embryons, tel que Cryptolestes ferrugineus (Coleoptera, Laemophloeidae) ou Oryzaephilus surinamensis (Coleoptera, Silvanidae) aient été présents. Kislev & Simchoni (2007) citent à l’égard de Oryzaephilus surinamensis “…also whole cereal grains, especially on the germ, thereby reducing the percentage of germination” ou encore “In undamaged grains, adults most frequently attack the germ’. Toutefois, il est possible que les conditions de conservation aient été en faveur des caryopses les moins parasités et donc les moins fragilisés. La carbonisation aurait pu ne laisser que les caryopses les plus douteux.
Interprétation et discussion.
Selon les conditions, la carbonisation influe d’une manière plus ou moins forte sur les caryopses. Une grande partie des modifications qui en résultent sont liées à la présence de l’albumen. Braadbart (2008, 2005) avait lui aussi noté le gonflement des grains et l’apparition de protrusion qui pourrait être provoquée par l’augmentation de la pression à l’intérieur des caryopses. Le comportement de l’albumen au cours de la carbonisation agira sur les modifications liées à la forme et à la taille des semences (Renfrew, 1973). Ces modifications seront différentes en fonction de la teneur en oxygène, de la température, de l’espèce, s’ils sont ou non revêtu de leurs enveloppes et selon qu’il y’ait présence ou non d’albumen.
L’albumen à l’intérieur des caryopses est composé d’amidon et d’eau. Lors de la carbonisation, l’eau contenue dans l’albumen entre en ébullition et se transforme en vapeur (Braadbart, 2004). Elle se concentre alors au centre du caryopse, repoussant l’amidon en périphérie. À partir de 190 °C, du fait de la température et de la pression, la vapeur se met à occuper un plus grand volume que l’eau liquide, l’enveloppe est alors soumise à une forte pression, ce qui entraine la rupture des points faibles du péricarpe (Braadbart, 2008), notamment au niveau du sillon. Les expérimentations et les publications (dont Braardbart, 2008 ; Märkle 2008 ; Ruas&Bouby, 2010 ; Ros et al, 2014) ont démontré que leurs apparitions au niveau de la surface des caryopses se produisent plus particulièrement lorsque la montée en température est rapide (<600 °C). L’albumen une fois expulsé sert de liant et permet l’agglutination des caryopses entre eux. Selon Braadbart (2008), la présence de protrusions n’est pas mentionnée dans la littérature archéobotanique. Cependant, leurs absences sont liées à leur caractère très friable : les grains dont l’albumen a explosé ne conservent qu’un vide. Le peu de péricarpe encore présent tombe en débris lors du tamisage sous l’eau.
Il est probable que les protrusions ne puissent pas, ou que très peu être utilisée dans les analyses à effectuer dans ce genre d’étude, cependant, il est possible que les caryopses parasités subissent le même sort. Comme les observations ont pu le démontrer, de nombreux caryopses parasités ne sont présents après carbonisation que par la présence d’une enveloppe vide et percée et parfois fragmentée. Il se peut que les conditions taphonomiques (carbonisation, enfouissement, temps, et tamisage) ne nous permettent pas d’étudier les caryopses les plus fragilisés.
Cependant, certains outils sont pertinents dans l’étude et l’interprétation des assemblages carpologiques parasités. La carbonisation en condition réductrice permet une meilleure conservation de la structure externe des caryopses, cependant, 22 à 45 % (pour les expérimentations) d’entre eux s’agglutinent en masse et certains caryopses (ici 2 %) ne présentent plus de perforation visible après carbonisation. Il se pourrait qu’il soit difficile de mettre en évidence le critère de perforation dans un assemblage archéologique, cependant, les trous de sorties gardent leurs caractéristiques après carbonisation.
Le degré de déformation utilisé par Boardman et Jones (1990), parait être un outil pertinent pour signaler la persistance de l’albumen à l’intérieur d’un caryopse sain lors de la carbonisation. En effet, les expérimentations et observations ont permis de démontrer que des déformations et gonflements apparaissent lors d’une forte carbonisation sur les caryopses sains, alors que le péricarpe des caryopses parasités a tendance à se replier sur lui-même ou à ne pas changer de conformation.
Conclusion et perspectives.
Sitophilus granarius est incontestablement le plus commun, mais également le plus destructeur des ravageurs primaires dans les pays tempérés (Kislev & Simchoni 2007). Ses traces d’activités, qu’elles soient trophiques ou nidificatrices peuvent dans les meilleurs cas être distinguées des altérations attribuables à la carbonisation. Les trous de sortis présents sur les « blés charançonnés » (Fig. 11) et les comportements du péricarpe selon qu’il y’ait ou non présence d’albumen pendant la carbonisation, sont très caractéristiques et peuvent être des indicateurs pertinents à retenir. Cependant, les traces de phytophagie laissées par les adultes sont rapidement estompées par la carbonisation, les conditions taphonomiques in situ ou encore les effets du tamisage. En ce qui concerne les nombreux grains fragilisés par une attaque conjointe des adultes et les larves, il est probable que ces derniers ne parviennent pas jusqu’à nous.
Les paramètres pris en compte et observés dans cette étude ne permettent que d’avoir un regard partiel et biaisé sur les nouvelles possibilités que l’approche ichnologique peut apporter à l’étude et l’interprétation des assemblages carpologiques anciens. En effet, seuls les biais taphonomiques liés aux stigmates de carbonisation et de parasitisme ont été pris en compte. Les traces d’activités figurant sur les grains expérimentaux sont identifiables, cependant, des différences sont à noter avec les caryopses archéologiques. Les grains parasités provenant des contextes archéologiques présentés ne sont pas les plus caractéristiques. Les conditions de conservation et le tamisage en sont les principales causes. Une partie des données disparait, et il est donc difficile d’évaluer l’état de dégradation des stocks avant carbonisation.
Ainsi la représentativité quantitative et qualitative de l’assemblage est biaisée par la conservation différentielle des pièces anatomiques les plus résistantes, et la meilleure conservation des caryopses non parasités. Il serait intéressant d’observer de manière plus approfondie le comportement des caryopses carbonisés et parasités face à différents temps d’enfouissement, face à différents milieux et face au tamisage. De plus il serait aussi intéressant d’observer ces caractéristiques sur des semences d’espèces différentes et à différents stades de maturation (en phase de germination par exemple).
Nous pouvons rajouter que même si les dégâts attribués à Sitophilus granarius sont les plus fréquents, il n’est pas le seul ravageur primaire. Rhyzopertha dominica peut par exemple, être retrouvé dans des contextes archéologiques remontant au XIVe siècle avant notre ère (Kislev, 2015). Si certaines altérations spécifiques permettent une identification, leurs attributions à un ravageur bien précis, demeure la plupart du temps impossible. En l’absence de vestiges entomologiques, l’identification d’un ravageur, parasite primaire peut être suffisant ; notamment pour une analyse sanitaire, toutefois il serait pertinent d’approfondir cette étude, afin de pouvoir distinguer les traces de Sitophilus, de celles laissées par d’autres ravageurs primaires. En effet, la dépendance que Sitophilus granarius a vis-à-vis de l’Homme est une caractéristique intéressante qui peut être exploitée, mais ses traces d’activités ne doivent pas être confondues avec celle d’autres arthropodes. Une étude sur les transports des grains à longue distance comme le suggèrent C. Rocq et J.-H. Yvinec (2002) ne pourrait se faire que si des vestiges d’insectes ont été conservés ou si les critères permettant de distinguer les lésions faites par Sitophilus granarius des autres ravageurs ont été étudiés.
En dépit de nos faibles connaissances dans ce domaine, l’association de l’archéo-entomologie et de l’ichnologie pourrait se révéler être un outil pertinent dans l’étude et l’interprétation des assemblages carpologiques. Elle pourrait permettre une meilleure compréhension taphonomique des stocks entreposés et des processus pré et post dé positionnels. Notamment dans des milieux ne permettant pas la conservation de vestiges entomologiques. Les expérimentations conduites dans cette étude laissent entrevoir de nouvelles perspectives d’études. Le développement de la pluridisciplinarité, notamment dans ce type de recherche, pourrait permettre l’obtention d’une documentation plus aboutie des assemblages carpologiques anciens.
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Table des matières
Remerciement
Table des matières
Introduction
1. Matériel et méthodes
1.1. Matériel
1.1.1. Le référentiel moderne
1.1.2. Le référentiel archéologique
1.2. Méthodes
2. Résultats
2.1. Identification & quantification des stigmates de carbonisation
2.1.1. Carbonisation des caryopses de Secale cereale en conditions oxydantes
2.1.2. Carbonisation des caryopses de Secale cereale en conditions réductrices
2.2. Identification & quantification des stigmates de phytophagie
2.2.1. Caryopses de Triticum aestivum
2.2.1.1. Avant carbonisation
2.2.1.2. Après carbonisation en conditions oxydantes
2.2.1.3. Après carbonisation en conditions réductrices.
2.2.2. Caryopses de Secale cereale
2.3. Synthèse des observations et critères diagnostics
3. Application aux assemblages archéologiques
4. Interprétations et discussions
5. Conclusion et perspectives
Bibliographie
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