CARACTERISTIQUES SOCIO-FAMILIALES DES AVORTEES

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De la dépénalisation au droit universel en France

Depuis la dépénalisation de l’avortement en 1975, la législation et l’accès aux soins de l’IVG n’a pas cessé d’évoluer. Le droit à l’avortement est autorisé avec la loi Veil, pour une période initiale de cinq ans puis définitivement légalisé le 1er janvier 1980. L’IVG est remboursée par la Sécurité Sociale par la loi du 1er janvier 1983 (loi Roudy). La loi Aubry-Guigou du 4 juillet 2001 prolonge le délai maximal de dix à douze semaines de grossesse. La loi de juillet 2001 et ses textes d’application de juillet 2004 ont permis d’ouvrir l’IVG médicamenteuse en ville et une prise en charge par l’Assurance maladie de l’IVG à 100 % pour les mineures.
Dans le cadre de la loi d’égalité réelle entre les femmes et les hommes, le Conseil Constitutionnel, au 31 Juillet 2014, a modifié l’article L. 2212-1 du code de la santé publique (CDSP) en supprimant « la condition de détresse » : « Depuis la loi du 17 janvier 1975 qui a légalisé l’IVG, ces dispositions prévoyaient que peut demander l’interruption de sa grossesse la femme enceinte « que son état place dans une situation de détresse ». Désormais pourra demander cette interruption la femme « qui ne veut pas poursuivre une grossesse ». Le Conseil constitutionnel a relevé que les dispositions existantes réservent à la femme enceinte le soin d’apprécier seule si elle se trouve dans une situation de détresse (sic)12 ».
La modification en janvier 2016 de l’article L. 2212-5 du CDSP a diminué le délai de réflexion entre les deux premières consultations de sept à deux jours et enfin, depuis le 1er avril 2016, l’ensemble des actes médicaux de l’IVG est pris en charge intégralement par la Sécurité Sociale (consultations, échographie et biologie)13. De surcroît, l’IVG en France ne répond à aucune condition morale, familiale, psychologique, médicale ou sociale : elle est réalisée « à la demande » de la patiente et sans aucun justificatif.
En quarante ans, la pratique de l’avortement est passée de la répression à la tolérance à la « reconnaissance universelle du droit à l’avortement sûr et légal14 ». Cette politique de santé publique et de légitimation du droit de la femme est une première dans l’histoire sociale et politique de notre société.

Un débat européen actif

Malgré toutes ces avancées dans le droit à l’avortement et dans le droit des femmes, ce sujet continue de créer des polémiques et des débats d’opinion sur sa légitimité dans notre société. Cette « reconnaissance universelle » n’est pas effective, il existe d’ailleurs une grande disparité des législations au sein même de l’Europe. En 2016, Malte interdit encore l’IVG quelle qu’en soit la raison. L’Irlande autorise l’IVG si et seulement si il existe « un risque réel et substantiel pour la vie de la mère ». La Pologne, Chypre, le Luxembourg ou encore la Finlande, bien que possédant des législations plus souples et moins répressives, n’autorisent pas l’IVG « à la demande »15.
Le Parlement Irlandais a refusé majoritairement, en juillet 2016, la légalisation de l’interruption médicale de grossesse (IMG) car le 8ème amendement de la constitution irlandaise stipule des droits égaux aux fœtus et à la mère16, ce qui a pour conséquence qu’une grossesse doit être menée à terme même si le fœtus est non viable voire qu’un déclenchement tardif doit avoir lieu dans le cadre d’une mort in utero17. Cette interdiction induit des comportements de « tourisme abortif » et des procédés clandestins. Dans un pays comme Malte où l’avortement est encore criminel, le gouvernement britannique estime que 591 Maltaises se sont fait avortées en Angleterre ou au Pays de Galles de 2002 à 201118. Amnesty International estime à 4000 « touristes » irlandaises annuels au Royaume Uni19.

L’avortement à l’époque moderne

La pratique de l’avortement est ancienne, de toutes cultures, et pose des questions philosophiques, éthiques, scientifiques et judiciaires nouvelles à chaque société selon son époque. Des traces de ces débats sont retrouvés dès la période antique et particulièrement dans la culture grecque : Hippocrate, dans son serment, interdit au médecin de réaliser un avortement : « Je ne donnerais jamais d’abortif à une femme ». Après un rappel historique succinct, nous aborderons plus spécifiquement le contexte social, législatif et moral de l’avortement provoqué à l’époque moderne.

Histoire de l’avortement avant l’époque moderne

L’avortement24, pourtant critiqué par Hippocrate, ne fait pas l’objet d’une grande répression car la pratique de l’exposition et de l’infanticide est également courante dans la société antique grecque25. Le pater familias, chef de famille et citoyen, a l’autorité d’écarter un nouveau-né avec la bénédiction des dieux. Il n’a donc pas besoin de contraindre son épouse à avorter. L’adultère est la norme chez le citoyen mais est interdit chez l’épouse : si elle avorte sans permission, elle est soupçonnée d’adultère et est répudiée. Les méthodes abortives se basent sur des recettes empiriques : les plantes comme l’armoise, la sabine, l’absinthe et la rue sont déjà utilisées pendant l’Antiquité.
Les sociétés chrétiennes considèrent la destruction du fruit de la génération comme un crime contre le salut éternel, supprimant le corps mais également l’âme du fœtus. En lui refusant le baptême chrétien, son âme ne peut être reconnue devant les béatitudes éternelles. Les sociétés chrétiennes du Moyen Âge accordent une importance équivalente entre la vie du fœtus et celle de la mère, interrogeant les médecins et les chirurgiens sur leur attitude morale envers l’avortement thérapeutique26. Des chasses aux sorcières sont organisées de la fin du XVe à la fin du XVIIe par l’Église, imposant une morale sexuelle stricte et une discipline des corps par le châtiment et le supplice corporel. La surveillance des accoucheuses entraîne la réglementation de l’exercice de sage-femme sous le contrôle des chirurgiens.
L’avènement des sociétés modernes laïcisées du XVIIIe a induit une mutation du sujet assujetti chrétien et conduit à la construction du citoyen laïc dans une communauté nationale. L’ambivalence du concept de liberté individuelle et de l’intérêt collectif prend son essor à l’orée de la Révolution française. Une nation en pleine expansion dépend, selon les économistes du XIXe, du nombre et de la qualité de ces citoyens, l’avortement perturbe ainsi le progrès de la nation. C’est à travers cette dualité affaire privée / affaire publique que se déploie toute la problématique de l’avortement au XIXe siècle.

Dénatalité : un paradigme français

Le taux de natalité (rapport entre le nombre annuel de naissances et la population totale moyenne sur une année) est en baisse depuis le dernier tiers du XVIIIe siècle. Au milieu du XVIIe siècle, il approchait 40 naissances pour 1000 personnes pour chuter en dessous de 30 ‰ après 183027. Cette « transition démographique » en France est particulièrement précoce avec un siècle d’avance comparée à ces voisins européens, notamment allemands28. Ce déclin est un phénomène rural avant 1850 et se diffusera à l’ensemble de la population dans la seconde partie du siècle. Ainsi dès 1890, la France n’assure plus le renouvellement de sa population29.
Ronsin confirme que la population française limite ses naissances et particulièrement au sein des couples mariés depuis plusieurs années limitant ainsi la fratrie. Par ailleurs ces comportements n’influencent que peu les couples sans enfant30 : « La diminution de la natalité française est due à la défaillance des familles nombreuses, ce qui est caractéristique d’une population malthusienne31 ».
Le malthusianisme est une forme de restriction volontaire. Thomas Robert Malthus (1766-1834) était un prêtre anglican et économiste qui prônait une limitation des naissances comme socle d’une économie politique dans le but de faire disparaître la misère. Les êtres vivants auraient une tendance « à accroître leur espèce plus que ne le comporte la quantité de nourriture qui est à leur portée 32». Une limitation des naissances par le moral restreint (célibat, mariage tardif, abstinence sexuelle) et non par des méthodes anticonceptionnelles, qu’il considère comme immorales, permettrait une amélioration du sort et du bonheur des classes inférieures. En corrigeant ainsi les inégalités sociales, il s’opposait aux mesures d’assistance et à toute forme de paupérisation de la société33.
Un « malthusianisme ascétique » à l’époque de l’ancien régime où la procréation était liée aux facteurs sanitaires et alimentaires (famines et épidémies), aux conduites familiales traditionnelles (retard de mariage et célibat définitif) et aux contraintes économiques (limitation de la dispersion du patrimoine) devrait être la règle34. Une première modification de la structure familiale apparaît après la Révolution française : elle est caractérisée par l’abaissement de l’âge du mariage et la réduction du célibat définitif mais paradoxalement n’augmente pas le taux de fécondité. Vers la fin du XIXe, le développement du concubinage dans le milieu urbain et l’augmentation des naissances « naturelles » attestent une déchristianisation de la société française35. Ainsi s’effacent peu à peu les normes traditionnelles avec l’apparition d’un « malthusianisme hédoniste » qui est caractérisé par l’émergence d’attitudes de prévoyance. La prudence des couples, anticipant l’avenir de leur progéniture, se teinte d’un mélange de sentiments d’altruisme (la peur d’une vie malheureuse) et d’égoïsme (la peur d’être dans la difficulté matérielle et financière). Cette mutation des mœurs et la crainte en l’avenir développent les comportements anticonceptionnels au XIXe siècle.
Le comportement de la population rouennaise dès le XVIIIe a, selon J.- P. Bardet36, recherché à réduire leur descendance avec un baisse significative de la fécondité légitime amorcée dès le début du XVIIIe. L’auteur décrit un mouvement « contraceptif » d’arrêt (refus d’une famille nombreuse) plus que d’un espacement des naissances. Cet intérêt contraceptif rouennais se diffuse socialement de façon descendante, dans le milieu citadin, des notables et boutiquiers puis aux artisans et journaliers. Enfin, Bardet suggère un lien causal entre la pratique, fréquente, de la mise en nourrice et une forme de « contraception » à Rouen entre 1740 et 1789 : 71 % des enfants sont mis en nourrice chez les notables et 41 % chez les ouvriers37. Le développement des nourrices a pu participer à la dénatalité avec un double effet : direct par la diminution de la fertilité chez l’allaitante et indirect en multipliant les contacts entre nourrices rurales et mères urbaines, ces dernières ne souhaitant pas voir leurs employées à nouveau enceintes38.
Les moyens anticonceptionnels développés à l’époque moderne se résument en cinq méthodes : la continence, le coït interrompu, la contraception, l’avortement et l’infanticide. Les outils contraceptifs ne se démocratisent que dans la première partie du XXe siècle 39 . L’avortement est décrit comme un « crime urbain » à l’opposé de l’infanticide jugé comme un « crime rural ». Mais les témoignages des pratiques privées restent finalement peu visibles : « La grande révolution des mœurs se déroule dans le secret, et sa signification échappe aux observateurs.40 »

« Biopolitique » et avortement

La répression de l’avortement aux XIXe-XXe siècle s’inclue dans un concept de biopolitique 45 réunissant « l’ensemble des interventions institutionnelles orientées vers la régulation des conduites démographiques et la normalisation des pratiques […] visant la moralisation des comportements privés46». L’avortement est un acte immoral et criminel définit comme une pratique déviante. La discipline du corps et la régulation de la population édifient une société de normalisation47 qui réprime les comportements déviants devenus inadmissibles ; la population est un nouvel objet du contrôle.

L’avortement dans le débat du XIX-XXe

La position médicale au XIXe

Bien que l’avortement provoqué soit immoral, la première moitié du XIXe s’interroge sur la légalité de l’avortement thérapeutique et, au-delà de celle-ci, de la valeur spirituelle et légitime du fœtus, considéré depuis le Moyen-Âge comme ayant des droits égaux à la mère. Dans une ère prépastorienne, la césarienne est vue comme une catastrophe et n’est pratiquée que lorsque les chirurgiens ont la certitude que l’accouchement sera compliqué (bassin rétréci, etc.). L’Académie de Médecine, fortement influencée par une pensée traditionnelle chrétienne, s’interroge sur les plans philosophique, éthique et déontologique, quant à cette alternative morbide mère-enfant. Après des débats houleux, elle reconnaît, en 1852, l’avortement thérapeutique et « la supériorité de la vie temporelle de la mère sur la vie spirituelle du fœtus »48. Néanmoins, les médecins craignent un glissement abusif d’une justification thérapeutique vers un avortement purement provoqué. Les médecins, dont l’élite médicale politicienne et professorale est le porte-parole, sont farouchement opposés à l’avortement provoqué défini comme « criminel ». Lorsqu’il est pratiqué par celui-ci, le médecin déshonore et souille la profession49.
Le médecin légiste a un rôle essentiel, mais limité par l’examen clinique et l’absence d’examens complémentaires50, dans la reconnaissance de l’avortement, comme le stipulent les Prs Tardieu et Brouardel, professeurs de médecine légale à Paris, dans leurs études sur l’avortement dans la seconde moitié du XIXe et le début du XXe51. L’avortement est défini médico-légalement par « l’expulsion prématurée et violemment provoquée du produit de la conception, indépendamment de toutes les circonstances d’âge, de viabilité et même de formation régulière.52 ». Selon Tardieu, l’avortement est un crime contre l’enfant alléguant la primauté du fœtus sur toute justification abortive : « Que le fœtus soit vivant ou mort, qu’il ait atteint l’époque de la viabilité ou qu’il soit aux premiers temps de sa conception, ni les conditions physiques, ni les conditions intentionnelles ou morales de l’avortement ne changent.53 ».
Les médecins légistes doivent qualifier le type d’expulsion : crime d’avortement ou infanticide. Brouardel est plus nuancé dans ces propos : en deçà de six mois le fœtus est non viable, il juge la tentative criminelle d’avortement comme simple et le légiste doit retenir « le fait d’avoir provoqué l’expulsion prématurée du produit de la conception 54 ». Par cette définition, il minimise la nature vitale et spirituelle du fœtus en le réduisant à un simple produit mécanique. Au-delà de sept-huit mois, le légiste doit s’interroger sur la nuance d’un accouchement prématuré et du crime d’infanticide.

Lutte entre néo-malthusianisme et repopulationnisme avant 1914

Durant le XIXe, l’avortement est publiquement et moralement condamné par les différents régimes (monarchique ou républicain), la profession médicale et naturellement par le clergé. Bien que sa reconnaissance sociale soit criminelle, sa répression est inexistante et délaissée par les autorités judiciaires. Le lien présumé entre avortement et dénatalité française de la seconde partie du XIXe est décrit par les statisticiens et les médecins légistes, comme J. Woehling élève de Brouardel, qui ont été les premiers à établir ce rapport55. Cette causalité abortive justifie le terme de « fléau social » contre la nation. La France reste encore marquée à vif par la défaite de la guerre franco-prussienne de 1871 et l’affirmation de l’empire allemand. C’est dans ce contexte qu’à partir de 1890 va naître deux mouvements opposés : néo-malthusianisme et repopulationnisme pour définir l’identité et la fonction du citoyen dans la nation.
La fin du XIXe donnera les échanges les plus virulents dans les milieux laïques, entre les néo-malthusiens avec la « Ligue pour la régénération humaine » créée en 1896 par Paul Robin (1837-1912), et les repopulationnistes avec « l’Alliance nationale pour l’accroissement de la population française » de Jacques Bertillon (1851-1922) créée quelques semaines plus tard. La famille Bertillon marque le paysage médical, politique et judiciaire du XIXe et du XXe siècle : le père Louis Adolphe Bertillon (1821-1883) est un médecin anthropologue et statisticien qui influencera les travaux de son fils sur la démographie française56 et le frère Alphonse Bertillon (1853-1914) est le créateur de l’anthropométrie judiciaire comme système d’identification des criminels et des délinquants récidivistes et est reconnu internationalement57.
Dans le climat de la Belle Époque58, apparaît un mouvement anti nataliste qui prendra une ampleur significative au début du XXe : le néo-malthusianisme. Ce courant, importé d’Angleterre et popularisé par Paul Robin, produit une propagande anticonceptionnelle avec de multiples ouvrages et brochures. Le mouvement, profondément antimilitariste et prolétarien, suppose qu’une procréation excessive induit une profusion de travailleurs favorisant chômage et misère et augmente le nombre de soldat donc favorise la guerre. Les néo-malthusiens s’attachent à populariser dans le milieu ouvrier les méthodes contraceptives mais ne considèrent pas l’avortement comme une panacée. Cependant devant la défaillance de l’utilisation des méthodes contraceptives, le recours à l’avortement devient une nécessité59 . En amont du mouvement, la « grève des ventres », slogan popularisé en 1892 par Marie Huot, prône une interruption générale de la reproduction, une réponse nihiliste devant une société basée, selon elle, sur le crime60. Le néo-malthusianisme est le lit des premiers mouvements féministes de la « première vague » exigeant une « libre maternité » comme Nelly Roussel et Madeleine Pelletier61.

De la criminalisation à la correctionnalisation
L’avortement est défini par le code pénal de 1810, article 317, comme un crime condamnant : les femmes qui avortent – les avortées –, ceux qui le réalisent – les avorteurs – avec un paragraphe supplémentaire sur les « hommes de l’art » – les professionnels de santé – ayant provoqué, par quelconques moyens, l’expulsion fœtale. Les peines théoriques sont de l’ordre de la réclusion pour les avortées et les avorteurs, et des travaux forcés pour les professionnels de santé.
Le crime d’avortement est jugé en Cour d’assise par un jury populaire. Les condamnations rendues jusqu’à la fin du XIXe sont admises comme trop compatissantes en acquittant les inculpés et en particulier les avortées. Devant la faiblesse répressive de l’avortement et les débats entre néo-malthusiens et repopulateurs, cette époque va connaître une modification de la législation. Le principe : correctionnaliser l’avortement, c’est-à-dire de transformer le crime en délit pour une meilleure efficience de la justice en supprimant le jury populaire. La proposition de correctionnalisation en 1891 par le député Trouillot fait distinctement référence à l’affaire Thomas. En soustrayant la condamnation des jurés par des magistrats, le législateur espère que ceux-ci « se tiendront plutôt à la démonstration des faits et se laisseront moins influencer que le jury par toutes les circonstances accessoires de l’avortement.80».
La correctionnalisation ne constitue pas le seul combat des repopulateurs ; ceux-ci proposent plusieurs mesures coercitives présentées dans le projet Lannelongue en 1910, dans le but de juguler la dénatalité de la France : la suppression du secret professionnel, l’introduction de l’excuse absolutoire de l’avortée dénonciatrice, la surveillance des maisons d’accouchement, une régulation du diplôme de sage-femme et une lutte contre les propagandes néo-malthusiennes et les provocations à l’avortement81. Une partie d’entre elles resteront à l’état de proposition. La loi de 1920 met en place la répression de la provocation à l’avortement et de la propagande anticonceptionnelle – « remèdes préventifs à la grossesse » – visant explicitement la propagande néo-malthusienne82. La loi de 1923 adopte la correctionnalisation de l’avortement : elle inclut la simple tentative d’avortement comme infraction ; les peines encourues vont de un à cinq ans de prison, 500 à 10 000 francs d’amende, la possibilité d’interdiction de séjour pour les avorteurs et la possibilité de suspension ou d’interdiction professionnelle pour les médecins ou les sages-femmes83.
La victoire des repopulateurs et des partisans anti-avortement est obtenue après une trentaine d’année de batailles depuis la proposition Trouillot, avec la mise en application des lois de 1920 et 1923.
Reconnaissance de la paternité dans l’avortement
Les conduites privées se transforment au XIXe avec le développement du concubinage et des « unions libres » dans la société. Le Code civil ignore les familles naturelles contrairement aux couples légitimes. L’enfant naturel ne peut prétendre à aucune reconnaissance légale de paternité car elle est interdite par le Code civil. L’enfant illégitime est exclu du cercle familial et ne bénéficie pas des droits de succession84. Pour les repopulateurs, cette situation favorise les abandons et les avortements. Les natalistes sont donc favorables à une réforme de la loi en donnant la possibilité aux filles abusées et abandonnées de confondre leurs séducteurs et ainsi, espoir du législateur, garder leur enfant85. La loi modifiant l’article 340 du Code civil sur la reconnaissance judiciaire de la paternité naturelle a été adoptée le 8 novembre 1912.
Le « Code de la famille » de 1939 et la guillotine de Vichy
La répression de l’avortement prendra un virage inflexible à la fin de la IIIe République grâce à l’action de propagande nataliste de l’Alliance Nationale menée par Boverat, admiratif de la politique familiale nazie86. Le « code de la famille » promulgué le 29 Juillet 1939, instaure une extrême sévérité des pouvoirs publics sur l’avortement. Les grandes figures du néo-malthusianisme sont visées comme Madeleine Pelletier dénoncée et internée en avril 1939 pour une affaire d’avortement. L’espace public est surveillé comme en Savoye où des filles-mères sont suspectées de passages clandestins en Suisse. C’est dans le titre II « Protection de la famille » où l’on retrouve les mesures les plus spécifiques et coercitives contre l’avortement en modifiant les dispositions de la loi de 1923 ; on admet criminel la simple tentative abortive y compris si la femme n’est pas enceinte, le sursis est supprimé87.
Le code de la famille légifère également sur plusieurs points : l’ouverture des maisons d’accouchement est réglementée par une autorisation préfectorale88. En complétant la loi de 1920 sur la propagande anticonceptionnelle, l’article 91 interdit la provocation à l’avortement en limitant la vente de fournitures, produits et instruments abortifs accessibles uniquement sur prescription médicale puis transcrit sur un registre paraphé par le maire ou le commissaire de police89 . Pour compléter cette « prévention » anti abortive, l’avortement thérapeutique est, paradoxalement, légitimé officiellement mais dans un objectif de suppression des pratiques déviantes si et seulement si la vie de la mère est en jeu. L’acte médical n’est exécuté qu’avec une autorisation administrative complexe et l’avis consultatif de deux médecins dont un est inscrit sur liste d’expert auprès du tribunal90.
Toutes ces mesures « préventives » sont légiférées pour réprimer sévèrement les déviances abortives.
Le gouvernement de Vichy ira encore plus loin, en ne faisant preuve d’aucune indulgence pour l’avortée même si elle est fille-mère. Le « fléau social », en plus d’être un crime contre la nation, est un « attentat à la sûreté intérieure et extérieure de l’État91 ». Avec la loi 300 du 15 février 1942, concernant les avorteurs « professionnels », le Tribunal d’État peut prononcer les travaux forcés et la peine de mort92.

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Table des matières

INTRODUCTION
1. L’AVORTEMENT LEGALISE : L’IVG
1.1 L’IVG de nos jours
1.2 Prise en charge de l’IVG en médecine de ville
1.3 De la dépénalisation au droit universel en France
1.4 Un débat européen actif
1.5 Un sujet tabou ?
2. L’AVORTEMENT A L’EPOQUE MODERNE
2.1 Histoire de l’avortement avant l’époque moderne
2.2 Dénatalité : un paradigme français
2.3 Combien d’avortements en France au XIXe ?
3. « BIOPOLITIQUE » ET AVORTEMENT
3.1 L’avortement dans le débat du XIX-XXe
3.1.1 La position médicale au XIXe
3.1.2 Lutte entre néo-malthusianisme et repopulationnisme avant 1914
3.1.3 Contre mouvement au XXe entre « Birth control » et activismes natalistes
3.2 La législation de l’avortement à l’époque au XXe
3.2.1 L’affaire des avorteuses de Paris
3.2.2 De la criminalisation à la correctionnalisation
3.2.3 Reconnaissance de la paternité dans l’avortement
3.2.4 Le « Code de la famille » de 1939 et la guillotine de Vichy
MATERIELS ET METHODES
1. L’OBJET : LES ARCHIVES JUDICIAIRES
2. METHODE SOCIO-HISTORIQUE
2.1 Le passé dans le présent
2.2 Relations à distance
2.3 Relations de pouvoir
3. RECUEILS DE DONNEES : LA SERIE 2U
3.1 Intérêt de la série 2U
3.2 Lacunes de la série 2U
3.3 Critères d’inclusion et d’exclusion
3.3.1 Inclusion de la série 2U
3.3.2 Exclusion de la série 3U
RESULTATS
1. LIEUX DE JUGEMENT EN PREMIERE INSTANCE
2. CARACTERISTIQUES SOCIO-FAMILIALES DES AVORTEES
2.1 Catégories socio-professionnelles
2.2 Structures familiales
2.3 Datation de la grossesse
3. CARACTERISTIQUES DES AVORTEURS ET COMPLICES
3.1 Avorteurs
3.2 Témoins et complices
4. METHODES ABORTIVES
4.1 Procédés abortifs indirects
4.1.1 Cataplasmes
4.1.2 Coups et violences
4.1.3 Drogues abortives traditionnelles
4.1.4 Médicaments et nouvelles drogues
4.2 Procédés abortifs directs
4.2.1 Perforation de la membrane
4.2.2 Dilatation du col utérin
4.2.3 Décollement de l’œuf
4.2.4 Auto-avortement
4.3 Complications des méthodes abortives
4.3.1 Douleur et Infection
4.3.2 Hospitalisation
4.3.3 Décès
4.4 Prix
5. CONDAMNATIONS
5.1 Avortées
5.2 Avorteurs
5.3 Général
DISCUSSION
1. LA FEMME ET LE CORPS : UNE FRAGILE SOUMISSION
1.1 Sexualité féminine : contrainte du corps, morale et sociale
1.1.1 Violences conjugales
1.1.2 Rapports consanguins
1.1.3 « Excitation à la débauche »
1.2 Croyances et traditions populaires autour de l’avortement
1.2.1 « Menstrues » et croyances
1.2.2 Le savoir-faire populaire : « c’est la misère, il faut couler ça »
1.3 Une « fausse couche » solitaire et le fardeau du fœtus
2. GENESE D’UNE DEVIANCE : LA « MAITRISE DE LA FECONDITE »
2.1 Maîtrise de la fécondité et statut de l’enfant : évolution des pratiques anticonceptionnelles au XIXe siècle
2.1.1 L’exposition rouennaise : l’abandon de l’enfant au début du XIXe
2.1.2 La marginalisation de l’infanticide à la fin du XIXe
2.1.3 La contraception : démocratisation progressive au début XXe
2.2 L’avortement : outil d’émancipation sociale
2.2.1 Emploi et précarité
2.2.2 L’avènement du concubinage
2.2.3 Recherche de la paternité : le refus du « bâtard »
2.2.4 « Assez d’un, il n’en faut pas d’autres ! »
3. D’UNE « PROHIBITION SOUPLE » A UN ECHEC REPRESSIF D’UN « FLEAU SOCIAL » A LA BELLE ÉPOQUE
3.1 Un crime peu jugé jusqu’à la Belle Epoque
3.2 De la « rumeur publique » à la sentence : impuissance des pouvoirs publiques
3.2.1 Surveillance et veille « populaire »
3.2.2 Faiblesses de la procédure judiciaire
3.3 Répression hétérogène : populations cibles
3.3.1 Avortées : condamnées pour l’exemple
3.3.2 Avorteurs : traîtres à la nation
3.4 La discrétion bourgeoise
3.4.1 Une clandestinité efficiente
3.4.2 Une justice arbitraire
3.4.3 Une culture de la vie privée
4. POSITIONS DES MEDECINS FACE A LA DEMANDE D’AVORTEMENT
4.1 Avortement et secret professionnel
4.2 Une pratique altruiste ou nécessaire ?
4.2.1 Le médecin « malhabile »
4.2.2 Le médecin « méprisable »
4.2.3 Le médecin « honorable »
4.3 L’influence du soutien populaire et des notables
CONCLUSION
RÉFÉRENCES 

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