Le langage oral à des fins d’apprentissage de la lecture: mise en place de débat interprétatif
Le langage oral est plus familier aux élèves en difficulté scolaire que le langage écrit. Ainsi utiliser le débat organisé dans le cadre de séance d’apprentissage de la lecture constitue un levier socio didactique. D’ailleurs, ce débat est qualifié d’interprétatif. L’interprétation n’est pas synonyme de compréhension, même si elle y est associée. M. Tounier précise dans son livre, Le bal des vampirespublié aux éditions Gallimard, « Un livre n’a pas un auteur mais une infinité d’auteurs.». Cette citation met en avant « la théorie de la réception», théorie selon laquelle il existe une bipolarité de la compréhension construite sur la permanence du texte et sur la plurivocité de la lecture. La compréhension d’un texte se construit certes à partir de la textualité que lui a donnée son auteur, mais également à partir de la façon dont le perçoit le lecteur. Hans Robert Jaus, dans son ouvrage Pour une esthétique de la réception paru dans les années 1970, qualifie cette construction d’« horizon d’attente ». Le lecteur s’approprie de façon singulière le contenu d’un texte en se référant à son vécu et à ses connaissances.
En quoi alors la mise en place de débat interprétatif faciliterait l’apprentissage de la compréhension d’un texte avec des élèves en grande difficulté, pour lesquels l’entrée dans l’écrit scolaire reste chaotique?
Dans un premier temps, il convient de lever l’amalgame entre compréhension et interprétation. Le débat interprétatif ne repose pas sur la compréhension du texte mais sur l’apprentissage d’habiletés en compréhension. En effet, avant de procéder au débat interprétatif, il faut s’assurer que la compréhension générale du texte écrit sur lequel repose le débat est maîtrisée. C’est alors que l’enseignant peut orienter les élèves vers un non dit, un problème que peut poser le texte. L’objectif, alors, est de lancer un débat interprétatif permettant aux élèves de résoudre l’énigme suscitée par l’implicite, en argumentant sur la textualité de l’écrit. Ceci permet de travailler les habiletés visant la compréhension fine du texte, mais aussi la prise de parole et l’argumentation: un même texte peut être perçu différemment, il suffit de justifier sa prise de position. « En d’autres termes, les interactions orales doivent tendre à faciliter le passage d’une lecture subjective, impliquée (Rouxel et Langlade, 2004), à une lecture distanciée, expliquée, mobilisant des savoirs de natures diverses. »
C’est à l’enseignant de guider les élèves, de montrer la cohérence ou pas du contenu de leurs réponses avec la textualité. « L’enseignant (…) veille alors à éviter les propositions trop fantasmatiques des élèves et à préserver l’élucidation de l’intentionnalité portée par le texte (Compagnon, 1998)».
Une réponse est tolérable, si elle est justifiée à partir des éléments du texte et en partant des connaissances de l’individu, de son vécu. C’est pourquoi, il n’est pas négligeable de prendre en compte un autre levier socio-didactique : partir de textes correspondant aux références culturelles des élèves.
Éviter les ruptures et partir du déjà là
D’un point de vue socio-didactique
Une des propositions consiste à partir du déjà làpour aller au delà. C’est ce que propose M-C Penloup qui insiste sur la difficulté des élèves, en particulier des milieux défavorisés, à appréhender l’écrit scolaire en décalage par rapport à leurs propres habitudes langagières, plus proches de l’oral que de l’écrit. « (…), la rupture entre la langue de l’école (…) et celle de la famille, (…) coïncide avec celle de deux mondes dont les cultures semblent parfaitement étanches, contraignant l’élève à une acrobatie douloureuse pour passer de l’une à l’autre . » Partageant les idées de C. Barré de Miniac et E. Bautier elle propose des situations didactiques qui « consistent à partir de ce que les élèves font en dehors de l’école, à utiliser des connaissances et des compétences « déjà là » pour combler cet éloignement culturel et permettre aux élèves d’accéder aux savoirs. C’est pourquoi, est-il important d’éviter toutes ruptures, toute stigmatisation et de proposer un enseignement basé sur une continuité entre les pratiques de l’écrit et de l’oral hors et dans contexte scolaire.
Qu’en est-il de l’apprentissage de la compréhension de l’écrit?
Pour que l’apprentissage de la compréhension soit effectif, c’est-à-dire pour que les élèves les plus en difficulté face à l’écrit, acquièrent de nouveaux savoirs et savoir faire, il est nécessaire que ces derniers aient un minimum de connaissances sur l’objet texte.
En effet, ce document écrit, objet de savoir, doit avoir un sens pour eux. D’ailleurs, S. Cèbe et R. Goigoux privilégient la démarche structurelle portant sur l’intégralité du texte, car ils estiment que le travail d’apprentissage compréhension est plus efficace sur un texte entier, tel qu’on est amené à le rencontrer dans la vie de tous les jours. Cette démarche est à opposer à la démarche modulaire portant sur des textes transformés afin de travailler une compétence particulière de compréhension. « Les textes proposés sont souvent simplifiés, parfois réécrits (…) cela réduit la complexité dans une tâche de groupe conduite par l’enseignant, préparant moins les élèves à se confronter à la difficulté des écrits divers qu’ils sont incités à fréquenter.»
Ainsi travailler sur des textes entiers proches de la culture et des centres d’intérêts des élèves les plus en difficulté scolaires constituerait un levier pour l’apprentissage de la compréhension. S. Cèbe et R. Goigoux proposent aussi d’autres pistes didactiques permettant d’éviter la rupture, le désintérêt de ces élèves:
– stabiliser les formats : c’est-à-dire organiser les activités d’apprentissage de la compréhension en suivant des déroulements de séance semblables et des consignes similaires.
– favoriser l’engagement: les élèves doivent être mobilisés « Compte tenu de leur histoire scolaire souvent émaillée d’échecs et d’incompréhensions, les plus faibles lecteurs ont besoin d’être remobilisés pour accepter de poursuivre l’apprentissage dela lecture. (…) Pour permettre cette remobilisation, nous sommes attentifs à ne pas submerger par des demandes qui s’avèrent hors de leur portée et à ne pas les laisser, trop vite, trop seuls. » Le rôle de l’enseignant est donc fondamental. Il doit penser les activités et les interactions qu’elles susciteront, afin que les élèves puissent changer de niveau de zone proximale de développement, c’est-à-dire devenir plus autonomes pour utiliser des stratégies de compréhension qui devraient être automatisées « Ce que
l’enfant est en mesure de faire aujourd’hui en collaboration, il saura le faire tout seul demain ».
La principale difficulté de cet enseignement repose sur l’étayage, c’est-à-dire sur le fait de poser les questions adéquates qui permettent aux élèves de prendre conscience de l’utilité de leurs activités d’apprentissage en compréhension pour une transposition des savoirs en compréhension de textes écrits. D’après J. Bruner l’étayage est l’« ensemble des interactions d’assistance de l’adulte permettant à l’enfant d’apprendre à organiser ses conduites afin de pouvoir résoudre seul un problème qu’il ne savait pas résoudre au départ». L’adulte prend en charge les éléments de la tâche que l’enfant ne peut réaliser seul. Pour ce même auteur, un bon étayage remplit six fonctions.
Proposer un enseignement explicite de la lecture compréhension
D’une démarche déductive à une démarche inductive : un tournant dans la recherche en didactique
Ce changement dans les démarches utilisées en enseignement compréhension du français est la conséquence du tournant dans la recherche en didactique, dont l’objet était d’abord le texte, puis s’est tourné vers l’objet élève dans les années 1980. Avant, la didactique du français s’inscrit dans une démarche déductive. Elle pensait, d’abord, les difficultés dans les textes proposés à des élèves, contenants potentiels de connaissances plus ou moins identiques selon l’âge. Aujourd’hui, dans une démarche inductive, la didactique du français-compréhension s’intéresse davantage à l’élève, être singulier façonné par son environnement, ses interactions afin de penser ensuite les textes qui constitueraient des vecteurs d’apprentissage, d’accès au savoir. « Loin de se poser centralement la question de l’aide aux élèves en difficulté, la didactique du français a accentué la disciplinarisation du français par le biais de la constitution d’un corps de connaissance, (…) On peut opposer à cette démarche celle que prône uncourant plus récent de la didactique du français langue maternelle et des sciences de l’éducation (Bautier et Rochex, Bautier et Bucheton, Bernié, Goigoux, Nonnon, Rebières, Schneuwly déjà cités) qui consiste à se pencher sur l’activité de l’élève réel. »
Donc, ces chercheurs sociologues (E. Bautier, Y. Rochex, B. Lahire), didacticiens (R. Goigoux, S. Cèbe), pédagogues (J. Giasson, M. Fayol) considérant l’élève comme objet de leur recherche, ont montré par l’analyse des résultats de leurs dispositifs, les apports pour l’apprentissage, en compréhension lecture notamment, d’un enseignement explicite centré sur les besoins de l’élève, individu singulier façonné par les interactions avec son environnement.
Un enseignement explicite de la lecture compréhension pour une transposition des savoirs
L’enseignement explicite constitue une réponse didactique notamment pour l’enseignement-apprentissage de la compréhension. Comme le précise A. Boissinot « Un enseignement, pour être efficace et démocratique, doit être capable d’expliciter ses démarches et ses outils. » Un enseignement dont les démarches restent tacites, obscures pour les élèves, mais qui est pensé évident, allant de soi par les enseignants, peut contribuer à la formation de la difficulté, voire de l’échec à l’école. « C’est donc en s’attachant à expliciter les pratiques scolaires les plus banales qu’on a une chance de donner aux enseignants des éléments leur permettant de faire entrer les élèves les plus étrangers à l’univers scolaire dans la logique socio-langagière de cet univers. »
Cet enseignement explicite est nécessaire pour rendre autonomes les élèves les moins familiarisés avec l’écrit, dans la compréhension de textes. Pour ces élèves, bien souvent lire, c’est décoder. Une fois le texte parcouru, déchiffré, ce qu’ils ont retenu de cette lecture littérale ne constitue pas les objectifs attendus du lire, du comprendre. A ce propos, C. Tauveron souligne « Pour les élèves en difficulté, Roland Goigoux montre comment des élèves de SEGPA croient, en particulier, que pour lire il suffit de décoder tous les mots d’un texte et que la compréhension va advenir de cette opération. Du coup, bon nombre d’entre eux s’efforcent de mémoriser la forme littérale du texte (alors qu’un lecteur habile s’efforce de l’oublier !). Ils pensent qu’ils n’ont pas d’autre activité à fournir et Roland Goigoux ajoute que leur maître renforce ces représentations inopérantes, renforce le clivage entre déchiffrage et compréhension, entre compréhension littérale et inférentielle, en travaillant avec obstination la compréhension littérale. » Par conséquent, il est important de dissocier comprendre un texte et apprendre à le comprendre. Bien souvent, l’acte de lire est considéré comme allant de soit par certains enseignants.
Une fois le déchiffrage maîtrisé, les élèves sembleraient capables de maîtriser le sens, le ou les messages explicites et implicites transmis par l’objet texte. Or, pour beaucoup d’élèves, particulièrement ceux en difficulté scolaire, dont la culture est éloignée de celle de l’institution, comprendre un texte sans apprentissage de la compréhension constitue un véritable obstacle, ne s’étant pas appropriés les habiletés, transposables d’un texte à l’autre, permettant d’accéder au sens des écrits. Ces habiletés reposent sur l’utilisation à bon escient des cinq compétences selon R. Goigoux à savoir : les compétences de décodage (identification des mots), des compétences linguistiques (syntaxe et lexique), des compétences textuelles (genre textuel, énonciation, ponctuation, cohésion : anaphores et connecteurs), des compétences référentielles (connaissances «sur le monde », connaissances encyclopédiques sur les univers des textes), des compétences stratégiques (régulation, contrôle et évaluation, par l’élève de son activité de lecture). La maîtrise de ces habiletés, dans l’activité de compréhension d’un texte, passe par la mise en place par l’enseignant du processus de secondarisation, précédemment évoqué. Or, comme le précise E. Bautier citant R.
Goigoux, ce travail du rapport distancié que nécessitent les postures de lecteur est évité voire méconnu des enseignants. « D’autres travaux (Goigoux, 1998a, 1998b) considérant comme un acquis de la recherche cette difficulté de certains élèves « à passer de pratiques langagières étroitement liées à leur expérience immédiate à des pratiques de plus en plus décontextualisées et distanciées » étudient comment les pratiques enseignantes aident ou n’aident pas les élèves dans ce passage. Il apparaît que les enseignants sont bien démunis pour penser l’aide aux élèves, d’autant plus que le mouvement actuel vise plutôt à contourner les difficultés des élèves en évitant les démarches de décontextualisation. »
L’objectif de ce processus repose sur la transposition des savoirs et savoir faire que les élèves se sont appropriés, dans un autre contexte, sur un objet texte différent afin d’en percevoir le sens second, c’est-à-dire non explicite. C’est pourquoi, les textes littéraires, par essence résistants sont des supports intéressants pour construire ce processus de secondarisation. Leur utilisation constitue donc un levier socio-didactique à condition que, comme il l’a été précisé, le déjà là soit pris en compte : la culture du texte est suffisamment proche de celle des élèves cibles pour qu’ils puissent rentrer dans l’activité d’apprentissage et les compétences que suscite l’activité d’apprentissage se situent dans leur zone proximale de développement.
Utiliser des textes littéraires comme support à l’apprentissage de la compréhension
Texte fonctionnel versus texte non fonctionnel
Les messages transmis par les textes fonctionnels sont immédiats. Les élèves cibles en deuxième année de préparation d’un certificat d’aptitude professionnelle semblent entretenir une relation utilitaire avec les textes, c’est pourquoi ces textes dits fonctionnels leur paraissent plus accessibles, et, bien souvent ils dénigrent la lecture des textes littéraires, en enseignement général, car ces derniers nécessitent une posture seconde, réflexive, de transformation cognitive qu’ils ont du mal à maîtriser.D’ailleurs dans les référentiels de l’enseignement professionnel des CAP préparés à l’EREA du Havre (MHL : Maintenance et Hygiène des Locaux, MAC : Maçons, MBC : Maintenance des Bâtiments et Collectivités, SM : Serrurerie Métallerie, PAR : Peintre Applicateur de Revêtement), les écrits sont secondaires et remplissent une fonction d’ordre « pratique», conditionnant une résolution de la tâche immédiate (savoir faire).
La compréhension de ces écrits repose sur des compétences actionnelles. L’objectif est de lire pour agir. Ce sont des fiches techniques sur les appareils, des fiches de consignes sur l’activité à réaliser, des textes réglementaires, des plans… Dans plusieurs référentiels, on souligne le caractère aléatoire de la transmission de consignes qui peut être écrite ou orale. La lecture y est linéaire et souvent le vocabulaire familier.
Dans les référentiels de l’enseignement général, les fonctions des écrits reposent sur la transmission d’un savoir plus abstrait, le savoir pensé. Son but est de développer un esprit critique, permettant à chaque individu, singulier par essence, de se connaître et de s’armer pour se faire une place « réfléchie » dans la société informelle, à laquelle il sera confronté après le lycée. D’ailleurs, le programme de l’enseignement du français est divisé en capacités dont les titres utilisent la forme pronominale : Se construire, S’insérer dans le groupe, S’insérer dans la cité, S’insérer dans l’univers professionnel.
Les écrits littéraires relevant de l’enseignement général nécessitent une lecture plus stratégique qui ne rentre pas dans les pratiques littératiées des CAP réservés (relevant de l’enseignement professionnel adapté).
Le choix didactique des textes
Les textes utilisés sont des textes dits littéraires. Dans ce genre de texte, tout n’est pas dit, le message transmis n’est ni offert ni immédiat et peut être sujet à controverses. C’est l’utilisation stratégique des habiletés qui permet de lever les opacités. Soit le blanc du texte repose sur ce que C. Tauveronappelle la prolifération c’est-à-dire que le texte ouvre un éventail d’interprétations possibles notamment en fonction du vécu du lecteur (cas du texte 2: Les Ricochets ). Soit le texte est réticent, c’est-à-dire que l’écrit suscite des blancs, des intrigues à résoudre en s’appuyant sur la textualité du texte (cas des textes 3 et 4 : extraits de L’école perdue de Tahar Ben Jelloun).
Le choix didactique incombe à l’enseignant. Il doit anticiper en analysant les points de vigilance de la textualité qui permettent de lever les non dits et de justifier les interprétations afin que les dispositifs soient efficaces.
Dans le texte 2 , c’est-à-dire la chanson Les Ricochets interprétée par Paris Africa, le blanc du texte, vecteur du débat interprétatif porte sur l’identité du narrateur je. Il n’est pas précisé explicitement qui est je, mais des indices dans le texte permettent de l’interpréter. Les compétences selon R. Goigoux et S. Cèbe nécessaires pour la résolution de ce problème sont les compétences linguistiques s’appuyant sur la syntaxe.
La construction d’une identité d’apprenant ?
Pour vérifier si les dispositifs mis en place permettaient la construction d’une identité d’apprenant j’ai calculé dans un premier temps la fréquence de participation de chaque élève. J’ai croisé les résultats obtenus avec le degré de pertinence des interactions lors des séances, qui montre que les élèves ont compris ou pas, avec la verbalisation des procédures lors des entretiens d’explicitations (passés avec le groupe SM) et avec leurs traces écrites (étape 5 : vérification du consensus pour les SM), questionnaire avant et après débat pour les MBC.
Une participation orale hétérogène
Pour synthétiser la fréquence de la participation de chaque élève lors des séances, j’ai calculé le pourcentage d’interactions pour chaque élève sur chaque séance. Ces tableaux synthétisant la participation orale se trouvent en Annexe 11et sont commentés par des notes qu’il m’a semblé utile de préciser pour l’analyse. D’une manière générale, à la lecture de ces tableaux synthétisant la prise de parole des élèves en pourcentage, on peut dire que tous les élèves participent lors des séances d’apprentissage de la compréhension, notamment à l’étape 4, lors de la phase du débat interprétatif. Cependant cette participation est hétérogène. Elle est soit spontanée (cas des élèves E1, E7, E10), soit sollicitée par l’enseignant (cas de l’élève E4, E5, E9), soit mixte (cas des élèves E2, E3, E8, E11) soit inexistante (E6). Quatre profils d’élèves se dégagent de l’étude de ces échanges. Ceux qui prennent la parole de façon conséquente, régulière et à chaque étape (E10, E1). Ceux qui ont une assez bonne participation sur la séance (E7, E11). Ceux qui interagissent de façon irrégulière soit en fonction des étapes, soit en fonction du texte (E2, E3, E8, E9). Et, ceux qui ont une participation quasi inexistante nécessitant soit des relances de l’enseignant soit des renseignements sur une reformulation de consignes (E6, E4, E5). Est-ce que la faible participation à l’oral influe sur la maîtrise de la compréhension fine des textes littéraires, non utiles ? D’une manière générale, est-ce que le débat interprétatif constitue une entrée à l’apprentissage de la compréhension pour tous les élèves à profil sociolinguistique similaire ?
Afin de répondre à ces questions, nous allons tenter de percevoir les tendances de fond, car pour construire une identité d’apprenant, il ne suffit pas que l’élève soit mobilisé sur la tâche et actif, il faut que ses interactions participent également à la construction de l’objet didactique de savoir : fabriquer le sens second d’un texte en utilisant des stratégies adéquates. Pour cela, j’ai mené ma réflexion en deux temps sur les deux groupes qui n’ont pas suivi exactement le même protocole. Concernant les élèves E1 à E8, j’ai croisé différentes données : les interactions de chaque type d’élèves lors des séances, la verbalisation du nœud de compréhension lors des entretiens d’explicitations qui ont eu lieu deux semaines après le travail sur les textes (quatre semaines pour E8) et l’évaluation de leur trace écrite lors de la vérification du consensus . Pour les élèves E9, E10 et E11, je vais comparer la fréquence, la pertinence de leurs interactions et de leurs réponses au questionnaire avant et après débat.
Lien entre pertinence de la compréhension et fréquence de participation?
Première analyse: groupe des SM
Afin de faire une analyse de contenu la plus représentative possible, j’ai classé les élèves cibles en fonction de leur pourcentage de participation, puis j’ai relevé (en les surlignant) dans chaque séance les propos que je considérais judicieux pour la compréhension du blanc du texte, j’y ai associé les éléments des entretiens d’explicitation et de l’évaluation écrite des consensus (étape 5)
Cas d’une forte participation
C’est le cas de l’élève E1. Lors de ces interactions en classe, ces réponses sont très pertinentes pour le texte 2, il verbalise les non dits en s’appuyant soit sur ses connaissances soit sur la textualité (Texte 2. 87 E1, 392 E1, 396 E1) en s’appuyant sur plusieurs éléments du texte qu’il associe (Texte 2. 295 E1). Pour le texte 3, il veut se démarquer de l’interprétation de ces camarades (Texte 3. 79 E1, 81 E1, 126 E1, 137 E1, 147 E1, 156 E1) et soutient une réponse différente mais incohérente par rapport au texte. D’ailleurs, il va revenir lui-même sur son inflexibilité car les relances de l’enseignant et de ses camarades vont l’amener à fournir des contre arguments à son interprétation pendant le débat (Texte 3. 158 E1). Lors de son entretien d’explicitation (Entretien E1 n° 711_0095), il est capable d’argumenter sur les deux textes et de donner une interprétation cohérente du sens second du texte littéraire. Il verbalise notamment les ambigüités soulevées lors du débat. (112 E1). E1 fait des liens avec les textes du même groupement. Il réinvestit le terme cliché. (216 E1) travaillé sur une séance exploratoire non retranscrite (Texte 1, Annexe 3). L’évaluation écrite de sa compréhension reste assez bonne pour les deux textes. Il ne respecte pas les consignes, il donne des réponses cohérentes mais les mots utilisés ne sont pas relevés dans le texte.
Cas d’une une participation moindre mais régulière
L’élève E7 n’a pas beaucoup participé à l’étape 4 du texte 3, mais pourtant il se rappelle des interprétations données et il sait les justifier en s’appuyant sur les indices du texte, qu’il a sous les yeux lors de l’entretien d’explicitation (Entretien E7 n° 711_0101). Si on analyse la qualité de ces échanges lors des séances, celles-ci ne sont pas toujours en cohérence avec le texte, mais les nombreuses relances de l’enseignant lui permettent de soulever certains blancs liés à la textualité des textes. Par exemple il dénoue le lien implicite entre le pronom vous et la partie du texte verser des larmes. (Texte 2. 379 E7 → 389 E7) Il s’appuie sur ses connaissances (Texte 2. 62 E7, 391 E7 / Texte 3. 71 E7). D’ailleurs il connait bien le texte 2, peut-être est-ce pour cela qu’il participe plus à son débat. Il met en mots le réseau lexical de l’eau (Texte 2. 103 E7). Il réinvestit ce qui a été dit lors des séances précédentes, notamment sur la valeur des temps utilisés (Texte 2. 288 E7). Il associe différentes informations du texte (Texte 3. 74 E7) et fait également un lien entre les textes. Il fait référence au Texte 1 de la séance exploratoire non retranscrite (80 E7). Cependant, son évaluation écrite ne reflète pas la qualité des arguments fournis lors des débats.
Cas d’une participation irrégulière sur les textes
L’élève E2 connaissait la chanson Les Ricochetset sa compréhension générale. Ces interactions montrent qu’il a des difficultés de compréhension liées notamment à ses faibles compétences lexicales et d’inférences. (Texte 2. 161 E2) et cet élève change d’avis d’une interaction sur l’autre (Texte 2. 152 E2, 155 E2) sans fournir de justification cohérente. (Texte 2. 158 P -159 E2). Mais lors de l’entretien d’explicitation (Entretien E2 n° 711_0096), sur le même texte, il est capable de verbaliser, avec ses mots, comment il a fait et l’ambigüité sur laquelle il a discuté avec ses camarades, ambiguïté qui portait sur l’âge de je: adolescent ou adulte. (124 E2). Par contre concernant le deuxième texte, où sa participation est faible, il ne donne aucune précision sur la réponse et son interprétation. Il dit même répondre au hasard (158 E2). Il réinvestit assez bien le sens du texte lors de la phase 5, mais a-t-il travaillé seul ?
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Table des matières
Remerciements
Abréviations utilisées
INTRODUCTION
1/ Facteurs des inégalités scolaires
1.1/ Facteurs sociaux
1.1.1/ Un rapport au savoir conditionné par des habitus socio culturels
1.1.2/ Un rapport au savoir conditionné par les interactions pédagogiques
1.2/ Facteurs linguistiques
1.2.1/ L’influence des pratiques socio langagières : du langage au métalangage
1.2.2/ Un langage en décalage avec la norme scolaire : entre non appropriation du code et revendication identitaire
2/ Des réponses socio-didactiques pour l’enseignement de la lecture compréhension des
élèves en grande difficulté scolaire et en fin de scolarité obligatoire
2.1/ L’utilisation du langage oral comme médiation entre culture de l’individu et culture littéraire commune
2.1.1/ Ambition et controverse
2.1.2/ Le langage oral à des fins d’apprentissage de la lecture: mise en place de débat interprétatif
2.2/ Éviter les ruptures et partir du déjà là
2.2.1/ D’un point de vue socio-didactique
2.2.2/ Qu’en est-il de l’apprentissage de la compréhension de l’écrit?
2.3/ Proposer un enseignement explicite de la lecture compréhension
2.3.1/ D’une démarche déductive à une démarche inductive: un tournant dans la
recherche en didactique
2.3.2/ Un enseignement explicite de la lecture compréhension pour une transposition des savoirs
2.4/ Utiliser des textes littéraires comme support à l’apprentissage de la compréhension
2.4.1/ Texte fonctionnelversus texte non fonctionnel
2.4.2/ Pourquoi l’objet texte littéraire constitue-t-il un support pertinent pour travailler l’apprentissage des processus de secondarisation en compréhension lecture des élèves cibles ?
3/ Présentation du protocole
3.1/ Le recueil de données : les questionnaires
3.1.1/ Présentation
3.1.2/ Objectifs et limites
3.1.3/ Analyse des données
3.2/ Observation participante ou participation observante : Enregistrement et retranscriptions des séances d’apprentissage de lecture compréhension
3.2.1/ Présentation
3.2 2/ Objectifs et limites
3.2.3/ Traitement des observables
3.3/ Les entretiens semi-directifs et d’explicitation
3.3.1/ Présentation
3.3.2/ Objectifs et limites
3.3.3/ Traitement des observables
Utiliser les débats interprétatifs pour apprendre à comprendre en enseignement adapté : un levier socio-didactique efficace ?
3.4/ Des dispositifs au service d’une recherche action?
3.4.1/ Présentation
3.4.2/ Objectifs pour l’enseignement-apprentissage
3.4.3/ Limites
4/ Caractéristiques sociales et rapport à l’écrit des élèves de CAP deuxième année
4.1/ Renseignements généraux
4.1.1/ La répartition des élèves par filière
4.1.2 / L’âge et la catégorie socioprofessionnelle des parents
4.2 / Pratiques et représentations sociolinguistiques de l’écrit
4.2.1/ La présence de l’écrit à la maison
4.2.2/ L’investissement
4.2.3/ Type d’investissement en lecture et production d’écrit
4.2.4/ Opinions et attitudes
4.2.5/ Les stratégies et conceptions
5/ Les dispositifs de la recherche action présentation et analyse
5.1/ Présentation des séances d’apprentissage de la compréhension
5.1.1/ Les enjeux de la recherche action
5.1.2/ La prise en compte de leviers socio-didactiques
5.1.3/ Le choix didactique des textes
5.2/ Analyse des dispositifs de recherche
5.2.1/ La construction d’une identité d’apprenant ?
5.2.1.2 / Une participation orale hétérogène
5.2.1.2/ Lien entre pertinence de la compréhension et fréquence de participation ?
5.2.2/ La construction d’une identité d’acteur social ?
5.2.2.1/ Une utilisation des procédures guidée
5.2.2.2/ …mais pas toujours conscientisée
5.2.3/ Quelle efficacité ?
CONCLUSION
Une démarche réflexive à des fins d’évolution professionnelle
Le degré d’efficacité des dispositifs
Des ajustements à long terme nécessaires
Références
Sitographie
Table des Annexes
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