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Rôle dans le métabolisme énergétique.
La mitochondrie va permettre à la cellule eucaryote aérobie de subvenir à ses besoins en énergie par le biais du processus d’oxydation phosphorylante qui permet la synthèse, à partir d’adénosine diphosphate (ADP) et de phosphate inorganique (Pi), d’adénosine triphosphate (ATP), molécule considérée comme le carburant de la cellule de par son haut potentiel énergétique. Cette réaction est effectuée par l’ATP synthase, complexe protéique multimérique ancré dans la membrane interne, qui utilise l’énergie fournie par la dissipation du gradient de protons créé entre la matrice et l’espace intermembranaire par des pompes à protons couplées à la chaîne de transfert des électrons (cf Figure 3). Ces mécanismes ont tous lieu au niveau de la membrane interne mitochondriale : ils reposent sur la théorie du couplage chimiosmotique (Mitchell, 1961) qui a valu à son auteur le Prix Nobel de Chimie en 1978.
Un maximum de 3 molécules d’ATP peut être obtenu dans le cas où les électrons sont cédés à l’ubiquinone à la suite de l’oxydation du nicotinamide adénine dinucléotide (NADH) en NAD+ au niveau du complexe I (NADH-ubiquinone réductase). Le NADH est lui-même le produit du cycle de Krebs qui permet de fournir de l’énergie à la cellule eucaryote aérobie grâce à la dégradation de substrats carbonés (lipides, protéines, sucres). En revanche, lorsque le complexe I est court-circuité, et que les électrons parviennent à l’ubiquinone à la suite de l’oxydation du succinate en fumarate au niveau du complexe II (succinate deshydrogénase), seules 2 molécules d’ATP sont synthétisées. Dans les deux cas, l’ubiquinone est réduite en ubiquinol, et sert de navette pour transférer les électrons au complexe III (ubiquinol-cytochrome c réductase ou complexe cytochrome bc1). Leur passage vers le complexe IV (cytochrome c oxydase) est ensuite assuré par deux molécules de cytochrome c associées à la membrane du côté de l’espace intermembranaire. Ils sont enfin cédés au dioxygène pour former de l’eau.
Les flèches noires indiquent les transferts de protons, les flèches rouges représentent le trajet des électrons entre les différents éléments de la chaîne respiratoire. UQ = ubiquinone, c = cytochrome c.
Les pompes à protons de la chaîne respiratoire sont des complexes multimériques dont les différentes chaînes polypeptidiques sont codées soit par le génome nucléaire, soit par le génome mitochondrial. Il a récemment été suggéré que ces complexes puissent former des réseaux d’assemblages supramoléculaires dans la membrane interne mitochondriale appelés respirasomes (Schagger et Pfeiffer, 2000). Ces derniers seraient constitués chez les mammifères d’un enchaînement de deux copies du bloc I1III2IV4 et d’une copie du bloc III2IV4, et chez la levure S. cerevisiae du bloc III2IV1 et/ou III2IV2 puisque ses mitochondries ne contiennent pas de complexe I, celui-ci étant remplacé par trois NADH deshydrogénases (Joseph-Horne et al., 2001).
Le gradient transmembranaire de protons généré par les pompes à protons couplées à la chaîne de transfert des électrons entraîne la mise en place d’un potentiel de membrane d’environ –200 mV entre l’espace intermembranaire et la matrice. La dissipation de ce gradient de protons à travers la partie transmembranaire F0 de l’ATP synthase force la rotation de la sous-unité c (Sambongi et al., 1999) et simultanément entraîne celle de la sous-unité γ de sa partie soluble F1 (Noji et al., 1997), ce qui permet alors la synthèse d’ATP à partir d’ADP et de Pi préalablement fixés dans le site catalytique de F1. L’entrée de ces deux molécules dans la matrice mitochondriale est assurée par deux transporteurs spécialisés qui appartiennent à une grande famille de transporteurs de métabolites de la membrane interne mitochondriale : les transporteurs de phosphate et d’ADP/ATP. Le rapprochement physique de ces trois protéines pour former l’ATP-synthasome a été récemment proposé (Chen et al., 2004).
Le transporteur d’ADP/ATP de la membrane interne.
L’ATP néosynthétisé dans la matrice mitochondriale doit être exporté à l’extérieur de la mitochondrie pour pouvoir être utilisé par la cellule dans le but de subvenir à ses besoins énergétiques. C’est le rôle joué par le transporteur d’ADP/ATP, qui permet à l’ATP de franchir la barrière de la membrane interne mitochondriale en échange de l’entrée simultanée d’une molécule d’ADP cytosolique.
La famille des transporteurs mitochondriaux.
La membrane interne de la mitochondrie, très peu perméable, nécessite la présence de protéines transmembranaires capables d’assurer le transport spécifique de métabolites variés, de l’espace intermembranaire vers la matrice ou inversement. Certaines de ces protéines permettent même un échange de molécules de part et d’autre de la membrane interne : de séquences primaires très proches et de caractéristiques biochimiques similaires, elles sont regroupées dans la famille des transporteurs mitochondriaux, appelée MCF (Mitochondrial Carrier Family (Saraste et Walker, 1982 ; Kunji, 2004)), et très conservées chez les organismes eucaryotes. Ainsi 35 transporteurs possédant 28 fonctions différentes ont été identifiés chez la levure S. cerevisiae, contre 49 chez l’homme (pour revue, voir Palmieri, 2004, et Arco et Satrustegui, 2005). D’après la base de données TCDB (Transport Classification Database, http://www.tcdb.org), un système de classification des protéines membranaires de transport approuvé par l’IUBMB (International Union of Biochemistry and Molecular Biology) et basé sur fonction et phylogénie de ces protéines (Saier, 2000), il semblerait que certains membres de la MCF soient présents dans d’autres organelles de la cellule eucaryote, telles les hydrogénosomes, peroxisomes, amyloplastes et chloroplastes (Thuswaldner et al., 2007). Aucun homologue n’a jamais été encore observé chez les organismes procaryotes, mais, assez étonnamment, il a en revanche été récemment découvert un transporteur de dATP (déoxyATP) et de dTTP (déoxythymidine 5’-triphosphate) codé dans le génome du virus Mimiviridae mimivirus (Monne et al., 2007).
Divers métabolites sont ainsi échangés, via les membres de la MCF, pour les besoins métaboliques et énergétiques de la cellule : la plupart sont de nature anionique (ADP, ATP, phosphate, oxoglutarate, aspartate, glutamate, pyruvate, malate, citrate, etc…), d’autres sont des cations ou des zwitterions (carnitine, ornithine, glutamine, etc…). La protéine découplante (UCP, Uncoupling Protein) fait aussi partie de la MCF, tout en fonctionnant pourtant sur le mode de l’uniport (Ledesma et al., 2002), comme d’ailleurs peut le faire le transporteur de carnitine (Indiveri et al., 1991). Les signes distinctifs qui permettent de repérer assez aisément les membres de la MCF se trouvent dans leurs chaînes polypeptidiques, qui comptent toutes environ 300 acides aminés. Il s’agit d’abord de la présence d’une structure tripartite dans la séquence primaire de ces transporteurs, autrement dit de la répétition de trois séquences homologues d’environ 100 résidus chacune. Une autre de leurs caractéristiques réside dans l’existence d’un motif P-X-D/E-X-X-R/K répété à trois reprises à des distances proches de 100 acides aminés (cf Figure 6A). Ce profil résulterait de la double duplication d’un gène ancestral, donnant des protéines de masse molaire variant entre 30 et 35 kDa. Ces transporteurs présentent pour la plupart un point isoélectrique très élevé (supérieur à 10).
Les transporteurs de la MCF sont codés par le génome nucléaire et doivent donc être importés dans la membrane interne de la mitochondrie (pour revue, voir Rehling et al., 2004).
Etant pour la majorité d’entre eux synthétisés sans séquence signal, les mécanismes de leur adressage à la membrane interne mitochondriale sont encore mal connus, mais il semblerait que certaines séquences internes puissent interagir entre elles pour former un élément d’adressage tridimensionnel (De Marcos Lousa et al., 2006). Cinq étapes distinctes ont été identifiées pour ces protéines hydrophobes : prises en charge par des chaperonnes à la sortie du ribosome, elles sont transportées vers des machineries spécifiques d’import situées dans la mitochondrie, tout d’abord vers le complexe général d’import TOM (Translocase of the Outer mitochondrial Membrane) de la membrane externe mitochondriale, qui les transfère ensuite vers l’espace intermembranaire, où des membres du complexe d’import TIM (Translocase of the Inner mitochondrial Membrane) de la membrane interne se chargent de les insérer sous une forme correctement repliée et donc fonctionnelle.
Caractéristiques physiologiques du transporteur d’ADP/ATP.
Le transporteur mitochondrial d’ADP/ATP sert très souvent de protéine modèle de la MCF car il en est actuellement le membre le mieux caractérisé, notamment grâce à son abondance dans les mitochondries et à l’existence d’inhibiteurs très spécifiques du transport des nucléotides. Son existence a été postulée dès 1965 (Chappell et Crofts, 1965) puis ses caractéristiques biochimiques ont été abondamment étudiées, mais ce n’est qu’en 1975 (Riccio et al., 1975b) qu’il a été isolé. Sa purification par non-rétention sur colonne d’hydroxyapatite a par la suite été appliquée avec succès à de nombreux autres membres de la MCF (pour revue, voir Palmieri, 1994). L’importance physiologique du transporteur mitochondrial d’ADP/ATP est soulignée par l’existence chez l’homme de pathologies dans lesquelles son dysfonctionnement a été mis en évidence, notamment des myopathies et des ophtalmoplégies (pour revue, voir Dahout-Gonzalez et al., 2006). Ces dernières sont les conséquences de mutations, dont cinq ont été identifiées (A114P, L98P, A90D, D104G et V289M), et dont les conséquences fonctionnelles ont été étudiées chez la levure (De Marcos Lousa et al., 2002 ; Fontanesi et al., 2004 ; Lodi et al., 2006).
Fonctionnement in vivo du transporteur d’ADP/ATP.
Dans les conditions physiologiques, une molécule d’ADP cytoplasmique pénètre dans la matrice mitochondriale tandis qu’une molécule d’ATP néosynthétisée en sort. Le transport des nucléotides procède selon un mécanisme d’échange-diffusion avec une stoechiométrie de 1:1 et suit une cinétique de type Michaelis-Menten. La constante de dissociation pour les nucléotides est de l’ordre de quelquesM et la vitesse maximale d’échange est comprise entre 200 et 600 nmol/min/mg de protéines mitochondriales totales (Klingenberg, 1980). Bien que l’activité de transport soit relativement faible, de l’ordre de 600 min-1 à 18°C dans les mitochondries de foie de rat, un homme consomme pourtant chaque jour son propre poids en ATP, recyclé grâce au transporteur d’ADP/ATP. Ceci est possible grâce à l’abondance du transporteur, qui peut représenter jusqu’à 10% des protéines de la membrane interne mitochondriale dans des tissus à haute dépense énergétique, comme le muscle cardiaque.
La spécificité du transporteur envers l’ATP et l’ADP est très grande, puisqu’aucun autre nucléotide ni même l’adénosine monophosphate ne peuvent être transportés (Pfaff et Klingenberg, 1968). Leur prise en charge sous les formes libres ATP4- et ADP3-, sans transport d’ions associé, résulte en un transport électrogénique (LaNoue et al., 1978). Ceci permet d’expliquer le processus asymétrique de l’échange, qui préférencie l’import de l’ADP et la sortie de l’ATP, sous l’effet du potentiel de membrane mitochondrial, positif à l’extérieur, qui résulte du fonctionnement de la chaîne de transfert des électrons. Il est intéressant de constater que, lorsque le transporteur est reconstitué en liposomes, il peut échanger les nucléotides de quatre façons différentes : deux homo-échanges pour l’ADP et l’ATP respectivement, mais aussi deux hétéro-échanges, soit dans le sens physiologique, soit dans le sens de l’import de l’ATP et de la sortie de l’ADP lorsque le potentiel de membrane imposé est inversé (Krämer et Klingenberg, 1980).
Inhibiteurs spécifiques du transport des nucléotides.
L’existence de deux principales familles de molécules capables d’inhiber le transport mitochondrial d’ADP/ATP, les acides bongkrékiques et les atractylosides, a beaucoup contribué à faciliter la caractérisation biochimique du transporteur. Ce sont des molécules très différentes, aussi bien au niveau de leur structure chimique (cf Figure 4) qu’au niveau de leur interaction avec la protéine. En effet, les atractylosides interagissent avec le transporteur d’ADP/ATP sur sa face exposée dans l’espace intermembranaire, tandis que les acides bongkrékiques doivent traverser la membrane interne mitochondriale pour aller se fixer sur la face matricielle du transporteur, ce qui est facilité in vitro par leur protonation dans un milieu légèrement acide.
Aspects génétiques et structuraux
Isoformes du transporteur d’ADP/ATP
D’après les banques de données, il existe environ 115 transporteurs d’ADP/ATP identifiés dans différentes cellules eucaryotes. Tous sont caractérisés par un enchaînement d’arginines et de méthionines R-R-R-M-M-M dans la partie C-terminale de leur séquence primaire (Brandolin et al., 1993 ; Nury et al., 2006 ; cf Figure 6A). Chez un même organisme, il peut exister plusieurs isoformes du transporteur, exprimées différemment suivant les tissus et n’ayant probablement pas toutes le même rôle. Ainsi chez la levure S. cerevisiae, qui possède pourtant trois isoformes du transporteur (Kolarov et al., 1990), seule l’isoforme majoritaire yAnc2 est essentielle au développement des cellules sur milieu non fermentescible. Chez l’homme, quatre isoformes du transporteur d’ADP/ATP ont été identifiées (Dolce et al., 2005), pour lesquelles la distribution tissulaire, déterminée par la quantification des ARN messagers, est extrêmement variable, l’isoforme hAnc1 étant majoritaire dans le cœur et dans les muscles. De façon surprenante, il y a davantage de similitude de séquence entre des isoformes issues de différents organismes et exprimées dans un tissu donné qu’entre les trois isoformes d’un même organisme.
Structure secondaire du transporteur d’ADP/ATP
A : Séquence primaire du transporteur d’ADP/ATP yAnc2 de la levure S. cerevisiae. Il faut noter l’absence de résidu méthionine à l’extrémité N-terminale de la protéine, qui est le fruit de modifications post-traductionnelles (Dianoux et al., 2000). En rouge est indiqué le motif signature tripliqué de la MCF. L’enchaînement RRRMMM caractéristique des transporteurs d’ADP/ATP est surligné en jaune. B : Profil d’hydrophobicité de Kyte et Doolittle calculé avec une fenêtre de 19 résidus. C : Topographie membranaire hypothétique de yAnc2 copiée sur celle de bAnc1.
L’observation du profil d’hydrophobicité selon Kyte et Doolittle du transporteur yAnc2 de la levure S. cerevisiae, c’est-à-dire l’observation de la répartition des résidus hydrophiles et hydrophobes le long de sa séquence, font clairement ressortir cinq régions hydrophobes (cf Figure 6B). Cependant, de nombreuses études topographiques du transporteur bovin d’ADP/ATP (pour revue, voir Brandolin et al., 1993), ainsi que la notion de structure doublement dupliquée des membres de la MCF, soutenaient plutôt une organisation en six hélices α transmembranaires. Dans le cas du transporteur d’ADP/ATP bovin bAnc1, seule l’extrémité N-terminale a pu être localisée sans ambiguïté dans l’espace intermembranaire par des analyses immunochimiques (Brandolin et al., 1989). Cependant, les analyses menées sur un dimère covalent en tandem du transporteur yAnc2 de levure ont prouvé que les extrémités de ce transporteur se trouvent toutes deux dans le même compartiment mitochondrial (Trézéguet et al., 2000). Ceci a été validé et complété en 2003 (cf Figure 6C) grâce à la structure tridimensionnelle du transporteur d’ADP/ATP bovin bAnc1 en complexe avec le CATR (cf Figure 7A), obtenue à haute résolution (2,2 Å) par diffraction de cristaux de cette protéine aux rayons X (Pebay-Peyroula et al., 2003), et déposée dans la Protein Data Bank sous le code 1okc.
A : Vue en rubans. La chaîne polypeptidique est colorée du bleu au rouge, en allant de l’extrémité N- à l’extrémité C-terminale. La position de la membrane est déterminée relativement au caractère hydrophobe des hélices. B : Vue en coupe du transporteur. Le CATR ménage une large cavité conique dans la face de la protéine orientée du côté de l’espace intermembranaire.
Analyse de la structure tridimensionnelle
Le transporteur présente une pseudo-symétrie d’ordre trois. Chacun des trois motifs est formé de deux hélices α transmembranaires fortement inclinées, dont l’une est coudée au niveau du résidu proline contenu dans la signature P-X-D/E-X-X-R/K des membres de la MCF. Ces hélices sont reliées entre elles par une boucle matricielle contenant une courte hélice α parallèle à la surface de la membrane interne. Les trois motifs sont reliés par deux courtes boucles hydrophiles situées dans l’espace intermembranaire. Les segments transmembranaires délimitent une large cavité, ouverte du côté de l’espace intermembranaire (cf Figure 7B), au fond de laquelle est maintenu l’inhibiteur CATR au moyen de nombreuses interactions avec la chaîne peptidique, dont des liaisons hydrogène et des interactions électrostatiques. Cette structure permet d’expliquer la moindre affinité de l’ATR vis-à-vis du transporteur, pour lequel la présence d’un seul groupement carboxylique au lieu des deux portés par le CATR limite le nombre des interactions. Elle permet aussi d’avancer l’hypothèse d’un filtre de sélectivité formé d’acides aminés chargés positivement pour présélectionner et préorienter les substrats de la protéine, et d’expliquer certains événements moléculaires impliqués dans les mécanismes de transport (pour revue, voir Pebay-Peyroula et Brandolin, 2004, et Nury et al., 2006). Enfin, l’hypothèse de l’existence probable d’un site de liaison du substrat commun à tous les membres de la MCF a pu être émise grâce à des simulations informatiques de la structure de plusieurs transporteurs de levure (Robinson et Kunji, 2006), effectuées à partir de la structure tridimensionnelle du complexe bAnc1-CATR. Il faut noter la présence de trois molécules de cardiolipide fortement liées au transporteur, qui pourraient jouer un rôle dans le contrôle des changements conformationnels de la protéine (Pebay-Peyroula et Brandolin, 2004) ou dans sa dimérisation (Nury et al., 2005).
Organisation oligomérique in vivo ?
L’obtention de la structure tridimensionnelle du transporteur a contribué à réalimenter un débat portant sur son organisation oligomérique. En effet le complexe bAnc1-CATR a été cristallisé sous la forme d’un monomère, alors que de nombreuses données biochimiques indiquent que les transporteurs d’ADP/ATP mitochondriaux dans l’état micellaire sont des homodimères. En effet, lorsque le complexe bAnc1-CATR est purifié dans un détergent non dénaturant tel que le Triton X-100, les analyses indiquent qu’il s’est fixé sur le transporteur une quantité de CATR équivalente à une molécule de CATR pour deux monomères de protéine (Riccio et al., 1975b). La même valeur a été obtenue pour l’acide bongkrékique après purification du complexe bAnc1-BA (Aquila et al., 1978). Ce résultat a été également corroboré par d’autres études, dont des analyses hydrodynamiques (Hackenberg et Klingenberg, 1980) ou par diffusion de neutrons (Block et al., 1982), réalisées à partir de transporteur bovin isolé en présence de détergent.
Il n’a jamais été mis en évidence de manière directe quel état oligomérique du transporteur intervient au cours du processus de transport. Cependant, l’échange des nucléotides, qui a lieu avec une stricte stoechiométrie de 1:1, ainsi que la mise en évidence de plusieurs sites de fixation pour les nucléotides (Block et Vignais, 1984), semblent indiquer la coopération de deux sites. De plus, des études cinétiques ont démontré que l’échange ADP/ATP implique une forte coopérativité dans la fixation des deux nucléotides au transporteur (Duyckaerts et al., 1980). Plus récemment, la construction de dimères covalents (Postis et al., 2005) a montré la nécessité d’un dialogue entre les deux monomères pour que le transport puisse avoir lieu. De même, l’existence d’un dimère fonctionnel a été prouvé pour d’autres membres de la MCF, comme le transporteur d’oxoglutarate (expériences de réticulation (Bisaccia et al., 1996)), celui de phosphate (utilisation de monomères étiquetés (Schroers et al., 1998)) ou celui de citrate (gel d’électrophorèse en conditions natives (Kotaria et al., 1999)). Une organisation tétramérique du transporteur d’ADP/ATP a même été suggérée sur la base des données de fixation du CATR (Brandolin et al., 1993). En 2005, une autre forme de cristaux du complexe bAnc1-CATR a été obtenue, dans laquelle ont été identifiés des interfaces de dimérisation mettant en jeu des interactions médiées par des cardiolipides endogènes (Nury et al., 2005), ce qui a aussi été observé pour la protéine membranaire formate déhydrogénase-N (Jormakka et al., 2002). Cependant le dimère est fragile, et il est certain que la monomérisation est favorisée par l’utilisation de détergents (Bamber et al., 2006).
Existence de boucles réentrantes dans le transporteur de levure.
La structure de bAnc1-CATR ne permet pas d’expliquer l’existence d’une boucle matricielle réentrante, mise en évidence par protéolyse limitée et marquage chimique de cystéine, dans le cas du transporteur yAnc2 de la levure S. cerevisiae (Dahout-Gonzalez et al., 2005). Etant donné que l’enchaînement fixation-transport-libération des nucléotides induit probablement des réarrangements structuraux majeurs, les boucles matricielles pourraient être impliquées dans la fixation des nucléotides (Mayinger et al., 1989) puis dans leur transport (Majima et al., 1995). Le même phénomène a été observé par des études biochimiques pour le transporteur de carnitine du rat (Indiveri et al., 2002). Récemment, la structure d’un transporteur de glutamate chez Pyrococcus horikoshii a été obtenue à haute résolution et a démontré l’existence des boucles réentrantes (Yernool et al., 2004).
La porine VDAC de la membrane externe
Contrairement à la membrane interne, qui ne laisse passer que certaines molécules grâce à des transporteurs spécifiques très diversifiés comme le transporteur d’ADP/ATP, la membrane externe est beaucoup plus perméable et joue seulement un rôle de filtre moléculaire en retenant les molécules de masse moléculaire supérieure à 3000-5000 Da. Cette diffusion contrôlée de métabolites, et donc cette régulation de la communication intracellulaire, s’effectue au moyen de canaux transmembranaires présents en grande quantité chez tous les eucaryotes : les porines mitochondriales. Ainsi, dans le cas de la levure S. cerevisiae, des analyses menées après purification de la porine yVDAC1 indiquent que celle-ci représente au minimum 10% des protéines totales de la membrane externe mitochondriale (Forte et al., 1987). Jusqu’ici il n’a été rapporté qu’un seul cas de pathologie humaine impliquant une déficience en porine (Huizing et al., 1994), et entraînant des désordres dans le métabolisme énergétique des cellules.
Identification et caractéristiques physiologiques de la porine
D’après la base de données TCDB (cf Partie I.B.1.), VDAC fait partie de l’une des 47 familles du groupe des porines de type tonneau β : la famille des porines MPP (Mitochondrial and Plastid Porin), qui est l’une des rares familles de porines existant chez les organismes eucaryotes, et dont VDAC est actuellement le membre le mieux caractérisé. Les premières études biochimiques sur la composition protéique de la membrane externe avaient montré l’existence chez plusieurs eucaryotes d’une protéine majoritaire de masse moléculaire proche de 30 kDa, et de fonction inconnue (Mannella et Bonner, 1975). Ce n’est qu’en 1976, après reconstitution dans une membrane artificielle, et à cause de ses caractéristiques électrophysiologiques, qu’elle a été identifiée dans l’organisme unicellulaire Paramecium aurelia (Schein et al., 1976) et nommée pour la première fois VDAC (Voltage-Dependent Anion Channel). Par la suite, la porine a été observée chez le rat, le bœuf, la levure Saccharomyces cerevisiae et Neurospora crassa (Colombini, 1979), puis chez d’autres organismes eucaryotes, toujours avec des caractéristiques biochimiques et biophysiques hautement conservées (De Pinto et al., 1987). La présence de VDAC, soit dans d’autres organelles de la cellule eucaryote, soit dans la membrane plasmique, a été observée par plusieurs équipes (pour revue, voir Bathori et al., 2000, et Shoshan-Barmatz et Israelson, 2005), mais ses fonctions extramitochondriales sont toujours actuellement inconnues.
Les expériences d’électrophysiologie menées sur la protéine reconstituée soit en liposomes soit en bicouches lipidiques planes montrent que VDAC contrôle le flux des métabolites grâce à des variations de fréquence d’ouverture du canal, suivant le potentiel de membrane (pour revue, voir Benz, 1994, et voir Colombini, 2004). Il existe ainsi un état dit ‘ouvert’, légèrement sélectif vis-à-vis des anions, caractérisé par une perméabilité élevée, où la microscopie électronique permet de visualiser de larges pores remplis d’eau, de 2-3 nm de diamètre environ (Mannella, 1998). A l’inverse, à partir d’une différence de potentiel de membrane supérieure à 30 mV, il est possible de distinguer plusieurs états dits ‘fermés’, légèrement sélectifs vis-à-vis des cations, pour lesquels la perméabilité est réduite, n’autorisant alors plus le passage de nucléotides tels que l’ADP ou l’ATP. L’ouverture du canal semble être régulée par des molécules variées, telles que le glutamate et le NADH (Shoshan-Barmatz et Gincel, 2003). L’existence de deux sites de fixation de nucléotides (Yehezkel et al., 2006) et d’au moins un site de fixation de Ca2+ (Israelson et al., 2007) a été démontrée. En revanche, à l’heure qu’il est, on ne connaît pas d’inhibiteur spécifique pour VDAC, ce qui est préjudiciable pour nombre d’études biochimiques.
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Table des matières
Partie I – Introduction
I.A. La mitochondrie
I.A.1. Caractéristiques, découverte et origine évolutive.
I.A.2. Organisation morphologique
I.A.3. Rôle dans le métabolisme énergétique.
I.B. Le transporteur d’ADP/ATP de la membrane interne
I.B.1. La famille des transporteurs mitochondriaux.
I.B.2. Caractéristiques physiologiques du transporteur d’ADP/ATP
I.B.2.1. Fonctionnement in vivo du transporteur d’ADP/ATP.
I.B.2.2. Inhibiteurs spécifiques du transport des nucléotides.
I.B.2.3. Mise en évidence des états conformationnels du transporteur
I.B.3. Aspects génétiques et structuraux.
I.B.3.1. Isoformes du transporteur d’ADP/ATP.
I.B.3.2. Structure secondaire du transporteur d’ADP/ATP
I.B.3.3. Analyse de la structure tridimensionnelle.
I.B.3.4. Organisation oligomérique in vivo ?
I.B.3.5. Existence de boucles réentrantes dans le transporteur de levure.
I.C. La porine VDAC de la membrane externe
I.C.1. Identification et caractéristiques physiologiques de la porine
I.C.2. Aspects génétiques et structuraux.
I.C.2.1. Structure secondaire en tonneau β.
I.C.2.2. Structure tertiaire de la porine ?
I.C.2.3. Organisation oligomérique dans la membrane ?
I.C.2.4. Rôle des stérols ?
I.D. Des partenaires possibles du transporteur.
I.D.1. Rapprochement des membranes mitochondriales aux sites de contact ?
I.D.2. L’interaction transporteur-VDAC
I.D.2.1. Transition de perméabilité et PTP
I.D.2.2. Rôle du PTP ?
I.D.2.3. Nature du PTP
I.E. Protéines membranaires et détergents : des difficultés.
I.E.1. Choix du détergent pour la purification de protéines membranaires.
I.E.2. Concentration de protéines membranaires : problèmes posés par le détergent.
I.F. Objectifs de ce travail
Partie II – Matériels & Méthodes
II.A. Matériel biologique
II.A.1. Souches de levure et de bactéries.
II.A.2. Milieux de culture des levures.
II.A.3. Conditions de croissance des levures.
II.A.4. Milieux de culture et conditions de croissance des bactéries.
II.B. Techniques de biologie moléculaire
II.B.1. Préparation et dosage d’ADN de levure
II.B.2. Amplification d’un fragment d’ADN par PCR
II.B.3. Purification d’un fragment d’ADN
II.B.4. Ligation d’un fragment d’ADN sur un plasmide
II.B.5. Transformation de bactéries par de l’ADN plasmidique
II.B.6. Mutagenèse ponctuelle dirigée
II.B.7. Transformation de levures ΔPor par un fragment d’ADN.
II.C.1. Préparation de mitochondries de cœur de bœuf
II.C.2. Préparation de mitochondries de levure.
II.C.3. Dosage des protéines.
II.C.4. Extraction des mitochondries par le carbonate de sodium
II.C.5. Détermination de l’immunoréactivité de yOm14 par ELISA
II.C.6. Titration des sites de liaison spécifiques des inhibiteurs
II.C.7. Détermination de la CMC du CHAPS
II.C.8. Purification des protéines.
II.C.8.1. Purification du complexe bAnc1-BA.
II.C.8.2. Purification de yAnc2-HT
II.C.8.3. Purification de yVDAC1
II.C.8.4. Purification de yVDAC1-HT
II.C.9. Observation des changements de conformation du transporteur isolé.
II.C.10. Analyse des protéines par SDS-PAGE
II.C.11. Electrotransfert et immunodétection des protéines (Western blot).
II.C.12. Ultracentrifugation sur gradient de sucrose.
II.C.13. Co-immunoprécipitation de yAnc2 et de yOm14
II.C.14. Analyse des protéines par MALDI-TOF
II.C.15. Dosage de l’Hécameg par la méthode à l’anthrone
Partie III – Résultats : Purification du complexe bAnc1-BA en vue de sa cristallisation
III.A. Purification et concentration du complexe bAnc1-BA
III.B. Résistance de la liaison transporteur-BA au cours de la purification
III.B.1. Remise en question de la stabilité du complexe transporteur-BA
III.B.2. Détermination de la capacité du transporteur à lier l’acide bongkrékique.
III.B.3. Caractérisation du complexe bAnc1-BA.
III.B.3.1. Séparation de complexes détergent-protéine par FPLC
III.B.3.2. Etude des différences entre chromatogrammes
III.B.3.3. Expériences de changement de fluorescence sur le complexe purifié.
III.C. Bilan
Partie IV – Résultats : Existence d’une interaction entre yAnc2-HT et yOm14
IV.A. Co-purification de yOm14 et de yAnc2-HT par IMAC.
IV.B. Caractérisation biochimique de la protéine yOm14
IV.B.1. Localisation de yOm14
IV.B.2. Immunoréactivité de yOm14
IV.C. Interaction de yOm14 avec le transporteur yAnc2-HT
IV.D. Bilan
Partie V – Résultats : Purification de la porine yVDAC1 de S. cerevisiae
V.A. Purification de la porine yVDAC1.
V.A.1. Choix de l’Hécameg
V.A.2. Présence d’ergostérol dans la fraction protéique purifiée
V.B. Elimination de l’ergostérol par extraction.
V.B.1. Extraction par un solvant organique
V.B.2. Extraction différentielle par un détergent.
V.B.3. Extraction par la méthyl-β-cyclodextrine.
V.B.3.1. Principales caractéristiques des cyclodextrines
V.B.3.2. Bilan des expériences d’extraction par la méthyl-β-cyclodextrine.
V.B.4. Extraction par le charbon actif
V.C. Séparation de l’ergostérol et de yVDAC1 dans la fraction purifiée.
V.C.1. Séparation par FPLC.
V.C.1.1. Principe de la méthode de séparation
V.C.1.2. Caractérisation des pics du chromatogramme.
V.C.1.4. Limites de la méthode.
V.C.2. Séparation par ultracentrifugation sur gradient de sucrose
V.C.3. Séparation par FPLC après élimination préalable de l’ergostérol
V.C.4. Rétention de yVDAC1 sur une colonne
V.D. Expression de la porine yVDAC1-HT de S. cerevisiae.
V.D.1. Expression bactérienne de yVDAC1-HT
V.D.1.1. Principe de la méthode
V.D.1.2. Précédentes études d’expression de porines étiquetées.
V.D.1.3. Construction et essais d’expression de yVDAC1-HT
V.D.2. Essais d’insertion génomique par recombinaison homologue.
V.D.2.1. Principe de la recombinaison homologue
V.D.2.2. Principe de la sélection des levures génétiquement modifiées
V.D.2.3. Construction en quatre étapes du fragment d’ADN à recombiner
V.D.2.4. Bilan des différents essais de recombinaison homologue.
V.D.3. Expression plasmidique de yVDAC1-HT chez S. cerevisiae
V.D.3.1. Construction des lignées V-HT et pRS
V.D.3.2. Croissance des souches de levure sur milieu solide
V.D.3.3. Croissance des souches de levure en milieu liquide.
V.D.3.4. Expression de yVDAC1-HT par la lignée V-HT.
V.E. Purification de la porine yVDAC1-HT exprimée chez S. cerevisiae
V.E.1. Solubilisation de yVDAC1-HT
V.E.2. Purification de yVDAC1-HT sur colonne HTP
V.E.3. Purification de yVDAC1-HT par chromatographie IMAC
V.E.3.1. Choix du détergent pour la chromatographie IMAC après HTP.
V.E.3.2. Purification directe de yVDAC1-HT sur Ni-NTA.
V.E.3.3. Détermination du volume optimal de résine Ni-NTA à utiliser.
V.E.3.4. Rendement de la purification de yVDAC1-HT.
V.F. Bilan.
Partie VI – Discussion générale & Perspectives
VI.A. Le complexe bAnc1-BA : sera-t-il possible de le cristalliser ?
VI.B. Les partenaires de yAnc2 : quelle part de mythe dans la réalité ?
VI.B.1. La protéine yOm14 : une interaction directe clairement démontrée
VI.B.2. La porine yVDAC1 : difficile de conclure quant à son interaction avec le transporteur.
Partie VII – Bibliographie
Partie VIII – Annexe : Article publié
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