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Impact psychologique du COVID-19
Au niveau mondial, plusieurs épidémies lors des 20 dernières années ont permis d’évaluer l’impact du confinement et de l’isolement sur les populations, comme le SARS en 2003, la grippe H1N1 en 2009, le MERS en 2012 et Ebola en 2014. Notamment, il est reconnu que le confinement a des conséquences délétères sur la santé mentale de la population générale mais aussi des soignants (6). Des études récentes ont été réalisées dès le début de la première vague de COVID-19 dans la population générale en Chine, en Iran et en Italie, confirmant une prévalence élevée de stress psychologique chez ces populations (6–8). Huang et al. ont rapporté une prévalence globale de 35.1 % de troubles anxieux, 20.1 % de symptômes dépressifs et 18.1 % de troubles du sommeil sur un échantillon de 7 236 participants recrutés en Chine (6). Une autre étude conduite en Iran sur un échantillon de 1 058 sujets rapportait une prévalence de 47% de symptômes modérés de stress (7). Les principaux facteurs de risques de développer des troubles psychologiques liés au COVID et aux restrictions associées retrouvés dans la population générale étaient le sexe féminin, les tranches d’âge jeune (18-30 ans), l’exposition prolongée aux médias (> 3 heures par jour), le fait de travailler dans la santé et l’antécédant de pathologie psychiatrique (6). De ce fait, l’OMS a recommandé une surveillance accrue de la santé mentale des populations, et tout particulièrement de catégories à risque comme les soignants (9).
Impact psychologique chez les soignants
En effet, les soignants se sont retrouvés au contact direct des patients suspects ou diagnostiqués COVID-19 dès le début de l’épidémie. Or les soignants semblent être particulièrement à risque de développer des complications psychologiques du fait de leur exposition à de multiples facteurs de risque (10). Premièrement, les soignants étaient exposés aux mêmes facteurs de risque que la population générale. Deuxièmement, ils avaient l’obligation de faire face à de nombreux dilemmes liés à leur activité professionnelle, comme l’absence de préparation, l’augmentation de la charge de travail, l’insuffisance des équipements de protection, la peur d’infecter leurs proches et la stigmatisation sociale (11,12). De ce fait, les répercussions sur la santé mentale des soignants pouvaient être multiples et représentaient un continuum allant du stress à l’anxiété et pouvant conduire à la dépression, l’épuisement professionnel, les comportements addictifs et le trouble de stress post-traumatique (13).
Une méta-analyse incluant principalement des études réalisées en Chine a montré une prévalence de 23.2 % de troubles anxieux, de 22.8 % de symptômes dépressifs et de 34.2 % d’insomnies chez les soignants pendant l’épidémie de COVID-19 (14). D’autres travaux ont montré que les soignants étaient plus à risque de développer des conséquences psychologiques délétères que les autres travailleurs de la santé, comme le personnel administratif par exemple (15,16). Une autre étude multicentrique chinoise avait pour objectif d’évaluer les facteurs de risque de développer des troubles psychologiques chez les soignants. Les facteurs de risque identifiés étaient la profession d’infirmier (IDE), le sexe féminin, le fait d’exercer dans la ville de Wuhan (épicentre de l’épidémie en Chine) et le fait d’être un soignant de première ligne (17). Ces résultats sont concordants aux différentes études réalisées dans d’autres pays tels que l’Espagne, l’Italie, l’Angleterre ou encore l’Iran, mais également avec les travaux réalisés au cours des précédentes épidémies (18–27).
Un sous-groupe de soignants, appelés soignants de première ligne, a été identifié comme particulièrement à risque de développer des troubles psychologiques. Il s’agit des soignants les plus exposés et quotidiennement au contact des patients COVID-19, c’est-à-dire de ceux travaillant dans les services d’urgence, de réanimation et dans les unités dédiées aux patients COVID-19 incluant les services d’infectiologie.
En effet, une étude multi-centrique française s’est intéressée à l’impact psychologique du COVID-19 chez 1 058 soignants recrutés dans 21 services de réanimation. Une prévalence de 50.4% de symptômes anxieux, 30.4% de symptômes de dépression et 32% de symptômes de dissociation liés au traumatisme était retrouvée. Les principaux facteurs de risque associés à un impact psychologique négatif étaient la profession d’IDE, le sexe féminin et le fait de ne pas exercer dans un centre universitaire (28). Une autre étude française conduite en réanimation à Lyon avec un échantillon de taille plus restreinte (n=208) a montré des résultats similaires. Celle-ci mettait en évidence que 48% des participants avaient des symptômes anxieux, 16% des symptômes dépressifs et 27% présentaient des symptômes de stress post-traumatique. Parmi les facteurs de risque retrouvés, il y avait le sexe féminin, le fait d’être affecté dans une unité COVID-19, les antécédents de burn-out, la sensation de ne pas être prêt et le manque d’expérience (29).
Justification de l’étude
A notre connaissance, peu d’autres études ont évalué l’impact psychologique de cette épidémie sur les soignants de première ligne, notamment dans les services d’urgence. De plus, il est à noter que la population des soignants exerçant aux urgences et en réanimation est déjà reconnue pour être à haut risque d’épuisement professionnel et de dépression (30–32). Or, l’Europe a été l’une des régions du monde les plus touchées par la Covid 19, mais en France, l’incidence a été hétérogène sur le territoire. La Région PACA n’a pas été la plus touchée lors de la première vague, mais il nous est quand même paru intéressant de nous interroger sur l’impact psychologique que cette pandémie a eu sur nos soignants. Enfin, une de nos hypothèses était que le COVID-19 a pu un avoir un impact différent chez les soignants des urgences et de la réanimation, en raison des différences liées à l’activité et au recrutement de patients entre ces deux types d’unité.
Schéma d’étude
Une étude prospective, longitudinale, comparative, bi-centrique a été réalisée du 3 avril 2020 au 4 juin 2020 au sein des services d’urgences et de réanimation de l’hôpital de la Timone et de l’hôpital Nord (Hôpitaux Universitaires de Marseille), soit pendant et après la période du premier confinement en France de l’épidémie de COVID-19. Durant cette période, quatre unités de référence ont été en première ligne pour l’accueil en urgence et la prise en charge des cas sévères de COVID-19, soit un service d’urgences et un service de réanimation par centre participant.
Population d’étude
Critères d’inclusion
Le personnel soignant et non-soignant directement en contact avec les patients COVID-19 exerçant entre le 3 avril 2020 et le 4 juin 2020 dans l’une des quatre unités éligibles ont été inclus après information sur l’étude et recueil du consentement oral. Les personnels éligibles étaient les aides-soignant(e)s et aides-soignant(e)s brancardiers, les Infirmier(e)s Diplômés d’Etat (IDE), les infirmier(e)s anesthésistes, les psychologues, les internes et médecins séniors ainsi que les Agents des Services Hospitaliers Qualifiés (ASHQ). Les personnels spécifiquement recrutés dans le cadre de l’épidémie de COVID-19 et les stagiaires des catégories professionnelles éligibles ont également été inclus.
Critères de non-inclusion
Les étudiants en médecine (externes des hôpitaux), les personnels administratifs (agent d’accueil administratif et assistant médico-administratif), les personnels absents durant la période d’étude (arrêt maladie, congés maternité ou annuel) et les personnels refusant de participer à l’étude n’ont pas été inclus dans l’étude.
Critères d’exclusion
Les participants n’ayant pas complété l’intégralité du questionnaire étaient exclus de l’étude. L’absence d’inclusion lors de la première évaluation était un critère d’exclusion de participation à la deuxième évaluation.
Déroulement de l’étude
L’étude a consisté en une évaluation des participants inclus en deux phases via un questionnaire standardisé et validé, auto-administré au format papier (Annexe 1). Une première évaluation a eu lieu lors du premier confinement, entre le 3 et le 13 avril 2020, suivie par une seconde évaluation six semaines après la première évaluation, soit entre le 25 mai et le 4 juin 2020.
Lors des deux évaluations, chaque questionnaire comprenait trois parties : une première partie relative aux données démographiques et personnelles, une seconde partie relative aux données professionnelles et une troisième partie concernant l’évaluation psychologique standardisée. Lors des deux évaluations, la première et la deuxième partie étaient identiques. Concernant la troisième partie, l’évaluation psychologique était composée de quatre questionnaires validés et standardisés mesurant l’épuisement professionnel, le stress professionnel, la qualité de vie et les symptômes d’anxiété et de dépression lors de la première évaluation. Lors de la seconde évaluation, un questionnaire validé avait pour objectif d’évaluer le stress post-traumatique. Dans chaque unité de soins, un investigateur principal a été désigné pour la distribution et le recueil des questionnaires.
Données collectées
Données personnelles
Les données personnelles recueillies étaient l’âge, le genre, le statut marital, le nombre d’enfants. Concernant l’épidémie de COVID-19, les participants étaient interrogés sur la peur d’être contaminé par le virus ou de contaminer un proche. La pratique d’une activité sportive et la consommation de substances psychoactives ont également été recueillies, avant et pendant l’épidémie. Enfin les participants devaient auto-évaluer leur ressenti concernant les sentiments d’anxiété et de dépression sur une échelle de Likert (de 1, « pas du tout » à 10, « tout à fait ») avant l’épidémie et pendant les 7 derniers jours.
Données professionnelles
Les données recueillies étaient le lieu d’exercice, la profession, l’ancienneté dans la spécialité, la planification du temps de travail pendant et en dehors de l’épidémie, les recrutements liés au COVID-19, l’expérience dans la spécialité exercée et la formation dans la spécialité. Une auto-évaluation de la satisfaction au travail et du désir de changer d’unité ont également été recueillies à l’aide de l’échelle de Likert (de 1, « extrêmement insatisfait », à 10, « extrêmement satisfait »).
Evaluation psychologique
Les signes d’épuisement professionnel ont été dépistés avec la version française du “Maslach Burnout Inventory” (MBI), qui est la référence au niveau international (33). Le MBI est un questionnaire composé de 22 items, mesurant les trois dimensions du syndrome d’épuisement professionnel : émoussement affectif (9 items), dépersonnalisation (5 items) et accomplissement personnel (8 items). Pour chaque item, le participant doit évaluer la fréquence de la proposition à partir d’une échelle de Likert à 7 points, permettant le calcul d’un score par dimension. Pour chaque dimension, des seuils permettent de définir trois degrés de sévérité de l’atteinte : élevé, modéré ou bas.
Dans cette étude, nous avons utilisé la définition de l’épuisement professionnel de Maslach et Jackson : l’association d’une atteinte sévère des trois dimensions (34). En pratique, cette définition correspond à l’association d’un score élevé pour l’émoussement affectif et la dépersonnalisation associé à un faible niveau d’accomplissement personnel (pour cette dimension, un score bas signifiant une atteinte sévère).
Stress professionnel.
Le stress professionnel a été évalué avec la version française du questionnaire de Karasek (35). Ce questionnaire de 26 items évalue trois dimensions : la demande psychologique (9 items), la latitude décisionnelle (9 items) et le support social (8 items). Le participant cote chaque item avec une échelle de Likert à 4 points (de 1 “pas du tout d’accord” à 4 “tout à fait d’accord”).
La tension au travail ou “job strain” est définie par une situation où la demande psychologique est forte (score > 20) et la latitude décisionnelle est faible (score < 71) ; l’association de la tension au travail avec un faible soutien social (score < 24) définit la situation d’ “isostrain” (« isolation » et « job strain »). Ces définitions font référence à la validation des qualités psychométriques de la version française du questionnaire (36).
Qualité de vie.
La qualité de vie a été évaluée avec la version française du “Medical Outcome Study Short Form” (SF-12), version abrégée du questionnaire SF-36 (37). Le questionnaire SF-12 comporte 12 items, dont six items évaluent la dimension physique (score noté sur 100) et six items la dimension mentale (score noté sur 100). Le calcul des scores est effectué avec un algorithme standardisé (38).
Dans la population française, les moyennes (écart-type) des scores de la dimension mentale et physique sont respectivement de 51.2 (7.4) et 48.4 (9.4) (37). Une altération de la qualité de vie (QDV) était définie par des scores strictement inférieurs à la moyenne de la population française.
Anxiété et dépression
Les symptômes d’anxiété et de dépression ont été dépistés avec l’échelle « Hospital Anxiety and Depression » (HAD) (39). L’échelle HAD est composée de 14 items, dont 7 évaluent l’anxiété et 7 la dépression. Pour chaque item, le participant note sur une échelle de Likert à 4 points la fréquence de la proposition.
Le degré d’atteinte de chaque dimension a été défini selon la version validée française : absence de symptômes (score ≤ 7), symptômes modérés (score de 8 à 10) et symptômes confirmés (score ≥ 11). (40)
Stress post-traumatique.
Les symptômes de TSPT ont été dépistés avec la version française du questionnaire « Posttraumatic Stress Disorder Checklist-5 » (PCL-5), dernière version validée du manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-5). La validation de la version française du PCL-5 a montré une excellente cohérence interne (coefficient alpha de Cronbach = 0.94) et une très bonne fiabilité test-prétest (41). Le questionnaire PCL-5 est un questionnaire auto-administré de 20 items évaluant la sévérité des symptômes de TSPT relatifs aux mois précédents. Les participants doivent noter chaque item via une échelle de Likert à 5 points, de 0 (pas du tout) à 5 (extrêmement).
Ce questionnaire de dépistage définit que l’existence d’un TSPT est probable lorsque le score du participant est supérieur ou égal à 32.
Critères de jugement
Afin d’évaluer l’impact psychologique et sur la qualité de vie du COVID-19, nous avons évalué la prévalence de l’épuisement professionnel, du stress professionnel, de l’altération de la qualité de vie par rapport à la moyenne de la population générale, ainsi que des symptômes d’anxiété et de dépression chez les participants, afin de comparer ces prévalences suivant l’activité (urgences ou réanimation).
Lors de la seconde évaluation, nous avons évalué la prévalence du TSPT chez l’ensemble des participants puis cette prévalence a été comparée entre les deux groupes.
Analyse statistique
Au niveau de l’analyse descriptive, les résultats étaient exprimés en moyenne (écart-type) ou médiane [25ème percentile ; 75ème percentile] pour les variables quantitatives selon la distribution des données, et, en effectif et pourcentages pour les variables qualitatives. Afin de comparer les deux groupes (urgences et réanimation), un test T de Student ou un test U de Mann Whitney a été effectué pour les variables quantitatives et un test du Chi-deux ou un test exact de Fisher pour les variables qualitatives, selon les conditions d’application des tests. La variation de ressenti (sentiments d’anxiété et de dépression) avant et pendant le COVID-19 a été comparée par le test de Friedman à échantillons associés pour chacun des groupes.
Concernant l’impact psychologique du COVID-19, la comparaison des scores de chacune des dimensions des questionnaires MBI, Karasek, SF-12, HAD et PCL-5 entre les deux groupes de soignants a été effectuée à l’aide du test T de Student. La prévalence de l’épuisement professionnel, de la tension au travail et de l’isostrain, de l’altération de la qualité de vie, de l’anxiété et de la dépression ainsi que du TSPT a été comparée entre les deux groupes à l’aide du test du Chi-deux ou du test exact de Fisher selon les conditions d’application.
Pour l’ensemble des analyses, une différence a été considérée comme statistiquement significative si le risque alpha était inférieur à 5 % (p<0.05). L’analyse statistique a été réalisée avec le logiciel SPSS (version 17.0 ; SPSS Inc, Chicago, IL).
Caractéristiques professionnelles
Caractéristiques générales
Concernant le lieu d’exercice, la majorité des participants, soit 58.7%, exerçait à l’hôpital Nord et 41.3% à l’hôpital de la Timone. Parmi le personnel des urgences (n=288), 53.5% dépendaient de l’hôpital Nord et 46.5 % (134) de celui de la Timone. Parmi le personnel de réanimation, 67 % (120) étaient de l’hôpital Nord et 33 % (59) de la Timone.
Par ordre de fréquence, la catégorie professionnelle la plus représentée était les IDE (44.1%), suivie par les médecins (26.8%) puis les aides-soignants (24.8%) et 4.3% d’ASHQ. C’était une population de jeunes diplômés, avec une expérience médiane de 6 ans et une ancienneté de 24 mois dans le service d’expérience. La quasi-totalité des participants travaillait à temps complet (94.9%), dont près de la moitié exclusivement de jour (48.2%) et dans près de deux tiers des cas (62.7%) en vacation de 12 heures (Tableau 2).
Prévalence de l’épuisement professionnel
La prévalence du burn-out était de 1.9% chez l’ensemble des participants, sans différence significative entre les groupes urgences et réanimation, soit respectivement 1.4% vs 2.8% (p=0.283). Cependant, il existait au moins une atteinte sévère d’une des dimensions chez 66% des participants, avec un pourcentage significativement supérieur en réanimation (73.2%) qu’aux urgences (61.5%), p=0.009.
Par dimension, un degré d’atteinte sévère était retrouvé le plus fréquemment pour l’accomplissement personnel soit 49.7% de la population (correspondant à un score bas pour cette dimension), suivie par la dépersonnalisation soit 37.7% et par l’épuisement émotionnel soit 18.4% (Tableau 6).
En réanimation, on observait un degré d’atteinte sévère significativement supérieur qu’aux urgences pour l’épuisement émotionnel (23.5% vs 15.3%, p<0.001) et pour l’accomplissement personnel (59.2% vs 43.8%, p=0.002).
Prévalence de l’altération de la qualité de vie
Par rapport aux scores de la population générale, la prévalence de l’altération de la QDV, incluant les deux dimensions, était de 48.4% chez l’ensemble des participants, sans différence significative entre les deux groupes, soit 52.5% pour les urgences et 45.8% pour la réanimation (p=0.160). Pour la QDV physique, une altération était observée chez 63.8% des participants (n=467) alors qu’une prévalence supérieure existait concernant l’altération de la QDV mentale, soit chez 78.8% des participants. De plus, l’altération de la QDV mentale était plus fréquente dans le groupe réanimation soit 84.4% versus 75.3% pour les urgences (p=0.021) alors qu’il n’existait pas de différences pour la dimension mentale entre ces groupes (p=0.965).
Prévalence de l’anxiété et de la dépression
Concernant la prévalence de l’anxiété, 40.7% des individus (n=467) présentaient des symptômes de type anxieux avec significativement plus de symptomatologie dans le groupe réanimation qu’aux urgences (46.4% vs 37.2%, p=0.049).
Concernant la prévalence des symptômes dépressifs, elle était inférieure avec 22.1% des participants interrogés, avec une différence à la limite de la significativité entre les deux groupes en faveur d’une prévalence plus élevée dans le groupe réanimation par rapport aux urgences (26.8% vs 19.1%, p=0.050).
Evaluation du stress post traumatique
Chez les 251 participants ayant répondu au second questionnaire, le score moyen (ET) au test PCL-5 était de 10.3 (10.7), ce qui correspondait à une prévalence du TSPT de 6% (n=15).
Dans le groupe urgences (n=188), le score moyen était de 9.2 (10.2), significativement inférieur à celui du groupe réanimation (n=83), qui était de 13.6 (11.8), soit p=0.009. Cependant, il n’existait pas de différence significative (p=0.17) entre la prévalence du TSPT aux urgences (4.8%) et en réanimation (9.5%), même si une tendance à une prévalence plus importante était observée en réanimation.
Discussion
Impact psychologique du covid 19 chez les soignants de première ligne
Pendant la 1ère vague de l’épidémie de COVID, notre évaluation psychologique des soignants de 1ère ligne a montré une prévalence élevée de troubles psychologiques dominés par le stress professionnel (44.1%), les symptômes d’anxiété (40.7%) et de dépression (22.1%) alors que la prévalence de l’épuisement professionnel était très faible (1.9%). Cependant, 66% des soignants présentaient une altération sévère d’une des dimensions explorées par le MBI. Mais le résultat le plus surprenant concernait la QDV des soignants, qui était inférieure à celle de la moyenne de la population générale chez près de la moitié des soignants (48.4%), avec une prédominance sur l’altération de la QDV mentale.
Concernant la qualité de vie, nos résultats sont concordants avec ceux de la littérature, notamment en Iran (19). Cette altération de la QDV peut être expliquée par plusieurs hypothèses. D’une part, les soignants, comme la population générale, ont vu leurs habitudes personnelles modifiées par l’épidémie via l’apparition de mesures restrictives, à l’image du confinement général. Cette hypothèse est illustrée par les résultats sur la diminution de la pratique sportive chez les soignants par exemple. D’autre part, la peur d’être contaminé ou de contaminer un proche peut expliquer l’impact sur la QDV, prédominant sur sa composante mentale. Nous pouvons supposer que ces préoccupations étaient exacerbées chez les soignants en raison de leur exposition professionnelle. D’autant plus qu’à cette période, les connaissances relatives à cette maladie étaient limitées. D’autres études ont également évalué le stress professionnel mais avec des scores différents, notamment le score PSS. Une étude italienne réalisée chez les professionnels de santé (de première ligne ou non) retrouvait une prévalence de 21.9% du stress sévère (22). La prévalence plus élevée dans notre étude peut s’expliquer par la population étudiée composée uniquement de soignants de première ligne. On peut penser que la prévalence du stress professionnel est plus élevée chez les soignants de première ligne. S’il semble maintenant certain que la crise Covid 19 a été pourvoyeuse de stress professionnel, plusieurs facteurs peuvent expliquer ce phénomène. Premièrement, les conditions de travail ont été modifiées via l’augmentation de la charge de travail, la réorganisation nécessaire du fonctionnement des unités et la pénibilité du travail liée aux mesures de protection individuelle. Deuxièmement, des problématiques éthiques ont participé au stress généré par l’épidémie comme la peur de l’insuffisance des moyens matériels et humains avec le risque de ne pas être en capacité de soigner tous les patients, dont les plus graves et les plus jeunes. Enfin, comme déjà évoqué, la peur d’être contaminé par le virus a aussi contribué au stress des soignants.
Concernant les symptômes anxio-dépressifs, nous disposons de plus d’études dans la littérature. Dans une étude réalisée en Italie entre le 2 avril et le 6 mai 2020, des chiffres similaires étaient retrouvés avec 50.1% des travailleurs de la santé ayant des symptômes anxieux et 26.6% des symptômes dépressifs (42). Cette étude utilisait respectivement les scores SAS et PHQ-9. Une étude lyonnaise réalisée en septembre 2020 a évalué entre autres les symptômes de dépression et d’anxiété chez des soignants de réanimation selon le score IES-R : 48% des soignants avaient des symptômes d’anxiété et 16% des symptômes de dépression (29). Ces résultats sont concordants avec ceux de notre étude. Cette étude nous rappelle qu’avant le Covid, 13% des soignants en réanimation présentaient des symptômes anxieux et 4% des symptômes de dépression. On peut donc supposer que cette majoration des symptômes anxieux peut être liée au Covid 19, responsable de modifications sur le plan professionnel et personnel.
Avant l’épidémie de COVID-19, une méta-analyse récente sur le burn-out chez les médecins français retrouvait des résultats différents de ceux de notre étude. D’un côté, 49% de la population étudiée présentait au moins une atteinte sévère d’une des dimensions du burnout alors que nous avons retrouvé une prévalence plus élevée de 66% dans notre étude (30). En revanche, si l’on prend la définition stricte du burn-out, c’est-à-dire l’atteinte sévère dans les trois dimensions, cette méta analyse retrouvait une prévalence de 5% contre 1.9% dans notre étude. Cette prévalence globale plus faible peut s’expliquer par le fait que l’épuisement professionnel est plus le reflet d’une situation chronique et de l’état de base de nos soignants. Or notre évaluation a été réalisée au début de l’épidémie lors de la première vague. Une nouvelle évaluation de l’épuisement professionnel serait donc nécessaire afin d’évaluer les conséquences du COVID-19. Enfin, la définition du burn-out peut varier suivant les études et en fonction des tests utilisés mais surtout des bornes utilisées pour quantifier la sévérité de l’atteinte. La fiabilité de nos résultats reposait sur l’utilisation de valeurs définies pour le test MBI spécifiquement pour la population des soignants.
Un impact différent en réanimation et aux urgences
Plusieurs de nos résultats mettaient en évidence des différences significatives entre les soignants des urgences et de la réanimation. En effet, nous avons retrouvé un impact psychologique plus marqué chez les soignants exerçant en réanimation concernant l’épuisement professionnel, si l’on regarde le nombre d’individus avec au moins une dimension élevée au score MBI (73.2% vs 61.5%, p=0.009). Nous avons également retrouvé un plus faible soutien social en réanimation (46.9% vs 28.8%, p<0.001) et donc plus d’isostrain, une moins bonne QDV mentale (84.4% vs 75.3%, p=0.011), plus de symptômes anxieux (46.4% vs 37.2%, p=0.049) et une tendance à plus de symptômes dépressifs.
Plusieurs hypothèses peuvent expliquer au moins en partie ces différences. Par définition, les patients les plus graves ont été pris en charge en réanimation alors qu’aux urgences les soignants se sont occupés d’une population de patient COVID-19 plus hétérogène en termes de gravité. Au début de l’épidémie, l’absence de traitement et de recul sur le pronostic a pu aggraver les effets psychologiques délétères chez les soignants de réanimation, dont le recrutement était constitué d’une population beaucoup plus jeune qu’habituellement. Après le début de l’épidémie, l’aggravation secondaire des malades hospitalisés en unité conventionnelle depuis les urgences a été vécue par les soignants de réanimation alors que ceux des urgences n’ont pas été témoins de ce phénomène. Enfin, si le taux de mortalité de la COVID-19 était élevé, les patients décédaient en majorité en réanimation et pas aux urgences.
Nous pouvons supposer que l’adaptation nécessaire à la gestion de cette crise sanitaire a été plus difficile pour les services de réanimation. En effet, l’extension des capacités d’admission en réanimation a nécessité plus de ressources humaines et matérielles. Une place supplémentaire demande un équipement conséquent comme un ventilateur, des pousse-seringues, un appareil d’épuration extra-rénale…Mais surtout cela requiert du personnel supplémentaire avec en moyenne un(e) IDE pour 2 patients, un(e) AS pour 4 patients mais aussi du personnel médical. Enfin, en réanimation, le personnel est moins habitué aux épisodes de saturation, la capacité en lit étant fixe.
Aux urgences, l’adaptation et la gestion du flux de patients sont au cœur du métier des soignants. Les épisodes de tension et de saturation font partie du quotidien aux urgences, qu’ils soient liés à une augmentation du flux entrant et/ou à une carence de lit d’aval. De plus, l’adaptation des services n’a pas autant augmenté les besoins matériels et humains qu’en réanimation. Enfin, la formation initiale des médecins urgentistes intègre un versant sur les situations sanitaires exceptionnelles, ce qui n’est pas le cas en réanimation.
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Table des matières
1 Introduction
1-1 Généralités
1-2 Impact psychologique du COVID-19
1-3 Impact psychologique chez les soignants
1-4 Justification de l’étude
2 Objectifs de l’étude
3 Matériel et Méthodes
3-1 Schéma d’étude
3-2 Population d’étude
3-2-1 Critères d’inclusion
3-2-2 Critères de non-inclusion
3-2-3 Critères d’exclusion
3-3 Déroulement de l’étude
3-4 Données collectées
3-4-1 Données personnelles
3-4-2 Données professionnelles
3-4-3 Evaluation psychologique
3-5 Critères de jugement
3-6 Analyse statistique
4 Résultats
4-1 Caractéristiques des participants
4-1-2 Caractéristiques démographiques
4-1-3 Caractéristiques professionnelles
4-1-3-1 Caractéristiques générales
4-1-3-2 Caractéristiques liées au COVID-19
4-1-4 Caractéristiques thymiques de la population
4-2 Evaluation psychologique et de la qualité de vie
4-2-1 Epuisement professionnel.
4-2-1-1 – Caractéristiques descriptives
4-2-1-2 Prévalence de l’épuisement professionnel
4-2-2 Stress professionnel.
4-2-2-1 Caractéristiques descriptives.
4-2-2-1 Prévalence du stress professionnel.
4-2-3 Qualité de vie.
4-2-3 -1 Caractéristiques descriptives
4-2-3-2 Prévalence de l’altération de la qualité de vie
4-2-4 Symptômes anxio-dépressifs.
4-2-4-1 Caractéristiques descriptives.
4-2-4-2 Prévalence de l’anxiété et de la dépression
4-3 Evaluation du stress post traumatique
5 – Discussion
5-1 Impact psychologique du covid 19 chez les soignants de première ligne
5-2 Un impact différent en réanimation et aux urgences
5-3 Prévalence du stress post traumatique
6 – Conclusion
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