La subduction est un processus où une plaque lithosphérique (le plus souvent de nature océanique) plonge sous une autre plaque lithosphérique. Le recyclage de lithologies crustales (sédiments, croûte continentale, croûte océanique altérée) enrichies en éléments incompatibles et en éléments volatils (H2O, CO2, S, Cl, F) joue un rôle clé dans l’évolution de la composition des différentes enveloppes terrestres. Les fluides riches en H2O issus de la déshydratation et/ou la fusion partielle de lithologies de la plaque plongeante (appelée aussi slab dans la suite du manuscrit) modifient le manteau situé sous la plaque chevauchante par des processus de métasomatose cryptique et/ou modale (Grégoire et al., 2001; Maury et al., 1992; Prouteau et al., 2001; Vidal et al., 1989). Les fluides issus des lithologies recyclées contribuent à la genèse des magmas d’arc (Ringwood, 1974; Schmidt & Poli, 1998) et plus largement à la formation de croûte continentale (Arculus, 1999). L’émission d’éléments volatils lors du dégazage passif des volcans ou lors d’éruptions volcaniques contribue à modifier l’atmosphère et peut parfois fortement impacter le climat terrestre (e.g. Robock, 2000). Ainsi l’émission de 17 mégatonnes de dioxyde de soufre dans la stratosphère lors de l’éruption du Mont Pinatubo (Philippines) en 1991 a entraîné une baisse de température moyenne de 0,4°C sur l’ensemble de la Terre durant les années 1992 et 1993 (Self et al., 1996). Enfin, les résidus éclogitiques emportés en subduction créent des hétérogénéités dans les couches plus profondes du manteau et sont probablement à l’origine de réservoirs enrichis, source de certains basaltes intraplaques (OIB, Ocean Island Basalts, e.g. Ryan & Chauvel, 2014).
Caractéristiques géochimiques des magmas d’arc
Les roches volcaniques émises en contexte d’arc (IAV) constituent des séries évoluant globalement depuis les basaltes jusqu’aux rhyolites (BADR: basalte-andésite-dacite-rhyolite). On trouve principalement des magmas sub-alcalins en zone de subduction mais des roches alcalines, sous saturées en silice, sont aussi présentes. Parmi les roches sub-alcalines, on distingue deux tendances évolutives : la série tholéiitique et la série calco alcaline. La première série est relativement plus enrichie en fer (rapport FeOtot/MgO) que la série calco-alcaline (Miyashiro, 1974). Les magmas d’arcs sont aussi classés en fonction de leur teneur en K2O (Gill, 1981; Peccerillo and Taylor, 1976). Ils peuvent être pauvres en potassium, modérément riches en potassium, riches en potassium voire shoshonitiques. En combinant ces différents critères, on distingue quatre séries principales en contexte de subduction : (1) la série tholétiitique généralement pauvre en K2O, (2) la série calco-alcaline pauvre à modérément riche en K2O, (3) la série calco-alcaline riche en K2O et, (4) la série alcaline ou shoshonitique.
La majorité des roches volcaniques émises en contexte de subduction sont de composition andésitique et appartiennent à la série calco-alcaline. Au niveau des marges continentales, les magmas sont plutôt différenciés (andésite-dacite-rhyolite) et riches en potassium (séries calco-alcalines à shoshonitiques). En contexte intra-océanique, les magmas sont globalement plus mafiques (basaltes, andésites basaltiques, andésites) et appartiennent aux séries tholéiitiques et calco-alcalines (Gill, 1981). La prépondérance de magmas différenciés et potassiques au niveau des marges continentales signe l’influence de l’assimilation de croûte continentale dans l’évolution géochimique des magmas d’arc. Les roches plutoniques sont représentées principalement par des granitoïdes (diorites, granodiorites, granites).
Les magmas d’arc ont une signature géochimique très différente de celle observée en contexte intraplaque (OIB) ou en contexte de ride océanique (MORB). Les basaltes d’arc (IAB) sont enrichis en LILE (K, Rb, Cs, Sr, Ba, Pb) et en actinides (Th, U) et appauvris en HFSE (Ti, Nb, Ta, Zr, Hf) par rapport aux MORB (basaltes de ride océanique). Ils présentent également un enrichissement en LREE (terres rares légères : La, Ce, Pr, Nd) par rapport aux HREE (terres rares lourdes : Dy, Ho, Er, Tm, Yb, Lu) – . La croûte continentale supérieure (UCC) et les sédiments détritiques partagent également ces caractéristiques (enrichissement en LILE, anomalies négatives en HFSE et fractionnement fort en LREE/HREE). Les zones de subduction constituent l’un des principaux sites de formation de la croûte continentale actuelle (e.g. Arndt, 2013; Hawkesworth & Kemp, 2006).
La composition isotopique des magmas d’arcs est très variable. Les laves d’arc présentent des rapports isotopiques en Sr (87Sr/86Sr) et Pb (206Pb/204Pb, 207Pb/204Pb, 208Pb/204Pb) globalement plus élevés que ceux des MORB et un rapport isotopiques en Nd (143Nd/144Nd) plus bas . Cette signature est particulièrement marquée pour les laves présentant un fort fractionnement en terres rares (Ce/Yb) – e.g. Hawkesworth et al. (1993).
Les basaltes d’arc sont produits par la fusion partielle d’un manteau appauvri de type DMM (Depleted Mantle MORB) modifié par la contribution d’un ou plusieurs agent(s) métasomatique(s) enrichi(s) en LILE, LREE et ayant des rapports isotopiques en Sr et Pb élevés. La majorité des auteurs proposent un modèle de source à trois composants pour expliquer la gamme de composition des basaltes d’arc (Ellam and Hawkesworth, 1988; Elliott, 2003; Kepezhinskas et al., 1997; McDermott et al., 1993). Ces trois composants sont :
– Le coin mantellique (DMM) variablement appauvri en éléments en traces, qui constitue la source principale des magmas d’arc
– La croûte océanique altérée (AOC) composée de lithologies mafiques
– Les sédiments subduits .
La représentation de données de basaltes d’arc sur un diagramme Ba/Th en fonction du rapport (La/Sm)N (normalisé au manteau primitif d’après McDonough and Sun, 1995) permet d’identifier clairement la contribution des deux composants qui se rajoutent au manteau appauvri (Figure I.04 d’après Elliott, 2003). Les agents métasomatiques dérivés de la croûte océanique altérée (AOC) présentent un fort rapport Ba/Th et un fractionnement La/Sm faible tandis que les agents métasomatiques issus des sédiments détritiques sont fortement fractionnés entre LREE et MREE tout en ayant un faible rapport Ba/Th.
Modèles pétrogénétiques
Bref rappel historique
Les mécanismes menant à la genèse des magmas d’arc sont débattus depuis plusieurs décennies et les modèles proposés ont largement évolué. Le concept de tectonique des plaques et de subduction crustale n’est reconnu unanimement que depuis la fin des années 1960. Les premières études expliquaient l’origine des magmas calco-alcalins en domaine d’arc par la fusion partielle d’un assemblage éclogitique au sein du slab (Green and Ringwood, 1968). Mais, simultanément, les modélisations géophysiques et les études thermobarométriques de ceintures de schistes bleus révélaient que l’environnement en zone de subduction était trop froid (Tmax = 650-700°C) pour permettre la fusion de la plaque plongeante en zone de subduction (Oxburgh and Turcotte, 1970; e.g. Spandler and Pirard, 2013).
Le modèle de Ringwood (1974 ; Figure I.05) met en évidence l’importance des fluides aqueux issus du slab pour initier la fusion partielle du coin mantellique dans un environnement relativement froid. Ainsi, les lithologies subduites (sédiments, croûte océanique, serpentinites) se déshydratent progressivement lors de réactions métamorphiques qui conduisent à la déstabilisation de phases hydroxylées au profit de phases anhydres. La transition du faciès amphibolite vers le faciès éclogitique permet, par exemple, d’apporter de grandes quantités d’eau vers le coin mantellique (Figure I.05a). L’apport d’eau abaisse le solidus de la péridotite de 100 150°C, le manteau peut ainsi fondre partiellement dans des conditions hydratées (Kushiro, 1972) produisant des magmas primaires basaltiques à l’origine de la série tholétiitique. La déshydratation des serpentinites entre 100 et 150 km de profondeur permet, selon Ringwood (1974), de fondre partiellement les éclogites du slab. Les liquides siliceux ainsi obtenus métasomatisent le coin mantellique pour former une pyroxénite hydratée moins dense que la péridotite environnante. Des diapirs de pyroxénite remontent alors et fondent pour générer des magmas à l’origine de la série calco-alcaline (Figure I.05b). Enfin, Les lithologies résiduelles du slab sont transportées dans le manteau profond.
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Table des matières
INTRODUCTION GENERALE
CHAPITRE I : RECYCLAGE DE SEDIMENTS ET CYCLE DU SOUFRE ASSOCIE
I.1 Caractéristiques géochimiques des magmas d’arc
I.2 Modèles pétrogénétiques
I.2.1 – Bref rappel historique
I.2.2 – Nature et composition de l’agent métasomatique et transfert vers le coin mantellique
I.2.2.1 – Nature de l’agent métasomatique
I.2.2.2 – Composition de l’agent métasomatique
I.2.2.3 – Transfert vers le coin mantellique et métasomatose
I.3 Cycle des éléments volatils en zone de subduction
I.3.1 – Enrichissement des magmas d’arc en éléments volatils
I.3.2 – Cycle du soufre
I.4 Mécanismes de recyclage de sédiments riches en éléments volatils
I.4.1 – Nature et composition des sédiments subduits
I.4.2 – Contribution des sédiments dans la source des magmas d’arc
I.4.3 – Apport des travaux expérimentaux
I.5 Objectifs de la thèse
CHAPITRE II : METHODOLOGIE EXPERIMENTALE ET ANALYTIQUE
II.1 Stratégie expérimentale
II.1.1 – Présentation des produits de départ
II.1.2 – Préparation des assemblages
II.1.3 – Montage expérimental
II.1.4 – Problèmes expérimentaux
II.1.4.1 – Perte en fer et en soufre dans la capsule en or
II.1.4.2 – Atteinte de l’équilibre thermodynamique
II.1.4.3 – Contamination des échantillons en bore
II.1.4.4 – Variation de la fugacité en oxygène
II.1.5 – Récapitulatif des expériences réalisées
II.2 Techniques analytiques
II.2.1 – Observation des échantillons
II.2.2 – Analyse des éléments majeurs et du soufre
II.2.2.1 – Acquisition des données
II.2.2.2 – Traitement des données
II.2.3 – Analyse des éléments en traces
II.2.3.1 – Acquisition des données
II.2.3.2 – Traitement des données
II.2.4 – Analyse par spectroscopie Raman
II.2.4.1 – Rappels sur les réseaux silicatés cristallins et amorphes
II.2.4.2 – Interprétation des spectres Raman
CHAPITRE III : FUSION ET CRISTALLISATION DE SEDIMENTS VARIABLEMENT ENRICHIS EN SOUFRE
III.1 Fusion et cristallisation de la pélite
III.1.1 – Expériences en conditions subsolidus (T = 650°C)
III.1.1.1 – Assemblages de phases
III.1.1.2 – Composition des phases expérimentales
a) Epidote
b) Phengite
c) Biotite
d) Staurotide
e) Autres phases minérales
III.1.1.3 – Discussion des résultats obtenus en conditions subsolidus
III.1.2 – Résultats obtenus pour les expériences non dopées en soufre
III.1.2.1 – Assemblages de phases
a) Effet du temps sur les assemblages de phases
b) Cas des expériences de fusion B12a + garnet seeds
c) Comparaison entre les expériences de fusion et de cristallisation
d) Effet de la température sur les assemblages de phases
e) Effet de la teneur en H2O sur les assemblages de phases
III.1.2.2 – Composition en éléments majeurs
a) Grenat
b) Tourmaline
c) Phengite et biotite
d) Autres phases
e) Verres silicatés
III.1.2.3 – Eléments en traces
a) Teneurs en éléments en traces des minéraux
b) Teneurs en éléments en traces des verres silicatés
c) Partage des éléments en traces entre les minéraux et le verre silicaté
d) Fractionnement des éléments en traces dans le verre silicaté par rapport au produit de départ
III.1.3 – Résultats obtenus pour les expériences dopées en soufre
III.1.3.1 – Effet du soufre sur les assemblages de phases
a) Expériences de fusion B12a + S
b) Expériences de fusion B12a + H2SO4
c) Expériences de cristallisation B12aG + S
III.1.3.2 – Composition en éléments majeurs
a) Grenat
b) Orthopyroxène
c) Tourmaline
d) Phengite et biotite
e) Autres phases
f) Verres silicatés
III.1.3.3 – Teneur en soufre dans les verres silicatés
III.1.3.4 – Distribution des éléments en traces
a) Teneurs en éléments en traces dans les minéraux
b) Teneurs en éléments en traces dans les verres silicatés
c) Partage des éléments en traces entre les minéraux et le verre silicaté
d) Fractionnement des éléments en traces dans le verre silicaté par rapport au produit de départ
e) Partage des métaux entre les sulfures et le verre silicaté
III.1.4 – Discussion
III.1.4.1 – Relations de phases et réactions de fusion dans le système non dopé en soufre
III.1.4.2 – Effet du soufre sur les relations de phases
III.1.4.3 – Transfert du soufre et des métaux de transition
III.1.4.4. – Phases accessoires
III.1.4.5 – Transfert des éléments en traces
III.2 Fusion et cristallisation de la marne
III.2.1 – Résultats obtenus pour les expériences non dopée en soufre
III.2.1.1 – Assemblages de phases
a) Effet du temps sur les assemblages de phases
b) Comparaison entre les expériences de fusion et de cristallisation
c) Effet de la température sur les assemblages de phases
III.2.1.2 – Composition en éléments majeurs
a) Grenat
b) Clinopyroxene
c) Epidote
d) Verres silicatés
III.2.1.3 – Distribution des éléments en traces
a) Teneurs en éléments en traces dans les minéraux
b) Teneurs en éléments en traces dans les verres silicatés
c) Partage des éléments en traces entre les minéraux et le verre silicaté
d) Fractionnement des éléments en traces dans le verre silicaté par rapport au produit de départ
III.2.2 – Résultats obtenus pour les expériences dopées en soufre
III.2.2.1 – Effet du soufre sur les assemblages de phases
a) Expériences de fusion B4 + S
b) Expériences de cristallisation B4G + S
III.2.2.2 – Composition en éléments majeurs
a) Grenat
b) Clinopyroxène et orthopyroxène
c) Epidote
d) Amphibole
e) Autres minéraux
f) Verres silicatés
CONCLUSION GENERALE