CARACTÉRISTIQUES ET SPÉCIFICITÉS D’ANALYSE DES MARQUEURS
Variation géographique de la propension à pulluler
La propension à pulluler de L. migratoria varie géographiquement (Fig. 2). L.migratoria a toujours sévit à Madagascar et en Asie. Ainsi, 7 et 16 évènements majeurs de pullulation ont été respectivement enregistrés dans ces deux zones (Randriatmanantsoa 1998 ; Zhang et Li 1999) (voir la Fig. 3 qui illustre l’importance des pullulations à Madagascar). L’Europe centrale est également touchée, même si les pullulations y sont moins fréquentes et importantes (Waloff 1940). L’Afrique subsaharienne a été historiquement très fortement touchée par les essaims de L. migratoria, mais depuis l’endiguement récent du fleuve Niger et la conséquente modification de la dynamique des crues dans l’aire grégarigène de l’espèce au Mali, plus aucune pullulation n’a été reportée. L’Afrique du Nord et l’Indonésie sont nouvellement concernées par les pullulations de L. migratoria, depuis que le changement de l’utilisation des terres a ouvert des milieux favorables à l’espèce. A Sumatra, par exemple, les populations sources de pullulations récentes et généralisées semblent provenir des nouvelles plantations de canne à sucre mises en place à la suite de la déforestation intensive des dernières décades (Lecoq et Surkino 1999). Dans le Sahara algérien, des pullulations récentes, d’importance toutefois modérée, de L. migratoria ont été observées, corrélées à l’expansion récente de cultures céréalières irriguées (e.g., blé dur, Triticum durum et sorgho Sorghum vulgare ; Benfekih et al. 2002). L’Europe de l’ouest n’est plus affectée de manière significative par L. migratoria depuis plusieurs siècles : le dernier événement de pullulation, dont l’origine putative est la Mer Noire, remonte au XIVème siècle (Waloff 1940). Depuis, seules quelques pullulations locales ont été recensées (e.g., région de Naples en 1936; Jannone 1947; région des Landes, en 1946-1948; Glize 1996).
Les déterminants environnementaux des pullulations sont relativement bien compris à l’échelle de la région écologique des populations concernés. En milieu semidésertique africain et malgache, les augmentations numériques des populations au début des pullulations sont associées à de fortes pluies, procurant une végétation abondante et un sol humide permettant à des vagues successives de femelles de pondre et diminuant la dessiccation des oeufs et des larves (Davey 1956; Waloff 1962; Dempster 1963; Têtefort et Wintrebert 1966; Roffey et Popov 1968 ; Launois 1974). Dans le delta central du fleuve Niger au Mali, les niveaux d’humidité favorables aux départs de pullulation sont associés au phénomène de décrue des fleuves et des lacs (Farrow 1975).
En revanche, en milieu tropical indonésien et philippin, excessivement humide pour L. migratoria, les évènements de pullulation sont corrélés avec des périodes de sécheresse (COPR 1982 ; Lecoq et Surkino 1999). Enfin, en milieu tempéré chinois, les pullulations sont corrélés avec les épisodes de réchauffement et sécheresse associés à El Niño (Zhang et Li 1999). A une échelle locale, il a été montré que la distribution agrégée des ressources (Despland et al. 2000) et une forte variation du microclimat (Farrow 1975) concentrait les individus, et de ce fait facilitait les départs de pullulations. Il est important de noter que les différences de propension à pulluler corroborent également avec la classification taxonomique actuelle réalisée sur la base de critères morphométriques (Farrow et Colless 1980 ; Fig. 2). Ainsi L. m. migratorioides, L. m. capito, et L. m. manilensis sont des sous-espèces pullulantes, alors que L. m. gallica, L. m. cinerascens, L. m. burmana, les sous-espèces arabes et indiennes, et la forme de « Palavas » sont non pullulantes. Le statut de pullulations des sous-espèces australienne et L. m. migratoria est plus obscur puisque certaines de leurs populations semblent pulluler et d’autres non.
Les phases solitaire et grégaire des périodes de rémission et pullulation
Cette partie expose les clefs du changement phasaire chez les locustes nécessaires à la compréhension du travail de thèse. Elle est cependant non exhaustive ; pour plus de détail, il faut se référer aux revues de Pener (1991), Pener et Yerushalmi (1998), Breuer et al. (2003), et Simpson et al. (2006).
Différences entre les deux phases et leur quantification
Les changements de phase chez les locustes sont particulièrement impressionnants, comme l’illustre la croyance jusqu’en 1921 que les phases solitaire et grégaire de L. migratoria étaient deux espèces différentes, L. danica et L. migratoria (Uvarov 1921).
Les changements phasaires induisent en effet chez L. migratoria des différences profondes sur un grand nombre de caractéristiques qui incluent la morphologie, le comportement, l’écologie, l’immunité et la physiologie. Les traits morphologiques et comportementaux ont fait l’objet de la majorité des recherches et sont aujourd’hui précisément quantifiés chez L. migratoria (e.g., Dirsh 1953; Hoste et al. 2002). Le changement phasaire le plus frappant est un changement chromatique : chez L. migratoria, les individus solitaires sont monochromes, vert ou marron clair selon le substrat, alors que les individus grégaires sont caractérisés par un dépôt en mélanine sur une robe jaune (Nolte, 1973) (Fig. 4). Les traits les plus classiquement utilisés en acridologie pour mesurer l’état phasaire, grégaire ou solitaire, sont des rapports morphométriques, au nombre d’une vingtaine (Lauga 1977). Il est par exemple bien connu que les individus solitaires ont un pronotum convexe alors que les individus grégaires ont un pronotum plat, cette différence morphologique étant détectable à l’oeil (Fig. 4) et mesurable par le rapport de la hauteur maximale sur la longueur du pronotum. Sur le terrain, les différences de comportement entre les deux phases sont évidentes, puisque les individus grégaires s’attirent, s’agrègent, sont très mobiles et actifs, et pour les imagos, volent de jour, alors que les individus solitaires sont cryptiques, dispersés, relativement inactifs, et volent essentiellement en début de nuit (Fig. 4). La description approfondie du comportement phase-spécifique des locustes et la mise en place d’une méthodologie de mesure de la phase comportementale sont cependant relativement récentes (revue dans Simpson et al. 1999).
Variations environnementales et génétiques
Il est bien connu depuis la découverte du changement de phase chez les locustes que les conditions de groupement expérimentées par un individu (EO) induisent la grégarisation (Fig. 5 ; Uvarov et al. 1936). Cependant, Islam et al. (1994a) et Bouaïchi et al. (1995) ont les premiers montré que la densité expérimentée par les parents (EM) influence également le degré de grégarisation du descendant chez S. gregaria. Par exemple, une vie pré-reproductive en isolement suivie d’une période d’oviposition en conditions de groupement conduit à une descendance au comportement et à la morphologie grégaires (Fig. 5). Lauga et Hatté (1977) et Albretch et al. (1959) ont montré des effets parentaux dépendant du groupement dans les valeurs de traits reproductifs du criquet migrateur L. migratoria. La présence d’une source environnementale parentale dans le changement de la phase comportementale solitaire à la phase grégaire a directement été démontrée par Mc Caffery et al. (1998) qui ont mis en évidence que des mères S. gregaria groupées au moment de la ponte ajoutaient à leur ponte un facteur grégarisant hydrophile. Finalement, Islam et al. (1994b) ont montré que l’impact de l’effet parental sur la phase comportementale de S. gregaria était dépendant des conditions de densité expérimentées par la descendance, suggérant la présence d’une interaction EM x EO (Fig. 5).
Certains auteurs ont récemment cherché une variation génétique (GO) du changement phasaire comportemental induit par des conditions d’isolement ou de groupement durant la vie de l’individu (EO) dans le genre Schistocerca et chez L. migratoria (i.e., l’interaction GO x EO ; Fig. 5). Bien que ces études aient montré des résultats peu clairs, elles tendent à supporter la présence d’effets GO x EO (Fig. 5 ; Heifetz et al. 1994; Yerushalmi et al. 2001; Sword 2003). Il est important de noter que
la question de la variation génétique de la grégarisation héritée à travers les générations, indépendamment de la plasticité phénotypique exprimée au cours de la vie d’un individu, n’a encore jamais été adressée chez les locustes (i.e., interaction GO × EM; Fig.5).
Facteurs proximaux
Chez S. gregaria, le stimulus majeur de la grégarisation comportementale est le contact tactile, particulièrement au niveau des fémurs arrières (Hägele et Simpson 2000 ; Simpson et al. 2001). La combinaison de stimulus olfactif et visuel est également grégarisante au niveau comportemental chez cette espèce, mais ces stimulus ne sont pas efficaces seuls (Roessingh et al. 1998). Les stimulus impliqués dans les changements phasaires autre que le comportement ne sont pas bien connus.
Depuis les travaux de Joly (1951), un grand nombre d’études ont été entreprises sur S. gregaria et L. migratoria pour déterminer les facteurs physiologiques et moléculaires des différences phase-spécifiques morphologiques et comportementales des locustes (Pener 1991). Bien que ces études aient précisé le rôle d’un certain nombre de molécules (i.e., la corazonine, les neuroparsines, certains inhibiteurs protéiques, etc), elles n’ont pu résoudre s’il y a ou non un inducteur moléculaire majeur du changement phasaire (Hassanali et al. 2005 ; De Loof et al. 2006). En particulier, la littérature semio-chimique est abondante mais confuse. Les molécules impliquées dans le comportement d’agrégation sont encore mal identifiées, et inversement, le rôle des molécules clairement identifiées est souvent sujet à controverse (revue dans Pener 1991 ; Pener et Yerushalmi 1998).
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Table des matières
INTRODUCTION
1. LES PULLULATIONS D’INSECTES
1.1. Définition et importance socio-économique
1.2. Déterminants extrinsèques aux populations
1.3. Déterminants intrinsèques aux populations
1.4. Apports potentiels de la génétique des populations
1.5. Mesurer la variation génétique neutre et sous sélection
2. LE CRIQUET MIGRATEUR, LOCUSTA MIGRATORIA
2.1. Systématique et Biogéographie
2.2. Variation géographique de la propension à pulluler
2.3. Les phases solitaire et grégaire des périodes de rémission et pullulation
2.4. Vers une nouvelle gestion des populations
3. PRINCIPAUX OBJECTIFS DE LA THESE
3.1. Caractéristiques et spécificités d’analyse des marqueurs microsatellites
3.2. Variation génétique populationnelle aux marqueurs microsatellites
3.3. Evolution expérimentale de la grégarisation
CHAPITRE I. CARACTÉRISTIQUES ET SPÉCIFICITÉS D’ANALYSE DES MARQUEURS
MICROSATELLITES
1. CHOIX DES MARQUEURS MOLECULAIRES
2. PATRONS D’AMPLIFICATION MULTI-BANDES
3. ALLELES NULS
3.1. Prévalence d’allèles nuls et facteurs évolutifs
3.2. Optimisation des marqueurs microsatellites enclins aux allèles nuls
3.3. Analyse de jeux de données en présence d’allèles nuls
ENCADRE 1 – SIMILARITES ENTRE REGIONS FLANQUANTES DE MICROSATELLITES CHEZ L. MIGRATORIA
MANUSCRIT 1 – CHARACTERIZATION AND PCR MULTIPLEXING OF POLYMORPHIC MICROSATELLITE LOCI FOR THE LOCUST LOCUSTA MIGRATORIA
MANUSCRIT 2 – MICROSATELLITE NULL ALLELES AND ESTIMATION OF POPULATION DIFFERENTIATION
CHAPITRE II. VARIATION GÉNÉTIQUE POPULATIONNELLE AUX LOCUS MICROSATELLITES
1. APPROCHE METHODOLOGIQUE
2. TAXONOMIE ET VARIATION GENETIQUE
3. FACTEURS STRUCTURANT LA VARIATION GENETIQUE DE L’ESPECE A L’ECHELLE DE L’ENSEMBLE DE SON AIRE DE REPARTITION
4. ECHELLE LOCALE : VARIATION GENETIQUE DES POPULATIONS EN REGIONS HISTORIQUEMENT PULLULANTES
MANUSCRIT 3 – WORLDWIDE MICROSATELLITE GENETIC VARIATION IN THE MIGRATORY LOCUST, LOCUSTA MIGRATORIA
MANUSCRIT 4 – CONTRASTING PATTERNS OF GENE FLOW IN OUTBREAKING AND NON-OUTBREAKING POPULATIONS OF THE MIGRATORY LOCUST, LOCUSTA MIGRATORIA
CHAPITRE III. EVOLUTION EXPÉRIMENTALE DE LA GRÉGARISATION
1. APPROCHE METHODOLOGIQUE
2. VARIATION GENETIQUE DE LA PROPENSION A GREGARISER
3. ROLE DE LA PHASE DANS LE CONTROLE DES PULLULATIONS
MANUSCRIT 5 – GENETIC VARIATION FOR PROPENSITY TO GREGARISE IN LOCUSTA MIGRATORIA
MANUSCRIT 6 – DENSITY-DEPENDENT MATERNAL EFFECTS ON LIFE HISTORY TRAITS OF THE MIGRATORY LOCUST LOCUSTA MIGRATORIA
DISCUSSION ET PERSPECTIVES. L’APPROCHE GÉNÉTIQUE AU SERVICE DE L’ÉTUDE
DES PULLULATIONS D’INSECTES ET DE L’AIDE À LEUR GESTION
1. LIMITES DES MARQUEURS GENETIQUES POUR L’ETUDE DES PULLULATIONS D’INSECTES
1.1. Présence d’allèles nuls aux données microsatellites
1.2. Copies nucléaires de séquences mitochondriales
1.3. Déséquilibre mutation-migration-dérive
2. ECLAIRAGES EVOLUTIFS SUR LES PROCESSUS DE GREGARISATION ET DE PULLULATION CHEZ L.MIGRATORIA
2.1. Variation génétique des propensions à pulluler et à grégariser
2.2. Avantages adaptatifs à grégariser
3. DE LA GESTION DES PULLULATIONS DE L. MIGRATORIA
3.1. Inférer les sources des pullulations et les routes d’invasion par l’approche moléculaire
3.2. Altérer l’expression des traits phasaires impliqués dans la capacité à pulluler
4. QUID DES POPULATIONS NON PULLULANTES ?
BIBLIOGRAPHIE
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