Les sols anthropisés
Les sols anthropisés ou anthroposols sont le fruit de processus tels que la compaction, l’excavation ou l’apport (volontaire ou non) de matériaux issus de la présence ou de l’action de l’être humain. Ils se différencient des sols « naturels » par (i) leurs compositions hétérogènes, (ii) la présence de matériaux grossiers et anthropiques (brique, béton, asphalte) et (iii) la présence potentielle de contaminants (Morel et al. 2014). Les sites et sols pollués sont décrits par le ministère de l’environnement, l’ADEME, ainsi que le BRGM comme faisant référence à des zones soumises à l’impact d’anciennes activités industrielles. Généralement d’origine industrielle, les pollutions résultent de rejets dans l’air, d’accidents de manutention, ou de mauvais confinements de produits toxiques.
Le Ministère de la transition écologique et solidaire, dans la base de données BASOL, inventorie en France plus de 6611 sites et sols pollués ayant accueilli une activité industrielle polluante, susceptibles de présenter un risque pour la santé de la population locale .
De par leurs superficies et la présence d’activités industrielles, certaines régions possèdent un grand nombre de sites et sols pollués comme c’est le cas des régions comme Auvergne RhôneAlpes, Grand Est ou la Nouvelle Aquitaine. Leur localisation est bien sûr liée au passé industriel de chaque région : sidérurgie en Lorraine, extraction d’uranium dans le Limousin, dépôts d’hydrocarbures sur les côtes du Languedoc. De plus il est à noter qu’un grand nombre de ces sites ne font l’objet d’aucune surveillance et que leur proportion est relativement stable d’une région à l’autre. Enfin, de nombreux anciens sites miniers ne sont pas répertoriés dans la base de données BASOL, dont le site objet de la présente thèse .
Caractéristiques des technosols miniers et processus pédogénétiques
Les technosols sont des sols anthropisés. Cependant, la notion de technosol fait référence à des caractéristiques pédologiques alors que la notion de sol anthropisé se réfère au fonctionnement d’un écosystème donné (Morel et al., 2014). Ainsi le terme technosol concentre l’ensemble des sols dont les propriétés dépendent en partie ou en totalité de l’activité humaine et dont les matériaux sont d’origine technogénique (IUSS Working Group WRB, 2014 ; Grard 2017). De ce fait, les résidus miniers peuvent être qualifiés de technosols miniers. Les déchets miniers, de la même façon que les matériaux naturels, peuvent subir divers processus pédogénétiques liés à des altérations physico-chimiques et biologiques dont le degré dépend du climat, des activités biologiques, de la topographie et du temps. Les caractéristiques structurales et la nature du matériau parental (constituants, granulométrie, porosité, …) vont permettre d’appréhender les processus qu’il subit, les cinétiques d’altération, le type de réactions chimiques régi par le régime hydrique, et aussi sa capacité à accueillir des écosystèmes (Duchaufour 1991). Il est à noter que, dans le cas de la pédogénèse de technosol minier, l’étape de fragmentation de la roche mère habituellement décrite pour la pédogénèse des sols naturels (Pascaud 2015) est déjà réalisée.
Le régime hydrique va jouer sur la formation de minéraux. En effet, dans le cas de circulation abondante d’eau, les anions siliceux, les alcalins et alcalinoterreux sont lixiviés. Dans le cas contraire, du fait de faibles circulations hydriques ne permettant pas le transport rapide des éléments, il peut y avoir accumulation de certains éléments comme Al3+, Fe2+, Ca2+, Mg2+, K+ , Na+ , SiO4⁴⁻, ce qui favorisera la formation de minéraux par précipitation. De plus, le lessivage de particules fines peut être observé dans certains technosols comme les stériles miniers (Néel et al., 2003).
Les paramètres qui contrôlent la libération des éléments majeurs et traces des phases minérales primaires sont multiples et font intervenir différents processus physico-chimiques comme :
– L’hydrolyse qui résulte de la diffusion et de la dissolution totale ou non des minéraux au sein du réseau cristallin de protons présents en solution acide ou d’une simple autoprotolyse (Da Silva et al., 2005 ; Bhuiyan et al., 2010 ; Asensio et al., 2013).
– La complexation de l’aluminium avec des ligands organiques tels que les acides oxaliques, citriques et les composés phénoliques, qui provoquent la déstructuration du réseau cristallin des aluminosilicates (Calvet, 2003).
– L’échange cationique, qui a été mis en évidence par Badreddine et al. (2002) et Calvet (2003) montrant l’altération de la muscovite qui produit de la vermiculite en milieu alcalin par l’échange entre les cations K+ et les cations Ca2+. En milieu acide, cette transformation n’a pas lieu.
– L’oxydoréduction, qui provoque la déstructuration des minéraux contenant du fer (González-Alcaraz et Álvarez-Rogel, 2013). La réduction des oxydes de fer concerne par exemple (i) d’anciens bassins de décantation au sein desquels l’eau peut être retenue pendant des périodes longues (Néel et al. 2003) ou (ii) des terrils dont la texture est si fine qu’elle affecte le régime hydrique (Shackelford et al., 2010). En conditions aérées, l’oxydation des sulfures riches en fer tels que la pyrite induit une acidification du milieu et la mobilisation des métaux et métalloïdes (Nordstrom 2009).
Les paramètres spécifiques rencontrés dans les technosols (acidité, régime hydrique en particulier) permettent la mise en place de minéraux néoformés de type kaolinite, smectite, ainsi que des oxydes de fer et/ou des oxyhydroxydes comme la goethite ou l’hématite, généralement observés dans les sols très évolués (Ndayiragije & Delvaux 2003; Vingiani et al. 2004 ; Pascaud 2015). Cependant, les phases minérales ne sont pas les seules à intervenir dans les technosols ; en effet, la phase organique joue un rôle important. Comme souvent dans le cas des technosols, trois processus différents et simultanés peuvent avoir lieu : i) incorporation de matière organique d’origine biologique, ii) transformation et minéralisation de matières organiques d’origines biologique et anthropique, et iii) stabilisation de matières organiques (essentiellement) d’origine anthropique. La similitude avec la pédogenèse des sols naturels apparaît à nouveau clairement. Toutefois, les technosols présentent des teneurs plus faibles en carbone organique que les sols non anthropisés. Ce résultat est potentiellement lié à l’absence d’espèces végétales, du fait d’une forte toxicité et d’un manque de nutriments, ce qui va occasionner une faible incorporation de matière organique (Parraga-Aguado et al., 2015) mais aussi du fait d’un déficit d’activités microbiologiques ou fongiques (Chodak et al., 2015). Enfin, dans un certain nombre de cas, la « jeunesse » des technosols miniers (quelques dizaines d’années) par rapport à un sol naturel n’a pas encore permis l’accumulation et le transfert de carbone vers les horizons profonds (Fu et al., 2010). Ainsi, comme pour les sols naturels et même si la présence d’organismes vivants est très faible, une structure grumeleuse et l’augmentation de la microporosité peuvent être obtenues de manière progressive sur des technosols (Grünewald et al., 2007, Arocena et al., 2010), comme sur des sites réhabilités (Pini et al., 2009 ; Zanuzzi et al., 2009 ; Jangorzo et al., 2015 ; Santini and Fey, 2015).
L’eau interstitielle du sol
La composition et la réactivité de la phase liquide du sol dépendent des propriétés de l’eau entrante, des flux de matière provenant de la phase solide du sol, du système biologique et de l’atmosphère. Cette solution du sol sera définie comme l’eau interstitielle ou eau porale qui sont des terme moins spécifiques et qui seront utilisés dans la suite de ce manuscrit. L’analyse de la composition de l’eau interstitielle d’un sol est souvent plus instructive que celle du sol (concentration totale) ou des extraits de sol pour y évaluer la réactivité, la mobilité et la biodisponibilité des éléments traces. Ce concept a permis de conduire au développement de plusieurs modèles qui essayent de prédire la répartition des éléments entre les différentes fractions solides du sol et leur spéciation dans la solution en équilibre avec ces phases solides. Deux régions peuvent être identifiées pour représenter l’eau interstitielle du sol (Qasim. 2015). La première, nommée « eau liée », se trouve à proximité de la phase solide et correspond à la plus importante zone de réaction de surface du système dans le milieu poreux, mais aussi de diffusion de la fraction mobile du soluté. La seconde, nommée « eau d’infiltration », correspond à la zone d’eau libre, elle régit le débit d’eau et le transport de soluté dans les sols .
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Table des matières
INTRODUCTION
1. Introduction générale
1. Chapitre I. Synthèse bibliographique
1. Les sols
1.1. Les sols anthropisés
1.2. Caractéristiques des technosols miniers et processus pédogénétiques
1.3. L’eau interstitielle du sol
2. Caractérisation des éléments métalliques et métalloïdes en contexte miniers
2.1. Les éléments métalliques et métalloïdes en contexte minier
2.2. Spéciation, mobilité des éléments métalliques et métalloïdes
2.2.1. Méthodes de détermination de la spéciation
2.2.2. La bioaccessibilité
2.3. L’interaction des éléments métalliques et métalloïdes avec les constituants du sol
2.3.1. Adsorption
2.3.2. Complexation
2.3.3. Précipitation
2.3.4. Méthylation
2.4. Propriétés physico-chimiques et comportement du Pb et de l’As
2.4.1. Le plomb (Pb)
2.4.2. L’arsenic (As)
3. Phytomanagement
3.1. Définitions et approches
3.2. Les amendements pour la remédiation des sols
3.2.1. Généralités
3.2.2. Les amendements utilisés au cours de la présente thèse
3.2.3. Tests d’écotoxicité
3.3. Les plantes en phytomanagement
3.3.1. Généralités
3.3.2. Les métaux et métalloïdes dans le système sol-plante
3.3.3. Les mécanismes d’absorption, de translocation et de tolérance des métaux et métalloïdes chez les végétaux
3.3.4. Le genre Salix
3.3.5. Le genre Trifolium
3.3.6. Intérêt de l’association d’espèces en phytomanagement
3.4. Les essais sur site
4. Objectifs de la thèse
2. Chapitre II. Présentation du site d’étude et caractérisation initiale de la parcelle expérimentale
1. Présentation du site d’étude
1.1. Historique du site d’étude
1.2. Contexte hydrogéologique
1.3. Informations sur le fond géochimique naturel
1.4. Résidus de traitement de minerai de plomb argentifère
2. Caractérisation initiale de la parcelle expérimentale
2.1. Présentation de la parcelle
2.2. Matériel et méthodes
2.3. Résultats
2.3.1. Descriptions topographiques de la parcelle et mesures du niveau de l’eau hypodermique
2.3.2. Caractérisation agronomique de la parcelle expérimentale
2.3.3. Caractérisation minéralogique
2.3.4. Répartition et comportement géochimiques des métaux et métalloïdes dans le technosol
2.3.5. Inventaire floristique de la lagune
Conclusion au chapitre II
3. Chapitre III : Etudes préalables à la mise en place d’un procédé de phytostabilisation aidé in situ : expériences en mésocosme
Introduction au chapitre III
1. Matériel et Méthodes
1.1. Concentrations pseudo-totales et phytodisponibles de l’As et du Pb dans le technosol de Pontgibaud
1.2. Analyse de l’eau interstitielle du sol
1.3. Analyses des végétaux
2. Effet de différents amendements sur la phytotoxicité et la phytodisponibilité du Pb et de l’As dans le technosol de Pontgibaud
2.1. Résumé de l’article
2.2. Introduction
2.3. Materials and Methods
2.3.1. Soil physicochemical analysis
2.3.2. Amendments
2.3.3. Soil mixture preparation
2.3.4. Germination tests
2.3.5. Soil pore water analysis
2.3.6. Plant analysis
2.3.7. Statistical analysis
2.4. Results and discussion
2.4.1. Effects of amendments and plants on soil and SPW properties
2.4.2. Effects of amendments on soil and SPW physico-chemical characteristics
2.4.3. Plant dry weight and metal(loid) uptake
2.5. Conclusion
3. Capacité de différents amendements associés à une culture de trèfle pour favoriser la stabilisation de l’As et du Pb dans le technosol de Pontgibaud
3.1. Résumé
3.2. Introduction
3.3. Materials and methods
3.3.1. Preparation of amended soils – Seed sowing and plant biomass
3.3.2. Soil pore water (SPW) sampling and analysis
3.3.3. Metal(loid) bioaccessibility test for soil samples (SBET) and plant organs
3.3.4. Data processing and statistical analysis
3.4. Results and discussions
3.4.1. Effect of amendments on soil characteristics
3.4.2. Effect of amendments and clover plants on SPW characteristics
3.4.3. SPW metal(loid) concentrations and phytoavailable metal(loid)s
3.4.4. Metal(loid) bioaccessibility in soil
3.4.5. Plant growth and metal(loid) uptake
3.5. Conclusion
4. Etude l’association du saule et du trèfle
4.1. Résumé
4.2. Introduction
4.3. Materials and methods
4.3.1. Experimental design
4.3.2. Mobility of metal(loids)
4.3.3. Percolation test
4.3.4. Plants growth conditions
4.3.5. Statistical analysis
4.4. Results
4.4.1. SPW physico-chemical characteristics
4.4.2. Percolation water physico-chemical characteristics
4.4.3. Plant growth and dry biomass measurements
4.4.4. Plants metal(loid)s accumulation and distribution
4.5. Discussion
4.5.1. SPW physico-chemical characteristics
4.5.2. Percolation water physico-chemical characteristics
4.5.3. Plant growth and metal(loid)s uptake
4.6. Conclusions
5. Expérience complémentaire d’amendement à l’aide de sulfate de fer
5.1. Matériels et méthodes
5.2. Résultats et discussion
5.3. Conclusion
Conclusion du chapitre III
CONCLUSION