Caractéristiques de la population étudiée

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Généralités concernant les accidents industriels

Les accidents industriels peuvent avoir des conséquences à court terme de nature différentes [3] :
– Les effets thermiques, liés à un incendie ou une explosion, et pouvant conduire à des brûlures de la peau ou des voies respiratoires
– Les effets toxiques, liés à une dispersion de polluant, les conséquences étant liées à la toxicité même du produit, de sa concentration et de la durée d’exposition
– Les effets de surpression, liés à une explosion, et pouvant conduire à des effets directs avec des lésions de blast, ou indirects via la projection de débris ou d’effondrement des structures.
Le site Lubrizol est exposé à ces différents risques [4]. Concernant les effets toxiques, la fiche d’information de 2015 informe que « les produits mis en œuvre sur le site Lubrizol de Rouen ne présentent pas de seuils réglementaires de toxicité aiguë (pas de risque direct d’impact sur la santé en cas de fuite). Malgré tout, certains composés émis lors de la décomposition de ces produits peuvent en présenter. C’est le cas du monoxyde de carbone, du dioxyde de soufre, des mono et dioxydes d’azote et du sulfure d’hydrogène ». L’étude menée en 2015 jugeait les accidents générant des effets toxiques liés au site Lubrizol, les plus importants s’ils impliquaient la décomposition d’une grande quantité de produit sulfuré, ou des effets sur la santé dans un rayon de 200 mètres autour du site.

La règlementation Seveso

La réglementation Seveso [3, 5] est une directive européenne créée en 1982 à la suite d’un accident technologique en Italie et imposant aux Etats membres le recensement des sites industriels produisant ou stockant des substances potentiellement dangereuses pour l’Homme ou l’environnement, ainsi que la mise en place de mesures de protection de l’environnement et de la population. L’objectif étant d’identifier et prévenir les risques d’accident afin d’en limiter l’impact. Les établissements Seveso sont classés en fonction de la quantité maximale de substances qu’elles sont susceptibles de contenir. Un établissement Seveso se voit ainsi attribuer un statut, Seveso seuil haut ou Seveso seuil bas. Ces substances sont listées dans la directive et reprises au niveau national dans la nomenclature des Installations Classées pour la Préservation de l’Environnement (ICPE) [6]. Les mesures de sécurité et les procédures prévues par la directive Seveso vont être dépendantes de la classification de l’établissement. En 2020, 733 sites Seveso seuil haut et 641 sites Seveso seuil bas, soit 1347 sites sont recensés sur le territoire [7].
La directive Seveso impose aux établissements classés seuil haut de réexaminer tous les 5 ans l’étude des dangers du site concerné. La réduction de la probabilité de survenue d’un accident et des éventuelles conséquences repose sur :
– La maîtrise du risque par l’exploitant, via la mise à jour du site et l’élaboration de plans d’urgence interne (plan d’opération interne – POI) lequel peut être déclenché en cas d’incident au sein de l’établissement.
– L’information du public et l’organisation des moyens de secours, via l’élaboration d’un plan d’urgence externe (plan particulier d’intervention – PPI) lequel est annexé au plan ORSEC (Organisation de la Réponse de Sécurité Civile) départemental et déclenché par le préfet en cas d’incident dont les effets sortent des limites de l’établissement.
– La limitation de l’urbanisation autour du site, via les plans de prévention des risques technologiques (PPRT) (2003) [8]
La directive évolue de 1992 à 2015, notamment en incluant l’obligation d’informer le citoyen et son inclusion dans le processus décisionnel. En France, les établissements SEVESO sont ainsi soumis à une enquête publique et à l’avis des collectivités territoriales concernées. C’est à la préfecture de fixer les dispositions techniques et organisationnelles que doit respecter l’installation. Le préfet donne les autorisations pour l’exploitation, fixe les conditions d’exploitations à respecter et prévoit un plan d’intervention externe à mettre en œuvre en cas d’accident. C’est également l’autorité gérant l’organisation des secours en cas de sinistre. Le contrôle des sites Seveso est assuré par des agents de l’Etat assermentés, les inspecteurs des Directions Régionales de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement (DREAL) sous l’autorité du préfet, et vérifient que les conditions de sécurité sont respectées.
La dernière directive du 4 juillet 2012, dite Seveso 3 est entrée en vigueur le 1er juin 2015 [9].

Méthodes

Étude et population

Nous avons mené une étude rétrospective multicentrique, incluant un centre universitaire (le service des Urgences adultes Charles Nicolle, le service des Urgences Saint Julien, le service des Urgences pédiatriques Charles Nicolle et le service des Urgences ophtalmologiques Charles Nicolle), faisant parti du CHU Charles Nicolle (Rouen F-76), ainsi que deux services d’urgences privés, la Clinique de l’Europe (Rouen F-76) et la Clinique du Cèdre (Bois Guillaume F-76).
L’étude a été réalisée sur une durée de 23 jours dans chaque centre sur la période du 26/09/2019 au 18/10/2019. Nous avons inclus tous les patients se présentant aux urgences et mettant en lien leurs symptômes avec l’incendie de l’usine Lubrizol et/ou présentant des symptômes après avoir été exposés aux fumées ou odeurs.

Ethique

Le Comité d’Ethique pour la Recherche sur Données Existantes du CHU Charles Nicolle (Rouen F-76) a approuvé l’étude (CERDE n° E2020-66) sans nécessité de consentement éclairé signé par les patients inclus. L’étude est conforme à la loi Informatique et Libertés.

Recueil de données

Le recueil des données a été réalisé rétrospectivement à partir des dossiers informatisés des patients (logiciel de registre médical URQUAL). La saisie des données a été réalisée par les différents investigateurs à l’aide du logiciel Doqboard® (Doqboard, 76130 Mont-Saint-Aignan, France). Pour chaque patient nous avons recueillis l’âge, le sexe, l’établissement consulté, la commune de domicile, la date d’entrée et de sortie du service, le motif de consultation, les constantes cliniques à l’arrivée aux urgences, le niveau de tri CIMU, les antécédents, les symptômes présentés, les examens complémentaires réalisés, le recours à un avis spécialisé, les actions thérapeutiques, le diagnostic retenu et l’orientation après son passage aux urgences.

Critère de jugement principal

L’objectif principal était l’évaluation du taux de recours aux urgences hospitalières durant les trois semaines suivant l’incident. Les objectifs secondaires étaient l’évaluation des paramètres cliniques et paracliniques associés au critère de jugement principal, ainsi que la comparaison des diagnostiques de consultation suivant la commune de domicile des patients.

Analyse statistique

L’ensemble des résultats ont été exprimés en unités internationales. L’analyse statistique a été réalisée à l’aide du logiciel GraphPad Prism 7 (GraphPad Software, Inc.La Jolla, CA) et du logiciel de bureautique Excel. Les variables qualitatives étaient exprimées en pourcentage (%) sur la totalité des patients inclus. Les variables quantitatives normalement distribuées étaient exprimées par une moyenne et un écart type (moyenne. +/- (DS)), et d’autres variables continues par une médiane et un intervalle interquartile ([IQR] 25%-75%). La normalité a été évaluée à l’aide du Shapiro-Wilk. Les données manquantes ont, quant à elles, été exprimées en pourcentage sur la totalité de chaque groupe. Les motifs de consultation ont été classés en fonction de l’appareil ou du contexte clinique sélectionné par l’Infirmière d’Accueil et d’Orientation (IAO) sur le logiciel informatique. Les distributions des deux groupes ont été comparés par un test du Chi-2 lorsqu’il s’agissait de variables qualitatives. Concernant les variables non appariées quantitatives, un t-test de Student a été utilisé lorsque la distribution était normale, et dans le cas contraire, un test de Mann-Whitney. La valeur p=0,05 a été définie comme seuil de significativité au cours de cette étude.

Résultats

Caractéristiques de la population étudiée

Au cours de la période d’étude, il y a eu 343 admissions en lien avec l’événement Lubrizol dans les différents services d’urgences participants dont respectivement n= 164 en provenance du service des urgences du CHU Charles Nicolle, n= 68 en provenance du service des urgences Saint Julien, n= 44 en provenance du service des urgences pédiatriques du CHU Charles Nicolle, n= 36 en provenance du service des urgences de la Clinique de l’Europe, n= 27 en provenance du service des urgences de la Clinique du Cèdre et n=1 en provenance du service des urgences ophtalmologiques du CHU Charles Nicolle. Le diagramme de flux est présenté ci-dessous (Figure 3).

Discussion

L’étude réalisée montre que les patients ayant consultés un service d’urgence pour des symptômes en lien avec l’évènement Lubrizol étaient principalement des patients jeunes, dont un tiers présentaient un antécédent de pathologie respiratoire. Les conséquences sur les trois semaines suivant l’incendie étaient principalement d’ordre symptomatique, dominées par les céphalées, exacerbation d’asthme, anxiété et irritation des voies respiratoires, et 95% des patients ont pu rentrer à domicile. Les symptômes observés correspondent à ceux observés dans la majorité des incidents industriels [14]. Le jeune âge des patients pourrait s’expliquer par le fait qu’ils représentent probablement la population la plus exposée aux fumées et odeurs, du fait d’une activité professionnelle. On observe deux pics de consultations les 27 et 30 septembre 2019, pouvant s’expliquer respectivement par la libération de substances immédiatement après l’incendie puis au début des opérations de nettoyage du site.
Il existe plusieurs éléments rassurant à la lecture des résultats. Notre étude confirme le faible impact de cet incident sur les structures d’urgences Rouennaises. Le nombre de patient ayant consulté en rapport avec l’incident sur près de trois semaines correspond à l’activité d’une journée aux urgences du CHU de Rouen. Les structures n’ont pas fait face à un afflux massif. Un deuxième élément plutôt rassurant est le faible taux de recours aux soins intensifs. On note en effet deux hospitalisations en unité de soins intensifs sur la totalité des patients ayants consultés. Aucun patient inclus dans notre cohorte n’est décédé.
Parmi les motifs de consultations et les diagnostiques retenus, on n’observe pas de différence significative entre les patients situés sous le nuage et les patients en dehors du nuage, hormis pour l’anxiété qui était un motif de recours plus fréquent chez les patients domiciliés sous le nuage de fumée. Or nous aurions pu nous attendre à ce que les patients sous le nuage de fumée présentent principalement des symptômes irritatifs respiratoires. Cette observation suggère que la symptomatologie présentée par la population était principalement en lien avec le dégagement d’odeur dans les jours suivants l’incident plus que par les fumées de l’incendie dans les premières heures. De plus le recueil de donnée s’effectue sur plus de trois semaines. La période propice aux syndromes irritatifs est courte, durant le temps de la maitrise de l’incendie, alors qu’il persiste des émanations avec odeur incommodantes pendant plus de 3 semaines. La répartition géographique concentrique des patients ayant consultés par rapport à l’usine renforce cette hypothèse. Au total on peut distinguer deux grands groupes de symptôme en rapport avec le recours aux structures d’urgence. D’une part les syndromes irritatifs dans les suites immédiates de l’exposition aux fumées avec décompensation présumée d’une pathologie respiratoire chronique et d’autre part les symptômes liés aux émanations de gaz dans l’atmosphères dans les jours qui ont suivi. On ne peut néanmoins pas complètement confirmer cette hypothèse sans étayer nos propos par une analyse des symptômes corrélés à la date de consultation.

Validité de l’étude

La préfecture de Seine-Maritime cite dans ses communiqués une enquête de l’Union Régionale des Médecins Libéraux de Normandie menée auprès des médecins libéraux de Seine Maritime. Dans cette enquête, les médecins répondeurs rapportent les mêmes symptômes que nous constatons dans notre étude et ne semblent pas constater de toxicité aiguë [10].
Une enquête rétrospective a été menée par l’association Rouen Respire (association pour l’amélioration de la qualité de l’air créée suite à l’incident Lubrizol du 26/09/2019) [15]. La majorité des répondants travaillaient ou habitaient à proximité de l’usine, et avaient été exposés aux odeurs et fumées. La moyenne d’âge des participants était de 43,7 ans. Parmi les 565 répondants, 92 rapportaient une pathologie respiratoire chronique, dont 86% constataient une aggravation de leurs symptômes. Les symptômes rapportés sont les mêmes que les patients de notre étude ; on note cependant une place prépondérante de l’anxiété qui était rapportée chez 81% des participants. Les différences entre les résultats de cette enquête et notre étude peuvent s’expliquer par le fait que la population étudiée est différente. Les répondeurs à l’enquête étaient principalement des membres de l’association, tandis que notre étude concerne les patients ayant ressentis une nécessité de consulter un service d’urgences.

Limites de l’étude

L’étude réalisée est une étude rétrospective, et donc insuffisante pour évaluer de façon précise et global l’impact sanitaire sur les populations exposées [16]. La population incluse dans l’étude est également très ciblée par rapport à l’ensemble des personnes exposées aux odeurs et fumées liés à l’incident. De la même manière elle ne permet pas d’apprécier les consultations de médecins libéraux. Les enquêtes citées [10, 15] bien que présentant des résultats similaires à ceux retrouvés dans notre étude, constituent un faible niveau de preuve et comportent de nombreux biais.
Les résultats présentés dans la Figure 5 et le Tableau 2 tiennent comptent de la commune de domicile des patients. Or les patients peuvent avoir été exposés aux odeurs et fumées sur leur lieu de travail, qui est une donnée dont nous ne disposons pas. Par ailleurs, en dehors du premier jour pour lequel des mesures de précaution ont été prises par les autorités (recommandation de confinement, fermetures d’axes routiers, fermetures d’établissements scolaires) la population pouvait circuler librement par la suite. Il existe donc un biais d’interprétation de nos résultats liés à la commune de domicile des patients.
Un autre biais potentiel de cette étude est la part de l’anxiété dans le ressenti et la déclaration des symptômes. Une étude épidémiologique réalisée à la suite d’une contamination d’eau au Royaume-Uni [17] montrait d’une part une relation dose-effet entre la consommation d’eau contaminée et la déclaration de symptômes, et d’autre part une déclaration significativement moins élevée de symptômes chez les personnes n’ayant pas perçu un changement d’odeur ou de couleur de l’eau contaminée. Les auteurs suggèrent donc une part significative liée à 36 l’anxiété. Une autre étude épidémiologique réalisée secondairement à un déversement d’hydrocarbures lié à l’échouage du pétrolier Sea Empress [18] met en évidence une déclaration significativement plus élevée de symptômes chez les populations exposées, ainsi qu’une part d’anxiété plus importante. Les auteurs évoquent ainsi un potentiel biais dans la déclaration des symptômes. A noter cependant qu’afin de limiter ce biais les auteurs ont ajustés leurs résultats en fonction d’un score d’évaluation de l’anxiété et de dépression ; ils mettaient ainsi en évidence que les populations exposées aux hydrocarbures présentaient significativement plus de symptômes à type de céphalée, irritation oculaire et ORL.
Enfin, les symptômes observés sont peu spécifiques et les résultats des mesures quantitatives de produits toxiques réalisées, suggérant un taux d’exposition faible, rendent l’évaluation de l’impact sur la santé difficile. La part incertaine de l’anxiété dans le ressenti des symptômes rend cette évaluation d’autant plus subjective. Par ailleurs les incendies comme celui de l’usine Lubrizol [16] peuvent être à l’origine de dégagement de produits chimiques non spécifiés liés au mélange de différents produits lors de la combustion, et dont la toxicité peut être différente des produits individuels. Cela rend d’autant plus difficile l’évaluation et l’anticipation d’éventuels effets néfastes par les autorités sanitaires.
Il est également à noter qu’en dépit des éléments rassurants mis en évidence dans cette étude, celle-ci n’est qu’une évaluation rétrospective de l’exposition initiale, et ne préjuge pas d’éventuels effets sanitaires retardés. Pour cela une évaluation du risque d’exposition continue et une évaluation des effets sur le long terme seront nécessaires au suivi des conséquences de l’incident.

Conclusion

Cette étude permet de confirmer le faible impact de l’incident Lubrizol sur l’activité des structures d’urgences et l’absence de conséquences sanitaires graves à court terme pour la population exposée. L’évaluation des conséquences d’un tel incident est complexe, compte tenu de la diversité et la méconnaissance des toxiques rejetés. Par ailleurs les symptômes présentés sont peu spécifiques et peuvent être évalués subjectivement par les patients, ce qui rend l’anticipation des conséquences sanitaires difficiles. Par conséquent, dans le cadre d’une démarche de suivi, une évaluation à distance des conséquences sur le long terme (cancer, reproduction) serait pertinente.

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Table des matières

Résumé
Table des matières
Introduction
Généralités concernant les accidents industriels
La règlementation Seveso
L’évènement Lubrizol du 26/09/2019
Méthodes
Étude et population
Ethique
Recueil de données
Critère de jugement principal
Analyse statistique
Résultats
Caractéristiques de la population étudiée
Discussion
Validité de l’étude
Limites de l’étude
Conclusion
Tableaux
Figures
Références

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