Généralités sur les bétons frais
Les bétons traditionnels dit bétons vibrés sont constitués d’un mélange de ciment (le liant hydraulique), de sable, de gravillons et d’eau. Les granulats sont classés en fonction de leur taille : fins (sable) et gros (gravillons). Ils constituent le squelette granulaire du béton et participent à sa résistance. Ces types de bétons sont maintenant bien maîtrisés en termes de formulations et de performances par les opérateurs. Cependant, ces bétons, traditionnellement fermes, nécessitent d’être vibrés pour être coulés dans les coffrages à géométries complexes. Ils posent donc des difficultés de mise en place pour les ouvriers, en particulier dans les zones de fort encombrement par des armatures. Ceci a motivé le développement de nouveaux bétons en cherchant à mieux maîtriser le lien entre la formulation et les propriétés rhéologiques à l’état frais. Les bétons autoplaçants (BAPs) sont des bétons techniques dont la caractéristique principale est une forte fluidité. Ils ont été introduits dans la communauté en 1988 au Japon par Okamura [Ouchi, 1999]. Les BAPs sont caractérisés par un squelette granulaire globalement plus fin que les bétons vibrés ordinaires et une fraction volumique de pâte (eau, ciment et fillers) plus importante. L’utilisation de fillers calcaires est courante mais pas exclusive. On distingue également ces bétons par une forte proportion en superplastifiant, éléments chimiques qui permettent de fluidifier le béton en dispersant les particules les plus fines et en limitant le dosage en eau. Ce sont des bétons qui peuvent se mettre en place sans vibration simplement sous leur propre poids . Ils ne nécessitent donc pas de procédé de compaction pour être moulés dans un coffrage, autour d’éléments encastrés ou des armatures. En contre partie, de faibles erreurs de dosage peuvent provoquer soit une perte du caractère autoplaçant soit une ségrégation. Le contrôle en ligne de la rhéologie de ces bétons est alors un enjeu industriel d’envergure.
Cette thèse propose d’étudier une méthode émergeante, reposant sur l’utilisation de la sonde Viscoprobe, visant à assurer le contrôle en ligne de la rhéologie des bétons autoplaçants.
Les malaxeurs à bétons
Le malaxage permet l’élaboration du matériau béton. Il existe divers types de malaxeurs dans le domaine du génie civil. Charonnat [1980] propose une classification selon la position de leurs axes de rotation durant le malaxage :
• les malaxeurs à axe vertical à action forcée ou gravitaire,
• les malaxeurs à axe horizontal à action forcée ou gravitaire,
• les malaxeurs à axe incliné à action gravitaire (par exemple la bétonnière qui est l’exemple d’un mauvais malaxeur),
• les malaxeurs continus (peu ou pas utilisés pour la production industrielle de bétons).
Remarquons que ces équipements sont utilisés par les professionnels pour produire aussi bien des bétons ordinaires vibrés que des bétons autoplaçants. Les deux premières familles correspondent aux géométries les plus courantes pour la production industrielle de bétons. La sonde Viscoprobe est adaptée à la première famille de malaxeurs. Le plus simple des malaxeurs à axe vertical à action forcée est le malaxeur annulaire . En centrale industrielle, il est le plus répandu pour des raisons économiques. Ses pales sont animées d’un simple mouvement de rotation autour du centre du malaxeur. Elles conduisent à du transport de matériau ce qui est préjudiciable à l’efficacité du malaxage. Il peut y avoir dans certains malaxeurs annulaires, un ou deux tourbillons qui permettent de mieux homogénéiser le béton.
Caractérisation rhéologique des bétons
Rhéologie des bétons
Le béton est un matériau hétérogène de part ses éléments constitutifs. C’est une suspension de particules de tailles diverses dans un fluide suspendant. Son comportement rhéologique est classiquement considéré comme celui d’un fluide à seuil. De nombreux travaux associent à de telles suspensions concentrées un comportement rhéologique viscoplastique, par exemple de type Bingham [Bingham, 1922] depuis les travaux de Tattersall et Banfill [1983], [Tattersall, 1991].
Rappelons que le comportement rhéologique des fluides visqueux newtoniens (fluide classique) est caractérisé par une relation linéaire entre contrainte τ et taux de cisaillement γ . Un tel comportement semble trop réducteur pour caractériser les bétons, même s’ils sont autoplaçants. De même, une viscosité évolutive (en loi puissance) constitue une alternative non suffisante. Parmi les modèles de fluides à seuil, nous pouvons distinguer le modèle de Bingham caractérisé par une viscosité plastique définie du modèle de HerschelBulkley pour lequel la composante visqueuse évolue en loi puissance.
Méthodes de caractérisation de la rhéologie
Lorsque le béton frais est considéré, en première approche, comme un fluide de Bingham, son comportement rhéologique est alors caractérisé par deux paramètres: le seuil de cisaillement et la viscosité plastique. On constate cependant que les propriétés rhéologiques des bétons sont contrôlées en centrale industrielle simplement à l’aide d’essais de consistance au cône d’Abrams ou, très rarement, par des essais au rhéomètre. Il convient ainsi de relier le résultat de telle mesure aux valeurs des paramètres rhéologiques. Les données bibliographiques portant sur ce thème sont évoquées dans un premier temps. Les mesures de rhéologie en ligne, appliquées au béton sont encore en phase de développement. Un bilan des développements réalisés sur ce thème complète l’étude bibliographique.
Par rhéomètre
Les rhéomètres sont des outils élaborés pour caractériser la rhéologie des bétons frais. Souvent inadaptés aux conditions de chantier (difficulté de transport et d’utilisation notamment), leur utilisation est destinée à une mesure en laboratoire.
Types
Il existe une grande variété de rhéomètres à bétons. Ils peuvent être classés selon leur géométrie :
– rhéomètres agitateurs-malaxeurs (IBB, ICAR, LGCGM, Two-point test)
– rhéomètres à cylindres coaxiaux (BML, Cemagref)
– rhéomètre plan-plan (BT Rhéom).
Ferraris et Brower [2001] ont réalisé une description et une comparaison d’une majorité des rhéomètres à bétons existants. Le premier rhéomètre à bétons à être élaboré fut le Two point test (1978) : un rhéomètre agitateur [Tattersall et Bloomer, 1979]. Les paramètres rhéologiques du béton sont mesurés en le considérant comme un fluide de Bingham. Un nouveau type de rhéomètre est créé en 1987 avec une géométrie créant un champ de déformation plus uniforme que celui du Two point test [Wallevik, 1990]. Le BML est un rhéomètre à cylindres coaxiaux dont le cylindre extérieur est en mouvement et le cylindre intérieur est fixe. Par la suite, un rhéomètre « plan-plan » a été développé au LCPC au début des années 1990, le BT Rheom [Hu, 1995]. La rotation du plateau supérieur crée le cisaillement, le plateau du bas étant maintenu fixe. Ce rhéomètre présente une particularité : il est le seul susceptible de mesurer la viscosité d’un béton en cours de vibrations. Un rhéomètre à cylindres coaxiaux de grande taille créé à l’origine pour mesurer les paramètres rhéologiques des géomatériaux est testé avec du béton lors de la campagne de comparaison des rhéomètres de Ferraris et Brower [2001]. Le rhéomètre du Cemagref , possède ainsi un bol de grande dimension ce qui permet d’étudier des suspensions ayant des particules de grandes tailles (gap important, 20 cm environ entre les deux cylindres) [Coussot, 1993]. Il apparaît représentatif de la quantité de bétons fabriqué dans un malaxeur.
L’IBB a été créé en 1994 . Il est constitué d’un outil mélangeur planétaire en forme de H. Il correspond à une version modifiée du Two point test [Beaupré, 1994]. Les deux rhéomètres à bétons développés au début des années 2000 sont le rhéomètre ICAR et le rhéomètre du LGCGM . Ce sont deux rhéomètres de type agitateurs-malaxeurs avec une géométrie vane. Leur principale différence réside dans leur taille. Le rhéomètre ICAR possède une géométrie vane de taille plus petite (13 cm de diamètre comparée à celle du LGCGM, 15 cm) et un bol plus grand (41 cm à comparer au 28 cm de diamètre pour le LGCGM). Le risque de localisation du cisaillement autour de l’outil et celui du glissement aux parois apparaît comme une difficulté de ce type de géométrie [Koehler et Fowler, 2004].
Conclusions
Ces rhéomètres sont des outils élaborés et précis permettant de déterminer l’évolution des propriétés d’écoulement des bétons frais via l’enregistrement d’un couple évoluant en fonction d’une vitesse de rotation. Il convient de bien maîtriser les relations de passage entre les grandeurs mesurées et des grandeurs rhéologiques pertinentes. Les écarts de mesure de rhéologie entre différents rhéomètres même avec des géométries identiques sont élevés. Il existe une bonne corrélation pour le seuil alors que pour la viscosité ces corrélations s’avèrent moins intéressantes.
Ces différents travaux comparatifs ont conduit à l’élaboration de rhéomètres à béton améliorés :
– les risques de glissement du béton aux parois sont réduits par la mise en place de surfaces très rugueuses,
– la mesure de couple et/ou de vitesse de rotation est améliorée en augmentant considérablement la fréquence d’acquisition,
– l’asservissement des moteurs permet d’envisager des protocoles d’essais variés permettant de mieux comprendre les effets liés à la mise en écoulement.
Enfin, la facilité d’utilisation a guidé le développement vers des outils plus maniables. Dans cet esprit, les rhéomètres ICAR et LGCGM, développés après les campagnes comparatives, s’avèrent aisés d’utilisation.
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Table des matières
Introduction générale
Généralités sur les bétons frais
Les malaxeurs à bétons
Objectifs de l’étude
1 Synthèse bibliographique
1.1 Caractérisation rhéologique des bétons
1.1.1 Rhéologie des bétons
1.1.2 Méthodes de caractérisation de la rhéologie
1.2 Force de trainée
1.2.1 Hypothèse de Stokes à faible nombre de Reynolds
1.2.2 Effets dynamiques
1.2.3 Effets plastiques
1.2.4 Motifs d’écoulements : fluide de Bingham autour d’une sphère
1.2.5 Effets de parois
1.2.6 Effets de voûtes
1.2.7 Conclusions
2 Matériels et méthodes
2.1 Matériels et leurs utilisations
2.1.1 Malaxeur et centrale de malaxage
2.1.2 Sonde Viscoprobe
2.1.3 Sondes Bi-MFM
2.1.4 Wattmètre
2.1.5 Rhéomètre LGCGM
2.1.6 Cône d’Abrams, V-Funnel et Aéromètre
2.2 Matériaux
2.3 Protocole expérimental
2.4 Modèle numérique
2.4.1 Code de calcul FloMix
2.4.2 Techniques numériques
2.4.3 Conclusions
3 Résultats
3.1 Sondes Viscoprobe et Bi-MFM
3.1.1 Evolution de la force de trainée avec le temps de malaxage
3.1.2 Corrections à apporter sur le signal de la sonde Viscoprobe
3.1.3 Récapitulation des incertitudes prises en considération dans l’analyse
3.2 Exploitation du rhéomètre à bétons
3.2.1 Méthode d’analyse des enregistrements
3.2.2 Méthode d’analyse des propriétés d’usage
3.2.3 Analyses des mesures rhéologiques
3.3 Bilan des mesures
3.4 Simulations des écoulements dans le malaxeur
3.4.1 Configurations analysées numériquement
3.4.2 Etude des motifs d’écoulement
3.4.3 Effet de la sonde Viscoprobe sur le champ de vitesse
4 Analyses
4.1 Relation entre la force de trainée, la vitesse et la rhéologie
4.1.1 Facteurs correcteurs dans l’expression de la force de trainée
4.1.2 Expression retenue de la force de trainée
4.1.3 Validation de la relation retenue pour la force de trainée sur maquette
4.2 Description de l’écoulement dans le malaxeur
4.2.1 Flux d’interaction entre le racleur et le train valseur
4.2.2 Flux d’entrainement dans le train valseur
4.3 Vitesse entre la sonde et le béton
4.3.1 Constat avec la vitesse de la sonde par rapport au malaxeur
4.3.2 Effet d’entrainement
4.3.3 Correction des vitesses par l’entrainement et l’interaction
4.4 Vers une rhéométrie en ligne
4.4.1 Méthode proposée
4.4.2 Mesure du seuil de cisaillement
4.4.3 Mesure de la viscosité
4.4.4 Analyse d’effets perturbateurs
4.5 Synthèse de l’analyse
Conclusion générale
Bibliographie
Annexes