Les produits cosmétiques actuellement mis sur le marché se développent dans un contexte socio-économique pour lequel l’avis du consommateur joue un rôle clé. Outre les innovations technologiques, qui permettent de rester concurrentiel, et l’évolution des tests d’efficacité de plus en plus performants, qui répondent aux exigences règlementaires [1], l’influence des médias et leurs répercussions sur le marketing créent de nouveaux comportements chez les consommateurs. Les scandales médiatiques liés à l’emploi des parabènes ou encore à celui des silicones par exemple, conduisent les consommateurs à faire la chasse aux produits synthétiques et aux conservateurs, et alimentent ainsi la grande tendance du naturel et des produits biologiques.
LES EMULSIONS : DE LEUR FORMULATION A LEUR STABILITE
Les émulsions sont des systèmes dispersés métastables constitués d’au moins deux fluides non miscibles, dont l’un est dispersé dans l’autre, et d’au moins une molécule amphiphile. On distingue donc une phase dite dispersée, le plus souvent minoritaire en terme de volume, contenue dans une phase dite continue, le plus souvent majoritaire. La non miscibilité des deux phases impose, par répulsions d’origine électrique et stérique, la formation de gouttes – obtenues après mélange par une action mécanique – dont l’énergie interfaciale (à l’interface des deux fluides) a un niveau élevé qui tend à évoluer vers un niveau le plus faible possible : il s’agit des processus de démixtion. D’un point de vue thermodynamique, une émulsion est donc instable même si en pratique, les émulsions commercialisées ont une stabilité cinétique qui peut atteindre plusieurs années. Ce sont généralement des émulsions huile dans eau (H/E), qui correspondent à la dispersion d’une phase huileuse dans une phase aqueuse continue, et dans une moindre mesure des émulsions eau dans huile (E/H) où une phase aqueuse est dispersée dans une phase huileuse continue.
Cette base de fluides complexes est très largement utilisée dans les industries pharmaceutiques et cosmétiques pour obtenir des crèmes, des pommades ou des lotions (plus liquides). On les retrouve aussi dans les produits de notre quotidien comme par exemple en agroalimentaire (lait, beurre, vinaigrette, mayonnaise, etc.) et dans les produits pétrochimiques ; dans ce cas il s’agit plutôt d’émulsions E/H (émulsions pétrolières, etc.).
INTRODUCTION AUX EMULSIONS : DES FLUIDES COMPLEXES INSTABLES
Paramètres influençant l’organisation structurale et la stabilité des émulsions
Dans le cas le plus simple d’une crème cosmétique, il faut associer deux composés non miscibles pour réaliser une émulsion H/E : d’une part une phase huileuse (notée H), généralement composées d’huiles végétales ou synthétiques, de beurres ou de cires et d’autre part une phase polaire (notée E), correspondant à une solution aqueuse plus ou moins complexe contenant des polymères, des sels et des actifs (de nature glucidique, protéique, etc.), et dans laquelle des équilibres chimiques (acido-basiques par exemple) sont possibles. L’émulsion la plus rudimentaire correspond au minimum à un mélange de l’huile (fluide minoritaire) dans de l’eau (noté H/E).
À l’interface entre les deux liquides, l’absence de liaisons hydrogène et d’interactions électrostatiques est responsable de la non miscibilité [6]. Cette interface se distingue donc par une énergie interfaciale (en J.m−2), autrement désignée sous le terme de tension interfaciale élevée (en N.m−1). Pour abaisser cette tension et rendre possible les interactions intermoléculaires entre les deux liquides, l’ajout de molécules amphiphiles est nécessaire. Il s’agit de molécules tensioactives qualifiées d’émulsionnantes.
Les interactions entre particules dispersées
Dans le cas d’une émulsion simple diluée H/E, nous distinguons deux phases liquides. Au sein de ce mélange, des interactions sont possibles entre particules au sein d’une même phase et entre les deux phases. Dans la phase continue aqueuse contenant des composés le plus souvent chargés (polymères, sels, etc.), les interactions électrostatiques (existantes entre molécules polaires et chargées) et liaisons hydrogènes sont prédominantes. Dans la phase huileuse (ici dispersée sous forme de gouttes), dominent principalement des interactions attractives de type Van der Waals entre les atomes des molécules d’huiles contenues dans les gouttelettes. Ces gouttelettes huileuses sont recouvertes de molécules amphiphiles (émulsifiants, polymères, etc.) ne présentant pas de charges et de polarité du côté huileux, mais étant polaires pouvant être chargées à l’interface avec l’eau. Ces molécules adsorbées à la surface des gouttelettes représentent une barrière stérique qui, associée aux interactions longues distances possibles entre les gouttelettes du fait des charges électriques externes, participe au maintien de celles-ci à l’état dispersé et à la diminution de la tension interfaciale. Les structures internes des émulsions et leurs évolutions sont donc fortement déterminées par les forces existantes entre particules dispersées. Les deux phases sont maintenues dans un état d’équilibre grâce à la superposition de différents types de forces à l’interface via la présence de tensioactifs.
D’une part, on distingue les interactions attractives de Van der Waals qui, avec les mouvements browniens, sont à l’origine de la floculation des particules. L’attraction entre particules dispersées dans un solvant résulte en fait des interactions des nombreuses molécules constituant ces particules avec la phase continue. Elle possède généralement une portée effective de quelques dizaines de nanomètres . Les interactions de Van der Waals regroupent les interactions intermoléculaires dipolaires de faible intensité (Debye, Keesom et London) qui rend-compte de la dissymétrie de répartition des charges électriques (positives et négatives) de molécules ou de particules polaires, de par sa structure chimique (dipôle permanent) ou de par son environnement proche (dipôle induits).
D’autre part, interviennent également des interactions répulsives (électrostatiques) qui à l’inverse empêchent une agrégation totale de l’ensemble des particules les unes aux autres. Ces interactions électrostatiques sont en effet des forces coulombiennes répulsives entre particules chargées de même signe. Cette répulsion est d’autant plus grande que les particules sont proches. Elles permettent ainsi l’obtention de suspensions cinétiquement stables.
Le potentiel d’interaction entre les particules colloïdales tient compte des interactions à la fois de Van der Waals et électrostatiques. Les chercheurs Derjaguin et Landau (1941), puis Verwey et Overbeek (1948), ont calculé ce potentiel d’interaction dans le cadre du modèle DLVO (défini d’après les noms de ses concepteurs) [7]. Selon ce modèle, les répulsions électrostatiques engendrent une barrière d’énergie susceptible d’empêcher les colloïdes de se rapprocher à une distance où les interactions attractives de Van der Waals dominent. illustre en trait plein le bilan type des forces impliquées entre deux particules quelconques en interaction. La partie positive de l’axe des ordonnées correspond aux forces de répulsion, tandis que la partie négative correspond aux forces d’attraction des particules et l’axe des abscisses indique la distance entre les deux particules considérées [8]. Les courbes en pointillés rendent compte des interactions électrostatiques et de Van der Waals.
Dans le cas de grandes distances de séparation, les interactions électrostatiques décroissent plus rapidement que celles de Van der Waals : ce sont donc les forces d’attraction qui dominent avec la présence d’un minimum dans le bilan énergétique.
Quand la salinité augmente, la portée des forces de répulsion diminue, il en va de même du maximum énergétique, noté barrière d’énergie. Pour de très fortes forces ioniques, le potentiel d’interaction est dominé par les forces d’attraction de Van der Waals, et dans ce cas, la coagulation (floculation) des particules est rapide. ainsi l’influence du pH et de la force ionique sur les interactions entre particules. Ces interactions peuvent aussi être modifiées en faisant varier la concentration ou le type de stabilisant qui adhèrent et influencent l’état de charge de la surface des particules dispersées .
Cette théorie s’applique généralement aux émulsions contenant des tensioactifs chargés, ou ayant subi des modifications par l’adsorption de polymères ou d’autres molécules polaires. Par exemple, par l’adsorption de protéines, il est possible de modifier les propriétés électriques de la phase dispersée et de former par héteroagrégation [11], [12], des arrangements de gouttelettes originaux dans des émulsions .
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Table des matières
INTRODUCTION
CHAPITRE I LES EMULSIONS : DE LEUR FORMULATION A LEUR STABILITE
I.1 Introduction aux émulsions : des fluides complexes instables
I.1.1 Paramètres influençant l’organisation structurale et la stabilité des émulsions
I.1.1.1 Les interactions entre particules dispersées
I.1.1.2 Techniques d’émulsification et taille des gouttelettes
I.1.1.3 Organisation structurale des émulsions
I.1.2 Démixtion et stabilité d’un produit cosmétique
I.1.2.1 Migration réversible de la phase dispersée : sédimentation ou crémage et floculation
I.1.2.2 Migration irréversible de la phase dispersée : coalescence et murissement d’Ostwald
I.1.2.3 Stabilisation par les tensioactifs
I.1.3 Formulation : influence de la composition
I.1.4 Les grandeurs mesurables liées à la stabilité
I.2 Relation entre la stabilité et les propriétés rhéologiques des émulsions
I.2.1 Caractérisation viscoélastique des émulsions
I.2.2 Impact de la composition des émulsions sur les propriétés d’écoulement
I.2.3 Lien entre la stabilité et les propriétés dynamiques
I.3 Suivi et contrôle de la prolifération des micro-organismes en milieux complexes
I.3.1 Les émulsions, milieux de culture pour les micro-organismes
I.3.2 Détecter et limiter la croissance des micro-organismes
I.3.2.1 La conservation des produits cosmétiques et la détection des micro-organismes
I.3.2.2 Méthodes alternatives permettant de limiter le développement de micro-organismes
I.3.3 Prolifération des micro-organismes en milieux complexes
I.4 Conclusion
CHAPITRE II MATERIELS ET METHODES
II.1 Formulation des émulsions
II.1.1 Choix des matières premières
II.1.1.1 L’eau
II.1.1.2 Le gélifiant : les polymères et copolymères d’acide acryliques
II.1.1.3 L’huile : le palmitate d’isopropyle
II.1.1.4 Les tensioactifs
II.1.2 Détermination des proportions par le calcul du HLB et optimisation de la formule
II.1.3 Protocole de formulation et émulsion de référence
II.1.4 Suivi organoleptique de la stabilité : stockage et vieillissement
II.2 Caractérisation multi-échelles des émulsions
II.2.1 Techniques de caractérisation classiques utilisées pour l’étude
II.2.2 Rhéologie macroscopique (basse fréquence 1 Hz)
II.2.3 Microrhéologie (rhéologie ultrasonore ou haute fréquence)
II.3 Incorporation et dénombrement des micro-organismes
II.3.1 Préparation
II.3.2 Choix de la souche bactérienne : Pseudomonas fluorescens
II.3.3 Contamination forcée des émulsions et suivi
II.3.4 Méthode de dénombrement
CHAPITRE III ETUDE MULTI-ECHELLE DE LA STRUCTURE DES EMULSIONS
III.1 Grandeurs choisies et critères d’analyse des émulsions
III.1.1 Grandeurs d’influences retenues dans l’étude
III.1.2 Choix de l’émulsion de référence
III.2 Etude de la stabilité et de répétabilité par la microrhéologie de l’émulsion de référence
III.3 Etude de la structuration des émulsions a différentes échelles
III.3.1 Changement de la structure des émulsions par modification de la phase dispersée
III.3.2 Observation de la structure par microscopie optique
III.3.2.1 Effets de la variation du pourcentage en huile sur la structuration
III.3.2.2 Effets de la variation du pourcentage en émulsifiant sur la structuration
III.3.3 Validation des propriétés rhéologiques macroscopique des émulsions
III.3.3.1 Etude de l’impact de la concentration en huile IPP sur les propriétés rhéologiques macroscopiques
III.3.3.2 Etude de l’impact de la quantité d’émulsifiants sur les propriétés rhéologiques macroscopiques
III.3.4 Détermination des caractéristiques viscoélastiques multi-échelles en lien avec la structuration des émulsions
III.3.4.1 Effets de la concentration en huile
III.3.4.2 Effet de la concentration en émulsifiants
III.4 Conclusion
CHAPITRE IV UN DEBOUCHE PROMETTEUR : INFLUENCE DE LA PSEUDOMONAS FLUORESCENS SUR LA STRUCTURE D’EMULSIONS
CONCLUSION