Caractérisation et modélisation du vieillissement des photodiodes organiques

Les récentes avancées sur les polymères organiques semi-conducteurs ont permis de développer des composants tels que des transistors, diodes électro-luminescentes ou encore des cellules solaires, dont les performances viennent aujourd’hui concurrencer leurs équivalents en silicium. Ces polymères permettent d’utiliser des techniques de fabrications en voie liquide relativement simples et rapides à mettre en œuvre. De plus, leur fabrication est possible sur une large variété de substrats qui peuvent être souples et de grande surface.

Ces dernières années, l’intérêt pour les photodiodes organiques n’a cessé de grandir. Leur intégration dans des imageurs grandes surface ainsi que l’absorption de certains polymères dans le proche infra-rouge en font des candidats idéaux pour concurrencer les photodiodes silicium [Baeg et al., 2013]. Ces photodiodes organiques ont pu atteindre des performances élevées et notamment une forte sélectivité en longueur d’onde. Des sensibilités importantes ainsi que des faibles courants d’obscurité, qui sont des caractéristiques essentielles des photodiodes, ont aussi été présentées. Les dernières avancées du domaine ont notamment été recensées dans une revue proposée par le groupe de Paul Meredith [Jansen-van Vuuren et al., 2016].

Toutefois le problème majeur pour l’industrialisation de cette technologie reste la durée de vie de ces composants. Lors de leur utilisation, les photodiodes sont soumises à de nombreux facteurs environnementaux. Ceux-ci semblent dégrader leurs performances opto-électroniques. En particulier, la vulnérabilité des polymères semi-conducteurs organiques face à la photo-oxydation doit certainement être considérée. Une des façons les plus courantes de contourner l’instabilité des polymères consiste à encapsuler le dispositif à l’intérieur de matériaux barrières. Bien que cette solution soit facile à mettre en œuvre et demande moins de compréhension des mécanismes de dégradation mis en jeu, elle reste très couteuse et fait appel, la plupart du temps, à des matériaux épais et rigides. Une autre méthode, plus longue à réaliser, consiste à rendre les polymères et les différentes couches des composants plus robustes face aux dégradations, ce qui nécessite néanmoins une compréhension fine des mécanismes. Des études de vieillissement de plus en plus nombreuses ont ainsi été effectuées pour des cellules solaires afin de comprendre le comportement de cellules sous illumination d’un soleil AM1.5, et dans différentes atmosphères (d’après les protocoles ISOS par exemple [Reese et al., 2011]). Les principaux vecteurs de dégradation mentionnés sont : la lumière, l’eau, la température, le stress électrique et mécanique [Jorgensen et al., 2012]. Un comportement généralisable à tous les systèmes n’existe malheureusement pas. Il a été observé que chaque structure possède un vieillissement propre et que le changement, ne seraitce que d’une interface ou d’un additif, peut altérer considérablement la stabilité de la cellule [Gevorgyan et al., 2015]. Le vieillissement des photodiodes a toutefois été beaucoup moins abordé. Les modes de fonctionnement et des structures différents rendent les vieillissements des photodiodes difficilement comparables à ceux des cellules solaires. De plus la caractérisation du courant d’obscurité en régime inverse n’est pas abordée dans les études de vieillissement des cellules solaires. Une étude du vieillissement des photodiodes apparait donc nécessaire. Il s’agirait d’étudier des couches unitaires pour analyser les dégradations des matériaux et des vieillissements de photodiodes complètes pour observer les signatures des dégradations sur les différentes caractéristiques électriques.

La photodiode organique 

Définitions, architecture et matériaux

Le semi-conducteur organique

Les semi-conducteurs organiques peuvent être classés en deux grandes familles dont le comportement optique et électronique sont proches : les polymères et les petites molécules. Les petites molécules sont en général déposées par évaporation ou à partir d’une solution. Les polymères sont exclusivement utilisés par voie liquide en raison de leur forte masse molaire. Dans les deux cas, un système π conjugué rend possible l’absorption de la lumière, la génération puis le transport des charges électriques. Cette étude se focalise sur les polymères. Ces semi conducteurs organiques sont généralement décrits avec les concepts développés par la physique des semi-conducteurs inorganiques, comme le silicium. Cependant certaines notions diffèrent, comme celles de bande interdite, de gap ou encore des mécanismes de transport. Dans les semi-conducteurs organiques, cette bande est définie par la différence d’énergie entre l’orbitale moléculaire occupée de plus haute énergie (HOMO) et l’orbitale non occupée de plus faible énergie (LUMO) de la macromolécule . Ces niveaux sont ainsi assimilées respectivement à la bande de valence et à la bande de conduction des semi-conducteurs classiques.

La bande interdite détermine la capacité du matériau à absorber un flux de photons: un polymère à faible gap absorbera une plage étendue de radiations de différentes longueurs d’ondes et inversement un matériau à grand gap absorbera un domaine plus petit.

Les semi-conducteurs organiques ont un gap d’environ 1.7eV, c’est à dire qu’ils absorbent une plage de longueurs d’ondes d’approximativement 700nm. la correspondance entre l’énergie et la longueur d’onde du spectre d’absorption d’un polymère semi-conducteur organique, selon la relation E = h c/λ avec E l’énergie du photon, h la constante de Planck, c la célérité de la lumière et λ la longueur d’onde.

La notion de gap doit être précisée parce qu’il faut distinguer le gap électrique du gap optique. La différence d’énergie entre le niveau HOMO et le niveau LUMO du polymère définit le gap électrique du semi-conducteur organique [Bredas, 2014]. Le gap optique correspond quant à lui à la plus faible énergie de transition électronique accessible par l’absorption d’un photon. Cette énergie est inférieure au gap électrique. En effet, dans les matériaux organiques, lorsqu’une une paire électron-trou est créée dans le matériau par absorption lumineuse, une force électrostatique lie ces deux charges. Une énergie EL non nulle est donc nécessaire pour les dissocier, elle correspond ainsi à la différence entre le gap électrique et le gap optique.

Il est aussi possible de décrire les différentes bandes d’énergie du matériau avec un vocabulaire différent. En effet l’énergie du niveau de HOMO peut être considéré comme le potentiel d’ionisation du matériau, et le niveau LUMO comme l’affinité électronique Le travail de sortie d’un matériau est défini comme étant l’énergie minimum qu’il est nécessaire de fournir pour extraire un électron de ce matériau. Il correspond ainsi à la différence entre le niveau de Fermi et le niveau du vide. Les mesures de travaux de sorties cités dans ce manuscrit sauf précision ont été mesurées à l’aide d’une sonde Kelvin.

L’effet photovoltaïque et la génération de charges électriques

Le fonctionnement d’une photodiode organique se base sur le principe de l’effet photovoltaïque. Cet effet est largement utilisé dans les cellules solaires et permet de convertir la lumière absorbée en charges électriques.

Une photodiode organique se compose de différents éléments :
— Une couche active qui réalise la conversion de photons en charges électriques
— Des couches d’interface permettant de sélectionner le type de porteurs de charges
— Des électrodes qui extraient les charges photo-générées.

La couche active est la composante essentielle et principale des photodiodes. Elle est le plus généralement composée d’un mélange interpénétré de deux matériaux appelé hétérojonction volumique [Yu and Heeger, 1995]. Ce mélange permet d’améliorer la surface de contact entre les deux matériaux. L’un est utilisé pour sa capacité à capter et transporter les électrons, il s’agit de l’accepteur. Le donneur est quant à lui utilisé pour ses propriétés à céder des électrons et transporter les trous.

La conversion d’énergie lumineuse en énergie électrique via l’effet photovoltaïque peut être décrite en quelques étapes clés :
— L’absorption d’un photon par la couche active et la génération d’un exciton
— La diffusion suivie de la dissociation de cet exciton en deux porteurs libres
— Le transport et la collection des charges ainsi générées aux électrodes.

Création d’un exciton
Tout d’abord, un photon est absorbé par la couche active et conduit à un état excité du polymère. Il y a ainsi création d’un exciton, c’est à dire d’une paire entre un électron et trou, fortement liés énergétiquement. L’absorption peut également s’effectuer dans le fullerène, mais les mécanismes de photo-conversion étant identiques, nous nous concentrons ici sur le premier cas.

Diffusion et dissociation de l’exciton 

Pour séparer ces charges et obtenir ainsi des porteurs libres, cet exciton doit ensuite diffuser jusqu’à un site de dissociation. Ce site est localisé à l’interface entre le polymère donneur et le fullerène accepteur. Ces deux matériaux possèdent des niveaux d’énergie différents, l’électron peut être transféré du donneur vers l’accepteur par un mécanisme ultra rapide (d’environ 50 ps) [Sariciftci et al., 1992]. Ce transfert conduit à la rupture de l’exciton et créé ainsi deux porteurs libres. Pour les matériaux organiques, le temps de vie de l’exciton est court [Shaw et al., 2008]. En effet, si l’exciton ne rencontre pas de site de dissociation, la force d’attraction coulombienne qui règne au sein de l’exciton tend à recombiner les deux charges de polarisation opposées. La stabilisation du système par cette recombinaison génère une énergie qui peut être radiative ou non radiative, c’est à dire émettre une onde lumineuse ou générer de la chaleur. La diffusion de l’exciton est donc restreinte dans l’espace à une dizaine de nanomètres et limite la taille des domaines de polymères et de fullerènes. Ces domaines doivent ainsi être du même ordre de grandeur que la longueur de diffusion pour permettre de dissocier efficacement les excitons générés dans la couche active avant qu’ils ne se recombinent.

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Table des matières

Introduction
1 La photodiode organique
1.1 Définitions, architecture et matériaux
1.1.1 Le semi-conducteur organique
1.1.2 L’effet photovoltaïque et la génération de charges électriques
1.1.3 Matériaux utilisés
1.1.4 Architecture et fabrication des photodiodes de cette étude
1.1.5 Caractérisation des matériaux utilisés
1.2 Physique du dispositif
1.2.1 Principe de fonctionnement des photodiodes
1.2.2 Principales caractéristiques électriques
1.2.3 Pièges et recombinaisons
1.2.4 Caractérisation des pièges et recombinaisons
1.2.5 Effets sur les caractéristiques électriques
1.3 Simulation
1.3.1 Description de l’outil
1.3.2 Données d’entrées
1.3.3 Exemples de simulation
2 Mécanismes de vieillissement des photodiodes
2.1 Stabilité intrinsèque de la couche active
2.2 Impact de l’oxygène sur la couche active
2.2.1 Dans le noir
2.2.2 Sous illumination : photo-oxydation
2.3 Facteurs cinétiques du vieillissement
2.3.1 Puissance lumineuse
2.3.2 Structure de la couche active
2.3.3 Température
2.3.4 Eau
2.3.5 Tension et courant
2.4 Dégradation des électrodes et interfaces
2.5 Conclusion
3 Étude générale de la stabilité des photodiodes en vieillissement
3.1 Études matériaux de la couche active en vieillissement
3.1.1 Analyse sous un soleil AM 1.5
3.1.2 Analyse à faible intensité lumineuse
3.2 Étude de la cinétique de dégradation des performances des photodiodes
3.2.1 Impact de l’encapsulation
3.2.2 Impact de la puissance lumineuse
3.3 Définition du plan d’expérience
3.4 Conception du banc de vieillissement
3.4.1 Composition et description du banc de vieillissement
3.4.2 Calibration
4 Mise en évidence des mécanismes de dégradation
4.1 Préambule sur la stabilité intrinsèque
4.1.1 Caractérisations des photodiodes avant et après vieillissement
4.1.2 Discussion
4.2 Étude de l’impact de l’oxygène extrinsèque
4.2.1 Mesures de courant au cours du temps
4.2.2 Caractérisations avant et après vieillissement
4.2.3 Hypothèses et analyse
4.2.4 Réversibilité
4.2.5 Conclusion
4.3 Étude de l’impact de l’oxygène couplé à la lumière
4.3.1 Vieillissement et caractérisations
4.3.2 Analyse et hypothèses (temps courts)
4.3.3 Mise en évidence de la présence de pièges dans la structure
4.3.4 Conclusion
4.4 Mise en évidence de l’impact du stress électrique
4.4.1 Caractérisations
4.4.2 Hypothèses et simulations
4.5 Mise en évidence de l’impact de l’humidité
4.5.1 Sans lumière, sous tension
4.5.2 Sous illumination, sous tension
4.6 Conclusion et synthèse
Conclusion générale
Annexes

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