Caractérisation et modélisation des phénomènes gouvernant le séchage par atomisation de suspensions colloïdales

Ces travaux de thèse ont été réalisés dans le cadre d’une collaboration entre le laboratoire IUSTI, unité mixte n°7343 du CNRS et d’Aix-Marseille Université, et la direction Conception Modélisation Procédés de l’IFP Energies Nouvelles (IFPEN) du site de Solaize. Ils portent sur l’étude du séchage de gouttes de suspensions colloïdales. L’objectif est de mieux appréhender les phénomènes gouvernant le séchage mais aussi de développer un modèle microphysique nécessaire à l’optimisation d’un procédé industriel d’atomisation employé pour la production de poudres de boehmite (précurseur d’alumine) utilisées pour la catalyse. Le procédé de séchage par atomisation est très répandu dans de nombreuses industries (biotechnologies, chimie, agro-alimentaire…) [1, 2, 3, 4, 5]. En 2000, on comptait ainsi plus de 20 000 tours de séchage par atomisation en usage dans le monde avec, certes, des capacités volumiques très variables (séchoirs de quelques mètres à plusieurs dizaines de mètres de haut). Le procédé consiste, essentiellement, à pulvériser sous forme de gouttelettes une suspension dans un flux d’air chaud (voir la Figure 2 dans le chapitre 1). La dimension initiale des gouttelettes est de l’ordre d’une centaine de microns alors que la suspension est chargée en particules solides nano à micrométriques (suivant l’application). Les propriétés des grains formés, comme leur forme, densité, surface spécifique ou teneur résiduelle en solvant, dépendent de la technologie d’atomisation, des conditions opératoires du séchoir et, bien évidemment, des propriétés physico-chimiques de la suspension, de la concentration, morphologie et granulométrie des particules que l’on souhaite agglomérer de façon contrôlée. Tous ces paramètres et conditions font que la variabilité des propriétés des grains peut être très importante. Leur forme peut notamment varier de manière importante, en passant de la sphère pleine ou creuse, à une forme torique (en donuts). Il en est de même pour leur résistance mécanique par exemple, ce qui n’est pas sans poser de problèmes pour la manutention et les procédés de mise en forme. D’un point de vue académique, ce procédé de séchage par atomisation apparait extrêmement complexe, de par la multiplicité des phénomènes et étapes mis en jeux (physico-chimie, atomisation, turbulence, transferts de chaleur et de masse…) mais aussi des échelles spatiales et temporelles (de la tour de séchage décamétrique à celles des nanopores, ou du temps caractéristique du mouvement Brownien des nanoparticules, au temps de transport des gouttes dans le séchoir). Aussi, on ne s’étonnera pas du fait que le développement des unités de séchage actuellement en production s’est largement appuyé sur le développement de pilotes industriels. Le problème est qu’à partir de l’analyse du produit final, il est souvent très difficile de comprendre les mécanismes physiques fondamentaux ou, de manière plus pragmatique, de corréler les propriétés du produit final aux paramètres opératoires du procédé [1, 2]. Que ce soit sur un pilote industriel ou une installation industrielle, cette approche empirique, coûteuse en temps et financièrement, n’est plus d’actualité et serait de plus hasardeuse dans la mesure. D’un autre côté, la modélisation complète du procédé avec une approche du type calcul de dynamique des fluides (CFD) semble extrêmement coûteuse. Elle requiert par ailleurs une compréhension fine des phénomènes et donc, dans l’état actuel de nos connaissances, des expériences analytiques complémentaires.

Différents procédés industriels

Les technologies et procédés de séchage peuvent différer de manière notable en fonction de la forme du produit injecté (suspension liquide, poudre cohésive ou granulaire, …) et celle du produit final souhaité (particules fines, fonctionnalisées, …). Pour aider les industriels à effectuer une première évaluation précise du procédé à mettre en œuvre, de la capacité nécessaire et de son coût, on peut se référer aux retours d’expériences et aux règles de dimensionnement décrits dans la littérature [22]. Les types de sécheurs les plus largement utilisés (lits fluidisés, convoyeurs, …) reposent sur les trois grands modes de transferts thermiques que sont la convection, la conduction et le rayonnement, avec une prédominance pour la convection et le mode continu. Le mode de chauffage direct est le plus couramment utilisé puisque beaucoup plus efficace qu’un mode indirect. En effet, avec le chauffage direct il n’y a aucune perte thermique de sorte que toute l’énergie de chauffage est disponible pour le processus de séchage. Cependant, ce mode n’est pas toujours possible, notamment lorsqu’il y a un risque de contamination du produit final.

Séchage par atomisation

Pour la production en continu d’une poudre fine à partir de suspensions colloïdales, le procédé le plus utilisé et le plus performant est le séchage par atomisation (spraydring en anglais) . L’atomisation permet de retirer l’eau ou d’autres volatiles de matériaux pâteux, ou bien de sécher des solutions ou des suspensions liquides [1, 2, 3, 4, 5]. Les paramètres qui influent sur la pulvérisation sont les caractéristiques du fluide (masse volumique, viscosité, tension de surface), les propriétés de la buse (angle de spray, forme de spray, taille de l’orifice) et les paramètres opératoires (pression et débit du fluide, température).

Procédé générique

Le séchage par pulvérisation est un processus continu qui se fait en une seule étape. Une fois produites par le système d’atomisation, les gouttes sont séchées par mise en contact avec de l’air chaud à une hygrométrie relative bien définie. La capacité d’une unité de séchage peut varier de quelques kilogrammes à plus de 50 tonnes par heure. Le processus complet peut être résumé ainsi :
– le liquide d’alimentation est pompé depuis le réservoir et dirigé vers le dispositif de pulvérisation (disque rotatif, buse sous pression, buse pneumatique, voire buse ultrasonique) ;
– l’air de séchage est conduit depuis l’atmosphère à travers un ventilateur, un réchauffeur puis un distributeur ;
– les gouttes sont mises en contact avec l’air chaud dans la chambre de séchage ; une partie des grains séchés est entrainée par l’air et dirigée vers le cyclone ;
– la séparation est ensuite effectuée au niveau du cyclone.

Il ressort clairement de la littérature que le choix du système d’atomisation est crucial dans une opération unitaire de séchage et qu’il doit être sélectionné avec la plus grande attention. En pratique, selon la nature du produit à sécher et le produit final recherché, les industriels s’orientent vers une technique plutôt qu’une autre .

Dans le cas des fluides et particules, essentiellement deux grands types de systèmes d’atomisation sont utilisés : les dispositifs centrifuges de type moulins tournants et les buses sous pression mono ou bi-fluides . A noter que d’autres dispositifs, comme les atomiseurs ultrasoniques et électrostatiques, sont employés pour des applications nécessitant de petites quantités de produits de faible poly dispersion (atomiseurs électrostatiques) ou très fins (atomiseurs ultrasoniques).

Pulvérisation

Il existe différents systèmes de pulvérisation. Les systèmes principalement utilisés sont la roue d’atomisation et les buses d’atomisation pneumatiques [24]. Dans le cas des roues d’atomisation, très utilisées dans l’industrie (voir la Figure 3), le filament produit par chaque orifice représente une étape intermédiaire entre l’orifice et les gouttes formées. Son atomisation est principalement contrôlée par : (i) les forces de cohésion qui sont liées à la tension superficielle et aux interactions entre les molécules du liquide et les suspensions solides au sein de la goutte, (ii) les forces de rupture qui se résument principalement à des forces gravitationnelles et des forces aérodynamiques (dues à la vitesse de glissement entre le filament et l’air qui l’entoure) en régime laminaire ou turbulent. Mais dans le cas d’une vitesse du fluide importante à l’intérieur de la buse, le phénomène de cavitation peut apparaître. Une vitesse élevée provoque une baisse conséquente de la pression statique qui entraine la formation de poches de vapeur susceptibles d’exploser et ainsi de contribuer à la pulvérisation. Ces effets sont généralement renforcés par l’utilisation d’orifices divergents et, à l’inverse, atténués dans le cas d’orifices convergents. A noter qu’en faisant varier la vitesse de rotation des roues d’atomisation, on peut ajuster (dans une certaine mesure) la granulométrie des gouttes [24] .

Caractéristiques des suspensions colloïdales étudiées

La boehmite, précurseur d’alumine

Le raffinage pétrolier consiste à transformer les différents bruts afin de produire une diversité de composés commercialisables. Certaines unités de transformation utilisent des catalyseurs pour « activer » certaines réactions en phase liquide ou gaz. Les catalyseurs hétérogènes sont très employés parce qu’ils peuvent être plus facilement régénérés à la fin du cycle. Ils sont constitués d’une phase active dispersée sur un support .

Deux inconvénients majeurs de la catalyse hétérogène sont la limitation des transferts de matière (diffusion des réactifs et des produits entre le support et la phase fluide) et des transferts de thermiques (cas des réactions exothermiques). Ces limitations peuvent affecter l’activité et la sélectivité du catalyseur, ainsi que sa stabilité, sa surface spécifique (volume et diamètre poreux) et diminuer ainsi considérablement les performances globales. Dans les procédés de raffinage, l’alumine est le support catalytique le plus utilisé. Il s’agit d’une céramique présentant une bonne stabilité thermique [27], une gamme de surfaces spécifiques relativement large [28, 29], une acidité modérée [30] et un caractère amphotère (peut jouer le rôle d’acide ou de base) [31], et de plus, c’est un matériau relativement bon marché. L’alumine est obtenue après calcination d’hydroxydes d’aluminium. Il en existe différents types avec des structures cristallographiques différentes .

L’obtention d’alumine γ  nécessite plusieurs étapes avant l’obtention du support catalytique. La première étape consiste en la synthèse de la boehmite. La boehmite peut être synthétisée par voie sol gel, c’est-à-dire par hydrolyse d’alcoxydes d’aluminium. Comme les réactifs coûtent très cher, la synthèse par précipitation de sels inorganiques est préférée industriellement. Un schéma de la chaîne de fabrication de supports catalytiques est présenté sur la Figure 8 (b). À la fin de la synthèse, la suspension est filtrée, lavée, et le gel (appelé « gâteau » dans le jargon technique) est séché. La poudre obtenue est ensuite broyée, puis mise en forme par malaxage et extrusion. Le malaxage consiste à mélanger la poudre avec des additifs de façon à obtenir une pâte dont les propriétés rhéologiques sont optimisées pour l’étape d’extrusion. Les additifs permettent également l’amélioration des propriétés mécaniques des extrudés et l’augmentation de la porosité du produit final. Le malaxage est en fait réalisé en deux étapes. Dans un premier temps, un malaxage acide est réalisé pour disperser la poudre et donc séparer les particules entre-elles.

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Table des matières

Introduction
Chapitre 1 Eléments bibliographiques
1.1 Différents procédés industriels
1.2 Séchage par atomisation
1.2.1 Procédé générique
1.2.2 Pulvérisation
1.3 Caractéristiques des suspensions colloïdales étudiées
1.3.1 La boehmite, précurseur d’alumine
1.3.2 Silice colloïdale
1.4 Eléments sur la stabilité des suspensions
1.4.1 Force de Van der Waals et double couche électrique (modèle DLVO)
1.4.2 Potentiel zêta et stabilisation
1.4.3 Autres forces (hydrodynamique, liaison hydrogène, …)
1.4.4 Mouvement Brownien
1.5 Etudes expérimentales sur le séchage de gouttes de suspensions colloïdales
1.5.1 Gouttes sur un substrat
1.5.2 Gouttes confinées
1.5.3 Séchage par atomisation
1.5.4 Gouttes en lévitation acoustique
1.6 Les modèles de séchage
1.6.1 Modèle quasi-stationnaire et radial d’évaporation d’un fluide (loi en D²)
1.6.2 Modèles d’évaporation de fluides complexes
1.7 Conclusion
Chapitre 2 Modèle numérique de séchage d’une goutte de fluide complexe
2.1 Introduction
2.2 Cœur rétrécissant et formation de la première croûte
2.3 Séchage de la croûte
2.4 Réduction du cœur et épaississement de la croûte
2.5 Isothermicité de la particule
2.6 Etude de sensibilité dans le cas de l’eau
2.7 Modélisation de la déformation mécanique
2.7.1 Description de la géométrie du tore
2.7.2 Calcul du volume du tore
2.7.3 Modèle de déformation
2.8 Résultats numériques du séchage d’une goutte de silice colloïdale
2.9 Conclusion
Chapitre 3 Description des techniques expérimentales et diagnostics
3.1 Lévitation acoustique
3.1.1 Principe d’un lévitateur acoustique : bilan simplifié des forces
3.1.2 Ecoulements internes et externes induits par le champ acoustique
3.1.3 Advection des tourbillons externes par un jet gazeux
3.1.4 Modes propres d’oscillations de la goutte
3.1.5 Conclusion
3.2 Chambre d’évaporation
3.2.1 Description générale
3.2.2 Banc de régulation des fluides et contrôle des températures
3.2.3 Convergents-réflecteurs acoustiques
3.2.4 Gestion informatique de la boucle fluide
3.3 Instrumentations optiques
3.3.1 Technique PIV : dynamique de la phase gazeuse
3.3.2 Imagerie ombroscopique : morphologie de la goutte
3.3.3 Imagerie surfacique : tests sur l’état de surface de la goutte
3.3.4 Diffractométrie arc-en-ciel : diamètres et composition de la goutte
3.3.5 Logiciel de post-traitement des données ombroscopiques et arc-en-ciel
3.4 Analyses post-mortem des grains finaux
3.5 Conclusion
Chapitre 4 Diagnostics optiques particulaires : principes, modèles de diffusion et d’inversion
4.1 Imagerie
4.1.1 Modélisation simplifiée de la formation d’une image en transmission
4.1.2 Méthode numérique d’analyse des images ombroscopiques
4.1.3 Imagerie avec éclairement diffus ou coaxial
4.2 Diffractométrie arc-en-ciel classique : particules sphériques et homogènes
4.2.1 Le phénomène d’arc-en-ciel sur goutte sphérique et homogène
4.2.2 Principe et état de l’art de la technique de diffractométrie arc-en-ciel
4.3 Diffractométrie arc-en-ciel : particules sphériques non homogènes
4.3.1 Approche par les milieux effectifs
4.3.2 Autres approches
4.4 Diffractométrie arc-en-ciel : particules non-sphériques
4.4.1 Modèle de Moebius et tracé de rayon basique
4.4.2 Modèle d’optique géométrique avancé et inversion
4.5 Conclusion
Conclusion

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