Défauts géométriques en usinage
Classification des défauts géométriques et de leurs origines
L’exactitude est une des préoccupations majeures des usineurs. Elle peut être définie comme le degré de conformité entre une pièce finie et le plan qui spécifie ses dimensions (Ramesh et al., 2000a). Le procédé d’usinage est un procédé de fabrication soustractive où un outil coupant vient retirer de la matière localement sur une pièce par l’intermédiaire de mouvements relatifs entre l’outil et la pièce. L’exactitude de ce procédé dépend notamment de la capacité de la machine-outil à positionner l’outil relativement à la pièce pour produire une surface conforme au dessin de définition. En réalité, les sources d’erreurs en usinage sont multiples et peuvent être classées dans quatre catégories. Les erreurs liées à la machine-outil, au matériau usiné, au procédé de coupe en lui-même et à l’environnement. Deux types de défauts géométriques sont considérés. Le premier type de défaut est lié à une interférence négative ou positive entre l’outil et la pièce. Ces interférences créent des défauts dimensionnels qui se traduisent respectivement par un sous enlèvement ou un sur-enlèvement local de matière. Un sous-enlèvement de matière est appelé « défaut d’undercut » dans la suite de cette étude. Le deuxième type de défaut se caractérise par des distorsions à l’échelle de la pièce. Les distorsions désignent dans la suite de l’étude les changements indésirables de forme de la pièce qui peuvent apparaitre au cours de la fabrication (Brinksmeier et al., 2007).
Erreurs liées à la machine-outil et son environnement
Les erreurs propres à la machine-outil peuvent être liées à sa géométrie et à sa cinématique, ellesmêmes affectées par divers phénomènes liés à l’environnement ou la mise en œuvre du procédé .
Malgré les nombreux travaux et développements visant à perfectionner les machines-outils aussi bien vis-à-vis de leur structure que de leur commande numérique, il reste impossible de fabriquer une machine parfaite ne générant aucune erreur à l’issue du procédé d’usinage. En effet, tout assemblage mécanique nécessite la présence de jeu pour fonctionner. La plus exacte des machines n’est pas infiniment rigide et possède des défauts géométriques dont les plus connus sont: rectitude et planéité des glissières d’axes de translation, alignement de l’axe de broche, perpendicularité des axes entre eux, erreur de positionnement (Chen, 1995 ; Viprey, 2016). Mekid et Ogedengbe (2010) classent les sources d’erreur en fonction de leur sévérité et dressent le constat suivant ; une machine ayant une conception et un assemblage « parfait » reste sujette aux déviations induites par la thermique, les sollicitations statiques et dynamiques ou à l’environnement. Il est donc plus économique de réduire l’erreur volumétrique par des stratégies de compensation plutôt que d’essayer de concevoir et fabriquer une machine « parfaite ». Ces stratégies tendent à modifier la position commandée de l’outil par rapport à la position nominale issue de la Fabrication Assistée par Ordinateur (FAO). Ces approches de compensation ne sont possibles que si les sources d’erreurs sont mesurables. Ramesh et al. (2000a, 2000b) présentent des méthodes standards de mesure d’erreur volumétrique sur machineoutil et différentes stratégies et méthodologies de compensation. Schwenke et al. (2008) synthétisent les avancées plus récentes sur les mêmes problématiques de mesure des défauts géométriques des Machines-Outils à Commandes Numériques (MOCN) et les méthodes de compensation. Un changement de stratégie est observé chez les producteurs de machines qui intègrent de plus en plus ces compensations d’erreurs systématiques dans leur Commande Numérique (CN). Les principaux freins à ces développements restant la forte dépendance à la thermique et la tendance des méthodes de compensation à créer un phénomène d’hystérésis (frottement sec).
En définitive, l’exactitude d’une machine-outil moderne se situe entre 1 µm et 10 µm pour une machine de haute exactitude (Ramesh et al., 2000a) et entre 10 et 50 µm pour une machine standard. Si la précision de la machine est un des paramètres entrant dans la conformité de la pièce réalisée par usinage, les conditions de coupe et le matériau usiné, étudiés au paragraphe suivant, peuvent donner lieu à des défauts géométriques dont l’ordre de grandeur est supérieur.
Déformations élastiques de la pièce
Dans cette partie les déformations élastiques de la pièce pendant le bridage et sous sollicitation statique des efforts de coupe pendant l’usinage sont traitées séparément. Pendant le bridage, le système de serrage applique des efforts à la pièce ce qui induit des déformations élastiques. Cela peut avoir deux conséquences : dégrader la qualité géométrique finale de la pièce et compromettre son maintien et sa mise en position. En ce qui concerne les déformations, des défauts d’overcut et d’undercut sont observés respectivement proche et loin des points de serrage. Dans le cas de l’usinage de pièces cylindriques de faible épaisseur, Brinksmeier et al. (2007) montrent que le nombre de mors et l’effort de serrage jouent un rôle majeur dans l’apparition de tels défauts. Par exemple, l’usinage intérieur ou extérieur d’une pièce cylindrique de faible épaisseur bridée dans un mandrin à trois mors conduit inévitablement à un défaut trilobique lorsque la pièce est débridée .
Dans le cas de pièces de grandes dimensions, telles que les disques, présents dans les moteurs à réaction ou les turbines, les systèmes de fixation sont souvent hyperstatiques et ajoutent de la déformation à la pièce au moment du bridage. Par conséquent, un défaut de forme apparait lors du débridage par retour élastique [Gonzalo et al., 2017]. Les défauts liés au système de bridage sont une des principales causes de rejet de pièces [Radcliffe, 1971].
Pendant l’usinage, la pièce est soumise à des efforts de coupe. Dans le domaine élastique, il y a une relation de proportionnalité entre l’effort appliqué et la déformation résultante de la pièce. La constante de proportionnalité est la raideur (ou la souplesse) de la structure au point d’application des efforts. La raideur est une grandeur locale qui traduit la capacité d’une structure à résister à une déformation sous sollicitation mécanique. Elle dépend de la rigidité du matériau (module d’Young et coefficient de Poisson) et de la géométrie de la pièce. Les pièces ou portions de pièce possédant une faible raideur ont donc tendance à se déformer pendant l’usinage ce qui occasionne inévitablement un défaut d’undercut. Les pièces utilisées en aéronautique sont de plus en plus minces afin d’optimiser le rapport poids/résistance mécanique. De nombreuses études existent sur le fraisage des aubes de turbines ou de compresseurs [Ma et al., 2018, Yan, 2018]. Ces pièces ont la particularité d’avoir des géométries complexes avec une rigidité hétérogène le long de la trajectoire de l’outil. De nombreuses études se concentrent sur la modélisation des efforts de coupe et de la raideur locale de pièces flexibles, afin de compenser le défaut d’undercut.
Augmentation de la température de la pièce
Le procédé d’usinage utilise l’énergie mécanique procurée par la machine pour cisailler la matière. Pendant la coupe, une grande partie du travail de déformation est transformée en chaleur. La majorité de cette chaleur est évacuée dans le copeau et dans l’outil [Artozoul et al., 2015] mais une partie est transmise à la pièce. Dans certaines conditions de coupe comme le tournage à sec, l’élévation de la température de la pièce peut être importante. Cela représente une augmentation de la température de la pièce de plusieurs dizaines de degrés ([Klocke et al., 2013] dans l’acier AISI 1045 et Schindler et al. (2013) dans un alliage d’aluminium de série 2000). Cela a deux conséquences : premièrement, quand la température augmente, la pièce se dilate, ce qui entraine un défaut d’overcut après refroidissement de la pièce dans le cas du tournage extérieur. Un défaut d’undercut apparait dans le cas du tournage intérieur ou du perçage. Schindler et al. (2013) observent, dans le cas du chariotage en usinage extérieur d’un barreau d’aluminium à sec avec des plaquettes PCD à Vc = 300 m/min, un défaut d’overcut de 25 microns au diamètre. Ce défaut, dépend du diamètre de la pièce usinée, et correspond à la dilatation thermique liée à l’augmentation de température de 40°C mesurée à la surface de la pièce pendant l’usinage. Deuxièmement, selon le gradient de température qui s’établit à l’échelle de la pièce, des distorsions peuvent apparaitre pendant l’usinage provoquant aussi des défauts géométriques.
Rééquilibrage des CR pré-usinage
Les traitements de mise en forme (forge, laminage,…) et les traitements thermiques (trempe, revenu…) introduisent un champ de contraintes résiduelles dans le volume de la pièce, appelées CR pré-usinage dans la suite de l’étude. Les contraintes résiduelles sont définies comme des contraintes mécaniques dans un corps solide à l’équilibre, qui n’est éventuellement pas exposé à des forces ou des moments extérieurs et qui ne contient pas de gradient de température [Denkena et al., 2008]. Le champ de contraintes résiduelles représente l’équilibre de la pièce et résulte de la superposition de contraintes à trois échelles :
➤ Contraintes macroscopiques : homogènes sur plusieurs grains, elles s’équilibrent à l’échelle de la pièce.
➤ Contraintes microscopiques quasi homogènes : homogènes sur un grain ou une partie d’un grain, elles s’équilibrent à l’échelle de plusieurs grains.
➤ Contraintes microscopiques non homogènes : hétérogènes à l’échelle du grain, elles s’équilibrent sur une petite partie de grain.
Pendant l’usinage, l’enlèvement de matière perturbe l’équilibre mécanique de la pièce ce qui entraine un rééquilibrage continu du champ de CR pré-usinage. Cela se traduit par des distorsions à l’échelle de la pièce. Les formes classiques de répartition de CR pré-usinage, à travers l’épaisseur, dans les pièces brutes sont rappelées par Li et al. (2018). Les procédés de pliage donnent lieu à des profils asymétriques suivant la profondeur « en Z » ou « en N » tandis que les pièces forgées, laminées ou coulées présentent plutôt un profil symétrique « en pont » ou « en M » .
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Table des matières
Sommaire
Introduction générale
a) Contexte industriel de l’étude et problématiques
b) Objectifs et verrous scientifiques
c) Démarche scientifique de la thèse
1. État de l’art : Caractérisation et modélisation des défauts géométriques pouvant apparaitre en finition sur des pièces flexibles.
1.1. Défauts géométriques en usinage
1.1.1. Classification des défauts géométriques et de leurs origines
1.1.2. Caractérisation des défauts géométriques et de leurs origines
1.1.3. Méthodologies de quantification de l’influence de chaque phénomène sur l’apparition de défauts géométriques
1.2. Inconel 718
1.2.1. Propriétés métallurgiques
1.2.2. Usinabilité
1.3. Zone Affectée par le Procédé d’Usinage
1.3.1. Différents aspects de l’intégrité de surface
1.3.2. Influence de l’intégrité de surface sur la fiabilité des pièces
1.3.3. Paramètres influents sur l’intégrité de surface
1.4. Modélisation et compensation des défauts en usinage
1.4.1. Déformation élastique de la pièce sous l’effet des efforts de coupe
1.4.2. Compensation des défauts liés au bridage de la pièce
1.4.3. Modélisation des défauts liés aux contraintes résiduelles
1.5. Conclusions de l’état de l’art
1.6. Délimitations du domaine d’étude
2. Usinabilité de l’Inconel 718 en tournage de finition
2.1. Introduction
2.2. Démarche expérimentale
2.3. Analyse préliminaire : Caractérisation de l’usinabilité de l’Inconel 718 avec un outil neuf.
2.4. Article publié dans JMPT : Modélisation des efforts de coupe avec l’usure de l’outil et caractérisation de l’intégrité de surface
1. Introduction
2. Study parameters and experimental setup
3. Generalised cutting force model when using a fresh tool
4. Cutting force model taking wear into account
5. Surface integrity analysis
6. Conclusions
2.5. Analyses complémentaires : Modèle d’efforts de coupe
2.6. Analyses complémentaires : Observation de la microstructure dans la ZAPU.
2.7. Bilan et perspectives
3. Observation et quantification de l’influence respective des phénomènes responsables de défauts géométriques
3.1. Introduction
3.2. Analyse préliminaire : Mesure de distorsions sur la face non usinée
3.3. Article publié dans JMP : Quantification de l’influence respective des CR d’usinage et de la déformation élastique de la pièce pendant l’usinage sur les défauts géométriques
1. Introduction
2. Scientific approach and experimental procedure
3. Study of geometrical errors resulting from machining induced residual stresses – Stiffened disc
4. Study of geometrical errors resulting from workpiece elastic deformation and machining induced residual stresses – Free disc
5. Conclusions
3.4. Analyse complémentaire : Traitement des résultats de mesure laser
3.5. Analyse complémentaire : Relation entre les distorsions et les CR introduites dans la ZAPU
3.6. Bilan et perspectives
4. Modélisation et compensation du défaut d’undercut lié à la déformation élastique de la pièce pendant l’usinage
4.1. Introduction
4.2. Analyses préliminaires : Modélisation du défaut d’undercut par une méthode analytique.
4.3. Article soumis dans IJAMT : Modélisation du défaut d’undercut par une méthode numérique
1. Introduction
2. Case study
3. Cutting force model considering tool wear
4. Modelling of location dependant stiffness
5. Undercut simulation and compensation
6. Conclusions
4.4. Analyses complémentaires : Modélisation et compensation du défaut d’undercut
4.5. Bilan et perspectives
5. Conclusions
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