Rolfing Intégration Structurale
Le Rolfing Intégration Structurale a été développé par Ida Rolf (1896-1979) dans les années 60 aux Etats-Unis. Il s’agit d’« une approche manuelle et éducative de la posture qui s’appuie sur le sens de la gravité et le travail sur les fascias. »
Par approche éducative, est entendu qu’un travail postural et de positionnement soit abordé avec le patient. Le but est que celui-ci optimise au maximum les mobilisations fasciales et qu’elles puissent s’inscrire dans la durée par un travail et une recherche consciente de la posture dans la vie quotidienne. «Il vise à retrouver un tonus adéquat et un réalignement autour d’un axe vertical, soutenu par la force gravitaire.»
Quant à la place des fascias au sein du corps humain, les praticiens en Rolfing utilisent la métaphore de la toile de tente. Hubert Godard, formateur le résume ainsi : Les piquets, c’est le squelette. […] Et les caoutchoucs qui tendent la toile de tente sont les muscles. La particularité des fascias, c’est qu’ils sont plastiques. C’est-à-dire que si la toile de tente est tendue, tordue pendant quinze jours, la toile va se déformer et va rester déformée.
Mais dans la mesure où c’est plastique, il y a toujours un retour possible et c’est le travail qu’on fait par des techniques de légères pressions sur l’ensemble des fascias, de redonner aux fascias la capacité d’avoir un squelette en accord avec la gravité.
Rolfing et psychomotricité
Comme énoncé plus haut, le Rolfing a cette propriété de s’intéresser à la posture, aux travers de l’effet de la pesanteur. Ce sont des éléments que la psychomotricité prend en compte, particulièrement dans le développement de l’enfant. Nous trouvons dans la littérature de nombreuses observations développementales ainsi que de l’organisation du bébé pour répondre à la pesanteur. Si la réponse du sujet met en lumière la tonicité pour le psychomotricien, le lien avec les fascias de par leur composition et leur rôle, pourrait être considéré comme le prolongement de la tonicité musculaire. Car, comme le rappelle B. Lesage, « L’organisation du fascia (l’orientation des fibroblastes notamment) reflète et mémorise d’une certaine façon la solidarité musculaire. Un geste peut donc être initié dans un muscle clé qui transmet mécaniquement la tension aux autres. »
C’est ainsi que posture et mouvement peuvent s’organiser, pas seulement sur une zone isolée, mais bien en corrélation et interdépendance sur l’ensemble du corps.
Si le Rolfing ne met pas directement en avant la relation, le travail que l’intervenant a pu effectuer dans ce cycle va bien évidemment impacter la posture des participants, leur gestualité, avec des conséquences sur le plan relationnel, aux niveaux individuel et groupal. Car il a permis par le toucher et les mobilisations, d’accéder à une relation au monde et à soi plus efficiente et conscientisée. Pris sous cet angle, psychomotricité et Rolfing sont bien de deux approches complémentaires.
Les silences empathiques, comme unité du groupe
Si au début de l’année, la dynamique groupale s’exprimait sur un versant agité, lors de ce cycle, elle s’est peu à peu transformée. Cette agitation a semblé plus incarnée, un peu comme s’il ne s’agissait plus de remplir l’espace, mais bien de le construire. Je dirais que cette énergie s’apparenterait plus à de l’émulation. S’il n’est pas possible de décrire plusieurs de ces moments, mon choix se portera sur les silences rencontrés, tant ils contrastent avec l’excitation des deux premiers mois.
Max Pagès, lors d’expériences auprès d’un groupe de formation a pu recueillir des éléments autour du silence. Les ressentis exprimés s’établissent sur deux versants, celui du plaisir et du déplaisir. «Ce que certains éprouvent comme refus, tension, impossibilité d’être soi, d’autres le ressentent comme détente, façon de s’impliquer, possibilité de s’exprimer.»
S’il est complexe dans le cas du groupe à médiation danse, de recueillir les paroles des participants autour de ces moments-là, ce sont les trois co-animateurs ainsi que la psychologue qui ont été touchés et ont mis en mots la texture de ces silences. Bien-sûr nos propres attentes ont peut-être biaisé nos éprouvés, mais nous sommes tombés d’accord sur cette qualité peu observée auparavant. Nous avons qualifié ces moments par l’expression silence empathique. Car c’est que nous avons ressenti, comme si chacun écoutait son propre silence, celui de l’autre et du groupe en même temps. Il s’agit bien là d’interprétation, de supposition. Mais ce sont des éléments qui permettent d’appréhender cette nouvelle étape que le groupe traverse.
M. Pagès rappelle que « l’expérience fondamentale du groupe est […] vécue comme immédiate. Nous entendons par là qu’elle tire son sens d’elle-même, et non d’un objet extérieur, individuel ou groupal, projeté dans le passé, le futur, ou l’environnement du groupe. »
Dans le cas de groupe de formation et cela me semble également applicable au groupe danse présenté ici, « cette expérience de solitude est partagée unanimement, dans une connivence sans effort, qui va de soi. »
C’est quelque chose de cet ordre que nous avons pu ressentir, le caractère naturel du moment où chacun accepte et se laisse aller à le vivre, comme une rêverie groupale et individuelle à la fois que l’auteur qualifie de paradoxe. Il y aurait donc pu y avoir un caractère commun à vivre son individualité.
Variation et évolution de la dynamique groupale
« Un groupe s’organise au moins momentanément autour [d’une] identité commune […] Chacun garde son identité propre, mais il s’y ajoute une part d’identité commune dont la somme constitue l’enveloppe groupale. »
Le groupe qui nous intéresse dans ce travail, se réunit autour d’un prétexte commun, celui de faire un atelier danse. Cela pourrait être son identité extrinsèque. Ce qui constituerait son identité intrinsèque pourrait alors être la dynamique groupale. Or ce groupe traverse trois périodes et pour chacune, il présente une dynamique groupale spécifique pouvant être contenue par le phénomène d’enveloppe évoqué ci-dessus. Les trois ambiances décrites semblent être toutes admises par le groupe, y compris celle qui semble au premier abord la moins propice à un travail, à savoir l’agitation. Mais cette agitation, les silences empathiques, puis l’image de solidité ont bien une fonction pour ce groupe. Elles pourraient être un facteur d’équilibre. Si l’on reprend cette idée à une échelle biologique, il est alors possible d’évoquer l’homéostasie.
Il s’agit d’un concept avancé par Claude Bernard puis repris par Walter Bradford Cannon qui définit la «tendance de l’organisme à maintenir ou à ramener les différentes constantes physiologiques (température, débit sanguin, tension artérielle, etc.) à des degrés qui ne s’écartent pas de la normale.» Différents auteurs – rencontrés au décours de ce travail – dont Jean-Claude Rouchy, pionnier de la psychosociologie en France ; Antonio Damasio, neurologue – ont pu faire des parallèles entre homéostasie et organisation sociale.
Cette image peut dès lors s’appliquer au groupe dans la mesure où c’est un processus homéostatique qui procure au groupe une stabilité. L’intérêt étant pour le groupe d’en limiter les écarts, afin de poursuivre son existence dans le dispositif tel qu’il a été pensé.
Une autre idée vient assoir ici que les ambiances groupales puissent faire office d’organisateur. D. Houzel associe au concept d’enveloppe psychique celle de stabilité. Il évoque ainsi la stabilité de type structurel : « un système dynamique doué de stabilité structurelle est ainsi fait qu’il peut organiser en son sein des formes stables, bien qu’il soit en évolution permanente. »
Dans le cas de ce groupe à médiation danse, celui-ci constituerait le système dynamique, dont la stabilité structurelle pourrait être constituée par le cadre de la séance, complétée par l’agitation, les silences empathiques, la solidité du groupe en tant qu’identité propre des participants.
L’auteur ajoute « qu’un système dynamique ne peut être structurellement stable que s’il échange de l’énergie avec son environnement. »
On peut également supposer que les dynamiques observées constituent des indices de relation avec l’environnement. L’environnement peut-être entendu dans ce cadre par les animateurs. Il y a alors une boucle relationnelle qui vient alimenter le groupe.
Le cycle de vie du groupe : rencontre, régression, progression, séparation
J-C. Rouchy cite dans un article un élément qui pourrait ne pas relever de la stabilité mais qui consisterait à une autre tendance contradictoire : celle de transformer cette stabilité afin d’adapter le groupe à de nouvelles exigences et permettre le passage d’un niveau d’équilibre à l’autre. Ainsi l’idée d’un équilibre associé à chaque période n’est peut-être pas le seul mécanisme à l’œuvre. Peut-être que des mouvements opposés de préservation et de transformation du groupe coexistent. De quelles transformations pourraient-ils s’agir ?
C. Bertin, mais aussi Vincenzo Bellia, danse-thérapeute, lorsqu’ils abordent le fonctionnement groupal parle de cycle de vie, avec des temps forts : la rencontre, la régression, la progression et la séparation. Je fais donc ici l’hypothèse que les mouvements de transformations coexistant avec le mouvement homéostatique évoqué en début de cet item, permettent de traverser ces quatre temps forts de la vie groupale sur une séance mais aussi sur une année.
En ce qui concerne ce groupe à l’échelle d’une séance – que ce soit avec l’intervenant ou le reste de l’année – voici les séquences à rapprocher des différents temps forts. Le temps d’accueil et d’échange en cercle correspondrait à la rencontre qui permet en signifiant présences et absences de distinguer chacun et de désigner à la fois l’entité groupale.
L’échauffement correspondrait au temps de la régression. « Où le groupe est emporté par le processus groupal. [Il] se laisse alors travailler et traverser par des fantasmes, des émotions, des affects et des représentations […] »
La deuxième partie pourrait correspondre à l’étape de progression. Il s’agit du « temps de la “remontée“ où l’on sort peu à peu des vécus très impliquants ou mobilisants, trop bouleversants… Nous retrouvons peu à peu un état de conscience plus tranquille et apaisé. »
Les séances se terminent toutes par le rituel de fin qui correspond à la séparation délimitant vécu groupal et individuel, différenciation et individuation.
A présent, revisitons les trois périodes relatées dans la partie I à la lumière de ces étapes. Le temps de la rencontre s’est probablement effectué en mon absence – je n’étais pas présente à la première séance. Elle a d’autant plus de raison d’être écourtée que les participants se voient dans la structure et qu’ils connaissent le dispositif depuis plusieurs années.
L’étape de régression se situerait sur la période avant l’arrivée de l’intervenant. Pierre Privat et Dominique Quélin-Souligoux la nomment période initiale. « La mise en groupe comme toute situation [ici relativement] nouvelle, induit […] une certaine excitation libidinale, et, de ce fait, suscite un mouvement régressif. […]Chacun se sent donc, d’emblée menacé, non seulement de débordement pulsionnel, mais aussi de la perte d’individualité. »
Les participants connaissent les contenus qui peuvent être proposés, tandis qu’avec l’intervenant, il y aura plus de nouveaux exercices. Et le travail sur le plan postural peut venir toucher des choses profondes quant à leur façon d’être au monde. Pour autant, ils réagissent de façon plus apaisée à ce travail. Cela voudrait donc dire que c’est la mise en groupe – et peut-être mon arrivée – qui a suscité cet aspect régressif. Et la période avec l’intervenant serait celle de la progression.
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Table des matières
INTRODUCTION
PARTIE I : HISTOIRE D’UN GROUPE DANSE EN IME
Chapitre 1 : Le temps de la rencontre, premières impressions
1. Présentation du groupe : médiation, cadre, dispositif, participants
2. Clinique, une séance ordinaire ?
3. Contenu des séances
A. Premier temps de la séance : échauffement articulaire
B. Deuxième temps de la séance : descriptions des séquences possibles
C. Troisième temps : rituel de fin
4. Retours et observation
A. Constellation des participants : liens, alliances et mésalliances
B. Variations de la dynamique au sein de l’espace-temps de la séance
Chapitre 2 : Un intervenant extérieur, une autre approche corporelle
1. Présentation
A. Historique des interventions
B. Rolfing® Intégration Structurale
C. Rolfing et psychomotricité
2. Contenu des séances
A. Temps d’accueil
B. Premier temps de la séance : échauffement par système
C. Deuxième temps de la séance : descriptions des séquences possibles
3. Clinique, la dernière séance
4. Retours et observations
A. Ce que les participants retiennent
B. Ce que nous avons observé, évolutions sur un plan individuel
C. Les silences empathiques, comme unité du groupe
D. Apport d’un intervenant extérieur à la structure
Chapitre 3 : Ce qu’est devenu le groupe après le départ de l’intervenant
1. Une séance comme avant ?
2. Les participants : évolution individuelle
Chapitre 4 : Sortons de la salle, les autres espaces et l’environnement fréquentés par les patients
1. Clinique, Sybille ou « l’ex-pression » face à la violence
2. L’institution
A. Fonctionnement institutionnel durant le 1er trimestre
B. Clinique, remous et conséquences d’interventions avec un praticien en Rolfing
C. Enjeu fantasmatique autour du groupe
3. De l’enveloppe familiale à l’enveloppe institutionnelle
PARTIE II : CARACTERISATION ELARGIE DE LA VIE DU GROUPE
Chapitre 1 : Evolutions sur plusieurs mois
1. Variation et évolution de la dynamique groupale
2. Le cycle de vie du groupe : rencontre, régression, progression, séparation
Chapitre 2 : Caractérisations des espaces, de leurs fonctions et inter-influence entre eux
1. Espace individuel
2. Espace groupal, enveloppe groupale
3. Caractéristiques de l’enveloppe institutionnelle et familiale
4. Adaptations sujet-environnement
A. Adaptation de l’individu-environnement, par D. W. Winnicott
B. Adaptation du sujet par la tonicité, par B. Lesage
5. Recherche d’un modèle intégratif et représentatif de ma démarche
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXE
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