Les aquifères karstiques se distinguent des autres aquifères par leur complexité structurale, hydrodynamique et hydrochimique. L’hétérogénéité spatio-temporelle des données climatiques d’entrées et du système karstique causent des processus d’écoulement non-linéaires, difficiles à modéliser. De plus, ces processus diffèrent selon qu’ils interviennent dans la zone vadose (constituée du sol, de l’épikarst et de la zone non saturée) ou dans la zone saturée. La zone non saturée joue un rôle crucial dans la dynamique des aquifères karstiques, même si le fonctionnement de cette zone est encore mal compris. Le manque d’accès direct à la zone non saturée, autres que les cavités spéléologiques, dans lesquelles les réseaux d’écoulements sont déjà structurés, rend difficile la caractérisation de l’ensemble des processus hydrodynamiques et hydrochimiques qui s’établissent dans cette zone. Cette caractérisation est généralement effectuée de façon indirecte, par déconvolutions hydrodynamiques et hydrochimiques de mesures réalisées aux exutoires. Depuis deux décennies, ce genre d’approche a permis un réel progrès dans la compréhension du fonctionnement de la zone non saturée. Toutefois, des travaux récents menés au Laboratoire Souterrain à Bas Bruit de Rustrel-Pays d’Apt (LSBB) (Garry et al., 2008; Blondel et al., 2010 ) ont montré qu’une approche à partir de mesures directes au sein de cette zone doit permettre de préciser/compléter la connaissance du rôle et du fonctionnement de cette zone non saturée.
Ce travail repose sur l’analyse de 8 années de chroniques hydrodynamiques et hydrochimiques, obtenues directement au sein de la zone non saturée durant des périodes climatiques contrastées. Ces mesures directes ont été réalisées dans une galerie souterraine, le LSBB. Cette galerie de près de 4 km de long s’enfonce sous la roche de 30 à 500 m de profondeur, et recoupe ainsi de façon arbitraire les réseaux d’écoulements au sein de la zone non saturée. Entre 2004 et 2012, les écoulements ont été suivis et caractérisés au niveau de 44 points d’écoulements répartis tout au long de la galerie.
Les aquifères karstiques
Afin de définir et de comprendre les processus hydrodynamiques et hydrochimiques qui ont lieu au sein de la zone non saturée des aquifères karstiques, ce chapitre présente ce type d’hydrosystème de façon générale : leur formation/genèse, leurs spécificités, leurs structures, et le fonctionnement de chaque sous-système pouvant constituer le karst.
Définition et généralités
Le mot « karst » vient du mot slovène « kras » qui désigne une région du nord-est de l’Adriatique, située entre le golfe de Trieste, la vallée la Vipava, la vallée de la Rasa et le secteur de Recka (Bignot, 1972). Cette région est composée d’un plateau calcaire qui présente une morphologie bien particulière de vallées sèches et de dépressions fermées. Son sous-sol compte de nombreux gouffres, grottes et rivières souterraines. Bakalowicz (1999) définit le karst de la manière suivante : « le karst est l’ensemble des formes superficielles et souterraines résultant de la dissolution des roches carbonatées (calcaire, dolomie) par l’eau rendue acide par l’acide carbonique; par extension l’ensemble des formes comparables se développant dans les roches salines (gypse, anhydrite, halite) ». Les aquifères karstiques incluent toutes les entités géologiques karstifiées qui contiennent de l’eau souterraine (Perrin et al., 2003).
A l’échelle mondiale, le karst affleure sur 10 à 15 % de la surface des continents (Gunn et Lowe, 2000 ; Ford et Williams, 2007) et 35 % du continent européen (Perrin et al., 2003). Les eaux souterraines karstiques représentent donc une ressource actuelle et future de première importance pour l’alimentation en eau potable de la population mondiale (Goldscheider, 2002).
Spécificités du karst
La principale caractéristique d’un aquifère karstique est l’organisation évolutive de son hétérogénéité. Ainsi pour un système karstique, il est quasiment impossible de définir un VER (Volume Elémentaire Représentatif), au même titre que pour un aquifère poreux ou fissuré. Les roches carbonatées étant solubles à l’eau, l’aquifère karstique est soumis à une évolution morphologique constante. Le processus de karstification entraine l’élargissement des vides originels de façon hiérarchisée et l’augmentation de la porosité. L’organisation de cette hétérogénéité se traduit par le développement d’un réseau de conduits de perméabilité importante et de dimensions généralement inconnues. Ce réseau est compris dans un volume de roches fracturées de faible perméabilité et est connecté à un exutoire, le plus souvent une source karstique (Perrin et al., 2003). Selon Kiraly (1998), la dualité des aquifères karstiques est donc la conséquence directe de cette structure particulière :
• dualité des processus d’infiltration (infiltration lente dans les volumes à faibles perméabilités et infiltration rapide à travers les réseaux de conduits),
• dualité des conditions de décharge (écoulement diffus à partir des volumes à faibles perméabilités, débits importants à l’exutoire à partir des réseaux de conduits).
Propriétés structurales et physico-chimiques des roches karstifiables
Propriétés structurales des roches karstifiables
La circulation et le stockage des eaux souterraines dans un aquifère karstique sont conditionnés par l’agencement géologique de la fracturation de l’aquifère. Les caractéristiques litho-stratigraphiques de celui-ci déterminent sa géométrie, sa structure et ses propriétés hydrodynamiques et géochimiques :
• Fonction capacitive (ou réservoir) caractérisée principalement par la porosité matricielle ou de fracture selon l’aquifère, qui caractérise le stockage et contrôle le soutien des débits d’étiage
• Fonction transmissive avec la perméabilité qui conditionne l’écoulement de l’eau souterraine de la zone vadose jusqu’à l’exutoire,
• Fonction d’échanges caractérisée par les processus d’interactions physico chimiques entre l’eau souterraine et la roche réservoir.
La porosité et la perméabilité du réservoir organisent la circulation des eaux souterraines et déterminent donc la morphologie et l’interconnexion des vides karstiques. Cependant, l’hétérogénéité du milieu et les propriétés physico-chimiques des roches karstifiables (carbonatées) peuvent faire évoluer ces deux paramètres (porosité et perméabilité).
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Table des matières
INTRODUCTION
Chapitre 1 : Caractérisation d’un système karstique : généralités, système d’étude et méthodes d’analyses
I. Les aquifères karstiques
A. Définition et généralités
B. Spécificités du karst
1. Propriétés structurales et physico-chimiques des roches karstifiables
1.1. Propriétés structurales des roches karstifiables
1.2. Propriétés physico-chimiques des roches karstifiables
2. La karstification
2.1. Définition
2.2. Principe de la karstification
3. Notions de système ouvert et de système fermé
C. Structure et fonctionnement du système karstique
1. Variabilité des systèmes karstiques
2. Caractérisation du système karstique
3. Sol
4. Epikarst
4.1. Définition et rôle
4.2. Représentation de l’épikarst
5. Zone Non Saturée
5.1. Définition et rôle
5.2. Représentation de la Zone Non Saturée
6. Zone Saturée
II. Site de recherches – Méthodes d’analyse et de prélèvements, précision et validation
A. Site de recherches, le Laboratoire Souterrain à Bas Bruit
1. Contexte géologique
1.1. Géologie structurale
1.2. Unités lithologiques
2. Le système karstique de Fontaine de Vaucluse
2.1. Contexte hydrogéologique
2.2. Contexte climatique
2.2.1. Station de suivi climatique et calcul de l’évapotranspiration
2.2.2. Bilan climatique de la région (entre 2004 et 2012)
2.2.3. Pluies efficaces entre mai 2004 et septembre 2012
3. Le Laboratoire Souterrain à Bas Bruit (LSBB), accès unique à la zone non saturée
3.1. Description du site et historique
3.2. Intérêt scientifique du site
3.3. Contexte hydrogéologique et pédologique
3.4. Dispositifs de terrain et périodicité d’échantillonnage
B. Méthodes de prélèvements
1. Méthodes d’analyses hydrochimiques
1.1. Mesures des paramètres physico-chimiques in-situ
1.2. Mesures en laboratoire
1.2.1. Anions
1.2.2. Cations
1.2.3. Carbone Organique Total (COT)
2. Echantillonnage et périodicité des prélèvements
Chapitre 2 : Caractérisation des écoulements au sein de la zone non saturée d’un système karstique
I. Etat des connaissances hydrodynamiques et hydrochimiques de la zone non saturée du système
karstique de Fontaine de Vaucluse
II. Etude hydrodynamique des écoulements au sein de la zone non saturée
A. Variabilité hydrodynamique des écoulements
B. Conditions d’activation des écoulements
1. Relations pluies-débits : variabilité temporelle
2. Relation entre les précipitations et le nombre de points d’écoulement actifs
3. Classification hydrodynamique des écoulements au sein de la zone non saturée
3.1. Ecoulements lents
3.2. Ecoulements rapides
3.3. Ecoulements intermédiaires
C. Organisation spatio-temporelle des écoulements au sein de la zone non saturée
1. Caractérisation géologique des points d’écoulement
2. Relation entre la fracturation et la localisation des points d’écoulement
3. Relation entre la profondeur et la localisation des points d’écoulement
4. Relation entre la fracturation, la profondeur et l’organisation spatiale des point
d’écoulement
5. Synthèse
D. Schéma conceptuel hydrodynamique des écoulements au sein de la ZNS
III. Etude hydrochimique des écoulements au sein de la zone non saturée
1. Magnésium : source et variations théoriques
2. Matière organique : sources et variations théoriques
3. Chlorure, traceur conservatif
4. Nitrate
5. Sulfate, traceur de l’infiltration
6. Bicarbonates, traceurs relatifs aux processus de dissolution
7. Caractérisation hydrochimique globale des écoulements
8. Evolution temporelle des signaux chimiques en fonction de la pluie efficace sur la période d’étude
8.1. Evolution temporelle des éléments chimiques des points d’écoulement en fonction de la pluie durant la période sèche
8.2. Evolution temporelle des éléments chimiques des points d’écoulement en fonction de la pluie durant la période de reprise
8.3. Evolution temporelle des éléments chimiques des points d’écoulement en fonction de la pluie durant la période humide
8.4. Evolution temporelle des éléments chimiques des points d’écoulement en fonction de la pluie durant la période sèche post-humide
8.5. Evolution temporelle des éléments chimiques des points d’écoulement en fonction de la pluie durant la période sèche à événements extrêmes
9. Différentiation des 3 types d’écoulements par traçage naturel
9.1. Variation des teneurs en magnésium et en COT des écoulements lents
9.2. Relations entre les variations en COT et en magnésium sur tous les écoulements durant la période d’étude
9.3. Relation entre les variations des concentrations moyennes en magnésium et COT et les écart-types
10. Les traceurs de l’infiltration
10.1. Différentiation des écoulements avec le chlorure
10.2. Différentiation des écoulements avec le sulfate
10.3. Variations des concentrations en sulfates et en chlorures
11. Traceur des conditions géochimiques : les bicarbonates
Chapitre 3 : Synthèse générale et implications pour la caractérisation des écoulements au sein de la zone non saturée
CONCLUSIONS GENERALES
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