La formation des gonades et établissement de la lignée germinale : de la souris à la drosophile en passant par le ver à soie
L’absence totale du gène ovo chez les drosophiles femelles altère le développement des cellules germinales conduisant à une atrophie des ovaires et à la stérilité (Busson et al., 1983; Oliver et al., 1987). Trois mutations antimorphes et dominantes, ovoD1, ovoD2 et ovoD3 ont été identifiées. Si ces mutations permettent le développement des cellules germinales, elles bloquent de façon dominante l’ovogenèse. Lorsqu’elles sont combinées avec des mutations perte de fonction, il en résulte le développement de cystes anormaux contenant un grand nombre de cellules germinales ne se différenciant pas et formant des tumeurs ovariennes (Oliver et al., 1990). Le gène ovo, tout comme les gènes bag of marbles (bam) et sex lethal (sxl), appartient donc à la classe de gènes dont la dérégulation génère des tumeurs ovariennes (Pauli et al., 1990). Une étude détaillée du locus ovo a permis d’identifier un promoteur spécifique pour chaque forme protéique OvoA et OvoB (Andrews et al., 2000). Cela a permis de mettre en évidence qu’OvoB est exprimé pendant toute l’ovogenèse et qu’OvoA est exprimée seulement dans les stades tardifs. Cette même étude par une approche « simple hybride » a mis en évidence l’antagonisme fonctionnel entre les deux formes protéiques. En effet, si OvoA agit en qualité de répresseur transcriptionnel, OvoB se comporte comme un activateur (Andrews et al., 2000). L’expression précoce de la forme OvoA est notamment responsable de la stérilité observée avec les mutations dominantes ovoD1-3. Il a été montré que les cellules primaires germinales (CPG) expriment spécifiquement OvoB au cours de l’embryogénèse (Mével-Ninio et al., 1995; Hayashi et al., 2017) et l’altération de sa fonction conduit à une perte des CPG chez la femelle comme chez le mâle. Au niveau moléculaire, l’altération d’OvoB se traduit par la perte d’expression de gènes spécifiques de la lignée germinale dont piwi, vasa et nanos. La présence d’OvoB dans les CPG semble donc favoriser leur destin germinal et réprimer des gènes impliqués dans le développement somatique (Mével-Ninio et al., 1995; Hayashi et al., 2017). Chez la souris, les facteurs OvoL1, OvoL2 et OvoL3 sont les orthologues de la protéine Ovo de Drosophile (Li et al., 2002; Unezaki et al., 2004 a) et le gène OvoL2 est le gène présentant la plus forte et consistante (précoce) expression dans les CPG. Chez les souris mutantes pour ce gène, une diminution significative du nombre de cellules germinales primaires est observée. Du fait de la létalité précoce des embryons mutants (E10,5), une analyse plus fine de la fonction d’OvoL2 fut impossible (Hayashi et al., 2017). Cependant, du fait de la similitude des phénotypes observés chez la drosophile et la souris, les auteurs proposent que les facteurs Ovo jouent un rôle conservé au cours de l’évolution pour la formation des CPG (Hayashi et al., 2017). Une étude récente réalisée chez Bombyx mori (ver à soie), montrant une désorganisation des ovarioles et une baisse de la fertilité, vient supporter cette hypothèse (Bi et al., 2019). L’ensemble de ces études mettent donc en lumière un rôle essentiel des facteurs OvoL dans l’établissement des lignées germinales et des gonades à travers le règne animal.
Le système pileux : quand une dérégulation d’OvoL t’hérisse le poil
Comme nous le verrons en détail par la suite, une des fonctions de la forme somatique, Svb, codée par le locus ovo/svb chez la drosophile, est la formation d’extension cytoplasmique apicale (trichome) présent à la surface de certaines cellules épithéliales (Payre et al., 1999; Delon et al., 2004). Chez les vertébrés, l’importance des facteurs OvoL dans la formation et la régulation du système pileux s’est faite à travers l’étude du gène OvoL1. En effet, la délétion de ce gène entraîne la formation de poil hirsute et désordonné (Dai et al., 1998). Les études qui ont suivi, ont montré que chez l’Humain, les facteurs OvoL1 et OvoL2 sont exprimés au sein du bulbe pileux à divers endroits du follicule avec des localisations différentes pour chaque protéine. OvoL1 est, par exemple, présent dans le noyau des cellules basales du cortex alors qu’OvoL2 est présent dans le cytoplasme de ces cellules (Figure 2) (Ito et al., 2017). De plus, chez l’Humain, des mesures de la capacité de la formation de poils des cellules basales du follicule pileux montrent que lorsque la concentration en OvoL1 est modifiée, diminuée avec des RNAi-ovoL1 ou augmentée avec des lentivirus-ovol1, le nombre de follicules formés est, respectivement, augmenté ou diminué (Shin et al., 2014). Il a également été mis en exergue qu’OvoL1 et OvoL2 sont impliqués dans la différenciation et la prolifération des kératinocytes. Ces fonctions passent par une inhibition de la voie Notch par OvoL2 qui permet la prolifération des kératinocytes, une inhibition d’OvoL2 et de c-Myc par OvoL1 pour leur différenciation (Tsuji et al., 2018). Les facteurs OvoL sont donc nécessaires à la formation et la structuration du système pileux et semblent être de bonnes pistes thérapeutiques dans le cadre de traitement de l’alopécie par exemple.
Identification des peptides smORF Polished-rice
Le gène pri présente un patron dynamique au cours de l’embryogenèse et dans l’épiderme selon un profil segmenté recouvrant celui de svb. De plus, un des phénotypes des embryons pri mutants se caractérise par l’absence de trichomes. La similarité des domaines d’expression et des phénotypes des mutants ont poussé les deux équipes à investir plus en profondeur la relation entre les deux gènes. Cette collaboration a permis de mettre en évidence que les petits peptides Pri appartiennent à la classe des peptides smORF (small open reading frame) et sont synthétisés à partir d’un ARN (Acide Ribonucléique) polycistronique initialement considéré comme non codant (Kondo et al., 2010). Les ARNs peuvent être divisés en deux catégories, les ARNs codants pour des protéines et les ARNs non codants. Cette distinction en deux classes se fait sur la taille des cadres ouverts de lecture (Open Reading Frame ou ORF). Les ARNs sont considérés comme codant si leur ORF possèdent une taille supérieure à 100 acides aminés. Les autres (ORF <100 AA) sont appelés smallORF ou smORF. Ils sont considérés comme ayant des ORF trop petites pour être traduites. Pourtant des études de biochimie et plus récemment de séquençage de l’ARN (RNAseq) mais aussi de profilage de ribosome ont permis de mettre en évidence que certains de ces smORFs pouvaient être traduits en peptides.
L’intestin moyen
L’intestin moyen qui partage de fortes homologies fonctionnelles avec l’intestin grêle des mammifères est la partie la plus étudiée pour comprendre les mécanismes du renouvellement soutenus par les cellules souches. Il est composé de cinq régions différenciées les unes des autres en fonction de leurs structures, leurs compositions enzymatiques mais aussi en peptides antimicrobiens et leurs pH (Buchon et al., 2015). Il est admis de façon un peu simpliste (voir chapitre suivant) que l’intestin moyen est constitué de deux types de cellules différenciées : les entérocytes (EC) et les entéro-endocrines (EE). Les entérocytes, polyploïdes qui représentent la majorité des cellules de l’intestin moyen, sont spécialisées dans l’absorption et la sécrétion des enzymes digestives. Les entéro-endocrines assurent, quant à elles, la sécrétion des hormones et sont impliquées dans l’immunité. Les cellules souches intestinales (CSI) sont le troisième type cellulaire présent dans cette région de l’intestin. Elles ont la capacité de proliférer et de se différencier pour renouveler en fonction des besoins les EC et les EE. Ce renouvellement se fait via des stades progéniteurs appelés respectivement entéroblastes (EB) pour les EC et pré-EE pour les EE (Micchelli et al., 2006 b, 2011; Ohlstein et al., 2006 b; Guo et al., 2016 a).
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Table des matières
Introduction
Chapitre 1 Les facteurs de transcription de la famille OvoL : rôles et fonctions
1.1 La formation des gonades et établissement de la lignée germinale : de la souris à la drosophile en passant par le ver à soie
1.2 La formation de l’œil : l’exemple du ver plat et la dystrophie polycornéenne
1.3 Le système pileux : quand une dérégulation d’OvoL t’hérisse le poil
1.4 Les facteurs OvoL/Shavenbaby dans la Transition Epithélio Mésenchymateuse
Chapitre 2 Shavenbaby : Mode de régulation et Fonctions
2.1 Régulation de Shavenbaby
2.1.1 Contrôle de l’expression de Shavenbaby par une pléiade de régions cis-régulatrices
2.1.2 Régulation post-traductionnelle de l’activité de Svb
2.1.2.1 Identification des peptides smORF Polished-rice
2.1.2.2 Shavenbaby : deux protéines pour le prix d’une
2.2 Rôle de Svb dans l’épiderme
2.2.1 Régulation centrale des gènes effecteurs du remodelage épidermique
2.3 Shavenbaby dans le système digestif
2.3.1.1 Le système digestif
2.3.1.1.1 Caractéristiques structurelles et fonctionnelles du système digestif
2.3.1.1.1.1 L’intestin moyen
2.3.1.1.1.2 Le lignage cellulaire
2.3.1.2 Fonction antagoniste de Shavenbaby pour le maintien de l’homéostasie de l’intestin
Chapitre 3 Au croisement entre l’informatique et la biologie : la bio-informatique pour la génomique chez la drosophile
3.1 Le séquençage : De Sanger au Séquençage Nouvelle Génération
3.1.1 Le principe du séquençage de l’ADN par Sanger
3.1.2 Séquençage et obtention des séquences de référence
3.1.2.1 Le principe du séquençage global
3.1.2.1.1 Assemblage du génome
3.1.2.1.1.1 Nettoyage
3.1.2.1.1.2 Criblage
3.1.2.1.1.3 Chevauchement
3.1.2.1.1.4 Échafaudage
3.1.2.1.1.5 Résolution récurrente : roches, pierres, galets
3.1.2.1.1.6 Consensus
3.1.3 Séquenceurs Nouvelle Génération
3.1.4 Le génome de Drosophila melanogaster
3.2 Éléments de régulation de la transcription : les enhancers
3.2.1 Mise en évidence des régions cis-régulatrices
3.2.2 Mécanismes de fonctionnement des enhancers
3.2.2.1 Le pistage ou tracking
3.2.2.2 Le chaînage
3.2.2.3 La formation de boucle ou looping
3.2.3 Les techniques d’identification de régions cis-régulatrices
3.2.3.1 Principe de gènes rapporteurs – promoter bashing
3.2.3.2 Approche globale : Principe du STARR-seq « self-transcribing active regulatory region sequencing »
3.2.3.3 Approche globale : Identification des sites de fixation des facteurs de transcription Principe du ChIP-seq
3.3 Organisation de la chromatine et accessibilité des enhancers
3.3.1 Les marques des histones
3.3.1.1 L’acétylation et la désacétylation des histones
3.3.1.2 La méthylation et la déméthylation des histones
3.3.2 L’organisation de la chromatine chez la Drosophile
3.3.2.1 Les couleurs de la chromatine
3.3.2.1.1 La chromatine dite « non permissive »
3.3.2.1.1.1 La chromatine noire
3.3.2.1.1.2 La chromatine verte
3.3.2.1.1.3 La chromatine bleue
3.3.2.1.2 La chromatine « permissive »
3.3.2.1.2.1 La chromatine jaune
3.3.2.1.2.2 La chromatine rouge
3.3.2.2 Les histones comme signatures des régions cis-régulatrices
Objectifs
Résultats
Chapitre 4 Shavenbaby protège les cellules souches rénales en interagissant avec la voie Hippo
4.1 Contexte de la publication
4.2 Résumé de la publication
4.2.1 Contribution
Chapitre 5 Les smORF peptides Pri sont de médiateurs de la signalisation de l’ecdysone, contribuant à façonner les réponses spatio-temporelles
5.1 Contexte de la publication
5.2 Résumé de la publication
5.2.1 Contribution
Chapitre 6 OvoL/Shavenbaby régule des ensembles distincts de gènes cibles en fonction du type cellulaire dans lequel il opère
6.1 Résumé de la publicationn
Discussion
Chapitre 7 Les acteurs régulant la fixation de Svb
7.1 Le rôle des facteurs de transcription pionniers
7.2 Polycomb et Shavenbaby ont une localisation similaire au sein du noyau : peuvent-ils être partenaires ?
7.3 Rôle des effecteurs du remodelage de la chromatine ?
Chapitre 8 Implication de SvbRep dans la pause des enhancers
Chapitre 9 Shavenbaby dans les cellules intestinales
9.1 Vers une fonction spécifique de SvbRep dans le lignage intestinal
Conclusion
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